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L’axe 3 du CIELAM, Fabriques patrimoniales, rassemble les travaux et les projets ayant trait au patrimoine : patrimoine matériel, avec les manuscrits médiévaux et modernes ; patrimoine immatériel, avec les contes de fées et les chansons. Il s’agit aussi d’interroger les limites de la notion de patrimoine, et de comprendre ses liens avec l’écriture et la littérature. Cet axe regroupe notamment des travaux sur les fonds anciens des bibliothèques (manuscrits médiévaux et mazarinades de la Bibliothèques d’Aix-en-Provence), mais aussi sur les brouillons d’écrivains (Proust et Giono). Par son approche globale, il favorise les approches interdisciplinaires (histoire, histoire de l’art, chimie, etc.). Les travaux des collègues touchent aux humanités numériques, avec l’utilisation des logiciels spécialisés dans l’étude des manuscrits et la scénarisation des résultats de recherche en jeux sérieux (serious game).

L’axe « Fabriques patrimoniales » s’organise autour de trois pôles :

  • le Projet Pétrarque
  • éditions scientifiques de textes patrimoniaux
  • patrimonialisation des chansons françaises.

3.1. Projet Pétrarque : autour du manuscrit 1800 de la Méjanes

Les travaux présentés ici sont intimement liés, et portent sur le même objet d’étude : un manuscrit médiéval du XVe siècle. Ce manuscrit de Pétrarque fait l’objet d’études interdisciplinaires depuis plusieurs années, et donne lieu à de fructueuses collaborations. Les résultats scientifiques obtenus sont valorisés par un Escape Game numérique, en cours de réalisation.

Comment renouveler les études sur le manuscrit médiéval ? Comment promouvoir le fonds patrimonial local ? D’abord en proposant une approche pluridisciplinaire (littérature, histoire de l’art, chimie)

3.1.1. Recherches interdisciplinaires sur le manuscrit 1800 de la Bibliothèque Méjanes (chimie et littérature) (resp. Valérie Gontero-Lauze)

Ce projet interdisciplinaire a été initié en 2015 par Valérie Gontero-Lauze du CIELAM et Florence Boulc’h du MADIREL (Matériaux divisés, interfaces, réactivité, électrochimie). L’objet des recherches est un manuscrit médiéval de la Bibliothèque Méjanes : le manuscrit 1800, de la fin du XVe siècle, qui contient une œuvre majeure de Pétrarque, dans sa traduction par Jean Daudin : Les Remèdes de l’une et l’autre Fortune. Il s’agissait, dans un premier temps, d’étudier les couleurs dans le manuscrit médiéval – notamment les pigments utilisés et la signification des couleurs dans la miniature du folio 6. Nos résultats ont été publiés dans différentes revues (Heritage Science et Revue de l’Art). Ces travaux ont d’abord pris la forme d’un projet APEX financé par la Région SUD (COMMEDIA- Les couleurs dans les manuscrits médiévaux), puis se sont poursuivis avec l’intégration dans l’équipe de conservateurs, d’autres collègues universitaires et de membres du CICRP, spécialistes de l’étude du patrimoine. Nous avons obtenu pour ce projet APEX le Prix Spécial du Jury du Département des Bouches-du-Rhône en 2017. Ces analyses ont mis au jour des particularités dans les pigments utilisés (le bois brésil pour la couleur rouge) mais aussi dans l’iconographie (le visage double de Fortune, le code-couleur des vêtements). Nous avons également révélé le blason du commanditaire, Tanguy IV du Chastel, un proche de Louis XI, ce qui permet de mieux connaître l’histoire de ce manuscrit. Nos recherches concernent désormais l’atelier dans lequel ce manuscrit a été réalisé (peut-être celui de maître François à Paris) : il nous faudra comparer les pigments et les détails iconographiques du manuscrit 1800 avec d’autres manuscrits conservés à Paris et à Vienne (Autriche).

