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Michel Jeanneret, dans son introduction aux Juives, récemment publiées, écrivait : « Exposé à la débâcle des valeurs, le XVIe siècle finissant cultive le goût de ces vérités générales, dont la simplicité, peut-être, rassure ; Corneille en jalonnera encore ses tragédies1. » Contentons-nous pour le moment de comprendre par sentences les vérités générales contenues dans nos pièces : Michel Jeanneret semble présenter les sentences comme des pensées simples et rassurantes pour temps de crise, des vérités refuge, de pieux discours plus ou moins efficaces d’ailleurs.

Les sentences peuvent nous paraître quelque chose de marginal dans les pièces au programme : qu’importe la leçon sentencieuse de ces pièces, pour des lecteurs en quête de jeux formels2 ? Alors même que ces passages sont pour nous plus difficiles à apprécier, ils font partie de ces éléments constitutifs de leur littérarité du point de vue des contemporains de Garnier : les sentences sont donc un poste d’observation privilégié pour apprendre à apprécier un type de théâtre expérimental et éloigné dans le temps. Plusieurs spécialistes de la Renaissance ont cherché à mettre en valeur de manière plus générale la littérature gnomique3.

Il nous faut retracer brièvement l’histoire de la sentence. Héritage de la rhétorique gréco-latine, une sententia est une phrase (ou en tout cas un morceau de discours autonome) et un mot (une idée qui par sa formulation se présente aussi comme une unité esthétique). Pour la plupart des rhéteurs, c’est une partie de l’ornement, même si ce n’est pas exactement une figure de rhétorique4. Il convient d’en parsemer le discours, mais pas trop pour ne pas paraître se muer en directeur de conduite ou en faiseur de « traits5 ». Les sentences, dans ce référentiel, sont des vérités générales à fonction d’ornement. C’est donc le sens du mot à l’époque de Garnier : à la fois simple pensée, mais aussi, au sens rhétorique, une phrase ou bien un ou plusieurs vers qui expriment une pensée et qu’on peut utiliser comme ornement du discours. Si on relit Quintilien avec nos critères modernes6, le caractère de généralité se marque par l’absence de nom propre, de déictique, c’est-à-dire d’inscription dans la situation d’énonciation – c’est la garantie de leur caractère réemployable.

Les sentences au sens rhétorique sont l’objet au XVIe siècle d’un engouement, et même d’une véritable gourmandise : à une échelle plus générale, la lecture en vue de collecter des extraits est une pratique ancienne et systématique. Les humanistes aiment recueillir chez un auteur ancien les passages à valeur de généralité : Erasme publie des Adages qui contiennent pour une partie des expressions imagées latines ou gréco-latines (le « Talon d’Achille »), mais aussi de courtes sentences (« Dulce bellum inexpertis », La guerre est douce quand on ne la fait pas), ou encore des proverbes. Il y a aussi un recueil du grec Stobée traduit en latin (1543) : Montaigne y a puisé des sentences qu’il a fait graver sur les poutres de sa librairie, sa bibliothèque. Par exemple, sur la troisième solive, troisième travée7 : « Les hommes (dict une sentence Grecque ancienne) sont tourmentez par les opinions qu’ils ont des choses, non par les choses mesmes8. »

On retiendra un détail d’importance : dans les textes imprimés comme dans les manuscrits, les citations longues ou courtes, sentences ou non, sont en général signalées par des guillemets, comme des phrases empruntées et remarquables, et à reprendre.

Voici la dernière étape de notre parcours : Ronsard reprend ce procédé typographique des guillemets pour signaler à partir de 1552 dans ses œuvres, non pas des citations, mais des passages remarquables, souvent imités des anciens. Il appelle à traiter son œuvre comme une œuvre antique dont on prélève les meilleurs extraits, qu’il s’agisse des sonnets amoureux, de l’épopée de la Franciade ou des odes plus propres à l’énoncé de vérité générale. Chez Garnier, on entendra donc par sentence non pas toutes les pensées générales à valeur supposée d’ornement, mais tous les passages pourvus de guillemets en marge.

Considérer les sentences comme des vérités rassurantes (ce que Michel Jeanneret ne fait pas à la lettre) ne rendrait pas compte de la forte dimension esthétique, intertextuelle de ces passages. Mais on risque de tomber dans un autre écueil d’interprétation : faire de ces passages de purs exercices rhétoriques, des raffinements stylistiques sans dimension vraiment référentielle. C’est d’ailleurs plus ou moins la thèse de Richard Griffiths qui généralise son analyse de la tragédie de Montchrestien comme « exercice stylistique9 ». Il faut reconnaître que la généralité des sentences et la manière dont elles répètent un fond commun de pensée invite parfois à penser qu’elles n’apportent aucune réflexion singulière.

Or ce serait oublier l’importance des sentences dans la tragédie et pour Garnier : Jules-Joseph Scaliger, auteur d’une Poétique plus consultée alors que celle d’Aristote compte les sentences parmi les parties de la tragédie10.

Dans une Ode placée parmi les liminaires de Cornélie, le poète Rémy Belleau s’adresse à Garnier :

Qui d’une grace douce et fiere
Sçais enfler l’estomach cholere,
Et rabaisser le front des Rois :
Et qui de vers hautains et braves,
De mots, et de sentences graves
Fais rougir l’echaffaut Gregeois11.

La sentence fait partie du haut style qui se caractérise par une forme de gravité, au point de faire rougir l’« échaffaut Gregeois », le théâtre grec : celui-ci rougit de honte, en voyant un si grand tragique français, bien sûr, mais la rougeur peut faire songer, dans un sens second non actualisé, à la rougeur du sang.

On voit combien les sentences sont considérées comme un élément clé dans la renaissance du genre tragique en France. Au fond, cette importance se rattache à la dimension de la tragédie, conçue comme tout genre littéraire à peu près à la fois comme une source de plaisir (un peu paradoxal) et comme une source d’enseignement, selon la perspective des tria munera oratoires (docere, movere, delectare) ou l’utile dulci horatien. Ronsard, l’expression est célèbre, la qualifie de « didascalique et enseignante12 ». Cette dimension didascalique est au fondement de l’usage des sentences.

