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Mimésis est l’un des rares livres de critique littéraire encore lu, étudié, commenté, plus de soixante ans après sa parution (1946). Il y a une « actualité » d’Erich Auerbach. On peut citer, par exemple, la parution en 2007 en Allemagne d’Erich Auerbach, Geschichte und Aktualität eines europaïschen Philologen1, et en 2009 celle de Erich Auerbach, la littérature en perspective, actes du premier colloque français consacré à l’œuvre du romaniste2. Une thèse de littérature comparée est en préparation3. Des textes importants ont été publiés récemment : Ecrits sur Dante4, Le Haut Langage5Comment expliquer cette renaissance, qui ne concerne pas son collègue et contradicteur Ernst Robert Curtius ? Auerbach bénéficie sans doute d’une « aura » due aux circonstances biographiques bien connues : il est une haute figure de l’émigration allemande, il écrit son opus magnum en exil à Istanbul pendant la guerre, dans des conditions matérielles très difficiles. Son destin a fasciné un autre exilé célèbre, qui l’a d’ailleurs traduit : Edward Saïd. Mais si Auerbach a encore quelque chose à nous dire c’est surtout parce qu’il opère une fusion entre « esthétique » et « philologie ». Seule une étude minutieuse, érudite, d’échantillons textuels prélevés dans l’immense massif de la culture occidentale lui permet d’étudier les variations et les invariants de la façon de représenter la réalité sur une période de deux millénaires – « dargestelle Wirklichkeit » comme le précise le sous-titre de Mimésis. Ce faisant, le terme de « philologie » prend le sens large que lui donne Vico : il s’agit bien de tous les savoirs d’une époque, d’une période historique. Il ne saurait être question ici de retracer tout l’itinéraire intellectuel, esthétique d’Auerbach. Nous allons simplement évoquer quelques points qui l’ont intéressé toute sa vie, et qu’il reprend dans deux articles tardifs : «  Epilegomena zu Mimesis »6 (1954), et « Philologie der Weltliteratur »7 (1952) : la question de la séparation des styles, celle de l’interprétation figurative, sa pratique de l’historicisme, sa quête d’une clé permettant élucidation : « Ansatzpunkt »,enfin sa conviction que toute critique scientifique est aussi une œuvre d’art.

I. « Epilegomena zu Mimesis »

L’article est la réponse suscitée par les comptes-rendus. C’est l’un des rares textes « théoriques » de son auteur, qui a toujours considéré que la théorie devait pouvoir se déduire de l’analyse critique des œuvres et d’elle seule. L’interlocuteur est surtout Curtius qui a formulé des critiques de fond en 1952 dans un article des Romanische Forschungen. Comme on sait Mimésis et La Littérature européenne et le Moyen-Age latin traitent pour l’essentiel des mêmes textes : la littérature médiévale en latin, Dante, la littérature française. Auerbach et Curtius ont eu la même formation, les mêmes maîtres, ils ont été collègues, le sont encore, se sont rencontrés à Princeton en 1949, ils s’écrivent amicalement8.Mais l’Histoire les a séparés de manière irréversible : Curtius est resté en Allemagne nazie, et lui, traducteur de T.S. Eliot et premier lecteur allemand de Proust, a fini par se réfugier dans un « exil intérieur » et dans un culte exclusif et hautain voué à la seule Antiquité gréco-latine. A lui l’étude des « topoï », à Auerbach celle des discontinuités, des ruptures. Ce sont là deux esthétiques bien différentes. Curtius conteste les analyses de son collègue : «  la règle antique de la séparation des styles n’est ni si unifiée ni si absolue qu’elle paraît l’être d’après Auerbach », critique qui lui paraît être étayée par les textes théoriques de l’Antiquité et du Moyen Age, «  de la rhétorique d’Herennius jusqu’à Meinhart de Bamberg ». A cela Auerbach répond :

La convocation des conceptions doctrinales est utile mais elle n’apporte rien à la critique de Mimésis. Mimésis est un essai sur l’histoire de la matière elle-même et non sur les conceptions doctrinales rattachées. Il était totalement impossible de rédiger un tel essai avec les matériaux disponibles à Istanbul. La paire de concepts « séparation-mélange des styles » est un des thèmes de mon livre et a toujours la même signification tout au long des vingt chapitres, de la Genèse à Virginia Woolf.

