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L’ouverture de l'axe 2 du CIELAM, Epokhè. Ecopoétique et écologies littéraires, entérine un tournant qui a d'abord lieu au sein du département de lettres d’AMU, dans les pratiques de formation et de recherche, depuis 2017. L’obtention d’une bourse de la fondation AMidex pour un projet en écopoétique – Épokhè. Écopoétique, création et humanités – ainsi que la création d’un parcours-type de master en écopoétique et création a encouragé de nombreuses et de nombreux collègues à opérer un « tournant terrestre » et à situer leurs propres recherches dans le double contexte spatio-temporel de la condition terrestre et de la crise actuelle de cette condition (dérèglement climatique et urgence écologique). L’ouverture de cet axe a été préparée par la création et l’animation d’un carnet de recherche hypotheses.org et par la publication d’un double numéro spécial Fabula LhT / Acta Fabula intitulé Écopoétique pour des temps extrêmes.

Dans La Crise de la culture, Arendt formule la crise en question de façon archéologique : la notion occidentale de culture se déduirait du mariage conflictuel entre un art de faire (le culte de l’art et des beaux objets hérité d’Athènes) et un art de vivre (l’art de la culture hérité de Rome) : « Toutes deux, culture au sens d’aménagement de la nature en un lieu habitable pour un peuple, et culture au sens de soin donné aux monuments du passé, déterminent aujourd’hui encore le contenu et le sens de ce que nous avons en tête quand nous parlons de culture. » L’écopoétique enveloppe dans son nom même cet état de schize ou de conjonction problématique entre régime de lhabiter (les textes cultivent la terre comme « séjour », enrichissent notre présence au monde : « l’homme habite en poète ») et régime du construire (les textes, formations de défense, nous enferment dans des constructions anthropiques et contrefactuelles : fictions, formes closes, etc.) – c’est-à-dire entre le régime de l’oikos (« éco- » ) et le régime du poiein (« -poétique »).

 

2.1. Littérature des lieux et lieux de la littérature

 

Se donnant comme objet l’étude des rapports critiques et bouclages rétroactifs entre les textes et les contextes (clôture tautologique et ouverture écologique), l’écopoétique est avant toute chose une réflexion sur les lieux et sur la littérature en tant que située ou « ce qui a lieu » (Schoentjes). Cette réflexion se distribue en un ensemble de questions sur la littérature des lieux et un ensemble de questions sur les lieux de la littérature.

 

2.1.1. Claire Dutrait, « Prendre des échelles de récits pour habiter en terrestre ».

Inscrite dans une démarche de pratique et théorie de la création, Claire Dutrait entend mettre en œuvre et interroger des pratiques de récits involutives, à savoir de celles qui autorisent un retournement vers un référent terrestre pris dans la crise écologique, et qui engagent à trouver des manières d’y habiter. Pour ce faire, une journée d’étude, conjointement portée par l’ALLSH et le CIELAM, centrée sur la notion de « récit de territoire » aura pour objectif d’éclairer d’une part les relations interdisciplinaires que l’écopoétique peut entretenir avec les arts de la description du terrestre que sont les géosciences, la géographie et l’ethnologie, et les potentialités transdisciplinaires d’autre part que pourrait déployer l’écopoétique en se situant par rapport aux arts de la représentation que sont la modélisation des scénarios de territoire, les arts participatifs et les arts politiques. Engageant à articuler différentes échelles du récit (récits de matières, récits hybrides, récits vivants avec les récits de territoire), cette démarche, portée par le doctorat de Claire Dutrait comme auteure embarquée dans un projet arts-sciences-société aux marges de Dakar au Sénégal (AirGeo), contribuera à inscrire l’écopoétique dans l’écologie culturelle en transition que sont les sciences et humanités environnementales aujourd’hui.