Revenons à la tragédie en France. L’une des premières traductions du théâtre de Sénèque est justement un recueil des sentences de Sénèque, classées pièce par pièce13. Comme l’a déjà remarqué Françoise Charpentier, les sentences sont nombreuses chez Garnier :

Avec Garnier, on voit se dessiner une tendance nette à l’emploi des sentences. Dans sa première pièce, Porcie (1568), on en compte 9,5%. Par la suite, il atteindra une proportion à peu près constante qui se situe autour de 12 à 13%, parfois un peu plus. Marc Antoine(1578) en compte 15%, Les Juives, 12,5%. Garnier semble le plus “sententieux” de cette génération théâtrale du second tiers de siècle (et dans la langue littéraire il faut entendre sentencieux dans un sens laudatif)14.

Les deux tragédies au programme sont pourvues en discours sentencieux, mais un peu moins que la moyenne chez Garnier, sans doute à cause de la contrainte des modèles imités. On compte ainsi 223 vers guillemettés sur 2384 dans Hippolyte (9,3%) et 156 vers guillemettés sur 2666 dans La Troade (5,8%).

Le contenu de l’enseignement des sentences est celui d’une philosophie morale (Hippolyte), mais aussi politique en grande partie convenue, puisqu’elles reprennent des conceptions du théâtre de Sénèque, que Garnier imite, qui sont largement acceptées par l’humanisme chrétien, avec quelques aménagements marginaux. Il faut renoncer à leur attribuer une originalité fondamentale : c’est le cas lorsqu’on lit que la Fortune renverse tout, même les rois, etc15. Mais en disant cela, on risque de considérer à nouveau que les sentences ne sont que de pieux discours sonnant creux. Remarquons que, bien que tirées de la doxa, les sentences peuvent se contredire entre elles, ou en tous cas les personnages qui les convoquent peuvent s’opposer. Dans ce cadre dialogique, même le chœur peut se bercer de faux espoirs ou se tromper, lui qui, selon l’Art poétique d’Horace, devrait être le plus proche des conceptions de l’auteur.

On le voit, la question que posent les affirmations générales dans Hippolyte et La Troade est au fond celle de leur littérarité et de leur adéquation plus ou moins perceptible avec une signification de la pièce.

On cherchera dans un premier temps à explorer la gravité sentencieuse, élément-clé de la tragédie « didascalique et enseignante » : elle présente une variété de formulations pour une philosophie commune. Dans un second temps, on mettra en évidence la place importante des sentences dans la dramaturgie de la crainte et de l’incertitude. Enfin, on voudrait montrer qu’elles participent d’une tentative de créer une poésie dans la poésie tragique – poésie gnomique sur le modèle de certains contemporains.

La gravité sentencieuse et ses enseignements

La gravité sentencieuse est un élément essentiel de la tragédie qui lui confère sa portée d’enseignement, mais cette portée est plus complexe qu’il n’y paraît. Les sentences, de forme variée, participent de cette gravité en se distinguant du reste du texte ; elles participent à un jeu de variation sur la forme et le fond par rapport à un fond d’opinions communes et souvent partagées ; elles contribuent au fond à un discours sur le tragique en un sens banal mais insistant car répété.

Être grave ou ne pas l’être

Comment se traduit la gravité sentencieuse ? Sans doute de manière contrastive. On a déjà signalé le caractère de généralité inhérent au style des sentences, qui implique l’usage de déterminants indéfinis, de relatives indéfinies, de pronoms indéfinis (personne, rien), ou d’adverbes temporels définitifs (jamais ou toujours). On ne trouve aucun déictique, bien entendu. Souvent, les sentences sont introduites par « Car », « Mais », « Mais quoy ? ». C’est à peu près le seul élément qui marque le décrochage par rapport aux autres répliques en alexandrins ou aux autres vers du chœur. À cela s’ajoute probablement une particularité dans la prononciation des sentences sur scène : selon un témoignage du XVIIe siècle, les acteurs devaient distinguer ces vers des autres par une voix tonnante16.

Certains vers qui n’étaient pas guillemettés dans la première édition le sont par la suite (H 1539-1586, acte III ; T 433-517). Inversement, cas plus rare, un vers pourvu de guillemets les perd dans les dernières éditions des Tragédies (H 1698). Le caractère de sentence est conditionné à une volonté auctoriale.

Il y a de multiples formes de courtes sentences signalées par les guillemets, d’un vers, d’un vers et demi à deux. Parfois, elles marquent un effet de conclusion comme c’est le cas dans La Troade, v. 636 ou dans Hippolyte, v. 533-534. La solennité de ces vers joue le rôle d’une clausule. Mais elles peuvent aussi constituer la réplique en un ou deux vers d’un personnage à un autre dans le cadre d’un échange stichomythique (sentence contre sentence), comme dans La Troade, v. 1481-1486, entre Pyrrhe et Agamemnon. On perçoit dès lors le choc d’une opposition qui se rapporte à une incompatibilité de principes. Parfois les sentences forment des groupes de trois à quatre vers, voire deux groupes de quatre, surtout dans Hippolyte. Dans ce cas (Hippolyte, v. 495-498), on songe à les rapprocher des Quatrains de Pibrac (1574), mais ceux-ci sont dépourvus de toute portée pragmatique et stylistiquement très différents18. Cependant, la fréquence de ce groupe atteste un effet particulier d’unité stylistique qui les distingue de la réplique.

Variations sentencieuses

Sur le fond, cette gravité n’implique aucune singularité. Les sentences proposent la variation ou la reformulation d’idées parfois semblables entre elles, idées qu’on trouve partout, dans nos tragédies, dans les autres tragédies de Garnier, dans celles d’autres auteurs, et même chez les poètes de l’époque, toutes formes poétiques confondues.

