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Publiée le ven 16/10/2015 - 13:10

La tolérance française : 1789 et 1905

La laïcité repose en France sur la loi de 1905 instaurant la séparation des Églises et de l’État, et le principe de la neutralité de l’État en matière religieuse. Elle s’inscrit, pour les républicains acquis aux idées de tolérance héritées des Lumières, dans le prolongement de la Révolution française et notamment de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme. En arrière-plan, on ne doit pas oublier la guerre civile religieuse qui avait déchiré la France au XVIe siècle, l’édit de Nantes et sa révocation : la tolérance française visait d’abord à régler le conflit entre catholiques et protestants. La laïcité opère donc un premier déplacement par rapport à ce vieux conflit : dans un contexte de déchristianisation massive de la France, elle n’oppose plus catholiques et protestants, mais partisans d’un catholicisme radical et catholiques modérés ou libres penseurs. Il n’est guère question des autres religions. Aussi parle-t-on souvent de séparation de l’Église, et non des Églises, comme si c’était là exclusivement une affaire de catholicité.

La crise actuelle

Aujourd’hui, le terrain français de la laïcité a complètement changé, opposant à terrain neutre, chrétien et déchristianisé, deux religions stigmatisées, le judaïsme et l’Islam. Le judaïsme français est devenu la représentation vivante du martyre juif perpétré par les nazis et la république reconnaît à son égard, dans la sphère de l’école laïque, un devoir de mémoire. Elle introduit donc à cet effet une exception à sa neutralité. Quant à l’Islam de France, absent du territoire de la métropole en 1905, il revendique aujourd’hui une identité et une visibilité que la neutralité laïque lui refuse. Bien sûr, ces deux positions ne sont ni opposables, ni même comparables. Il n’en demeure pas moins que le principe de la neutralité laïque est parfois ressenti comme discriminatoire, et vécu comme une injonction d’invisibilité et un alibi pour l’intolérance religieuse. Faut-il dès lors voir dans le voile, dans les menus sans porc à la cantine, des empiètements condamnables du religieux dans la sphère publique ou des aspirations légitimes au respect de la diversité des identités par la république ? Comment comprendre ce retournement du débat, qui voit l’opinion la plus conservatrice, jadis hostile à la laïcité, se ranger aujourd’hui sous la bannière de la laïcité pour dénier reconnaissance et visibilité aux Français dont l’identité culturelle n’est pas chrétienne ?

La laïcité hors de France

Plus que jamais, il apparaît nécessaire, pour éclairer un débat difficile et passionné, de multiplier les points de vue et de croiser les modèles et leur généalogie. Car la laïcité n’est pas qu’une histoire française : la Turquie, la Tunisie ont développé leur propre modèle de société laïque, preuve s’il en était besoin qu’Islam et laïcité ne sont nullement incompatibles. Ces modèles sont aujourd’hui eux aussi en crise. Y a-t-il un débat turc, un débat tunisien sur la laïcité ? Y a-t-il, dans l’espace politique, un camp de la laïcité et ce camp est-il le camp démocratique ? Y a-t-il, en pays d’Islam, un avenir laïc pour l’école et pour l’université ? Dans quelle mesure la crise de cette laïcité est-elle la même que la crise de la laïcité française ? Ce qui est en jeu dans ce débat et impose que l’université s’en empare, c’est la possibilité d’une pensée, d’une position universelle de la laïcité, et avec elle de l’actualité ou de la caducité de l’humanisme et des Lumières.

Positions du débat

La Parole aux humanités se devait donc de s’emparer de la question de la, ou des laïcités, à la fois pour en interroger les pratiques, les déplacements, les interférences, les écueils et dans une perspective théorique et critique, en saisissant la crise des laïcités comme un symptôme des révolutions sociales, politiques, culturelles que nous traversons. Une émission sur ce sujet s’imposait d’autant plus que la première de la série fut conçue à la suite de l’affaire Charlie Hebdo de janvier 2015.

L’émission s’interrogera notamment

1. sur les modèles de la laïcité : que faire de l’héritage français ? que nous apprennent les autres modèles ? peut-on, doit-on penser une laïcité universelle ?

2. sur les questions d’identité et de visibilité : la neutralité laïque est-elle possible ?, est-elle souhaitable ? la laïcité suppose-t-elle ou au contraire interdit-elle le multiculturalisme ? les cultures, les pratiques religieuses ont-elles leur place dans l’espace public et dans l’école laïque ? peut-il y avoir un enseignement laïc de la littérature ?

3. sur la place de la laïcité dans le débat politique : la laïcité a-t-elle une couleur politique ? constitue-t-elle un combat politique ? Peut-on identifier principe de tolérance et principe de laïcité ?

Affiche WM6 Laïcités en crise
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