 

2.1.2. Jean-Christophe Cavallin, « L’Homme habite en bergère. Pastorales pyrénéennes ».

Projet de recherche-création sur le genre de la pastorale dans le contexte de l’urgence écologique actuelle. Le projet se fait en collaboration avec le festival Le Murmure du monde (Val d’Azun) et les éditions Corti. L’idée est de retravailler le genre européen de la pastorale avec différentes écrivaines contemporaines qui se trouvent être ou avoir été bergères, afin d’expérimenter les vertus critiques de la bucolique dans le contexte de l’anthropocène. Ces idylles écoféministes et situées (Hautes Pyrénées, Ariège) seront une tentative de réinvestir ou réactiver (reclaim) le genre vieilli de la Bergerie comme mode spécifique de l’« habiter ». Schäferisch wohnet der Mensch… Il s’agit de composer et d’accompagner d’un apparat critique une bucolique par an, sur une période de cinq années, avec différentes écrivaines et chercheur.es. Une première bucolique est en cours d’écriture (résidence prévue en mars 2023) avec les écrivaines Violaine Bérot (Comme des bêtes, Bûchet-Chastel) et Florence Debove (Bergère, Transboréal). Elle sera mise en voix en juin 2023 dans le cadre du festival Le Murmure du Monde. Autres écrivaines et chercheur.es impliqué.es : Marie Cosnay, Anne Simon, Florence Robert (Bergère des collines, Corti), Marion Poinssot et Violaine Steinmann (Carnets de bergères, Le Pas d’oiseau), les étudiantes et étudiantes du master écopoétique et création.

 

2.1.3. Sylvie Requemora, « Projet TRAVEL ».

Le Centre de Recherches sur la Littérature des Voyages (crlv.org), attentif au « spatial turn », développe un programme de recherches sur les récits de voyages et l’éveil des consciences écologiques : TRAVEL (« Terre en Récits, Arts de Voyager & EcoLittérature »), au large empan chronologique, des premiers effets des voyages des Grandes Découvertes à la Renaissance jusqu’au XXIe siècle, de la découverte de l’Amérique en 1492 jusqu’au survol du pôle Nord par Amundsen et Nobile en 1926, grâce auquel toute la planète est désormais connue. Même si le recul historique n’est pas suffisant pour intégrer ce qui est nommé « crise écologique » actuelle, l’ouverture de la réflexion au XXIe siècle est mise en place par le biais d’une veille numérique sur des blogs de voyage écopoétiques et écocritiques. Ce projet propose un grand chantier de recherches autour des récits viatiques de l’anthropocène. L’objectif est de réinscrire « Homo viator » dans le monde par le biais d’une riche palette d’écritures de la nature – descriptions, ekphraseis, hypotyposes, taxinomies, intermédialités, symboles. L’équipe du projet TRAVEL est constituée d’experts capables d’interroger les conditions du voyage, désormais devenues des cas de conscience pour le voyageur, en amont et en aval de la période d’étude de sa responsable Sylvie Requemora, qui, elle, dix-septiémiste, propose d’explorer les écrits viatiques dans leur rapport à la nature au XVIIe siècle français et déterminer si les écrits de voyage, analysés sous l’angle écocritique de l’anthropocène, permettent une prise de conscience écologique, du point de vue de toutes les instances littéraires : voyageurs, écrivains de voyage (pour les dictionnaires du XVIIe siècle le voyageur est surtout celui qui écrit son voyage), éditeurs, graveurs, lecteurs.  Son analyse d’une esthétique de la micro-description viatique, des séjours (plutôt que des itinéraires) comme moyen de voir et construire du savoir, d’un exotisme à rebours, de l’écopoétique du récit de voyage naturaliste, de la poétique du récit de voyage et de l’environnement naturel, dans la lignée d’une intervention au Colloque international (CELIS, 8-10 novembre 2023, Clermont-Ferrand) « La littérature de voyage au prisme de l’écopoétique » organisé par Yvan Daniel et Alain Romestaing, passera par l’écriture de deux ouvrages :