L’enjeu est d’apprécier l’écart par rapport à une formule initiale plus ou moins confusément connue du lecteur et du spectateur – un exercice rhétorique19. Parfois le modèle est extérieur, parfois le modèle est interne à l’œuvre. Prenons un exemple dans la bouche d’Hécube : 

O bien-heureux, celuy, qui mourant en la guerre
De soy-mesme heritier ne laisse rien sur terre :
Ains voit tout consommer devant que de mourir,
Et avecque sa mort toute chose perir ! (T 269-272)

On songe ici à deux vers qui appartiennent au chœur des Troyennes de Sénèque (163-164) : « Heureux celui qui meurt | Entraînant un monde dans sa catastrophe20 ». La sentence est ici développée de manière à faire sentir qu’il y a une sorte de consolation à mourir en entraînant tout dans sa perte. De la part d’un juriste comme Garnier, l’expression « de soi-mesme heritier » peut étonner, car elle est inexacte et contradictoire : c’est une image qui sert à forger une figure d’un mort qui n’a pas de descendant, ce qui n’est pas tout à fait le cas de Priam (il y a encore Astyanax, Polyxène et Polydore) mais vaut par anticipation. Cette mort bienheureuse qui emporte tout est mise en valeur par le jeu de polyptote sur les synonymes à la rime, dans un quatrain qui aiguise l’idée et amplifie la sentence de Sénèque. C’est moins la cohérence qui compte que la reformulation d’une plainte tragique de Sénèque.

On trouve un effet de variation par rapport à une sentence qui est aussi un lieu commun que reprend Cassandre peu après :

Toute guerre est cruelle, et personne ne doit
L’entreprendre jamais, sinon avecques droit :
Mais si pour sa défense et juste et nécessaire
Par les armes il faut repousser l’adversaire,
C’est honneur de mourir la pique dans le poing
Pour sa ville et l’avoir de sa vertu tesmoing. (T 407-412)

La deuxième partie de cette sentence peut être vue comme une version du lieu commun d’Horace dans les Odes,« Dulce et decorum pro patria mori » (III, 12), il est doux de mourir pour sa patrie – dans une guerre juste et défensive. La mention de la mort au pied des remparts, sous l’œil des habitants de sa propre cité, fait lointainement songer au scénario de l’Iliade et à ses diverses réécritures. De même, la nourrice de Porcie, dans la Porcie de Garnier, s’écrie : « Qui meurt pour le pais, vit eternellement21. »

On pourrait multiplier les exemples. Les vers attribués à Cassandre montrent une version différente des regrets d’Hécube qu’on vient de citer : avec un certain sens du paradoxe, Cassandre cherche à prouver que les Troyens sont plus heureux et les Grecs plus malheureux qu’il n’y paraît. Cette variation n’est pas purement stylistique, en dépit de l’effet de ressemblance globale. Ce sont pieuses paroles, peut-être, mais pas tout à fait creuses.

Métadiscours tragique

Ces vers sentencieux portent les leçons parfois insistantes et répétitives du tragique, à tel point qu’ils pourraient passer inaperçus si l’on s’en tient à la répétition d’énoncés de sens littéral soit identique, soit connexe. On retiendra deux exemples : le thème du bienfait du partage de la douleur et le retournement de fortune pour les rois.

Le réconfort qu’il y a à partager la douleur22 est souligné par le chœur ou kommos du milieu de l’acte IV (T 1983-2018) : on trouve un très long passage guillemetté, d’une longueur inhabituelle pour les tragédies de la même époque :

Nos gémissements sont plus doux
Quand chacun gemist comme nous :
Nostre douleur est moins cuisante
Et mord nos cœurs plus lentement,
Quand notre publique tourmente
Toute une commune lamente.
[…] Nul ne se pense malheureux
qu’accomparé d’un bien-heureux
Las qu’un homme qui se lamente
Sent peu de consolation,
Que quelqu’un en sa passion,
L’aborde sa face riante. (T 1983-1988 et 2001-2006).

Le contexte de ce chœur des Troyennes est à noter : on doit entendre les cris ou les chants grecs prêts au départ (puisqu’ils ont sacrifié Polyxène, selon le récit qui suit ce chœur). L’idée est que la communauté de peine ou bien la comparaison avec une douleur plus aiguë peut ouvrir la voie à la consolation : principe essentiel de la tragédie française des années 1570, dont les catastrophes extrêmes doivent servir de réconfort23.

Cette sentence est confirmée par la négative : Polymestor arrive sur scène au début de l’acte V, se refuse d’ailleurs justement de participer à cette communauté de la douleur. C’est un grand moment, bien sûr, car on savoure son hypocrisie – il a tué Polydore, et vient partager les lamentations des Troyennes mais pas trop, le tout devant Hécube qui sait qu’il a tué son fils. Aux vers 2391-2398 on a ainsi deux sentences de quatre vers chacune ; la première concerne les vicissitudes de la fortune, voici l’essentiel de la seconde :

Mais que sert ce propos ? […]
Nos plaintes n’y font rien : les royaumes perdus,
Ne sont pour lamenter par Jupiter rendus.

Polymestor, personnage dont la perception est nécessairement effroyable, confirme son absence de pitié et de scrupule. La logique et la morale de la pièce veulent que l’on pleure ensemble.

Le retournement de fortune est un autre thème sans cesse répété avec variation, avec l’idée que les rois qui s’en croient préservés seront plus durement touchés. C’est essentiel dans une dramaturgie qui se fonde non pas sur l’idée de péripétie, mais sur celle du renversement. A la fin d’Hippolyte, Garnier ménage ou du moins met en scène l’éventualité d’un suicide de Thésée de manière bien plus nette que Sénèque ; dans La Troade, la mise à mort des enfants de Polymestor et sa mutilation des yeux sont un renversement qui en annonce d’autres : l’imprécation finale d’Hécube promet d’autres Polymestor (T 2663-2666).

