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Au tout début du Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole l’écu de l’empereur Conrad, qui est partagé en deux, aux armes du comte de Clermont d’un côté, avec « un lion dressé, d’or sur champ azur1 », de l’autre, sans que l’on puisse identifier quelle famille est ainsi blasonnée, sans que l’on sache comment s’organise cette partition, nous fait d’emblée signe, sinon à la manière d’un protocole de lecture, du moins comme un emblème de la poétique mise en œuvre par Jean Renart2. Le fait est que, face à ce roman, on est toujours partagé sur les interprétations à émettre, on est à la fois dans le connu et dans l’inconnu, dans la lumière et dans l’obscurité, on se sent aussi bien guidé que manipulé. Cet effet de lecture me semble pouvoir être expliqué par la poétique particulière mise en œuvre dans cet ouvrage par un auteur qui, à l’instar du rouquin goupil dont il porte le surnom, a plus d’un tour dans son sac, et certes, pour notre plus grand plaisir. Je serais tentée de parler de poétique de l’oblique à propos de l’écriture qui suscite ces impressions. D’abord, c’est-à-dire aussi dès l’abord, on remarque que le texte se construit et avance de biais, récusant toute linéarité au plan microstructural comme au plan macrostructural, se déportant sans cesse, syntaxiquement, narrativement, d’un personnage ou d’un temps à un autre, des armes vers l’amour et vers d’autres motifs encore ou passant du récit au chant. Ensuite, cette obliquité tend à privilégier, non pas le centre mais ce qui est à côté, dans la marge : peut-être la nouveauté de l’œuvre, que l’auteur revendique à deux reprises avec fierté dans son prologue (« une novele chose », v. 12 ; « sera nouviaus toz jors », v. 23) réside-t-elle justement là, dans le choix fondamental que Jean Renart fait de l’écart ou de l’à-côté, des éclairages indirects qui favorisent les zones d’ombre, de l’inconvenance incessante qui suscite la surprise et renouvelle l’attention. Enfin, la poétique de l’oblique concourt à créer la toute-puissance d’une fiction reposant sur une parole et une écriture parfaitement biaisées : le je narratorial est insaisissable et masqué, le roman polyphonique bruisse de voix et la parole triomphe de manière ingénieuse et rusée. C’est ainsi, même rapidement, que je voudrais envisager au plan stylistique ce qui se donne comme un nouveau roman à l’aube du XIIIe siècle.

I. De biais : le refus de la ligne droite ou « com il se desvoie » (v. 1330)

À l’image de Conrad dont l’auteur-narrateur remarque les efforts pour ne pas parler de ce qui lui touche le plus à cœur et pour se détourner de ses pensées, l’ouvrage de Jean Renart frappe par son cheminement qui récuse la linéarité, la ligne droite : le dévoiement est comme un principe d’écriture qui touche aussi bien la syntaxe, ce qui rend la lecture difficile, que la diégèse, partagée entre récit et chanson, entre armes et amour.

La décomposition syntaxique

L’ordre des constituants phrastiques est d’emblée l’élément le plus remarquable de cette absence de linéarité qui caractérise l’écriture de Guillaume de Dole : s’y affirme le goût pour une compositio désordonnée qui ne respecte pas la tendance fondamentale de la langue médiévale à placer le verbe en seconde position, faisant de lui le pivot autour duquel s’agencent, de manière harmonieuse et rythmiquement équilibrée, sujet et complément. Le procédé est bien évidemment au service de la versification, de la suite d’octosyllabes, des besoins de la rime, tel une marque de fabrique renardienne, mais il heurte la lecture et met parfois à mal le sens :

Mout i honorerent cel jor
Alemant lor empereor (v. 2828-29)

Ainz qu’en montast por chevauchier
le son cheval qu’en tint au soeil (v. 3354-55)

L’ordre analytique, qui conduit aujourd’hui logiquement à placer plutôt en postposition l’expansion du nom ou de l’adjectif, son complément de détermination ou un caractérisant, est lui aussi fréquemment récusé :

de sa terre .VI. escuiers (v. 764)

De Rencien le bon chevalier (v. 1452)

de Dole q’en claime Guillame (v. 2863)

N’est gaires ma suer por ce pire (v. 3020)

de Dole le bon chevalier (v. 3539)

Même les adjectifs de couleur et les participes passés employés comme adjectifs, déjà rétifs en ancien français à occuper cette place, devenue aujourd’hui impossible sauf exceptions, sont concernés :

d’indes flors (v. 1545)

blans ganz (v. 1546, 2468, 4345)

cele vert vaire (v. 1920)

si atiriez .III. chevaliers (v. 1102-03)

Jointes ses mains (v. 3098)

Les phénomènes de disjonctions, beaucoup plus nombreux dans la langue médiévale qu’aujourd’hui et alors tolérés, fleurissent véritablement sous la plume de Jean Renard, estampillant son texte : entre l’antécédent et le pronom relatif3, entre plusieurs sujets4, entre le sujet pronominal et le verbe5, entre le complément du nom et celui-ci6, entre le substantif et son adjectif7, entre le déterminant et le reste du syntagme nominal8 ; les deux éléments d’une locution conjonctive, d’un relatif périphrastique, d’une locution verbale, d’une périphrase verbale, d’une forme composée du verbe sont séparés à plaisir et la phrase prend les allures d’une structure quelque peu déconstruite :

a ce fere qu’il a empris (v. 1899)

Ne fet pas a son biau non honte (v. 1421)

li fist li gentils chevaliers / aporter (v. 1819-20)

le vont a grant joie portant v. (4162)

l’ont ne sai quantes aamé (v. 2889)

Outre ces phrases désarticulées, qui semblent prendre la tangente, les procédés de focalisation (ou topicalisation) font exploser ce qui est la correction de la phrase en français actuel sous le pléonasme et détachent un constituant, ainsi mis en valeur, thématisé et extraposé, avec présence d’un élément de reprise ou d’annonce. La phrase paresse :

Lor daintiez et lor venoison,
dont il i ot si grant foison,
nuls, tant fust povres, n’i failli. (v. 486-87)

[…] il li corent a l’esperon,
et damoisel et escuier […]. (v. 4610-11)

Fet Juglés : « Je criem qu’il n’anuit
l’empereor, ceste demeure » (v. 1528-29)

De la farcisseüre syntaxique à la complexité du sens

Au niveau de la phrase complexe, tout semble possible ! Certaines phrases, à la limite, sont comme aspirées vers un point de fuite où se dissout le sens… Les cas de parataxe, qui ne sont pas si nombreux que cela, en définitive9, créent certes l’estompe par l’absence du mot subordonnant, diminuant la visibilité du cadre linéaire et rapprochant de manière égalitaire ce qui ne l’est pas. Mais beaucoup plus perturbants pour le lecteur-auditeur sont les cas d’hypotaxe compliqués. Jean Renart, sans se soucier le moins du monde de la limpidité de la hiérarchisation des différentes propositions, de la clarté de leur rection, enchaîne parfois celles-ci au gré d’un mouvement proprement analytique de la pensée, sans que les arborescences en soient clairement dessinées. Les exemples laissent ici apparaître une prédilection pour les systèmes hypothétiques imbriqués, dans lesquels le lecteur tend à se perdre, comme dans le discours qui suit. Le propos enthousiaste de Conrad prend la forme d’un vaste système hypothético-concessif dans lequel l’apodose se réduit à une exclamative :

« Car pleüst or au Saint Espir,
si m’eüst cousté .V.C. mars
et que mes chastiax fust toz ars
anquenuit ainz que g’i entrasse,
par covent que gë encontrasse
un autretel come cil fu,
si fust tote la vile en fu,
Diex, com fust or sires de mi ! » (v. 678-84)

Parfois, l’hypotaxe disparaît et l’anacoluthe règne. À la limite, dans ses choix éditoriaux, Félix Lecoy recourt à des parenthèses typographiques, pour réaliser à moindres frais l’insertion de certains segments incidents ou syntaxiquement détachés et isolés par rapport au reste de la phrase10, mais apportant à la phrase un commentaire, une précision ou une rectification proposée par le locuteur, de plus ou moins grande ampleur (de un à huit vers) :

Qu’il n’avoit encor point de feme
(mes le voeil a ceaus de son regne
en eüst il prochainement)
mout en parloient tuit sovent
li haut baron li un as autres […]. (v. 121-25)

Signe de la tendance à farcir la phrase dans cet ouvrage, les parenthèses, dont on relève 24 occurrences11, traduisent, on le sait, une réorientation de la voix, puisque le locuteur commente, corrige, complète ou modifie notamment le texte principal, en prenant fictivement du recul ; elles signalent un changement énonciatif.