Plus loin il explique qu’il n’a jamais affirmé l’existence d’un lien strict entre les genres littéraires et niveaux de « style ». Mais il y a une séparation des styles qui repose sur le « prepon »9, une hiérarchie des objets correspond à une hiérarchie des formes d’expression. Auerbach conclut sa réfutation en s’appuyant sur Cicéron «  pour lequel il y a des genres littéraires dans lesquels un certain niveau domine absolument. » Prenons un exemple dans Mimésis : dans Germinal Zola, avec la scène du « Bal du Bon-Joyeux », s’inscrit précisément dans l’héritage de l’ancienne pensée rhétorique des niveaux de style :

Zola ne donnait aucunement son art comme un art de « style bas » ou comique, presque chacune de ses lignes révélait un esprit suprêmement sérieux et moral, et l’ensemble ne constituait pas un divertissement ou un jeu artistique, mais prétendait offrir une peinture fidèle de la société du temps telle que lui, Zola, la voyait.10

A propos d’une conversation, un soir, chez les Maheu, le philologue s’interroge : «  Tout cela forme un tableau typique de la classe ouvrière aux premiers temps du socialisme, et personne ne peut plus nier sérieusement aujourd’hui qu’un tel sujet possède une signification qui intéresse l’histoire universelle. Quel niveau stylistique convient-il d’attribuer à un tel texte ? ». Sa réponse est claire : « Nous avons affaire, sans aucun doute, à un grand tragique historique, à un mélange d’humile et de sublime, dans lequel, du fait du contenu, le second prédomine. » Bien sûr, le fait que le réalisme de Zola, que les contemporains ont très souvent jugé choquant, puisse toucher au style le plus haut, au sublime, est la conséquence d’une évolution millénaire, rendue possible par le fait que la figure du Christ est celle de l’humilié et du Sauveur, de celui qui meurt de manière infâme et qui, pourtant, est Dieu. Comme Auerbach l’écrit dans le chapitre « Sermo humilis » du Haut Langage : «  Le style de l’Ecriture sainte est humilis, bas ou humble. Mais le sujet, simple ou caché, est « sublime ». La bassesse ou l’humilité de l’exposition est la seule forme possible compatible, qui permette de rendre accessible aux hommes des mystères aussi sublimes. »11 Dès lors se pose la question de la valeur heuristique de cette théorie : avec toutes les inflexions qu’elle a connues au cours des siècles, depuis la Haute Antiquité jusqu’à aujourd’hui, la doctrine de la séparation et du mélange des styles est un instrument d’analyse très puissant, dont on peut simplement regretter qu’Auerbach ne l’ait pas étendu à d’autres auteurs de la modernité comme Franz Kafka, sans doute le grand absent de Mimésis,et à James Joyce, évoqué de manière beaucoup trop succincte.

L’autre point de désaccord avec E.R.Curtius est le second grand pôle de la réflexion auerbachienne : l’interprétation « figurale ». On ne peut ici que renvoyer à la magistrale étude de 1938 Figura12 , essai lui aussi rédigé à Istanbul,et par lequel Auerbach montre que l’interprétation figurative est l’un des éléments essentiels de la représentation chrétienne de la réalité. Citons brièvement la définition qu’il en propose :  

L’interprétation figurative établit un rapport entre deux événements ou deux personnes . Le premier terme n’est pas seulement autoréférentiel, mais désigne également le second qui, de son côté, inclut ou accomplit le premier. Les deux pôles de la figure sont séparés dans le temps, mais tous deux, en tant qu’événements ou personnages réels, participent de la temporalité et du flux ininterrompu de la vie historique. 13

Nous ne suivrons pas la polémique dans le détail. Mais il semble bien qu’Auerbach marque des points importants, par exemple lorsqu’il constate que Curtius convoque contre lui un chapitre du livre de Henri-Irénée Marrou sur Saint-Augustin, intitulé La Bible et les lettrés de la décadence, alors que précisément Marrou a plus tard lui-même fortement critiqué ce même chapitre en ce qui concerne l’interprétation figurale, que Curtius appelle «  allégorèse typologique ». Auerbach se bat d’ailleurs sur deux fronts. Il a en effet toujours refusé, contre son vieil ami Walter Benjamin, la primauté de l’allégorie. Pour l’auteur de Mimésis l’allégorie, parce qu’elle interprète de manière abstraite les mythes et les textes poétiques, et ce dans un sens cosmologique, mystique ou moral, n’est pas un concept opératoire qui permettrait de rendre compte de l’évolution de la représentation de la réalité dans la littérature occidentale. Pour lui la Divine Comédie, par exemple, ne contient en fait pas de personnifications abstraites, exceptées les trois Bêtes du premier Chant, et aucun de ses personnages ne se laisse décrire par un concept. Tous sont des personnages historiques, qui accomplissent dans leur vie terrestre un destin figural. La « figura » indique que quelque chose est à interpréter, qui a déjà eu lieu et qui s’accomplira à nouveau. Il est clair que, pour la critique contemporaine, la « figura » telle que pensée par Auerbach, est moins actuelle que l’allégorie benjaminienne, conception qui a beaucoup influencé les « déconstructionnistes » comme Paul de Man ou Jacques Derrida. Cependant elle n’a pas perdu toute valeur heuristique, et pourrait peut-être servir à étudier des textes aussi novateurs que Parabole de Faulkner ou 2666 de Roberto Bolanò. Mais le texte sans doute le plus actuel venu sous la plume du spécialiste de Vico, c’est-à-dire quelqu’un pour qui l’actuel ne peut être qu’une phase dans un mouvement cyclique, est «  Philologie de la littérature mondiale » (« Philologie der Weltliteratur »). Le texte a été publié en 1952 dans une « Festchrift »14. L’article vient seulement d’être traduit dans Où est la littérature mondiale ?, recueil publié en 2005 par Tiphaine Samoyault et Christophe Pradeau.