On trouve maintes variations sentencieuses sur les renversements de fortune dans les deux pièces ; ce discours sur la tragédie sert de renfort à la dramaturgie qui cherche à ménager une forme d’instabilité à l’aide : la nourrice de Phèdre avant son suicide (H 1875-1878), le chœur qui précède le récit de la mort d’Hippolyte comprend une deuxième série de strophes sentencieuses sur la colère et évoque le renversement des palais royaux (H 1959-1964) ; dans La Troade, Agamemnon avertit Pyrrhe de ne pas tomber dans l’insolence des vainqueurs (T 1581-4) ; Hécube le met en garde de la même manière (T 1581-4) ; même Polymestor, on l’a vu, adopte ce discours convenu (2391-4). Ces paroles ne sont pas creuses non plus puisqu’elles accompagnent une dramaturgie qui cherche à faire attendre le retournement, même lorsqu’il ne pourra plus avoir lieu.

Les sentences illustrent des vérités tragiques, générales, mais graves et peu rassurantes. Elles contribuent à une dramaturgie pensée pour susciter la crainte et la pitié24.

Sentences et dramaturgie des émotions

Les sentences participent à une dramaturgie de la crainte et de la pitié à cause du lien entre la sentence et le personnage auquel celle-ci est attribuée. Quelle que soit leur généralité, elles ont une dimension pragmatique par contextualisation : leur insertion dans une réplique a un rôle d’explication de l’action ou de justification de la conduite. Les sentences en pareil cas sont aussi des maximes.

On peut à ce propos opposer deux options pour le langage dramatique : un théâtre de la motivation et un théâtre de la vraisemblance. On reprend là la distinction établie dans un article assez fameux de Gérard Genette, entre deux modalités essentielles du récit25 : celui qui est motivé par des phrases expliquant la conduite des personnages (le récit balzacien) et celui qui repose entièrement sur la vraisemblance ou l’invraisemblable assumée (La Princesse de Clèves, mais on pourrait en ajouter d’autres). Le théâtre de Garnier est un théâtre où la logique de l’intrigue et des actions est sans cesse commentée par des sentences ; le commentaire n’est pas naturalisé, mais présenté comme tel dans toute son artificialité. On trouve là l’opposé de la tragédie racinienne ou des préceptes de l’abbé d’Aubignac quatre-vingts ans plus tard. Le théâtre explicatif de Garnier ne se soucie pas de la vraisemblance du discours sur l’action, mais l’intègre, sentences comprises, aux effets permettant de susciter la crainte et la pitié : pas besoin d’Aristote pour formuler ce but, on le trouve déjà dans les commentaires de la comédie latine.

Ainsi, les sentences, dans Hippolyte et dans La Troade, sont des maximes justifiant le caractère ou la conduite des personnages selon une logique des émotions. Elles apparaissent parfois comme sciemment détournées et manipulées. Il semble que Garnier souligne à travers les sentences mêmes la fragilité des discours et des certitudes qui les fondent.

Maximes de conduite et émotions

Les sentences comme maximes viennent à l’appui du discours des personnages sur l’action dramatique.

Dans cette perspective, les échanges stichomythiques reposant sur des sentences permettent d’opposer non pas deux idées, mais plutôt deux maximes générales contextuellement liées à l’éthos de chaque personnage, deux conceptions incarnées par deux personnages. Aux vers 1397-1398 de La Troade (acte III), Agamemnon explique ainsi l’acharnement de Pyrrhe à réclamer le sacrifice de Polyxène aux mânes de son père Achille par la jeunesse qui ne peut se maîtriser ni maîtriser sa colère ; il s’affirme d’ailleurs par là même comme roi, car lui sait se maîtriser – critère essentiel de la morale du prince. L’échange qui se poursuit aux vers 1481-1486 permet d’opposer une image de tyran et une image de roi à travers le chiasme du verbe plaire (au sens de paraître bon à décider) : Pyrrhe prétend que toute volonté du roi est légitime et Agamemnon lui oppose les lois morales, qui représentent le point de vue des magistrats de l’époque. Par l’insertion dans un contexte, la sentence prend une dimension programmatique d’éthopée26.

Lors de la dernière scène, les imprécations qu’Hécube prononce sur la soif de l’or (T 2629-2632) devant Agamemnon sont une condamnation implicite de Polymestor : la véhémence accusatoire n’est pas diminuée mais plutôt fondée par le discours général que le lecteur spectateur applique au tyran criminel et cupide. À la fin de l’acte I d’Hippolyte, les vers 911-922 prononcés par le chœur sont une façon de reprendre le thème répété dans les échanges entre la nourrice et Phèdre : l’amour est un poison irrésistible. On peut encore citer les derniers vers du chœur de la fin de l’acte IV d’Hippolyte sur la colère et ses ravages (H 1947-1964) : ce chœur a pour but d’expliquer la conduite de Phèdre et d’anticiper la ruine imminente de la maison de Thésée.

Manipulations

Mais la sentence comprise ainsi comme maxime est une sorte de vérité qui sert non seulement à justifier une conduite, mais aussi à prêcher le faux : ainsi, une sentence permet d’affirmer et de fonder l’accusation de viol lancée contre Hippolyte et d’innocenter Phèdre en la présentant comme victime du viol et innocente (H 1519-1522). Le meilleur exemple est fourni dans Hippolyte par la nourrice de Phèdre qui assène la maxime de la relativité par excellence, dont l’applicabilité ambiguë repose sur l’adverbe temporel « souvent » : « Toute chose a son propre et naturel office | Ce qui sied bien à l’une à l’autre est souvent vice » (H 1177-1178). Selon la lecture qu’on fait de ces vers, on peut passer, sans mot dire, d’un énoncé théorique et rhétorique sollicitant l’aptum à un relativisme radical. D’ailleurs, la nourrice opère ici un revirement spectaculaire par rapport à ses objurgations stoïcisantes de l’acte II : une maxime morale (869-870) appelait à ne pas accorder de valeur au « bruit du populaire » qui se trompe « le plus souvent » lorsqu’il blâme ou approuve. Si on trouve la même approximation, généralisante, cette maxime exclut la diversité ou réversibilité des points de vue qu’affirme ensuite le chiasme du vers 1178.

Avant même le retournement spectaculaire de la nourrice qui prend finalement fait et cause pour sa maîtresse, la nourrice exhorte Phèdre à résister de manière contradictoire, en arguant qu’une fois l’amour en possession de quelqu’un, il n’est pas de guérison possible (H 479-484) ; un peu plus loin, elle soutient qu’on peut guérir de l’amour (H 842) – stratégie argumentative plus conciliante.