Au plan rhétorique, certaines figures de construction, par essence, alimentent cette esthétique du détour et du détournement, qui tend à présenter de la réalité une vision éclatée, comme revue sous un autre point de vue et sans le relief ordinaire : c’est notamment le cas de l’hendiadyn, du zeugma, de l’hypallage. L’hendiadyn présente, sous la forme syntaxique d’une coordination égalisatrice (A et B) deux éléments qui, en fait, sont sémantiquement hiérarchisés et dont l’un est le complément déterminatif de l’autre. L’effet de mise à plat qui en résulte détonne et surprend, parce qu’il reconstruit bizarrement la réalité :

« Or avez le gré et l’amor
et la querele et voz amis. » (v. 1222-23)

et por son frere et por s’onor (v. 1231)

Le zeugma ou construction de l’attelage s’organise autour d’une juxtaposition ou d’une coordination disconvenante qui met sur le même plan deux éléments qui ne devraient pas l’être, en raison de la différence de leur nature grammaticale ou de leur orientation sémantique, concrète ou abstraite ; la visée est très souvent ironique :

[…] si haï mout vilain pechié
et en esté mengier a fu. (v. 42-43)

« […] je sai la verté
et por qoi li rois m’a mandé. » (v. 1507-08)

« […] onques n’oi son pucelage
ne ses joiaus a son domage,
ne ceinture ne affichaus. » (v. 4809-11)

L’hypallage enfin, qui détourne la caractéristique d’un élément pour le transférer à un autre, exploite le flottement syntaxique pour brouiller de manière implicite la représentation :

une pucele secorcie
d’un trop biau chainze (v. 301-02)

Un récit doublement bipartite « d’armes et d’amour » qui « conte… et chante »

La matière annoncée du roman dans le prologue est deux fois double, ce qui, en soi, ne va pas favoriser la linéarité, peut-on légitimement penser :

Il conte d’armes et d’amors
et chante d’ambedeus ensamble,
s’est avis a chascun et samble
que cil qui a fet le romans
qu’il trovast toz les moz des chans,
si afierent a ceuls del conte. (v. 24-29)

Rien d’original dans le double motif « d’armes et d’amours », sur lequel je reviendrai, puisque l’on sait que de nombreux romans de cette époque s’organisent de même12, l’amour suscitant et encourageant la prouesse chevaleresque, la prouesse chevaleresque attirant l’amour. On n’est donc pas étonné que la dualité de cette matière soit d’emblée résorbée par l’annonce de son traitement de conserve. Certes, l’expression pléonastique disgracieuse qui est employée, « ambedeus ensamble » (v. 25), tend à raccrocher le roman présenté à la veine traditionnelle, mais elle fait tache par son inélégance même, qui est peut-être le signe discret d’une distorsion dans le traitement à venir.…

Cette double matière est appelée à recevoir elle-même un double traitement, narratif et lyrique, parfaitement original (v. 12). En coordonnant presque systématiquement ce qui relève de la lecture et ce qui relève du chant (« chante et lit », v. 20, « chanter et lire », v. 22, « conte […] et chante », v. 24‑25), Jean Renart met en évidence le caractère indissociable des parties narratives et lyriques et suggère que c’est là le gage de leur harmonie. L’enchaînement, voire la reprise, des rimes du récit au chant13 ou, plus fréquemment, du chant au récit14 met en œuvre et souligne d’ailleurs en douceur et en toute discrétion, subtilement, ce qui s’affirme comme une sorte de connaturalité entre les deux formes prises par la parole romanesque15. Il n’empêche ! En elle-même, cette alliance audacieuse vaut à son tour pour perturbation et l’insistance de l’écrivain à dire qu’il n’en sera rien témoigne de ce danger implicite occasionné par le va-et-vient formel.

Le roman semble sans cesse récuser la linéarité, prendre la tangente ou les sentiers de traverse. La mout belle conjointure prônée par Chrétien de Troyes dans son prologue d’Érec et Énide (v. 14) semble mise à mal par une nouvelle esthétique de l’oblique. Le lecteur se trouve par là conduit à prendre en considération ce qui se dit à côté ou derrière le discours principal, celui qui est explicitement porté sur le devant de la scène.

II. À côté : dans l’écart et la marge ou « par delez lui, a sa coste » (v. 1715)

La critique a remarqué de longue date que l’intrigue du Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole était très ténue et reposait essentiellement sur le motif bien connu de la gageure. L’intérêt de ce roman est donc sans doute ailleurs, par exemple dans la manière incessante qu’a Jean Renart de décentrer son récit et de s’écarter de ce qui s’affichait traditionnellement comme pôles aimantant l’attention. La place de Guillaume à côté de l’empereur Conrad, ce qui est un honneur insigne, en est une belle illustration au vers 1715, d’autant plus que, finalement, on apprend deux vers plus loin que les deux hommes ne sont pas exactement assis côte à côte, mais qu’il y a un seul comte entre eux deux…

Le décentrement incessant de la diégèse

Au plan de la diégèse, l’histoire peut sembler artificielle, notamment du fait de la désarticulation du motif de la gageure16, et certains épisodes importants sont placés tellement à l’écart qu’ils en sont presque escamotés : ainsi en est-il, par exemple, de la discussion entre la mère des héros et le sénéchal. Le secret jalousement gardé jusque-là au sein du cercle familial étroit semble bien aisément divulgué sans que l’on sache pourquoi, de surcroît comme in extremis à la fin de la scène, juste au moment du départ du sénéchal17 ; la rose sur la cuisse de Liénor est d’abord euphémisée et déguisée sous des termes génériques, ceux-là même qu’employait, apparemment au discours indirect libre, le sénéchal en route pour le château de Guillaume (v. 3243) :

[…] li ot ele dit a conseil
tot son estrë et son covine. (v. 3356-57)

L’explication de l’accusation qui pèse sur la jeune femme, quelque six cents vers plus loin, est quasi tue et reste vague : la mère s’accuse (« Je, fet la mere, en doi avoir / tote la honte et tot le blasme », v. 3990-91), elle tombe immédiatement en pâmoison et Liénor, fine mouche, comme dans le secret des dieux, devine immédiatement la responsabilité du sénéchal dans cette affaire (v. 4006), sans que celui-ci ait été seulement mentionné par sa mère. La rapidité brutale d’un récit décentré ici, voire relégué dans les oubliettes, ne peut qu’étonner, mais elle sert la poétique mise en œuvre et contribue à déplacer l’intrigue et l’action et à les faire reposer sur les mots plus qu’à les exhiber en actes18.