3.1.2. L’Affaire Pétrarque : comment transformer les résultats de la recherche scientifique en Escape Game (resp. Élodie Burle-Errecade et Valérie Gontero-Lauze)

Lors de la Nuit des Chercheurs 2022, Elodie Burle-Errecade et Valérie Gontero-Lauze, du CIELAM, avec Florence Boulc’h, du MADIREL, ont présenté la première partie (teaser) d’un Escape Game qui prend la forme d’une enquête policière autour du manuscrit 1800, jeu conçu en association avec une société spécialisé, MindQuest Games. Le jeu numérique, fondé sur une série d’énigmes, reprend les conclusions des recherches scientifiques sur ce manuscrit (voir ci-dessus les travaux de Florence Boulc’h, chimiste au MADIREL et Valérie Gontero-Lauze, médiéviste du CIELAM). Ce premier travail numérique a été financé par la Cellule de Culture Scientifique d’AMU, le CIELAM et le MADIREL – instances qui sont parties prenantes de nos différentes réalisations depuis des années. Nous venons d’obtenir des financements de la SATT (Société d’accélération du transfert de technologies) et de la Région Sud (40 000 euros au total) afin de finaliser cet Escape Game en 2023. Ce jeu numérique deviendra à terme un outil pédagogique gratuit utilisé par la Cellule Scientifique d’AMU et par la Bibliothèque Méjanes lors de futures manifestations culturelles. Le début de l’Escape Game présenté lors de la Nuit des Chercheurs le 30 septembre 2022 a connu un vif succès, et la file d’attente était très longue pour essayer le jeu sur tablettes. Cela laisse entendre qu’il y a une réelle demande pour un tel outil pédagogique, qui mêle le patrimoine culturel, les recherches scientifiques et les nouvelles technologies.

3.2. Éditions scientifiques de textes patrimoniaux

Mettre les richesses du patrimoine à la disposition du plus grand nombre : c’est une des missions des chercheurs du CIELAM. Ils y travaillent par l’adaptation animée de contes de fées, mais aussi par l’édition de textes difficiles d’accès. Ils donnent accès à toutes les strates du texte, comme les brouillons et les notes d’écrivain.

3.2.1. TALE, une application sur les contes de fées (resp. Adeline Duperray et Valérie Gontero-Lauze)

Adeline Duperray collabore, ainsi que Valérie Gontero-Lauze, avec la start up TALE-Myrà, qui travaille à une application sur les contes de fées. Le CIELAM apporte son expertise scientifique pour le choix de certains contes, leur origine et leur interprétation, notamment du point de vue graphique. Adeline Duperray se charge plus particulièrement de l’adaptation des contes, au sens médiéval du terme, issus de la matière de Bretagne et se propose, notamment, d’éditer sur la plate-forme Myrà des adaptations des romans de Chrétien de Troyes, mais aussi d’épisodes cruciaux du Lancelot en prose ainsi que de la légende de Tristan et Yseut. Cette collaboration a donné lieu à un workshop en avril 2019, auxquels ont participé plusieurs collègues du CIELAM, ainsi que l’équipe de TALE, alors basée sur le site The Camp, incubateur de starts-up à Aix-en-Provence. Le conte médiéval Le Bisclavret a été mis en images et présenté lors de la Nuit des Chercheurs, en septembre 2019.

Adeline Duperray est également partie prenante du projet « Oculométrie et manuscrit », élaboré avec Valérie Gontero-Lauze et Elodie Burle-Errecade, qui est mené en collaboration avec la plate-forme H2C2 d’Aix-Marseille Université. Il vise à étudier la manière dont différents types de lecteurs (débutants, moyens, confirmés et experts) déchiffrent une page de manuscrit dans différentes configurations (sans enluminure, avec enluminure en lien avec l’environnement textuel immédiat, avec enluminure sans lien avec l’environnement textuel immédiat), grâce à la technologie de l’eye-tracking.

Adeline Duperray collabore également avec l’enlumineur parodiste Simon de Thuillières pour les parties de ses ouvrages qui nécessitent un apparat critique scientifique.

3.2.2. Éditions critiques de textes du XVIe siècle (resp. Tristan Vigliano)