Le discours sentencieux s’apparente bien à une logique de la motivation et non de la vraisemblance. Il épouse bien les conduites des personnages.

Fragilité

Cette logique de motivation des sentences est détournée et manipulée au-delà des oppositions de caractères ou des revirements ; elle a un caractère fragile que Garnier se plaît à rendre perceptible alors même qu’il multiplie les sentences.

Cela se voit dans les démentis, idées auxquelles on se raccroche en vain. Dans son premier monologue, Hippolyte, après avoir rapporté un songe funeste et avant de raconter son sacrifice refusé par les dieux, formule une sentence :

Le songe ne doit pas estre cause d’ennui
Tant faible est son pouvoir quand il n’y a que lui
Ce n’est qu’un vain semblant, un fantôme une image
Qui nous trompe en dormant et non pas un presage. (H 235-238)

Tout est fait pour que le spectateur sente que c’est une naïve tentative de se rassurer. On perçoit l’ironie dramatique implicite : un songe funeste en contexte tragique ne serait pas à prendre au sérieux ! La contextualisation rend cette sentence pathétique. De plus, le démenti littéral est en germe dans la restriction du deuxième vers que j’ai lu : « quand il n’y a que lui » : or un mauvais présage s’ajoute au songe aussitôt après dans le monologue d’Hippolyte – le sacrifice repoussé par les dieux.

D’autres sentences constituent un faux répit, leurre destiné à renouer provisoirement avec l’espoir d’une issue positive. C’est le cas par exemple des vers du chœur de la fin de l’acte IV d’Hippolyte sur la promesse, énoncés après que Thésée a demandé à Neptune, au nom de sa promesse d’assistance, de tuer Hippolyte : « La promesse obliger ne doit |Quand elle est faite contre droit » (H 1923-24). La sentence sur les promesses s’étend sur douze vers. Mais dès la fin du chœur survient un messager qui se lamente de l’événement funeste par une série de vocatifs : « O deplorable mort » (H 1966). Ce démenti brusque et immédiat d’une sentence est plutôt à comprendre en fonction d’une logique émotionnelle que comme l’exposé de la pensée de l’auteur.

Les sentences du chœur, plus encore que celles des personnages, permettent de manier les émotions tragiques, crainte et pitié, de la peur (pour l’accroître, mais aussi pour la modérer) : du reste, elles ne sont nullement l’expression de la pensée de l’auteur mais correspondent à la logique émotionnelle des personnages, y compris à celle du chœur qui constitue une figure du public.

Les sentences ou une poésie dans la poésie

Au-delà de leur logique émotionnelle liée aux personnages et au chœur, les sentences semblent relever d’un projet poétique, dont on peut souligner la littérarité singulière par deux aspects. Le premier est le style abondant et imagé des sentences longues des chœurs de Garnier, qui fournissent un point d’observation utile pour saisir la littérarité de l’ensemble des sentences. Par ailleurs, la poésie des sentences semble viser à se constituer en unités autonomes marquées par une forme d’intertextualité double, morceaux imités et proposés à l’imitation.

Style abondant et imagé

L’innovation de Garnier en matière de sentences, réside peut-être aussi dans le choix de qualifier de sentences des passages relativement longs, notamment dans les chœurs. On y trouve ainsi un type de poésie gnomique très distinct des Odes de Ronsard ou des Quatrains de Pibrac. Ces sentences longues relèvent d’une forme de pensée par l’image. Dans sa Poétique, Jules César Scaliger oppose un type de sentences simples qui sont comme des « colonnes » et un autre un genre à la fois imagé et abondant27. Cette opposition répond à celle que dresse la Rhétorique à Herennius ou l’Institution oratoire de Quintilien entre sentence simple et sentence complexe, c’est-à-dire reposant sur des preuves28. Traitant de la sentence complexe propre à la tragédie, Scaliger ne la définit pas par l’addition d’une preuve logique mais par un critère stylistique : usage de l’image et forme de copia. Il semble que Garnier développe ce second type évoqué par Scaliger. Peut-être même le pousse-t-il à son extrémité, à un point où Ronsard, ni aucun autre, ne l’avait pas poussée.

On prendra pour exemple un passage du chœur de la fin de l’acte III d’Hippolyte que Garnier a pourvu de guillemets à partir de la deuxième édition (1539-1586). Ce passage se présente comme un développement de l’idée « une femme jalouse est terrible », mais y ajoute plusieurs images au chœur de la pièce : c’est la tempête, avec l’image d’une Ménade inspirée en partie de la Médée de La Péruse29. C’est une figure paroxystique de l’amour bafoué, mais aussi de la folie en général. Les procédés stylistiques témoignent d’un style abondant : doubles allitératifs (1570, 1584, 1585, 1586), paronomases (1563-1564), répétitions ou épizeuxes (1579, 1567-1568), chiasme avec répétition (1571), doubles synonymiques (1583), appositions de participes et de noms (1547-1550 et passim) ou énumérations (1558). Garnier crée dans cette sentence une figure de la folie à interpréter, dont la généralité est égale à celle des sentences.

La première moitié du chœur de la fin de l’acte IV de La Troade (2299-2340), qui évoque la disparition de la foi (de la fidélité à la parole donnée) et de l’amitié est pourvue aussi de guillemets. Ce chœur fait bien sûr pendant à l’Hymne de la monarchie : tout monde sans foi (sans fidélité) est soumis à la Fortune ; les rois mêmes sont victimes de ces revirements. Avec un schéma strophique singulier et sur un ton mélancolique, il propose une vision du monde remplie de noirceur. L’antépénultième strophe du chœur (2365-2370), elle aussi marquée comme sentence, comporte un vers particulièrement intéressant en contexte sentencieux :

Chacun retire sa foy
De ce Roy,
Que le malheur environne. (2368-2370)

On remarquera le démonstratif cataphorique qui semble quasi déictique, puisqu’il peut concerner aussi Polymestor, qui arrive sur scène à l’acte suivant, au cours duquel il sera aveuglé par les Troyennes et ses enfants tués. Cela inviterait à supposer que les Troyennes aussi sont coupables de l’absence de foi et d’amitié. Dépassant le parti pris troyen, le texte de ce chœur paraît en tout cas présenter une image de culpabilité partagée : on atteint peut-être un surplomb poétique adopté par Garnier concernant la guerre civile.