- un essai sur « l’idée de nature » dans les écrits de voyage authentiques (Voyage et idée de nature au XVIIe s.), dans le sillage des travaux de Jean Céard, Jean Ehrard, Gérald Hess, Frédérique Aït-Touati, Bruno Latour, à partir des méthodes connectées de Philip Mansel et Sanjay Subrahmanyam, afin de croiser les représentations de la nature dans les différentes directions géographiques propres au XVIIe siècle : les Indes Orientales et Occidentales à l’est et l’ouest, mais aussi les récits en Afrique et en Scandinavie. Si a pu être montré au colloque de NYU en 2009 que les représentations de « l’autre » étaient souvent interchangeables (dans « Viatica concors ou viatica discors ? Du Cafre du Sud au Cafre du Nord »), qu’en est-il de la nature ? Les objets naturels observés et relatés sont souvent à la fois une source de pensée et une source à penser, comme le montrent par exemple Bernardin de Saint-Pierre à propos du melon dans ses Études de la Nature, ou Frédéric Tinguely à partir de l’ananas ou du tapir dans la relation de Jean de Léry, ou Myriam Marrache-Gouraud au sujet de la banane et l’ananas, ou Frank Lestringant à propos du poisson-volant, etc. D’objet, la nature devient source du discours et de la pensée, surtout lorsque ceux-ci soumettent l’idée de la nature humaine à celle de la nature terrestre, liant la notion de race à celle des climats, dans la lignée des géographies climatiques déterministes d’Aristote, d’Hippocrate ou de Bodin, ainsi qu’il est possible de l’étudier dans des écrits de voyages tels ceux d’Accarette, Champlain, Lescarbot, Diereville, Labat, Sagard, Regnard, Bertaud, Spon, La Boullaye-Le-Gouz, Carpeau du Saussay, Flacourt, Leguat, Mocquet, Bernier, Thevenot, Chardin, Tavernier, Daulier-Deslandes, Challe, Choisy, Froger, Galland, etc.

- une édition critique de La relation de l’Isle imaginaire et l’Histoire de la princesse de Paphlagonie (1659), une utopie précieuse fondée sur un locus amoenus galant où la nature idyllique contraste avec les caractères humains et interroge la séparation entre nature et culture. Fait rare au XVIIe siècle, qui pourrait intéresser aussi les gender studies, elle a été écrite par une femme, la duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle. Interroger le transfert de la Cour dans un voyage imaginaire en utopie galante et au pays des merveilles naturelles permet de cerner l’idée de nature du milieu mondain. Si le travail de saisie de texte peut être rapide, l’appareil critique de notes lexicographiques, génériques, historiques et idéologiques sera plus conséquent, de même que l’introduction qui devrait croiser l’écopoétique avec les recherches sur les voyages imaginaires, sur l’utopie et sur les gender studies.

 

2.1.4. Les travaux d’Éric Lecler se concentrent actuellement sur une nouvelle discipline, la zoopoétique enseignée dans la cadre du Master d’écopoétique et création. Ils s’inscrivent au croisement de la littérature et de la philosophie. En littérature, c’est essentiellement la question d’une nouvelle poétique ou d’une nouvelle définition de la poétique qui l’intéresse (stylistique comprise). C’est moins la représentation de l’animal qui est au cœur de cette zoopoétique que celle de son mode de représentation (pour la différencier des recherches d’Anne Simon). En philosophie, c’est à la fois la relecture du corpus philosophique à l’aune de la condition animale (dans la lignée d’Elisabeth de Fontenay), et l’ouverture de nouveaux champs de questionnement (en particulier dans le « nouveau réalisme », autour de Quentin Meillassoux, Tristan Garcia en particulier pour la question de l’animalité).

 

2.1.5. Stéphane Baquey, « Diction des lieux : pour une écopoétique expérimentale. Projet en recherche et création à la croisée des pratiques artistiques et des sciences humaines et sociales »

L’expérience des lieux, en tant qu’interaction en laquelle émergent des formes d’habitation et d’action dans un environnement, est un enjeu écologique premier. L’urgence est pour chacun d’expérimenter ses dépendances en des lieux partagés. Dès lors, pour l’écopoétique, en tant que redéfinition de la poétique dans une perspective écologique préoccupée par les transformations et les altérations des milieux humains et non-humains, il s’agit de réactualiser et d’explorer des modes discursifs ou transmédiaux de diction des lieux. La recherche se concentrera dès lors indissociablement sur la notion d’expérience telle qu’elle est élaborée dans les sciences humaines et sociales (philosophie, anthropologie, géographie, sciences cognitives) et sur les poétiques et les dispositifs artistiques par lesquels cette expérience peut être dite, représentée, voire simulée. Le projet sera mené sous la forme d’un séminaire pluriannuel associant écrivains, poéticiens et chercheurs en sciences humaines et sociales. Ces séminaires devront aboutir à une publication collective avec écriture de chapitres à plusieurs mains associant les différents participants. Une première collaboration est prévue avec Cédric Parizot, chargé de recherche en anthropologie (IREMAM). La MéCA à Aix-en-Provence et le CIPM à Marseille pourraient accueillir ces séminaires en associant, à chaque fois, recherche et création à travers l’organisation d’ateliers d’écriture.