De fait, dans ce roman, tout se passe comme si les actions principales, celles de l’intrigue, celles qui sont traditionnellement attendues dans un roman de cette époque et ont été annoncées comme telles (les armes et l’amour19), étaient mises à l’arrière-plan, dans une sorte de flou généralisé, sur lequel les actions dites secondaires (ou que l’on penserait aisément telles) vont se détacher. On pourrait également ici gloser la notion de « roman réaliste », que l’on a attribuée pendant longtemps à ce Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole et souligner l’attention aux petits faits vrais, détails incessants qui particularisent, colorent, parfument la vie représentée, et détournent un instant l’attention sur ce qui passe pour le réel. De façon remarquable, le roman se construit dans un va-et-vient incessant où les lieux, caractérisés par des personnages à demeure ou de passage, principaux ou secondaires, souhaités ou écartés, sont eux-mêmes clivés. Tout commence par la scène de campagne augurale qui est un premier décentrement de la cour citadine vers les « granz forez » (v. 143) adjacentes : l’empereur a tôt fait de se débarrasser de bon matin, en « riant » (189), des barbons inaptes aux jeux de l’amour, « les viex chenuz croupoiers » (v. 168), les « jalous et […] envieus » (v. 174). Ensuite, après avoir réussi à rétablir la paix entre deux de ses vassaux ennemis, Conrad, s’ennuyant sur le chemin du retour vers l’un de ses châteaux sur le Rhin, fait venir l’un de ses vielleurs, Jouglet, pour se distraire, et tous deux s’écartent de la troupe en empruntant un autre chemin (« s’issent fors del chemin amdui », v. 650). On pourrait ainsi continuer : entre le château de l’empereur et Dole, entre la maison de Guillaume et celle de l’hôte, entre la cité de Saint-Trond et le lieu du tournoi, entre le palais de l’empereur et la maison où Guillaume se meurt, celle où sa famille apprend son déshonneur, etc. Même à la fin, le récit fera la navette avec quelques barons entre le palais impérial, où se trouvent notamment Liénor et l’empereur, et la prison où moisit le sénéchal reconnu coupable, avant que celui-ci soit finalement exilé en Orient, tandis que le couple impérial demeurera en Allemagne.

La prédilection apportée au préfixe re- témoigne de cette tendance20 à la bifurcation. Adjoint à un verbe, surtout quand celui-ci est de haute fréquence, ce préfixe peut indiquer précisément le changement de plan, dans l’action, l’espace ou le temps, ou encore le passage à un personnage sur lequel va se concentrer la focale de l’histoire, en signifiant de manière économique que le sujet de l’action opère « par ailleurs, de son côté, quant à lui ». Il peut être employé seul ou renforcé par d’autres moyens comme la locution adverbiale d’autre part ou la conjonction égalisatrice adjonctive et :

Ce rest uns trop biaus chevaliers,
a un dur piz, a uns forz bras,
a un chief crespe et aubornaz,
a un biau vis, lonc et tretiz. (v. 1425-28)

Li serjanz a le heaume pris
quë il avoit maint jor gardé ;
quant il l’orent bien esgardé,
il le ra mis en son heaumier. (v. 1696-99)

[…] et .III. chevaliers d’autre part
rejoent as dez au hasart […]. (v. 498-99)

Et uns autres de Chaalons,
qui ot vestu uns biaus dras vers,
rechante d’autre part cest vers […]. (v. 4584-86)

L’action est ainsi fuyante, « systématiquement subvertie ou évitée21 ». Elle se décentre et se recentre sans cesse, au gré d’un motif qui prend de l’importance dans ce roman : celui de la fête et des plaisirs du corps, sexuels, gustatifs, visuels et olfactifs aussi. Des noms comme feste, joie, envoiseure, ris tracent ainsi en pointillés une découpe narrative nouvelle qui permet de suivre les centres d’intérêt de Conrad et de ses proches ; s’y ajoutent tous les verbes et leurs dérivés, qui appartiennent au champ lexical du plaisir et dont la construction, à l’aide du préfixe de‑ indiquant que l’on sort du droit chemin, signifie bien ce qui est en jeu dans les mentalités du temps : deduire, deduit, delit, delitable, deporter. C’est aussi que les deux grands motifs annoncés dans le prologue, l’amour et les armes, vont connaître un traitement déceptif.

L’amour et les armes : un traitement déceptif

La représentation de l’amour bénéficie dans le Guillaume de Dole d’un traitement particulier qui va de pair avec la remise en question des codes de la courtoisie. L’amour courtois, idéal de soumission, de mesure, de patience et de régulation du désir, est mis à mal par l’histoire, ce qui ne manque pas d’être intéressant par comparaison avec l’autre Roman de la Rose, qui consonne avec lui, celui de Guillaume de Lorris, dans lequel l’art d’amour est « toute enclose22 » (v. 38), traité en acte, où l’expression de la théorie va de pair avec l’intrigue romanesque. Or, chez Jean Renart, les travaux pratiques amoureux prennent constamment des libertés avec les préceptes théoriques. On peut en toute bonne foi se demander si, dès le début du roman, la chanson de la jeune fille à la tunique retroussée ne sonne pas le glas de la fine amor : sa mise serait-elle à l’image de ses courtes idées ?

« Se mes amis m’a guerpie,
por ce ne morrai ge mie. » (v. 304-05)

D’ailleurs, que penser du fait que Conrad, en entendant le nom de la belle Liénor, n’ait pas été embrasé par les feux de l’amour en plein cœur, mais brûlé d’une petite étincelle « tout près de son cœur » ?

Amors l’a cuit d’une estencele
de cel biau non mout pres del cuer ;
or li seront, sachiez, d’un fuer
totes les autres por cesti (v. 793-96)

Curieux décentrage ironique du traditionnel coup de foudre, emblématique du traitement global de la représentation amoureuse dans ce roman…

La fête champêtre initiale, qu’étudie Françoise Laurent dans ce volume, donne le la. Qu’il soit voilé de l’euphémisme pudique ou traduit par des paroles grivoises, le désir s’impose en lieu et place du sentiment, ce que l’auteur-narrateur exprimera de manière très crue au finale de son histoire, en se moquant de l’empereur Conrad qui feint de se rallier à l’avis de ses barons pour des noces promptement célébrées, alors que, en réalité, il en brûle d’envie :

Fet l’empereres : « Et gel voeil,
quant chascuns de vos s’i acorde. »
Ahi ! plus tire cus que corde
ja ne veut il tant nule rien. (v. 5298-5301)

Dans la scène liminaire de la partie de campagne, quelques métaphores dissimulent à grand peine avec humour la réalité des joutes amoureuses, de l’acte sexuel et du plaisir (v. 214-215, 220, 225-27), tandis que le cri de guerre cavalier appelant de manière parodique à se saisir des femmes, comme on le ferait d’armes (« Ça, chevalier, as dames ! », v. 223), ne laisse pas de doute sur la nature des distractions visées : le fait d’emprunter aux dames leurs chemises en guise de serviettes ou de linge pour le pique-nique improvisé (v. 278-79) laisse sans doute celles-ci passablement mais plaisamment dénudées, propices à être caressées (v. 280-81). Les allusions égrillardes, explicites ou non, avec ou sans le voile de l’euphémisme, pullulent ainsi sous la plume de Jean Renart, attribuées aux personnages ou prises en charge par l’auteur-narrateur : elles montrent les êtres gouvernés par la force du désir. Elles ne sont pas spécifiques du début du roman. On peut songer, plus loin dans l’œuvre, à la repartie coquine de Jouglet (v. 825-26) enchaînant sur le souhait de Conrad de « servir de cuer et de cors » (v. 822) Guillaume ou à la façon délurée qu’a Liénor de soigner sa mise, avant d’aller à la cour, en échancrant soigneusement sa robe de façon à laisser voir un peu (sur la longueur d’un doigt, tout de même) ses seins (v. 4373-77) ou encore à la possibilité évoquée de couper les bourses aux badauds séduits par la belle jeune fille (v. 4545-46).