On remarquera à ce sujet la fin du chœur de la fin de l’acte IV d’Hippolyte (1947-1964), sur les effets de la colère : l’image d’une cité saccagée permet de lier la question morale et la question politique.

La sentence, quoiqu’imagée revêt une importance stratégique et relève bien d’une utilisation de l’image comme matière à interpréter. Ces passages sont l’indice d’un théâtre moins enclin qu’on ne pourrait le croire à formuler des discours neufs ou tranchants. La tragédie de Garnier veut moins délivrer des leçons que donner des paradigmes à penser.

Intertextualité double

Outre leur particularité de style, les sentences semblent caractérisées par une intertextualité virtuelle, mais toujours double : tout d’abord la présence de guillemets est une forme de réhaussement, qui rappelle un hypotexte à la fois parfois vague, parfois multiple. Le guillemet, conformément à sa fonction typographique, est le signe d’une imitation, peu importe laquelle. Simultanément, les guillemets marquent une auto-canonisation de Garnier ou du moins appellent à une lecture anthologique de son propre théâtre. On trouverait ici la même logique que celle qui a présidé, chez Ronsard, à la multiplication des guillemets dans les publications successives des Odes.

L’échange entre la nourrice et Phèdre à l’acte II d’Hippolyte semble ainsi dissimuler des réécritures parcellaires qui invitent à considérer la tragédie comme offrant des passages d’anthologie. Phèdre, rappelons-le, n’envisage pas que Thésée revienne :

Il est aisé d’entrer dans le palle sejour,
La porte y est ouverte et ne clost nuit ne jour :
Mais qui veut ressortir de la salle profonde,
Pour revoir derechef la clarté de ce monde,
En vain il se travaille, il se tourmente en vain,
Et tousjours se verra trompé de son dessain.
Mais feignons qu’il eschappe […]. (H 577-583).

Jean-Dominique Beaudin évoque une « amplification » du passage correspondant de Sénèque (Phaedra 219-224) et remarque que l’Enéide IV, 26 « synthétiserait assez bien l’ensemble des images qu’on retrouve dans le passage de Garnier » 30. Il est vrai que l’idée selon laquelle on ne revient pas des Enfers se trouvait dans la Phèdre de Sénèque31. Remarquons cependant que c’est une paraphrase du chant VI de l’Énéide, où le héros troyen traverse les Enfers :

Facile est la descente à l’Averne : nuit et jour est ouverte la porte du noir Pluton. Mais revenir sur ses pas, sortir et parvenir à l’air d’en haut, c’est la grande affaire, c’est la vraie épreuve. Ne l’ont pu que les rares hommes qu’a aimés l’impartial Jupiter, ou les fils d’un dieu que leur ardeur vaillante a élevés jusques aux cieux32.

Ces vers de Virgile sont alors extrêmement connus ; l’intertexte tend à montrer que ceux de Garnier sont pensés pour être perçus comme des réécritures dans la continuité des œuvres classiques auxquelles ils se réfèrent, c’est-à-dire dans lesquelles on puisait des sentences. On pourrait parler d’intertextualité surnuméraire, dans la mesure où l’imitation de Sénèque est complétée par d’autres imitations ponctuelles et plus étroites.

On citera un second exemple pour montrer que ce cas n’est pas isolé : le chœur de la fin de l’acte III de la La Troade est consacré aux audaces des navigateurs. La structure métrique en est originale : pas de strophes, distiques d’alexandrin et d’hexasyllabe, rimes croisées a-b-a-b. Sur le fond, Garnier propose une image de la transgression à l’origine du malheur des hommes plus que des énoncés ou des leçons à proprement parler. Au centre du chœur, quatre vers forment une sentence à deux couples de rimes :

Sans cause Jupiter la terre a separee
D’une vagueuse mer
Si les hardis mortels de l’une à l’autre oree
Font leurs vaisseaux ramer. (T 1773-6)

Raymond Lebègue et Jean-Dominique Beaudin ont rappelé que ce chœur imite le mètre d’une ode d’Horace qui elle aussi condamne la navigation comme forme de l’audace (Odes, I, 3), ainsi qu’un chœur de la Médée de La Péruse33. Jean-Dominique Beaudin signale en outre le vers 25 de l’ode d’Horace. C’est par ailleurs un topos. L’imitation du même poème d’Horace est peut-être plus étroite encore et concernerait aussi les vers précédents :

Nequicquam deus abscidit
prudens Oceano dissociabili
terras, si tamen impiae
non tangenda rates transiliunt vada
. (Odes, I, 3, 21-24)
C’est en vain qu’un dieu a séparé,
Sage, les terres de l’Océan de manière inconciliable,
S’il est vrai que pourtant
Les vaisseaux impies
Traversent d’un bond l’étendue inviolable des eaux.

Certes la réécriture concerne la proposition principale et non le contenu de la subordonnée hypothétique ; mais peu importe au fond, l’effet de reconnaissance est là. Par ailleurs, il semble que Garnier ne se contente pas de se souvenir, mais aiguise aussi le souvenir de son lecteur savant en signalant ces vers comme sentencieux. On lit là un exercice de style pour une part : Garnier ne condamne pas à proprement parler la navigation ; il semble rivaliser avec son aîné Ronsard, qui chantait avec enthousiasme les navigations audacieuses d’André Thevet dans une ode34 : la navigation est une figure, une image qui sert à penser ce qu’il y a d’audace, de transgression dans l’action humaine, dans un sens positif ou négatif. L’intertextualité surnuméraire qu’on lit chez Garnier semble donc s’inscrire dans le cadre d’une émulation visant à composer des passages conçus en fonction de l’ensemble, mais aussi pour constituer des œuvres « à part ».