 

2.2. Littérature des temps extrêmes

 

L’écopoétique inscrit les études littéraires dans le champ des humanités environnementales et plus particulièrement dans le double champ des Anthropocene Studies (Scranton, Learning to Die in the Anthropocene, 2015 ; Arts of Living on a Damaged Planet. Ghosts and Monsters of the Anthropocene, 2017) et des extinction studies (Rose, Wild Dog Dreaming. Love and Extinction, 2012 ; Heise, Imagining Extinction. The Cultural Meaning of Endangered Species, 2016). En ce sens, outre une réflexion approfondie sur la notion de lieu et de situation dans l’espace, la discipline suppose une réflexion approfondie sur le problème du temps – temps des origines, temps des fins, paradis, pastorales, apocalypses, futuritions, sciences-fictions, dystopies – et sur le problème de la situation historique (histoire et post-histoire, humanisme et posthumanisme, affects de l’anthropocène, Stimmung et « atmosphère », etc.).

 

2.2.1. Bérengère Parmentier, « Le Descartocène ».

Ce projet devrait se concrétiser sous la forme d’un colloque ou d’une journée d’études rassemblant des spécialistes de philosophie, de littérature, d’anthropologie, d’histoire intellectuelle et d’histoire des sciences, en même temps que des écrivains de fiction.

Le nom de « Descartes » apparaît souvent dans les études écocritiques ou généralement écologiques comme le marqueur d’un tournant dans les rapports théoriques et pratiques de l’humain à la « nature » et notamment à l’animal. C’est la pertinence et la portée de ce marqueur que l’on se proposera d’interroger. Y a-t-il bien un moment Descartes, au-delà de quelques textes théoriques dont la diffusion reste nécessairement limitée ? Que signifie le fait de nommer un procès (la discrimination dualiste du sujet et de l’objet, de la pensée et de l’étendue, de l’homme qui pense et de l’animal machine) par le nom d’un individu, d’un auteur ? Si c’est le cas, comment comprendre la relation qui unirait des textes de philosophie à des pratiques industrielles, à des représentations communes, ou à des manières de vivre ? Quel rapport entre production de pensée et transformation du monde ? Prendre au sérieux la dimension historique qui reste souvent implicite, ou à peine effleurée, dans les études écocritiques, c’est aussi se donner les moyens d’intervenir dans ce champ : si les choses ont changé dans l’histoire, c’est qu’elles peuvent encore le faire.

 

2.2.2. Tristan Vigliano, « La Renaissance et l’événement contemporain ».

Tristan Vigliano se propose d’organiser en 2024 un colloque intitulé « La Renaissance et l’événement contemporain ». Alors qu’un mouvement irréversible semble conduire à une fusion des études séculaires anciennes, donc seiziémistes, à l’intérieur du vaste ensemble des early modern, une réflexion s’engage peu à peu parmi les spécialistes sur le périmètre et le sens de leurs études. En 2019-2020, les jeunes doctorants de l’association Chorea se posaient ainsi la question suivante : « Quelle Renaissance pour le xxie siècle ? » Or, dans les séances de ce séminaire, il est frappant qu’une seule communication ait été consacrée aux enjeux écologiques. De fait, que peut nous dire de l’extinction massive à laquelle nous assistons… une époque où les espèces sont supposées créées par Dieu et donc éternelles ? Quelle conscience l’âge dit humaniste peut-il, dans ces conditions, avoir de l’anthropocène, dont la découverte est sans doute pour nous l’événement contemporain majeur ? À ces questions embarrassantes, aucune réponse de type apologétique ne devra être admise a priori. Peut-être la Renaissance n’a-t-elle rien à apporter à la vogue des new et des post à partir desquels se pense si souvent notre époque. Peut-être y a-t-il en elle quelque chose de mort, définitivement. Notre intuition est que cette crainte est infondée, mais se rendre compte qu’elle était justifiée sera un risque à courir. En le courant, nous nous rappellerons qu’epokhè a d’abord désigné une suspension de jugement fondatrice du pyrrhonisme et de pensées aussi fécondes, aussi critiques parce qu’autocritiques, que celle de Montaigne, par exemple. Et qui sait si nous n’arriverons pas à penser ainsi un autre climatoscepticisme – à embrasser joyeusement, celui-là ?