L’édition critique et la traduction participent elles aussi aux « fabriques patrimoniales », lorsqu’elles contribuent à la redécouverte et à la réappropriation de textes importants, mais qui ne sont plus accessibles au plus grand nombre, soit en raison de la difficulté de leur langue, soit parce qu’ils traitent de sujets minorisés par le canon. L’Alcorani et Evangelistarum concordiae Liber, d’une part, et l’Histoire des persecutions de l’Eglise chrestienne, d’autre part, en sont deux bons exemples. Le premier est un parallèle entre l’islam et le protestantisme publié en 1543 par Guillaume Postel : la complexité redoutée du style latin de son auteur, les connaissances religieuses qu’il mobilise doublement, sa visée polémique ont fait tomber dans un oubli injustifié cet ouvrage singulier, où la curiosité et l’ouverture d’esprit extraordinaires du plus grand orientaliste français du XVIe siècle se donnent carrière et se dissimulent en même temps ; Tristan Vigliano en proposera une édition traduite, avec introduction et notes. La seconde pourrait n’être qu’une histoire des martyrs parmi tant d’autres à la Renaissance et le fait que son auteur, Pierre Boaistuau, n’ait pu la publier de son vivant n’a probablement pas contribué à son succès critique : ce catalogue pervers des mises à mort les plus cruelles, par un écrivain qui donna certains des plus grands best-sellers de son époque, qui inventa l’histoire tragique en France, et qui sut à tout moment exciter les émotions fortes de ses lecteurs, a pourtant quelque chose de délectable et de piquant qu’Anthony Le Berre, Juliette Privat et Tristan Vigliano mettront en évidence dans une édition critique.

3.2.3. Les Mazarinades (resp. Laura Bordes)

Le groupe 16-18 du CIELAM, grâce à un contrat doctoral financé par la région PACA en 2015, travaille à la valorisation du fonds patrimonial aixois des mazarinades (littérature pamphlétaire politique de l’époque de la Fronde au XVIIe siècle). Il se rattachait à l’origine au projet plus vaste de PALIPACA (Patrimoine Littéraire en région PACA) qui n’a pu aboutir, mais les recherches réalisées depuis à la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence ont trouvé un nouvel essor en s’associant aux Recherches Internationales sur les Mazarinades (RIM). Le projet initié en 2011 par Patrick Rebollar (Université Nanzan, Nagoya) et Tadako Ichimaru (Université Gakushuin, Tokyo) au Japon a commencé après la découverte fortuite de mazarinades dans les fonds de la bibliothèque de Tokyo. Cette collection entière ayant été numérisée et cataloguée, le site des RIM administré par Patrick Rebollar fait désormais référence en termes de recherches sur les mazarinades et ce dans une optique pluridisciplinaire puisque ces pamphlets touchent autant aux domaines historiques, littéraires, linguistiques que juridiques, mais intéressent encore les chercheurs du monde de l’édition, etc. Le nouvel enjeu de partage des fonds de mazarinades des divers lieux de leur conservation (bibliothèques, archives, collections privées…) implique une approche numérique de ces pièces imprimées, manuscrites ou iconographiques dont on trouve déjà de nombreuses références (2700 pièces, 15 millions de mots) sur le site des RIM (http://mazarinades.org/). Le partenariat de recherche établi entre AMU, par le biais du CIELAM, et la bibliothèque Méjanes a également permis de numériser et cataloguer plus de 1300 pièces appartenant à un corpus singulier et étendu du fonds aixois de mazarinades. Elles sont ainsi disponibles pour consultation et recherche sur le catalogue numérique de la Méjanes comme sur le site de la bibliothèque numérique patrimoniale de la BU d’AMU, Odyssée. Le projet de numérisation des différentes collections de mazarinades en France comme dans le monde doit permettre de faciliter le partage des découvertes et avancées des travaux des chercheurs travaillant en constellation et ce dans l’optique de pérenniser leurs activités et de les transmettre aux générations futures.

En août 2020, le CIELAM a été partenaire du colloque « Mazarinades et territoires », organisé au Centre Culturel International de Cerisy par Tadako Ichimaru (Univ. Gakushuin, Tokyo) & Stéphane Haffemeyer (Univ. de Rouen-Normandie), repoussé en raison de la pandémie à septembre 2022 à l’Université de Rouen. Laura Bordes soutiendra le 8 décembre 2022 une thèse intitulée « De l’étude d’une collection particulière à l’étude de la réception des mazarinades par la forme du recueil. L’exemple du fonds de la Bibliothèque Méjanes », sous la direction de Sylvie Requemora. La collection patrimoniale de mazarinades de la Bibliothèque Méjanes constitue un objet d’étude singulier permettant de lier des approches bibliothéconomiques et littéraires. Ces approches se fondent sur des observations matérielles (dimensions physiques des recueils et des pièces, marques de provenance…) ; sur des pratiques archivistiques, nécessaires à l’établissement d’un inventaire et d’un classement propres à la collection elle-même ; et sur des observations liées aux enjeux de réception des libelles par la forme du recueil. Dans une série particulière, la perspective polémique qui a ardemment agité la scène politique du temps de la crise se voit réorientée, proposant dès lors une nouvelle théâtralité des discours de la Fronde, ordonnée de façon à affaiblir l’efficacité des discours par le détournement d’une mise en recueil méthodiquement élaborée et farcie de portraits gravés. Les publications frondeuses sont ainsi données à (re)lire dans une temporalité et une spatialité maîtrisées, et dans un ensemble digne de la Bibliothèque Royale.