De même, la représentation des faits d’armes frise l’escamotage. À la limite, l’épisode initial de la chasse dans la forêt pourrait ici être convoqué mais, justement, parce qu’elle est réservée aux vieux barbons, mis sur la touche en quelque sorte et exclu du terrain amoureux, cette activité est dépréciée. Si l’on excepte l’insertion d’une trentaine de vers censés provenir de l’univers épique de la Geste de Gerbert de Metz du cycle des Lorrains (v. 1335-67), seul reste le tournoi de Saint-Trond. Or, de manière non moins symptomatique, force est de constater que le combat est en lui-même réduit à 217 vers (v. 2601-2817), ce qui en minimise considérablement l’importance, alors que ses préparatifs en comptent 636 (v. 1965-2600) et que les réjouissances qui s’ensuivent occupent 150 vers (v. 2818-2967). L’intérêt accordé par l’auteur-narrateur au festin préparé (« Des armes a parler vos les, / qu’il fet mellor a la vïande », v. 2142-43) fait l’effet d’un couperet, et, dans les pages suivantes, la longue description des plaisirs qui meublent l’attente du tournoi signale quelles sont désormais les cibles narratives du nouveau roman : de manière évidente, l’aspect social l’emporte sur l’aspect guerrier, la convivialité remplace l’animosité, même truquée comme dans ce genre de manifestation sportive. Pour reprendre les mots de la linguistique, le tournoi n’est plus tant un thème (ou un sujet) qu’un propos (ou un prédicat) ; il vaut moins par ce qu’il est que par ce que l’on en dit. Tout se passe aussi comme si cette scène guerrière incontournable à écrire, parce que fondamentale dans l’idéal chevaleresque de l’époque, n’était plus en réalité si essentielle : les regards se détournent ainsi pour scruter ses à-côtés, qui sont eux complaisamment décrits ou commentés. Pourtant, c’est bien à l’issue de ce tournoi que Jean Renart recentre malignement son intrigue sur l’amour, par une sorte de pirouette astucieuse, avec la décision prise par l’empereur d’épouser la sœur de celui qui vient de s’illustrer de manière si remarquable par sa vaillance et sa prouesse…

L’esthétique de la disconvenance

De ces pas de côté incessants, naît une esthétique de la disconvenance qui dynamite les certitudes. Cette esthétique est d’autant plus forte qu’elle s’insinue de façon sournoise dans des détails qui la rendent plus ou moins perceptible.

Ici et là, des remarques faites comme en passant interpellent la réflexion et font naître les interrogations sur le bien-fondé des propos tenus. Le passage sur le refus de Conrad d’avoir des arbalétriers dans son armée (v. 60-67) coïncide avec l’interdiction émise à plusieurs reprises durant le XIIe siècle par l’Église chrétienne (le IIe concile de Latran puis le pape Innocent II) de se servir de cette arme de lâches ; mais le narrateur parasite cette décision par son commentaire « a droit n’a tort » (v. 65) et annonce aussi, par là, l’évolution en cours dès le début du XIIIe siècle, dans les armées anglaises de Richard Cœur de Lion, par exemple. Un peu plus loin, la jeune fille qui prend la ceinture de Conrad (dont les pierres, sans l’or, valent bien 40 marcs à prix d’ami) et lui donne en échange une « corrroiete blanche » (v. 253) est, certes, bien avisée et la réaction enthousiaste de l’auteur-narrateur (« Beneoiz soit tex empereres ! », v. 258) a tout d’une moquerie antiphrastique face à un grand nigaud… Que dire de l’évêque de Chartres qui, assurément, oublie un temps ses fonctions, en préférant être à la partie de campagne se régaler les yeux à la vue des jolies femmes plutôt qu’à un synode (v. 357-60) ou de Guillaume de Dole qui ne doit pas son surnom au fait qu’il soit originaire de cette ville (v. 762) ? Quand l’échafaudage de la coiffure sophistiquée de Liénor s’écroule sous les yeux de l’empereur, suite à un geste malencontreux de la jeune fille, l’auteur emploie des noms référant au champ lexical du combat ou des armes (cretiaus, hordeïs, ventaille, heaume, v. 4720-23), parfaitement saugrenus et décalés en contexte féminin23. Que penser encore de ce « paile d’Engleterre » (v. 1184) sur les genoux de la belle Aye, alors que, pour reprendre la définition du Dictionnaire Godefroy, le nom paile désigne en principe un « riche drap d’or ou de soie rayée, qui venait d’Alexandrie en Égypte », ou de ces venaisons puantes, de ces pâtés rassis, moisis ou tout juste bons à manger par les souris, que l’on sert à la table de l’empereur si l’on en croit Nicole (v. 1043-49) ? Les exemples de cet humour pince-sans-rire sont légion, en fait.

Parfois, la disconvenance vient de la présentation logique qui est donnée, soit que le rapport cause-conséquence soit biaisé, soit que la logique exprimée soit inattendue, soit que la superposition des vers conduise à des inconséquences :

[…] qu’il ne donast pas une bille
que coustast, mes qu’a gré fust fet,
por ce qu’il veut qu’il soit retret
quant il ert morz, aprés sa vie. (v. 150-53)

Grant chose est d’amer par amors,
que l’en en est plus fins cortois. (v. 1616-17)

Fet Jouglés : « Onques ne pot pestre
de sa terre .VI. Escuiers
puis qu’il fu primes chevaliers,
et s’est et a gris et a ver
toz tenz, et esté et iver,
et a soi tiers de compegnons ;
[…] qu’il a terre et avoir assez. (v. 763-772)

De nombreuses images incongrues font également sourire : sous couvert de pittoresque, elles donnent du monde une représentation décalée, distanciée, vectrice d’ironie. J’en donne quelques exemples :

Il [L’empereur Conrad] valoit de tels rois un mui
com il a puis el regne eü. (v. 56-57)

[…] il menjassent ainçois as denz
les hourdeïs desor les murs. (v. 112-113)

Cil [Nicole] estoit de fere messages
assez plus duiz que bués d’arer. (v. 902-03)

[…] miex vousisse estre alez nuz piez
outremer […]. (v. 4958-59)

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le roman médiéval est dès cette époque ce qu’il sera dans la suite de l’histoire littéraire ; il ne se présente pas plus alors qu’aujourd’hui comme un genre littéraire monologique et lisse ; sous la plume de Jean Renart, il est en particulier déconstruit, décentré. S’affirme en lui avec brio une esthétique qui accorde la place belle au jeu : la fiction s’affiche comme une parole indirecte, biaisée, où tous les moyens sont bons pour conquérir et séduire le lecteur-auditeur. Là est aussi la communication placée sous le signe de l’oblique.

III. Biaisé : par la ruse et le mensonge ou « par engin ou par boisdie » (v. 3213)

À l’image du sénéchal imaginant d’arriver à ses fins par la ruse ou la tromperie, Jean Renart élabore son histoire sur le mode de ce qui s’appelle dans les textes théoriques médiolatins la fabula, c’est-à-dire le récit fictionnel, l’histoire mensongère qui, pour reprendre la définition de Jean de Garlande, « contient des événements qui ne sont ni vrais ni vraisemblables » et qui, pour ne pas être viciée, exige que l’on mente « de manière convaincante24 ». Dans ses enfances littéraires, c’est ainsi que le roman s’affirme précisément comme création originale, caractérisée par des postures narratives diverses, un riche intertexte et des jeux polyphoniques multiples qui font de la parole une force, une arme.

Les différentes postures narratives

Les figures du je, multiples, contribuent à caractériser comme tel le roman. Selon les études de S. Marnette, « les lais et les romans en vers ont […] davantage tendance que les autres textes à mettre en scène un narrateur25 ». L’emploi des personnes verbales dans un vaste corpus montre explicitement que « les romans en vers, comme les lais, sont les textes du je, les vies de saint ceux du nous et les chansons de geste ceux du vous26 ». Cette dominante du je s’explique notamment par l’extension des postures qu’il y revêt et par la volonté d’intervenir individuellement, c’est-à-dire, aussi, par le souci moins marqué d’être solidaire du public ou de prendre en compte explicitement son point de vue27. Or ces postures sont d’autant plus nombreuses que le genre du roman en vers médiéval est influencé par son « oralité secondaire » et que le narrateur est autant un conteur, un simple transmetteur, incarné dans la lecture faite par un récitant (comme dans la chanson de geste), qu’un auteur qui réfléchit constamment sur son œuvre (ce qui advenait peu dans les chansons de geste). Le je qui préside à la narration est, dans le roman médiéval, d’une extrême ambiguïté : il recouvre au moins celui de l’auteur, celui du narrateur, celui du jongleur.