Conclusion

Les sentences permettent de voir la manière dont une certaine poésie ne dissocie pas le fond de la forme. Discours second, les sentences relèvent bien de l’exercice de variation formelle ou rhétorique, mais pas gratuit tant elles répètent la leçon tragique. Elles correspondent à un discours et à une logique de la motivation de l’action et par là s’inscrivent dans une dramaturgie qui fait naître la crainte et les faux espoirs. Enfin, il semble que Garnier, qui a construit son œuvre tragique sur le modèle de Ronsard publiant et révisant son œuvre poétique de son vivant, a conscience de « faire œuvre » par les sentences : cette poésie gnomique dans la poésie est une poésie dans laquelle il introduit des images et dans laquelle il se plaît à souligner une intertextualité et en appeler à une lecture anthologique.

Ni paroles creuses ni opinions personnelles, donc, les sentences fournissent un cadre pour des pensées parfois contradictoires ou investies de valeurs contradictoires. Rejoignons pour finir Michel Jeanneret qui évoquait des vérités-recours pour temps de crise, en ajoutant que les sentences sont des certitudes conditionnelles, contextuelles, que Garnier incorpore massivement à la fiction tragique et à ses crises : en cela, elles reflètent sans nul doute à ses yeux la crise politique de la France des guerres de religion.

Notes

Je traduis : « Mais puisque des sentences il y a deux types, il faut soutenir toute tragédie à l’aide des deux. Elles sont en effet comme des colonnes ou des piliers pour l’ensemble de la fabrique. C’est une sentence simple et brève que celle-ci : “La Mort comble les bons”. Quant à l’autre type, il est à la fois imagé et abondant, comme si l’on prononçait celle-ci : “Ne croyez pas que les hommes bons périssent, eux dont l’esprit est en lui-même immortel, vers le séjour dont il était parti il s’est envolé, loin des misères.” »

1

Michel Jeanneret, « Introduction », in Robert Garnier, Les Juives, Paris, Gallimard (Folio théâtre), p. 14.

2

Lorris Petris, « Introduction », in Guy du Faur de Pibrac, Les Quatrains. Les plaisirs de la vie rustique et autres poésies, éd. Lorris Petris, Genève, Droz, 2004, p. 20.

3

Jean Vignes, « Pour une gnomologie : Enquête sur le succès de la littérature gnomique à la Renaissance », in Seizième Siècle, n°1 (2005), p. 175-211 : on y trouve une réflexion sur le regain d’intérêt de la critique pour ces formes et une méthode d’investigation.

4

4 Quintilien attribue aux sentences un statut intermédiaire : au livre VIII, il traite successivement de l’ornement, de l’amplification, des sentences puis des tropes. Il conteste le point de vue d’un certain Cornificus, lequel classe les aphorismes ou sententiae parmi les tropes (Institution oratoire, IX, 3, 98). Peut-être est-ce l’auteur de la Rhétorique à Herennius qui adopte en effet ce classement (Rhétorique à Hérennius, IV, 24). À la Renaissance, l’importance de ce dernier traité, encore attribué à Cicéron, est certaine.

5

Quintilien, Institution oratoire, éd. Jean Cousin, Paris, Belles-Lettres, 1975-1980, t. V, p. 99-102 (VIII, 5).

6

Quintilien, op. cit., t. I, p. 129 (I, 9).

7

Pour les curieux, voir le site du projet « Montaigne à l’œuvre » (Monloe, https://montaigne.univ-tours.fr/).

8

Michel de Montaigne, Les Essais, éd. Jean Balsamo, Catherine Magnien-Simonin, Michel Magnien, Paris, Gallimard, 2007, p. 258 (I, 40 « Que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de l’opinion que nous en avons »).

9

Richard Griffith, The Dramatic technique of Antoine de Montchrestien. Rhetoric and style in French Renaissance tragedy, Oxford, Clarendon Press, 1970.

10

Jules César Scaliger, Poetices libri septem, [Lyon,] Antoine Vincent, 1561, p. 18 (I, 11).

11

Robert Garnier, Cornélie, éd. Jean-Claude Ternaux, Paris, Classiques Garnier, 2007, p. 34.

12

Pierre de Ronsard, Œuvres complètes, éd. Jean Céard, Daniel Ménager, Michel Simonin, Paris, Gallimard, 1993, t. II, t. II, « Preface sur la Franciade », p. 1164 : les qualificatifs valent pour la comédie et la tragédie.

13

Pierre Grosnet, Les Tragédies très-éloquentes du grand philosophe Sénèque, diligentement traduictes de latin en françoys, Lyon, François Juste, 1539, qui reprend le contenu d’un imprimé parisien plus exactement intitulé Les Authoritez, sentences et singuliers enseignemens du grant censeur poete orateur et philosophe moral Seneque, Paris, D. Janot et alii, 1534. Le terme de sentence est d’ailleurs utilisé à la fin du résumé de Thyeste, lorsque Grosnet compare une sentence de cette pièce à celle d’Hercule furieux.

14

Françoise Charpentier, Pour une lecture de la tragédie humaniste. Jodelle, Garnier, Montchrestien, PU de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 1980, p. 53.

15

Voir Louise Frappier, « Sénèque revisité : la topique de la Fortune dans les tragédies de Garnier », in Études françaises, n°44-2 (2008), La Littérature tragique du XVIe siècle en France, p. 69-83. L’article montre la dimension protéiforme de la figure de Fortune y compris chez Garnier, où elle semble comprendre également la notion de Providence.