II. « Philologie de la littérature mondiale »

Auerbach, après Goethe, considère que le fait esthétique ne peut plus être pensé dans le seul cadre national. Pourtant, il prend ses distances avec Goethe dès la première phrase : « Il est temps de se demander quel sens les mots « Littérature mondiale », compris dans leur acception goethéenne qui vise le contemporain et ce qu’il peut attendre de l’avenir, peuvent encore avoir »15. Le diagnostic posé par l’auteur de Mimésis est celui de la perte universelle de la diversité qui précisément, autrefois, permettait l’ensemencement réciproque des cultures, et, en parallèle, le développement paroxystique de la standardisation culturelle, « que cela soit selon un modèle européano-américain ou russo-bolchevique»16. Auerbach écrit ceci en pleine guerre froide. Qu’aurait-il pensé de ce monde où il n’existe plus qu’un seul modèle économique ? Mais cela aussi le philologue le perçoit déjà :

Si l’humanité parvient à survivre aux bouleversements qu’entraîne un processus de concentration si brutal, si impétueux et si mal préparé dans les consciences, alors il faudra s’habituer à l’idée que sur une planète organisée uniformément il n’y aura plus qu’une culture littéraire unique vivante, voire, en un temps relativement court , plus que quelques langues littéraires ou même bientôt plus qu’une seule. 17

Ainsi le concept de littérature mondiale «  serait à la fois réalisé et détruit. » C’est maintenant un lieu commun de la recherche que de faire d’Auerbach le premier analyste de la « globalisation ». Et de fait il posait son diagnostic dès 1937 dans une lettre qu’il envoyait d’Istanbul à son ami Walter Benjamin. Il y évoquait l’européanisation à marche forcée déclenchée par Kemal Atatûrk, le remplacement, par exemple, de l’alphabet arabe par l’alphabet latin, et il mettait en rapport ce processus très rapide, inéluctable, avec ce qui se passait en Allemagne et en Italie fascistes quant au langage. Il formule cela ainsi : « … on nous amène d’une manière douloureuse et sanglante à l’Internationale de la trivialité et à l’espéranto de la culture»18. L’outil qui permet dans une certaine mesure d’appréhender ce phénomène, et donc de lutter, est l’historicisme tel qu’Auerbach l’a hérité de Vico et qu’il définit par rapport à l’esthétique en ces termes :

Il ne s’agit pas seulement de la découverte du matériau et l’élaboration des méthodes permettant de l’étudier, mais aussi de sa pénétration et de sa mise en valeur dans une histoire intérieure de l’humanité, dans l’élaboration d’une représentation de l’homme qui soit unique dans sa multiplicité. Tel a été, depuis Vico et Herder, le véritable dessein de la philologie.19 

Quelques années plus tard, dans l’introduction théorique, « Über Absicht und Methode » de son grand livre posthume Literatursprache und Publikum in der lateinischen Spätantike und im Mittelalter, Auerbach revient sur ce que doit être, selon lui, l’historicisme :

Il n’est pas exact que le relativisme historique conduise à une incapacité éclectique de jugement, et qu’il soit indispensable, pour juger, de disposer de critères a-historiques. Celui qui comprend l’historicisme comme un éclectisme ne l’a pas compris. La particularité de chaque époque et chaque œuvre ainsi que la forme de leur relation sont à conquérir par l’approfondissement et le dévouement, une tâche infinie, qu’il appartient à chacun, de là où il est placé, d’essayer d’accomplir.Car le relativisme historique est double, il se rapporte aussi bien à celui qui comprend qu’à ce qui est à comprendre. C’est un relativisme extrême ; mais on ne devrait pas pour autant en avoir peur. L’espace dans lequel on se meut au cours de cette activité est le monde des hommes auquel appartient celui-là même qui comprend. Cela lui permet d’envisager sa tâche comme possible. 20

