La joie même dans la souffrance" : réflexions sur le comique lié à la vieillesse, au handicap et à la maladie dans l'oeuvre de Koltès

Résumé :

Prolongeant la réflexion née de l’article « ‟Loin de la froideur et du sinistre des cimetières occidentaux”, la mort dans l’œuvre de Bernard-Marie Koltès », dans lequel je m’interrogeais sur la mise à distance du tragique que l’auteur opère lorsqu’il aborde le thème du décès, je souhaiterais dégager plus avant la nature comique du traitement que Koltès réserve, dans son théâtre et dans ses textes narratifs, à la triple question du handicap, de la maladie et de la mort. Vulnérable, inscrit dans un environnement hostile, le corps de ses personnages est menacé d’un délitement qui suscite en eux un effroi manifeste. L’excès avec lequel s’exprime cette terreur emprunte au grotesque certains de ses motifs, tout en évitant le plus souvent une représentation de ces symptômes sur le plateau : la parole du personnage en reste le vecteur privilégié. Après avoir cerné les ressorts d’un tel mécanisme, nous montrerons plus largement que l’œuvre koltésienne s’inscrit à rebours des valeurs actuellement défendues par nos sociétés occidentales. Ignorant la contrainte du politiquement correct que la fin du vingtième siècle a instaurée, elle bafoue en effet le respect dû par les valides aux handicapés, aux malades et aux morts : insultés, violentés, ces derniers s’inscrivent dans un univers où les relations de pouvoir, complexes et instables, font fi des convenances. Les personnages à l’agonie, frappés de handicap ou de maladie n’en sont pas pour autant toujours des bouffons malgré eux, des victimes : en un renversement des plus carnavalesques, Koltès assimile à maintes reprises cette diminution du pouvoir physique à un jeu, à un divertissement qu’un personnage offre à ses proches ou à lui-même. Spectacle dont il conviendra d’étudier les modalités et l’évolution dans l’œuvre, afin de mieux en saisir les enjeux, ainsi que le malaise qu’une telle liberté de ton peut provoquer.