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L’axe 4 du CIELAM, Styles : de la création à la réception, s’inscrit dans la continuité de l’axe Stylistique et création, qu’il intègre dans une perspective à la fois redéfinie et élargie. L’approfondissement de projets moteurs bien ancrés au CIELAM comme l’étude de la chanson (Joël July) ou « le laboratoire de l’écrivain » (Jean-Marc Quaranta) a contribué à faire émerger de nouvelles problématiques communes ou complémentaires. La prise en compte des modalités de réception dans les pratiques et la théorie de la création littéraire, d’une part, et l’extension diachronique aux périodes médiévales, préclassiques et classiques comme à la période la plus contemporaine, d’autre part, ouvrent ainsi le dialogue et la réflexion à d’autres domaines de spécialités tant en stylistique et rhétorique qu’en littérature française, francophone et comparée, ainsi qu’à des collaborations interdisciplinaires variées.

Cet axe se propose désormais d’interroger comment des manières d’écrire, de créer du littéraire, de fabriquer de la pensée, résultent d’interactions dynamiques potentiellement hétérogènes permettant d’appréhender chaque style comme un processus impliquant simultanément des manières de lire, d’interpréter et d’évaluer. Le croisement fécond entre les recherches en stylistique et celles en création littéraire a déjà conduit à reconsidérer la façon dont interagissent création et réception, production et interprétation : ainsi dans le domaine de la chanson, entre performance et patrimonialisation ; dans l’étude des brouillons d’écrivain, où la création auctoriale, en écrivant, corrigeant et récrivant, fait intervenir processus linguistiques et non linguistiques, conscients et inconscients ; dans le domaine de la traduction littéraire, envisagée comme champ créatif à part entière ; ou encore dans la prise en compte du rôle des modes de diffusion et de réception, éclairant la part de la création éditoriale, notamment dans l’édition de livres jeunesse.

Cette redéfinition conceptuelle s’accompagne d’un renouvellement des questionnements épistémologiques et théoriques en stylistique, sur ce qui caractérise et détermine un style comme configuration verbale signifiante transitoire, indissociable d’une histoire des styles (et de la langue) [Gilles Philippe], et en dialogue constant avec les contextes – culturels, idéologiques, sociologiques – qui les voient naître et qui les (ré)évaluent. Les travaux antérieurs du CIELAM sur les styles de la critique trouveront ainsi à se prolonger dans l’exploration de domaines plus récemment investis par la recherche, notamment ceux des imaginaires linguistiques et stylistiques [dernier colloque de l’AIS] ou des nouvelles narrativités du roman contemporain. L’ouverture à une diachronie élargie ainsi qu’à l’histoire des représentations que se propose le nouvel axe transversal offre par là d’autres perspectives interdisciplinaires, complémentaires des autres axes.

Cet axe est enfin caractérisé par ses liens forts avec la formation : réflexion théorique et pédagogique se développent conjointement, en lien avec l’existence d’un parcours complet de formation en création littéraire allant de la licence (parcours « Lettres et écritures » de la licence Lettres) au doctorat (mention « Pratique et théorie de la création artistique et littéraire ») en passant par le master (parcours « Recherche, écriture, discours » dans l’actuel master Lettres, et projet de mention master « Création littéraire »). L’axe « Styles : de la création à la réception » approfondira donc l’articulation d’une réflexion théorique et épistémologique sur les fonctions du style et les enjeux de la stylistique, à une génétique et une poétique de la création considérée comme pratique vivante, et non séparable de sa réception.

 

4.1. Pratiques et imaginaires stylistiques

 

4.1.1. Stylistique du roman contemporain et des nouvelles narrativités (resp. Joël July)

Après avoir réfléchi sur Les styles de la critique entre 2013 et 2016 (Journée d’étude avec Mathilde Vallespir et Laurent Jenny), sur Les énoncés inconvenants et paradoxaux entre 2017 et 2021 (4e colloque de l’AIS, organisé par Joël July et Philippe Jousset), les chercheurs en stylistique du CIELAM souhaitent désormais, à la suite du congrès de la SELF XX-XXI « Extension du domaine des Lettres » (organisé à Aix-en-Provence par Claude Perez et Alexandre Gefen), et au bénéfice de la participation du département de Lettres Modernes au Prix du Roman des Étudiants France Culture / Télérama, approfondir les travaux dorénavant très récurrents sur des productions récentes qui circonscrivent la langue ou la poétique de tel ou tel artiste émergent. Il s’agira, à côté des monographies sérieuses qui fleurissent au gré de colloques divers (Chevillard, Kerangal, Garcin, Echenoz, Michon, Toussaint, Quignard, Delerm, etc.), de partir d’un point commun pour dresser des familles et établir non pas des points de divergences mais plutôt des points de ressemblance : quel travail de la phrase / quelle syntaxe ? quel ancrage ludique ? quels procédés énonciatifs ? quelle pratique descriptive ? quelle stratégie argumentative ? quel traitement du matériau documentaire ? Ce travail croisé pourra ainsi se tourner vers les œuvres de Nicolas Mathieu, Anne Pauly, Mathieu Bermann, Maria Pourchet, Jean-Baptiste Del Amo, Lola Lafon, Marie-Hélène Lafon, Tristan Garcia, Virginie Despentes, etc., parallèlement à l’organisation de manifestations centrées sur un auteur contemporain, comme Michel Houellebecq qu’un colloque illustre de Bruno Viard avait déjà mis à l’honneur il y a plus de dix ans à Aix-en-Provence, ou comme Tanguy Viel.