Le je narratorial dans Guillaume de Dole apparaît ainsi divers et masqué, comme celui des autres romans de son époque et sans grande originalité, à vrai dire, mais il « est à la fois plus caché et plus présent que dans la plupart des romans de son temps28 ». Il endosse tour à tour des postures d’humilité, comme s’il n’était pas au courant de ce qu’il se passe ou va se passer dans son histoire, et multiplie les modalisations de ses dires ou l’affirmation de ses ignorances : « ce m’est avis29 » ; « ce cuit30 » ; « ce me samble31 » ; « (je) ne sai32 ». Inversement, il ne s’étonne pas (« ge ne m’en merveil point33 »), il est celui qui sait et communique avec force son savoir, même quand celui-ci est sujet à caution34. Il est en empathie avec ses personnages (ce que note souvent dans ses propos l’appel à Dieu ou la mention de Dieu35), et se présente ici et là comme intégré à l’histoire36, qu’il commente régulièrement, il est de nationalité française dans ce paysage germanique (« noz rois de France37 », v. 1629). Il exerce des fonctions de régie, en opérant le retour à un point de l’histoire laissé en suspens38 ou en annonçant la suite39, mais cette fonction n’est guère développée chez lui, par comparaison avec ce que l’on observe chez d’autres auteurs de romans (à peu près) contemporains, Chrétien de Troyes, par exemple. En s’adressant à son public, il ravive parfois l’attention40 et, si l’on excepte le prologue et une remarque ironique sur l’art avec lequel Jouglet dresse le portrait de son héroïne (« N’aprist pas hui si a descrire / qui l’embeli en tel meniere », v. 711-12), il ne s’impose pas comme écrivain soucieux de l’esthétique de son œuvre. Moraliste, il est au-dessus de la mêlée, tel un sage41, mais il préfère entendre parler de nourriture plutôt que de prouesses guerrières (v. 2138-43), ce qui rabaisse considérablement toute ambition d’ordre éthique et morale ; les sentences ne sont pas rares parmi ses commentaires42 mais il n’use pas de proverbes, bizarrement. Il n’hésite pas à faire usage d’une ironie mordante qui détonne mais qui est souvent habilement dissimulée sous un manteau rhétorico-syntaxique à double face ; l’interprétation alors diverge, fait le grand écart entre le propos anodin et celui qui pourrait témoigner d’un cynisme méchant. Ainsi en est-il de celle qui explique la politique financière de l’empereur vis-à-vis de ses sujets :

L’empereres voloit mout miex
que li vilain et li bourjois
gaaignassent de lor avoirs
qu’il lor tolist por tresor fere ;
car, quant il en avoit afere,
il savoit bien que tot ert soen. (v. 593-98)

Ou encore – autre exemple parmi bien d’autres – de la remarque difficile à saisir, comme l’a montré Maurizio Virdis43, à cause du flou syntaxique qui l’habille :

Sachiez li prodoms a plus chier
de ceuz qu’il a a sa main pris
que s’onor i soit et son pris,
ce sachiez, qu’il les raensist. (v. 2922-25)

Le nom prodoms ayant un référent flou qui peut aussi bien convenir à Guillaume que désigner n’importe quel homme de bien en général, la nature et la fonction des que ainsi le sens de la préposition de (introduisant un complément de propos ou le complément nominal du comparatif) génèrent deux sens radicalement opposés selon lesquels Guillaume privilégie son honneur ou ses acquis matériels dans une logique parfaitement mercantile… Il me semble, en tout cas, que la réduplication insistante à laquelle se livre l’auteur-narrateur avec sachiez dans ce passage suggère précisément, de façon ironique, la faille du sens qui, ici, nous échappe et reste enclos dans l’incertitude fondamentale. Impossible de savoir, précisément…

L’intertextualité comme caisse de résonance

Cette mise à distance critique impose une complicité du public qui doit être à même de pouvoir apprécier la distanciation présente sous ces formes multiples pour ne pas être piégé par le discours explicitement tenu. En littérature, aucune œuvre n'est totalement autonome par rapport à celles qui l'ont précédée, qui lui ont préexisté. Ce qui est vrai à toute époque l'est encore plus à l'époque médiévale : la propriété intellectuelle n'existe pas alors ; Dieu est considéré comme le seul créateur qui soit, ayant œuvré ex nihilo ; reprendre ce qui a été fait, c'est se placer au sein d'une tradition dont on montre qu'on la connaît et aussi faire reconnaître sa valeur. Une œuvre littéraire est ainsi toujours en continuation ou en opposition, le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole comme les autres. L’intertexte proposé est particulièrement riche, de fait, et concourt à montrer le roman de Jean Renart comme un réceptacle fourmillant d’influences littéraires diverses et variées, sans choix prédéterminés restreints orientant la lecture de façon monologique.

Les insertions lyriques sont aussi bien importées de l’existant (neuf auteurs sont reconnaissables) qu’inventées : parce qu’elles ont largement été étudiées par la critique, je me bornerai à rappeler quelques points. À en croire Félix Lecoy, le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, du fait de leur présence, se donne comme une « véritable anthologie de la lyrique française, correspondant aux goûts du public cultivé44 ». Ces insertions jouent un rôle ornemental dans le roman, certes, mais, comme la critique l’a remarqué de longue date, « elles participent aussi à sa construction et à son efficacité45 », introduisant des transitions entre les différentes grandes étapes de l’histoire, opérant une mise en abyme de l’histoire, médiatisant celle-ci46 ; elles alimentent donc subtilement la polyphonie à l’œuvre. La chanson qu’entonne l’empereur, « Quant de la foelle espoissent li vergier » (v. 3180-95), assure ainsi la transition entre les deux grandes parties du roman, l’ascension de Guillaume à la cour de Conrad, puis sa disgrâce avec l’histoire de Liénor ; elle infléchit en elle-même le cours de l’histoire et il faut attendre le finale du roman pour qu’une autre chanson, « Que demandez vos quant vos m’avez ? » (v. 5106-11), accompagnée du refrain « Tendez tuit voz mains a la flor d’esté » (v. 5113-15) assure la liaison avec les aventures de la jeune fille à la rose et semble apporter une réponse aux interrogations de l’empereur. On ne s’étonnera pas que toutes ces pièces soient inventées par Jean Renart pour remplir précisément à moindres frais ces missions de structuration et de caisses de résonance.

En ce qui concerne les parties narratives, l’intertexte est particulièrement étendu puisqu’il réfère non seulement à d’autres œuvres de Jean Renart47 mais aussi au Roman de Renart, aux fabliaux (ceux que récite Jouglet) et aux trois matières littéraires traditionnellement distinguées à l’époque : celles de France, de Rome, de Bretagne. Si, dans le premier cas du lai de l’Ombre, il demeure caché, parasitant le texte, majoritairement, il se déploie grâce aux noms de personnages littéraires ou historiques qui sont cités et qui interviennent souvent comme échantils de comparaison, ce qui souligne leur capacité à fonctionner moins comme des modèles littéraires que comme des sortes de types figés par rapport auxquels on peut mesurer la réalité, ou plus précisément la fiction qui se fait passer pour la réalité : Renart et Dan Constant ; Roland, Charlemagne, Roncevaux, Vivien dans les Aliscans, Berthe aux grands pieds, Aude ; Alexandre, Hélène, Pâris, Hector, Priam, Memnon, les Grecs, Achille, Troie, le cheval de Troie ; le roi Arthur, Perceval, Keu, Tristan, Yseut, Marc, Lanval, Graelent. C’est donc un panorama littéraire de la fiction contemporaine majeure qui nous est offert et qui instaure le plaisir de la reconnaissance dans le public, sa connivence ; parallèlement, cet intertexte, qui met en relation incessante le monde prétendument réel de la fiction de Guillaume de Dole et celui des autres fictions littéraires affichées comme telles dans un ailleurs situé en dehors du réel, permet d’estomper les frontières entre réel et fiction.