 

2.2.3. Les travaux d’Adeline Duperray, de par leurs territoires de recherche privilégiés, le Lancelot en prose et le Tristan en prose, s’inscrivent dans l’axe Epokhè en ce que ces grandes sommes arthuriennes perçoivent toute civilisation comme un microcosme qu’il faut analyser non seulement selon une perspective eschatologique, mais aussi dans les liens (conflictuels ou non) qui existent entre les forces de la nature, d’une part, et de l’autre la civilisation courtoise et chrétienne. Cette lecture éco-apocalyptique sera particulièrement mise à profit dans le projet d’Adeline Duperray d’étudier l’influence des grandes sommes en prose françaises, par le truchement de Le Morte dArthur de Thomas Malory, sur l’écriture du film Excalibur de John Boorman qui fait de la blessure à la terre et de l’usage non maîtrisé de sa puissance l’origine de la fin du monde, ce qui entre particulièrement en résonance avec notre époque.

 

2.3. Littérature, droit et tournant terrestre

 

Nous vivons depuis le début du XXIe siècle, dans le sillon des écrits du juriste Christopher Stone, les premiers soubresauts d’un « tournant terrestre » du droit. Parallèlement, depuis les études littéraires, certains commencent à détourer un corpus qui porte la marque d’une interrogation sur les limites et les possibilités du langage, pour faire entendre les voix, les intentions, les subjectivités des entités de la nature. Dans ce contexte, c’est notamment un nouveau regard qui est porté sur les rapports entre les encodages humains et ce qu’ils désignent ; mais aussi, sur les techniques de focalisations, afin de pouvoir ou non faire entendre « les voix de la Terre ». L’éthique de la traduction, notamment, en ce qu’elle porte la mémoire de ce qui est trahi, toujours, dans les processus de ré-encodage, est appelée à contribution pour définir les contours de ce qui est possible dans cet effort pour le décentrement, pour voir selon des logiques tout autres et donner corps à la perspective des êtres de la nature. Faut-il s’en remettre à une raison stratégique – incarner, représenter, défendre les entités terrestres, et du même coup, le temps long des générations futures dans l’espace du langage ? Ou peut-on voir dans ce tournant du droit plus que ça : un effort, s’appuyant sur les diverses sciences de la vie – notamment, ce qui relève de la bio sémiotique – pour s’approcher au plus près d’autres formes d’existence, pour déplacer et décentrer et rouvrir les langages humains vers tout ce qu’ils ont recouvert ?  

 

Camille de Toledo. « L’internationale des rivières (et aux éléments de la nature) » : projet art-science avec l’Institut d’études avancées de Nantes.

Entre 2023 et 2026, dans le sillon du projet art-science Les Auditions du parlement de Loire, avec l’Institut d’études avancées de Nantes (axe « Écoumène »), qui a abouti à la publication en 2021 du livre Le fleuve qui voulait écrire, nous proposerons un acte II, en poursuivant nos interrogations sur ce qui est mobilisé par le tournant des droits de la nature : ces diverses incidences sur les limites de nos langages humains, de nos focalisations, de nos fictions et traductions. Ce projet, l’Internationale des rivières, se déploiera sur une durée de trois ans, le temps prévu du mandat des chercheurs associés de l’IEA. Il sollicitera des chercheurs venant des différents champs des sciences humaines et des sciences de la vie pour essayer de cerner les intentions, les besoins, les valeurs et les formes d’expression des entités de la nature, notamment dans leurs rapports au travail (comment la nature travaille ?) Quatre temps forts sont d’ores et déjà prévus, prenant la forme d’auditions qui seront ouvertes au public, et préparées pour offrir une dramaturgie des métamorphoses sur le modèle des auditions du parlement de Loire. Le processus de questionnement aboutira à l’édition du second volet, après Le fleuve qui voulait écrire, avec les éditions les Liens qui libèrent : L’internationale des rivières et autres éléments de la nature. Un livre qui portera la trace – qui racontera l’aventure collective – de cette réflexion à plusieurs voix, citoyennes et scientifiques, pour inventer une nouvelle économie politique, digne des enjeux de transition ; dignes également des transformations que nous avons à accomplir pour entendre et prendre en considération les voix de la Terre.