16

Dans un avis « Au lecteur » en tête de son Théâtre, t. V, Paris, F. Targa, 1628, fol. A6r°, Alexandre Hardy vante le « grave mélange de belles sentences qui tonnent en la bouche de l’acteur, et résonnent jusqu’en l’âme du spectateur » : voir Alexandra Licha, contribution à la journée d’études « Modalités et enjeux de l’inscription du spectateur dans les textes dramatiques (xvie-xxe siècle) », Université Paris-Sorbonne, juin 2004, URL : http://lettres.sorbonne-universite.fr/sites/default/files/media/2020-01/crht_alexandra_licha_le_discours_sentencieux_sur_la_femme_dans_la_tragedie_1553-1653_instruction_morale_ou_manipulation_dramatique_du_spectateur_.pdf (consulté le 15/04/2020)

17

Toutes les références et citations renvoient au texte de l’édition au programme : Robert Garnier, Hippolyte (1573). La Troade (1579), éd. Jean-Dominique Beaudin, Paris, Classiques Garnier, 2019. Les titres des pièces sont abrégés H et T, suivi des numéros des vers.

18

Guy du Faur de Pibrac, avocat du roi au parlement et protecteur de Garnier, lequel lui dédie entre autres Porcie.

19

On se souviendra que Quintilien place la composition de sentence parmi les exercices d’amplifications avec l’amplification d’une fable : Quintilien, Institution oratoire, op. cit., t. I, p. 129 (I, 9, 3).

20

Sénèque, Théâtre complet, éd. Florence Dupont, Actes sud, 2012, p. 226.

21

Robert Garnier, Porcie, éd. Jean-Claude Ternaux, Paris, Classiques Garnier, 1999.

22

Sur ce thème, voir la perspective très stimulante de Tiphaine Pocquet, « Les sentences dans le théâtre de Garnier, une communauté de l’impossible ? », in Lise Forment, Léo Stamboul, Tiphaine Pocquet, dir., Politique des lieux communs, Revue La Licorne, Poitiers, 2016, p. 125-135.

23

Sur l’absence de la notion de catharsis dans le discours humaniste sur la tragédie, voir par exemple Nina Hugot, Sabine Lardon, Robert Garnier, Hippolyte et La Troade, Neuilly-sur-Seine, Atlande, 2019 (coll. Clefs concours), p. 25 ; voir aussi Véronique Lochert, Marc Vuillermoz et Enrica Zanin, dir., Le Théâtre au miroir des langues. France-Italie, Espagne XVIe-XVIIe siècles, Genève, Droz, 2018, coll. « Travaux du grand siècle », n°48, p. 577-578.

24

Pour rappel, nul besoin de se référer à Aristote pour ce doublet qu’on trouve dans les commentaires latins de Térence et qui permet de définir la tragédie à l’opposé de la comédie.

25

Gérard Genette, « Vraisemblance et motivation », in Figures II, Paris, Seuil, 1969, coll. « Points », p. 71-99.

26

L’éthopée est l’un des exercices-clés de la formation oratoire consistant à dresser le portrait d’un personnage fictif ou réel en composant son discours : voir Quintilien, op. cit., t. V, p. 186 (IX, 1) qui cite Cicéron et en fait une espèce de l’hypotypose (description). L’éthopée est au fondement des Caractères de La Bruyère si l’on se réfère à Marc Escola, La Bruyère I. Brèves questions d’herméneutique, Paris, Honoré Champion, 2001 (coll. « Moralia »).

27

« Quum autem sententiarum duo sint modi, utrisque tota Tragœdia est fulcienda. Sunt enim quasi columnae, aut pilae quaedam universae fabricae illius. Sane sententia simplex ac præcisa est, ut illa, “Mors bonos beat.” Alterum vero genus pictum ac fusum, veluti sic eandem an dicas : “Nolite existimare bonos interire, quorum animus per se immortalis, ad eas sedes unde profectus fuerat, evolat ex hiis miseriis.” » (Jules César Scaliger, Poetices, op. cit., p. 145, III, 97)

28

« … la sentence est tantôt simple (simplicem) […] tantôt soutenue par sa preuve rationnelle (ratione subiecta) » (Quintilien, Institution oratoire, op. cit., t. V, p. 95, VIII, 5, 3) ; « … on oppose sentences “simples” (simplices) caractérisées par la “l’expression concise” (brevis expositio) et sentences étayées par l’addition d’une preuve (subiectione rationis) » (Rhétorique à Hérennius, éd. Guy Achard, Paris, Belles-Lettres, 1989, p. 156-157, IV, 24)

29

Florence Dobby-Poirson, « La figure de la Bacchante dans la tragédie humaniste française », in Seizième Siècle, n°6 (2010), p. 63-76, ici p. 71-72.

30

Robert Garnier, Hippolyte (1573). La Troade (1579), éd. Jean-Dominique Beaudin, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 228 et 229 (édition au programme).

31

« Phaedra – Reditus nullos metuo : non unquam amplius | Convexa tetigit supera qui mersus semel | Adiit silentem nocte perpetua domum. |Nutrix – Ne crede Diti. Clauserit regnum licet | Canisque diras Stygius observet fores : | Solus negatas inveniet Theseus vias. » (Phaedra, v. 219-224). Je traduis : « Phèdre. – Je ne crains nullement le retour de Thésée. On ne peut jamais plus | Remonter au sommet dès que l’on a plongé | Au silencieux manoir de l’éternelle nuit. | La Nourrice. – Ne fais pas confiance à Pluton. Même s’il ferme les frontières de son royaume, | même si le chien du Styx garde leurs terrifiantes barrières, | seul Thésée, malgré l’interdit, trouvera les moyens d’en sortir. »

32

« facilis descensus Averno : | noctes atque dies patet atri ianua Ditis ; | Sed revocare gradum superasque evadere ad auras, | hoc opus, hic labor est. Pauci, quos aequos amavit | Iuppiter aut ardens evexit ad aethera virtus, | dis geniti potuere » (Virgile, Enéide VI, 126-130).

33

Robert Garnier, Hippolyte (1573). La Troade (1579), édition citée, p. 553-554 et Robert Garnier, La Troade. Antigone, éd. Raymond Lebègue, Paris, Les Belles-Lettres, 1952, p. 261.

34

« Hardy celuy qui le premier | Vit au bois le pin montaignier | Inutile sur la racine, | Et qui le tranchant en un tronc, | Le laissa secher de son long | Dessus le bord de la marine […]. » (Pierre de Ronsard, op. cit., t. I, Le Cinquiesme livre des Odes, xxiv, p. 909-911)

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