Un autre élément de cette intertextualité réside dans l’emploi très récurrent du démonstratif topique, qui advient normalement dans des situations narratives typées et connues, conformes à un modèle, caractéristiques de la lyrique ou de la chanson de geste ; les êtres et les choses ainsi mentionnés, déterminés, sont considérés comme devant forcément être présents. La plupart des exemples interviennent justement dans les insertions lyriques48, et la chanson que chante le neveu de l’évêque de Liège en témoigne, par exemple :

Florissent bois, cil pré sont raverdi,
cez douces eves retraient a lor fil
cil oisel chantent au soir et au matin. (v. 5189-91)

Mais, comme on le voit dans cette citation, dans le Guillaume de Dole, cet emploi du démonstratif cil est étendu, ce qui génère un jeu sur les codes traditionnels de l’écriture des topiques. D’abord, on observe un libre choix réalisé qui tend à remplacer par les démonstratifs de la série cist ceux attendus de la série cil :

[…] chascuns i garist et sane
ses oils d’esgarder les mervelles :
tantes faces cleres, vermeilles,
cez douz viz lons et traitiz,
et cez biaus sorcils porvoutiz,
et cez blons chiez, et cez biaus cors. (v. 359-64) 

On a peut-être là, tout simplement, la marque d’une copie manuscrite de la fin du XIIIe siècle, qui tend à spécialiser de plus en plus la série cist dans un emploi de déterminant et à imposer une forme unique de régime cez au pluriel ; mais la quasi-systématisation de la forme au détriment de la forme cil ou ceus, la rareté de la forme générique ces49, qui intervient aussi en position de pronom50, sont autant de facteurs laissant planer le doute sur un éventuel jeu, concerté ou non51. De surcroît, s’affirme la tendance d’affubler de ce démonstratif topique des éléments non conventionnels, qui ne sont pas « supposés traditionnellement connus, attendus par le destinataire par connivence mémorielle52 », par exemple, en ville, des gouttières, des enseignes d’échoppes et des drapeaux suspendus (v. 2163-64). Parfois, le texte établit un glissement d’un élément topique à un second qui ne l’est pas, le second bénéficiant alors de l’effet topique de manière saugrenue ; ainsi des croupoiers de l’exemple suivant :

Lors oïssiez soner cez cors
por esvellier cez chevaliers ;
et ces viex chenuz croupoiers
fesoit chascun baillier un arc […]. (v. 166-69)

Une parole force

Toute l’intrigue du sénéchal et celle par laquelle riposte Liénor pour se défendre sont fondées sur le pouvoir inhérent à la parole, un pouvoir duplice accusé, qui plus est : c’est bien connu. C’est sans doute une des raisons qui explique la difficulté d’interprétation et la richesse de Guillaume de Dole. On ne s’étonnera pas que cette parole-force qui est le véritable engin du roman soit particulièrement sonore et d’une mise en écriture pleine de séductions propres à mieux nous embobiner et à faire glisser de manière incessante la fiction vers la pseudo-réalité, celle qui est représentée du moins.

Si l’on excepte les 465 vers que recouvrent les insertions lyriques, la proportion du discours rapporté directement n’est pourtant pas très importante, puisqu’avec 33,06 % de l’ensemble des vers, Guillaume de Dole se situe bien en-deçà de nombreux romans antérieurs ou contemporains53. Certes, ce chiffre ne tient pas compte des nombreux commentaires du narrateur qui rompent le fil du récit. Il n’empêche ! L’impression ressentie est celle d’une très grande vivacité animant l’écriture, en principe caractéristique du discours direct : on pourrait ici, entre autres, convoquer l’abondance de phrases nominales, d’interjections, les jeux de sonorités, notamment dans les binômes synonymiques ou les calembours supportés par les rimes. Jean Renart exploite toutes les ressources de l’écriture pour introduire le discours direct : mot introducteur dans le récit, incise, absence de mot assez fréquente, aussi54. Je me bornerai à souligner deux tendances marquées, inattendues et, en apparence, divergentes ; en réalité, toutes deux concourent, me semble-t-il, à souligner le discours rapporté directement, à attirer l’attention sur lui. La première consiste à sertir les discours directs d’une manière très voyante, en les introduisant en amont dans le récit, selon la structure dite de l’inversion épique qui place en tête de phrase et de vers le mot introducteur, majoritairement le verbe vicariant faire et, plus rarement, le verbe dire. Tous les personnages, principaux (l’empereur, Guillaume, le sénéchal, Liénor, Jouglet, Nicole) ou secondaires (un serviteur, le messager de Liénor, une femme au tournoi, Boidin, l’archevêque, un conte, des gens, l’hôte ou les compagnons de Guillaume, etc.), sont concernés ou presque, sans distinction notable ; la structure ouvre sur le discours, individuel ou collectif, qu’elle fait attendre et dont elle accroît l’importance. Les exemples, spécifiques des verbes déclaratifs, sont très nombreux – plus de 75 occurrences55 – et très sensibles, d’abord parce qu’une telle écriture aurait pu sembler désuète ou inappropriée au genre romanesque. Ensuite, ils sont d’autant plus remarquables que, d’une part, alors que cette structure est plutôt économique, réduite en général à un segment tétrasyllabique formulaire dans la chanson de geste, Jean Renart s’ingénie ou s’amuse à l’amplifier sur un vers56, exceptionnellement sur deux vers, ce qui l’alourdit considérablement mais fait d’autant plus désirer la survenue du discours en question (« Fet Nicole, ou mout a solas, / quant vint a la fin de son son : », v. 1308-1309). D’autre part, l’écrivain enchaîne parfois, de manière originale, sur quelques vers consécutifs plusieurs séquences de cette introduction du discours direct, ce qui tend à banaliser cette structure particulière, à estomper aussi la connotation de « rupture » ou de « mouvement dramatique57 » qui préside en principe à son choix :

Font li compagnon : « Il vos guile. »
Fet li vallez : « N’en verrez el […] » (v. 1252-53)

Fet mis sire Guillames : « Ha ?
En mon païs en a assez. »
Fet l’empereres : « Mis pensez
si est a ce mis, tierz jor a […]. » (v. 3008-11)

Fet li seneschaus : « C’est avis
a ciaus qui sont ovoeques li. »
Fet li rois : « Por l’ame de mi,
si ne poez nul bien voloir ! (v. 3562-65)

On a donc la curieuse impression, paradoxale, d’une structure hors norme, qui ne remplit pas complètement sa fonction usuelle de mise en vedette et qui démarque pourtant, de façon particulièrement voyante, le discours.

On notera enfin par ailleurs une tendance forte à imposer une parole séduisante par son pittoresque métaphorique passablement décalé, donnant l’illusion de ce qui peut passer pour du langage familier parlé ou s’en rapprocher. La rose rouge secrète sur la cuisse de la jeune fille vierge nous alerte la première, qui, à la manière d’un petit mot en usage dans l’intimité d’un sociolecte particulier, pourrait désigner le sexe féminin, objet du désir, en l’euphémisant délicatement. Mais tout autres sont les images dont Jean Renart émaille son langage et qui font déraper le propos, en l’attirant résolument du côté de la concrétisation : négation renforcée par des syntagmes nominaux non grammaticalisés à valeur dérisoire concrète et expressive58, néologismes ou lexies rares faisant surgir le réel en superposant le matériel et l’abstrait59 et surtout, de manière incessante, expressions métaphoriques remarquables par le comparant concret exprimé : « qui ot esté en autre yver » (v. 1067), « Jouglez […] / qui set mout bien com las bués marge » (v. 1642-43), « musoient a Constantin » (v. 2075), « ce fust gieus de charpentiers » (v. 2805), « por passer les chievres, les chous » (v. 3471), « Puis li sot bien trere par l’oel / la plume (v. 3473-74), « Vos me fesieez herbe pestre » (v. 3686), « Un serjans, qui ot espaee / une jante » (v. 3926-27), « une mervelle tote droite » (v. 4687), « Ne li avoie pas donee / por tels joiaus seneschaucie ! » (4900-01). Certaines ne sont pas autrement attestées et gardent une part de leur mystère : « c’iert en l’eure que li chiens cort » (v. 5615). Indéniablement, toutes font sourire, support de l’humour et parfois de l’ironie, toutes nous ramènent du côté matériel, charnel, concret.

Alors que Liénor s’exprime sans ambages ni détours, « En romanz sanz latin » (v. 4195) pour reprendre une expression du texte, on serait tenté de dire que Jean Renart, dans Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, prend le contrepied de cette manière de s’exprimer : sa poétique est une poétique de l’oblique qui promeut la rupture avec la linéarité, décentre l’histoire, joue avec les codes, biaise et piège le public. En témoigne aussi, au finale (v. 5653‑5655), l’énigme en forme d’anagramme qui cache le nom de l’auteur Renart :

Et cil se veut reposer ore,
Qui le jor perdi son sornon
Qu’il enTRA EN Religion.