3.2.4. Brouillons d’écrivains (resp. Jean-Marc Quaranta)

Deux projets portés par Jean-Marc Quaranta se rattachent à l’axe « Fabriques patrimoniales ». Dynamic-Proust proposera une édition numérique, une analyse et une application pratique de la genèse textuelle de « Combray I », premier chapitre de la première partie de Du côté de chez Swann de Marcel Proust. L’édition présentera les versions successives des épisodes de ce chapitre, du point de départ (novembre 1908) au point d’arrivée (novembre 1913) et permettra de lire la version définitive, les versions successives, la reconstitution dynamique de chaque partie et le film du texte sur les cinq ans d’écriture. Elle permettra des analyses sur la manière dont Proust fait évoluer son texte (corrections, ajouts, suppressions, modifications affectant le style, le récit, les personnages).

Giono Marginalia visait au départ à numériser les marginalia de Giono et à les étudier, mais la première partie du projet semble trop vaste pour nos moyens : c’est donc vers la BnF que la DLVA (Durance Lubéron Verdon Agglomération), dont dépend le Paraïs, maison de Jean Giono, va se tourner. Le présent projet se concentrera sur l’exploitation des données issues de la numérisation. Globalement, l’objectif est d’utiliser le traitement automatisé des langues et les outils de fouille de texte (laboratoire LIS, Patrice Bellot et Alexis Nasr) pour retrouver dans le corpus romanesque – et si possible dans un corpus élargi – les échos lexicaux et syntaxiques des marginalia. Le CIELAM travaillera en partenariat avec le laboratoire Corpus Base Langage de l’université de la Côte d’Azur (Véronique Magri), qui fournira le texte numérisé des romans de Giono et apportera sa longue expérience en matière de traitement statistique des corpus littéraires. Le laboratoire LSIS, d’AMU, interviendra sur la partie fouille de texte qui est une de ses spécialités. Jean-Yves Laurichesse (PLH, université Toulouse Jean-Jaurès), spécialiste de Giono, connaît bien la question des marginalia, sur laquelle il a publié plusieurs articles. Il sera partie prenante du projet.

3.3. Patrimonialisation des chansons françaises (resp. Joël July)

3.3.1. Joël July fait partie du réseau Les Ondes du monde, qui prône la patrimonialisation des chansons françaises à la faveur :

- d’une panthéonisation de la génération 50-80, dans la culture, les mentalités, la chose scolaire, comme seuil d’exigence d’une qualité poétique chez certains ACI (Auteurs compositeurs Interprètes)

- d’une démarche intertextuelle et autotextuelle où la chanson se cite et crée des jeux d’interférences

- d’un mode de production devenu courant et privilégié, celui des reprises, dans des albums, lors des concerts, dans des émissions de télé-crochets.

Ce sont principalement les facteurs qui permettent à toutes les générations de posséder un fonds commun de chansons très connues, très citées (trop ?) qui est contre notre perception sans commune mesure avec l’oubli que les générations précédentes faisaient très volontairement des répertoires des générations antérieures. Autrement dit, en 1960, il semblait très improbable de chanteur en chœur une œuvre du début du siècle, alors qu’il est courant de connaître aujourd’hui collectivement des titres qui ont plus de 50 ou 60 d’existence, de Gare au gorille aux Lacs du Connemara, pour citer deux titres qui n’appartiennent pourtant pas au même registre d’élitisme.

3.3.2. Adeline Duperray participe également à ces recherches, présentées lors d’une journée enseignants-chercheurs sur la chanson en 2023, ainsi qu’à la 4e Biennale de la Chanson, portée par Joël July, avec une étude sur la dramaturgie dans les chansons d’Yves Duteil.