L’œuvre d’art exprime donc non seulement les tensions et interrogations de son époque à elle, mais aussi celles de l’époque de sa réception. De ce point de vue, l’auteur de Mimésis est bien un précurseur de Jauss et de l’école de Constance. L’œuvre n’existe que dans une société qui l’a produite et dans une société qui la reçoit. Et l’interprète se situe, par sa visée esthétique, dans une certaine époque qui, même si elle peut être très éloignée de celle qui a vu naître l’œuvre, en conditionne pourtant la perception. La clausule de l’article « Epilegomena zu Mimesis » se lit : «  Mimésis est de manière résolument consciente un livre écrit par un certain être humain, dans une certaine situation, au début des années 40. » Retenue pudique d’Erich Auerbach : tous ses lecteurs savent quelle était sa situation en ces années-là.

Comment évaluer aujourd’hui l’apport de Mimésis à la compréhension à la fois du « réalisme » et des œuvres abordées dans leur singularité ? Un critique aussi averti que Claus Uhlig, s’il reconnaît le brillant et la valeur du chapitre dédié à Montaigne, estime que les pages sur Proust, Joyce et Virginia Woolf ont perdu de leur pertinence, que l’instrument heuristique d’Auerbach ne lui permet pas d’accéder à la « réalité intérieure » de ces auteurs modernes21. Mais ce jugement est lui aussi en train de devenir un « topos ». Il contient, certes, une part de vérité. Les goûts personnels d’Auerbach ne le menaient pas à l’avant-garde. Il écrit dans « Epilegomena » de manière significative : «  Les grands romanciers français sont d’une importance décisive pour la problématique de Mimésis, mon admiration pour eux est grande. Mais pour le plaisir et le délassement je préfère lire Goethe, Stifter et Keller. »22 Et l’auteur de Mimésis ne cite qu’une seule fois le nom de Kafka : «  Kafka dont le monde grimaçant et terrible rappelle une folie très cohérente »23, à propos d’Apulée. Il n’est pas non plus très à l’aise avec l’œuvre de Joyce. Mais l’analyse de la Promenade au phare est impressionnante de précision et d’empathie. Elle est d’ailleurs reprise dans un grand nombre d’éditions anglo-saxonnes du roman, comme celle dirigée par Harold Bloom. Quant au roman de Proust, nous avons montré ailleurs à quel point Auerbach avait su, très tôt, dès 1925, lui rendre justice. Le bilan de l’attitude d’Auerbach envers la « modernité » est donc beaucoup plus contrasté qu’on ne le croit généralement. Reste à aborder un outil heuristique qui nous semble encore aujourd’hui d’une grande pertinence, tel qu’il est développé dans « Philologie de la littérature mondiale » : la notion d’«Ansatzpunkt ».

III. L’« Ansatzpunkt »

Cette notion auerbachienne est généralement traduite par « point de départ » 24 , mais on pourrait préférer la formuler de diverses façons : «  point de levier, point d’ancrage, point d’insertion ». Il s’agit de s’appuyer sur quelque chose pour laisser libre cours à l’intuition créatrice qui va saisir et restituer les formes esthétiques. Auerbach, dans cette deuxième partie de son essai, fait des remarques fondamentales et toujours actuelles. Il accorde donc sa confiance à l’intuition du chercheur qui, bien sûr, s’appuie sur sa connaissance du matériau, et refuse des catégories trop généralisantes comme « classicisme, Renaissance, maniérisme, baroque, Lumières , romantisme, symbolisme etc. »25. Pour lui, la singularité et la force d’un bon « point d’ancrage » résident, d’une part, dans sa concrétude, et, de l’autre, dans son « rayonnement potentiel »26. Il cite trois exemples de ce que pourrait être un tel « point d’ancrage » : l’étude des topoï par E.R.Curtius dans son grand livre (même si Auerbach ne partage pas, loin s’en faut, toutes ses conclusions, ni même ses présupposés méthodologiques), son propre questionnement sur le public français du XVIIe siècle à partir de l’expression « la cour et la ville », et enfin une suggestion de son ami Erwin Panofsky : « retracer la façon dont ont été interprétés certains passages isolés de la Comédie de Dante , depuis les premiers commentateurs jusqu’au XVIe siècle et ensuite à partir du Romantisme ». Un type de questionnement qui semble tout à fait actualisé par la recherche d’un philologue comme Jean Bollack.