L’oblique, mais aussi l’esquive, le décentrement, la disconvenance, la rupture sont quelques-uns des maîtres-mots qui rendent compte de cet ouvrage, par là éminemment moderne : l’auditeur-lecteur est ainsi amené à être toujours sur le qui-vive et à remobiliser son attention, sa compréhension, mises à rude épreuve, il faut le reconnaître. Mais sans doute est-ce aussi pour cette raison que ce roman d’un type nouveau, à l’aube du XIIIe siècle, continue de nous enchanter.

Notes

1 .

Jean Renart, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, éd. F. Lecoy, trad., prés. et notes de J. Dufournet, Paris, Honoré Champion, coll. « Champion classiques », 2008 ; je reprends ici à J. Dufournet sa traduction des vers 70-71.

2 .

En fait, il semble que l’on puisse reconnaître dans la juxtaposition de l’aigle et du lion les armes d’Othon IV de Brunswick (R. Lejeune, « Le roman de Guillaume de Dole et la principauté de Liège », Cahiers de civilisation médiévale, 17, 1974, p. 5).

3 .

Voir, par exemple, v. 3258-60, 3262, 4219-20, passim.

4 .

Comme dans cet exemple des v. 1106-07 : « Mis sire Guillame est issuz / de la chambre, et si conpegnon ».

5 .

Ou dans celui-là : « se g’en ce, sanz plus atendre, / enchiece » (v. 4923-24)

6 .

Ex. : « li biaus Miles l’apregne de Nantuel » (v. 6-7) ; : « li se por la proiere / en veut riens fere de son frere. » (v. 1176-1177 ; « de biauz moz le souper aoisent / de chevalerie et d’amors » (v. 1256-57) ; « celui, le bon Michiel, de Harnes » (v. 2719).

7 .

« Dit li vallez : “Vos avez droit”, / qui estoit a l’empereor » (v. 1220-21), « vallet saillent plus de .XX. » (v. 1262),

8 .

Par ex. : « tuit en plorerent / li remegnant » (v. 1282-83).

9 .

Voir, par exemple, v. 115, 1603, 1795, 2460, 2600, 3114.

10 .

Cette clarification typographique, diacritique, n’existe bien évidemment pas sur le manuscrit et son absence rendait la lecture d’autant plus difficile.

11 .

Voir v. 122-23, 226, 250-51, 282-83, 353, 371, 1246, 1319, 1373, 2093, 2099, 2198-2201, 2297, 2461-65, 2878, 2995-3003, 3231, 3332, 3516-17, 3534-35, 3722, 4780, 4797, 5059.

12 .

M. Stanesco, « D’armes et d’amour : la fortune d’une “devise” médiévale », Travaux de littérature, 2, 1989, p. 37-54.

13 .

V. 1845-46 (avec reprise du mot novele, v. 1845, au vers 1847), 2026-27 (avec reprise du verbe chanter, v. 2026, au vers 2029), 2388-89, 2513-14, 5105-07 (sur des rimes croisées : du grand art !). Les vers 1768-70 présentent un procédé d’enchaînement décalé avec reprise de la dernière rime du récit dans le deuxième vers du chant, ce qui empêche celle-ci d’être une rime orpheline, comme celle du premier vers chanté.

14 .

V. 1307-08, 1469-70, 1776-77, 1851-52, 2035-36, 2527-28, 3114-15, 3195-96, 3631-32, 3759-60, 4041-42, 4583-84, 4593-94 (avec le rebondissement d’une rime du même au même), 4659-60, 5112-13, 5434-35.

15 .

20 des 48 insertions lyriques sont concernées par ce procédé et, sur cet ensemble, 13 sont ou semblent inventées par l’écrivain.

16 .

M. Zink, Roman rose et rose rouge. Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole de Jean Renart, Paris, Les Belles Lettres, 2015, p. 41-45.

17 .

On se souvient que, pour R. Dragonetti, la mère est le « personnage autour duquel gravitent tous les pièges du récit ». (Le mirage des sources, l’art du faux dans le roman médiéval, Paris, Le Seuil, 1987, p. 163)

18 .

Voir, entre autres sur ce point, M. Virdis, Gloser la lettre. Marie de France, Renaut de Beaujeu, Jean Renart, Roma, Bulzoni, coll. « Università degli studi di Cagliari, Dipartimento di filologie e letterature moderne », 21, 2001.

19 .

Voir, dans cette même revue, la belle étude de Françoise Laurent, « La fête galante de l’empereur Conrad. Étude littéraire des v. 138– 558 du Roman de la Rose de Jean Renart ».

20 .

Voir notamment : ra (v. 1699, 2723, 2784, 4000), racointierent (v. 1634), ravra (v. 1921), rechante (v. 4586), recovint (v. 2415), redit (v. 521), redoit (v. 1721), refu (v. 5179), rejoent (v. 499), rest (v. 1425, 1510, 5446), resont (v. 286, 335, 501), restuet (v. 1054), revet (v. 1071), ront (v. 510, 2654, 2830), rot (v. 1724).

21 .

N. J. Lacy, « “Amer par oïr dire” : Guillaume de Dole and the drama of language », The French Review, 54, 6, 1980-1981, p. 779-787.

22 .

Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Le Roman de la Rose, éd. F. Lecoy, Paris, Champion, 1983, t. I.

23 .

Voir R. Lejeune, L’Œuvre de Jean Renart, contribution à l’étude du genre romanesque au Moyen Âge [1935], Genève, Slatkine Reprints, 1968, p. 167.

24 .

Fabula est que nec res ueras nec uerisimiles continet ; unde si contingit narrationem esse fabulosam, ne sit viciosa, mentiri debemus probabiliter […]. (Jean de Garlande, Parisiana Poetria, éd. Tr. Lawler, New Haven (Conn.)-London, Yale University Press, 1974, V, p. 100)

25 .

S. Marnette, Narrateur et points de vue dans la littérature médiévale. Une approche linguistique, Bern, Peter Lang, 1998, p. 34.

26 .

Id., p. 32.

27 .

Certes, le narrateur s’adresse encore directement à son public dans les romans en vers, mais le vous, dans les interventions narratoriales, est environ deux fois moins présent que le je (Id., p. 70).

28 .

M. Zink, Roman rose et rose rouge, op. cit., p. 119.

29 .

Voir v. 274, 561, 4843.

30 .

Voir v. 409, 484, 910, 2682, 2716, 4624

31 .

Voir v. 575.

32 .

Voir v. 207, 277, 884, 1765, 1789, 1832, 1990, 2184, 2467, 2681, 2889, 4497, 4771, 5375, 5390, 5425.

33 .

Voir v. 2501.

34 .

Par ex. : « c’est veritez » (v. 708) ; « Or sachiez de fi et de voir » (v. 1470, 1118, 2652) ; « Ce/ce sachiez de fi et de voir » (v. 16, 4770) ; « sachiez de voir (2353) ; « ce sachiez vos de verité » (v. 721, 5513) ; « Or/et/Ce sachiez bien certainement » (v. 1572, 1726, 1984) ; « ce sachiez bien » (v. 1728, 2478), « ce sachiez » (v. 636, 1288, 1595, 2505, 2599, 2925, 4841) ; « Or sachiez bien » (v. 2660), « Or sachiez » (v. 158, 1274, 1282, 2652, 2788, 3904, 4668) ; « sachiez/Sachiez » (v. 399, 1936, 2922, 3472, 3872, 4537, 4557, 4828, 5029, 5247, 5521) ; « sachiez bien » (v. 3869) ; « bien le sachiez » (v. 4833).

35 .

Par ex. : « et Dex l’en prest bone vertu ! » (v. 2307) ; « Or s’en vet, or la consaut Diex ! » (v. 4108) ; « Ha ! Dex, com ciz plez avient bien, / […] Ha ! Dex, que cuida conquester » (v. 3452-56) ; « A ! Diex, com venist ore miex / que li seneschax fust a nestre ! » (v. 4092-93) ; « Ha ! Dex, com il refu tost biaus » (v. 5179) ; « Dex ! » (v. 5471) ; « Ha ! Dex » (v. 5475).

36 .