Pour ce qui est de Mimésis, on peut se demander si Auerbach n’a pas réussi le passage de l’article ou de la monographie érudite au très vaste panorama qu’il nous propose grâce à la découverte d’un livre que son ami Walter Benjamin lui a envoyé à Istanbul. En effet il remercie celui-ci dans une lettre du 28 janvier 1937 pour Deutsche Menschen27, «  qui est tombé comme la foudre ». Il s’agit d’une anthologie de lettres réunies par Benjamin de « grands Allemands » du siècle de la bourgeoisie : Kant, Goethe, Collenbusch, Lichtenberg… Ils incarnent en une ère de barbarie totale ce que l’Allemagne, la pensée de l’Allemagne, avait pu avoir de meilleur. On peut raisonnablement penser que le livre a fourni à Auerbach le « déclic », « l’Ansatzpunkt » : réunir en une anthologie les textes du « réalisme » européen d’Homère à Woolf, et, ainsi, généraliser, procéder à une très vaste extension dans le temps et l’espace de ce que Benjamin avait fait pour les valeurs définitivement perdues de la culture bourgeoise allemande, porteuse d’émancipation. C’est aussi faire œuvre d’art. Mimésis se veut, comme les textes qu’il analyse, « œuvre d’art ». Auerbach parle au conditionnel, par modestie : «  La synthèse historique à laquelle nous pensons , quoiqu’il lui faille s’appuyer sur une présentation scientifique du matériau, résulte d’une intuition personnelles et ne peut donc être due qu’à un individu. Parfaitement réussie, elle serait à la fois un travail scientifique et une œuvre d’art. »28 On peut donc dire que, pour Auerbach, la « tâche » du chercheur en littérature est double : étudier les œuvres, réfléchir sur l’esthétique en faisant œuvre, et esthétique, gageure réussie avec Mimésis.

Notes

1 .

M. Treml et K. Barck (éd.), Kadmos Verlag, Berlin, 2007.

2 .

Il s’est tenu en Sorbonne en octobre 2007, et avait été organisé par Paolo Tortonese.

3 .

Diane Berthezène, Université de Limoges, dir. Bertrand Westphal.

4 .

Erich Auerbach, Ecrits sur Dante, trad. D. Meur, Paris, Macula, 1998.

5 .

Erich Auerbach, Le Haut Langage, trad. R. Kahn, Paris, Belin, 2004.

6 .

Romanische Forschungen, LXV, n°1-2, p.1-18.

7 .

Weltliteratur,Festgabe für Fritz Strich, Bern, Francke Verlag, 1952. Trad. D. Meur in Où est la littérature mondiale, C. Pradeau et T. Samoyault (éd.), Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2005.

8 .

Leur correspondance est conservée dans le fonds « Erich Auerbach » du Deutsches Literaturarchiv de Marbach.

9 .

« ce qui convient, le convenable, l’approprié ».

10 .

Erich Auerbach, Mimésis 1946, Paris, Gallimard, 1968, p .503-504.

11 .

Le Haut Langage, op.cit., p. 55.

12 .

Erich Auerbach, Figura, trad. M.A Bernier, Paris, Belin, 1993

13 .

Ibid., p.60.

14 .

« Recueil d’hommages », pour le romaniste Fritz Strich.

15 .

Traduction modifiée.

16 .

Ibid., p. 301

17 .

Où est la littérature mondiale, op.cit., p.26.

18 .

Lettre du 3.1.1937, trad. R.Kahn, in Les Temps modernes n° 575, juin 1994, p.60.

19 .

Où est la littérature mondiale ?, op.cit., p. 27.

20 .

Le Haut Langage, op.cit., p.20.

21 .

Claus Uhlig, in Literary History and the Challenge of Philology, Seth Lerer (éd.), Stanford, p .48.

22 .

« Epilegomena »,op.cit., p.14 :« Zu Vergnügen und Erholung ».

23 .

Mimésis, op.cit., p. 72.

24 .

Par exemple « Philologie de la littérature mondiale », op.cit., p. 32.

25 .

« Epilegomena zu Mimesis, op.cit.,p.122.

26 .

« Philologie de la littérature mondiale », op.cit., p.35.

27 .

Traduit sous le titre Allemands, ou Hommes allemands.

28 .

« Philologie de la littérature mondiale », op.cit., p.32.

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Table des matières

Introduction

1. Littérature et philosophie

2. Théories critiques

3. Genres et courants

4. Musique

5. Arts plastiques et visuels