« Je ne demandai onques puis / ou il jut la premiere nuit, / mes mout li greva voir, ce cuit » (v. 908-10).

37 .

On peut se demander dans quelle mesure cette déclaration n’est pas un écho polyphonique au premier vers de la Chanson de Roland, « Carles li reis, nostre emperere magnes ».

38 .

« Des armes a parler vos les, / qu’il fet mellor a la vïande » (v. 2142-43) ; « Or feroit bon savoir meshui / conment li bons rois se contint » (v. 3390-91) ; « Or referoit mout bon savoir / conment ses freres se contint » (v. 4110-11), « sanz longues demorer » (v. 5377), « Je ne sai pas por qoi j’acrois / la matiere de moz oisiaus » (v. 5390-91).

39 .

« […] il en orent puis grant anui (v. 3197) ; « Ci aprés vient granz enconbriers / a son hoés et a hoés autrui » (v. 3388-89) ; « Je cuit qu’il li covendra boivre / ainçois d’un mout amer bevrage / […] ja sa bone chevalerie / ne li avra mestier de rien » (v. 3446-51) ; « Par tens avra mestier d’aiue / li seneschaus » (v. 4842-43).

40 .

« Or oëz estrange aventure, / que Dex li croist adés honor » (v. 2552-53) ; « Et que volez ? Ne puet estre autre » (v. 2940) ; « Ne cuidiez pas quë » (v. 2960) ; « A lui que tenoit, au felon ? » (v. 3204) ; « si voel que vos sachiez bien » (v. 5271).

41 .

« Ne puet estre autre / cis plez a duré longuement » (v. 2940-41) ; « Il porpensa une folie, / onques nuls hom ne pensa tel » (v. 3214-15) ; « Com deables a grant envie / quant il voit nului fere bien ! » (v. 3996-97).

42 .

« Mal fet bers qes met en baillie, / que ja por nule segnorie / nuls vilains n’iert se vilains non » (v. 584-86) ; « Mout fet bien prodom qui se paine / de pes querre en mainte maniere » (v. 629-30) ; « c’est a prodome mout let » (v. 1729) ; « Mout vaut uns biaus dons sanz promesse » (v. 1906) ; « mout a de travail uns prodom » (v. 2053) ; « mout vient a home de grant sen, / qui fet cortoisie au besoig » (v. 2064-65) ; « prodom ne gaaigne rien / en fere doel qui riens ne vaut » (v. 3623).

43 .

M. Virdis, Gloser la lettre, op. cit., p. 109-110.

44 .

F. Lecoy (éd.), Jean Renart, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, Paris, Champion, coll. « Classiques français du Moyen Âge », 1979, p. XXIII.

45 .

M. Grodet, Jean Renart, Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole, Paris, Atlande, 2015, p. 103.

46 .

Voir, entre autres sur le sujet, M. Accarie, « La fonction des chansons dans Guillaume de Dole », dans Mélanges Jean Larmat. Regards sur le Moyen Âge et la Renaissance (Histoire, Langue et Littérature), Paris, Les Belles Lettres, 1982, p. 13-29 ; M. Barry McCann Boulton, The Song in the Story. Lyric Insertions in French Narrative Fiction, 1200-1400, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1993, en particulier le chapitre 2.

47 .

Le récit initié par Jouglet, dans lequel on reconnaît généralement Le Lai de l’Ombre, marque le passage entre le préambule et le début de l’intrigue du roman (v. 621-90).

48 .

Voir « cil oisel » (v. 847), « cil vergier » (v. 4657), « cil escuier » (v. 5201), « cil chevalier » (v. 5202), « cil oisillon » (v. 5235). Seules interviennent dans le récit les occurrences « Cil conte, cil baron de pris » (v. 2894) et « cil oisillon […] et cil poissonet » (v. 4299-4300).

49 .

V. 143, 168, 200, 203, 5427.

50 .

V. 111 et 2223.

51 .

Voir Chr. Marchello-Nizia, L’évolution du français. Ordre des mots, démonstratifs, accent tonique, Paris, Armand Colin, 1995.

52 .

Cl. Buridant, Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, Sedes, 2000, § 102, p. 133.

53 .

Comparons : Érec et Énide (éd. M. Roques, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1978) : 35,50 % ; Cligès (éd. A. Micha, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1978) : 23, 92 % ; Le Chevalier de la Charrete (éd. M. Roques, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1983) : 40,41 % ; Le Chevalier au Lion (Yvain), (éd. M. Roques, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1978) : 45,42 % ; Le Conte du Graal (Perceval), (éd. F. Lecoy, Paris, Champion, coll. « CFMA », 2 t., 1975) : 53,12 % ( les chiffres donnés pour ces ouvrages de Chrétien de Troyes proviennent de M.-L. Ollier, Lexique et concordance de Chrétien de Troyes d’après la copie de Guiot avec introduction, index et rimaire, Traitement informatique par S. Lusignan, Ch. Doutrelepont et B. Derval, Montréal/Paris, Presses de l’Université de Montréal/Vrin, 1986) ; Tristan de Thomas (dans Tristan et Yseut : les plus anciennes versions européennes, éd. et trad. Chr. Marchello-Nizia, Paris, Gallimard, coll. « Bibliohèque de la Pléiade », 1995) : 46 % (chiffres donnés par Chr. Marchello-Nizia, « Une nouvelle poétique du discours direct : le Tristan et Yseut de Thomas », Linx, 32, 1995, p. 163) ; Éracle de Gautier d’Arras (éd. G. Raynaud de Lage, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1976) : 45,15 % ; Ille et Galeron de Gautier d’Arras (éd. Y. Lefèvre, Paris, Champion, coll. « CFMA », 1999) : 39 % (chiffres donnés par C. Pierreville, Gautier d’Arras. L’autre chrétien, Paris, Champion, 2001, p. 299).

54 .

Voir v. 164, 713, 797, 817, 974, 1010, 1096, 1480, 1644, 1678, 1686, 2210, 2624, 3292, 3310, 3474, 3572, 3802, 3824, 4046, 4076, 4459, 4471, 4868, 4892, 4966, 4984, 5046 (il s’agit en fait de la poursuite du discours interrompu en 5043 par un commentaire métanarratif), 5527, 5535. On observe de plus quelques cas de discours direct libre, notamment après une subordonnée temporelle, ce qui a pour effet un fondu-enchaîné du récit au discours, le discours mettant fin à l’incomplétude ouverte par la subordonnée et lui apportant sa résolution. Ex. : v. 1004-07, 1167-68, 1193-94, 1217-18, 4552-53 (avec incise inattendue dans le discours direct).

55 .

Voir v. 645, 651, 657, 675, 691, 739, 763, 788, 829, 843, 992, 1089, 1143, 1220, 1252, 1252, 1253, 1308, 1313, 1383, 1518, 1528, 1560, 1560, 1656, 1660, 1693, 1700, 1780, 1839, 1852, 1919, 2084, 2108, 2114, 2562, 2666, 2886, 2984, 2990, 3008, 3010, 3106, 3200, 3431, 3525, 3562, 3564, 3664, 3681, 3813, 3952, 4141, 4261, 4289, 4309, 4335, 4431, 4543, 4702, 4774, 4798, 4804, 4882, 4896, 4946, 5102, 5117, 5167, 5254, 5258, 5284, 5296, 5298, 5435, 5599.

56 .

Voir les vers 1089, 1660, 2084, 3664, 4289, 4702, 4774, 4804.

57 .

Cl. Buridant, Nouvelle grammaire de l’ancien français, Paris, SEDES, 2000, § 642, 1.2, p. 752.

58 .

Par ex. : « ne… pas une bille » (v. 150) ; « ne… la coue d’une vïolete » (v. 288-89), « ne… un ail » (v. 4794).

59 .

Par ex. : enversee (v. 1318, « renversée » ou « mise à l’envers ») ; fraimbail (v. 2586, « étui ») ; taleboté (v. 2619, « criblé de boutons ») ; bertauder (v. 3705, « tondre ») ; esmarbré (v. 4616, « statufié ») ; soi amordre (v. 5582, « prendre goût à »).

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Table des matières

1. Le Goût des lettres

2. Dissidence, déviance, décentrement