Ce champ de réflexion s’intéressera aussi à l’articulation entre le style et la pensée littéraire, piste explorée par les travaux de Gil Charbonnier, dont l’objectif est de reconnecter des faits de langue et de style à des contextes politiques, économiques, culturels, sociétaux. C’est ainsi qu’ont pu être décrites les écritures de l’intériorité, en lien avec des avancées scientifiques et philosophiques ; le style des écrivains dits « cosmopolites », le « style de la valise » (Albert Thibaudet), analysé en fonction de différentes options idéologiques ; ou encore les relations entre style et engagement politique dans l’œuvre de Paul Morand, dont l’étude vise à repenser la séparation entre l’auteur et son œuvre, à partir de nouvelles approches de la déréalisation. La réflexion suit aujourd’hui l’implication croissante des écrivains dans les problématiques sociétales les plus débattues. Les débats politiques, économiques, juridiques, qui inspirent des écrivains contemporains comme Michel Houellebecq, Karine Tuil, Emmanuel Carrère, modifient non seulement la création littéraire, avec la notion de « fiction du réel », mais agissent également sur le style, selon l’esthétique de la « forme plate ». Plus largement, il s’agira de dégager dans ce cas la réalité d’un style sociétal résultant d’une conception pluridisciplinaire des écritures littéraires, en laquelle s’élaborent de nouveaux savoirs. Il conviendra alors d’envisager un programme d’étude et de réflexion, de la création à la réception, qui outrepasse les catégories épistémologiques propres à chaque discipline.

Par leur souci d’inscrire le style dans ses contextes socio-culturels, ou à partir d’une problématique comparatiste, d’autres travaux s’attacheront à explorer les implications pluridisciplinaires de la création littéraire et ses conséquences sur les pratiques et les conceptions du style. Ainsi, les travaux d’Eric Leclerc en zoopoétique (se rattachant prioritairement à l’axe « Epokhè ») comportent une réflexion sur de nouvelles pistes poétiques susceptibles de modifier notre perception du vivant, qui ce faisant intègre pleinement des interrogations d’ordre stylistique (question du mimétisme, stylistique phénoménologique) ; par ailleurs, ses recherches ayant trait à l’intermédialité (et relevant en ce sens de l’axe « PHI ») rejoindront secondairement l’axe « Styles », la notion de transposition intersémiotique et le lien entre la littérature et les autres arts étant au centre de la double question du processus créatif (une / des création(s) selon le medium) mais aussi de sa réception. De manière analogue, les recherches d’Aude Locatelli (rattachées à l’axe transversal « PHI ») viendront nourrir la réflexion de l’axe « Styles » par l’importance qu’elles accordent à la problématique de la musicalité de l’écriture, à la création musico-littéraire, ainsi qu’à la réception des œuvres de musique-fiction : données à lire tout autant qu’à entendre, celles-ci se singularisent par un mode de lecture-écoute et ouvrent la voie à une réflexion sur le livre augmenté.

 

4.1.2. Imaginaires linguistiques et stylistiques en diachronie (resp. Mathilde Thorel)

Ce projet s’inscrit également dans le prolongement des travaux du Cielam autour des styles de la critique, mais aussi de travaux récents en stylistique s’interrogeant sur les liens entre « Style et imaginaires de la langue » (thème du 5e colloque de l’AIS, 2022), et élaborant les notions d’« imaginaire linguistique » (Gilles Siouffi par exemple), ainsi que d’« imaginaire stylistique » ou « imaginaire du style » (Gilles Philippe, Claire Badiou, etc.). Celles-ci permettent de questionner le rôle des représentations des normes et des usages en cours à une période donnée dans la création et la réception, notamment des textes littéraires.

La période de la Renaissance et du français préclassique offre un terrain propice à l’étude des rapports réciproques entre langue et style, la « défense » de la langue vulgaire en expansion allant de pair avec son « illustration » par des œuvres qui l’exhaussent. La notion d’imaginaire stylistique permet ainsi de renouveler l’analyse des interactions entre les dimensions collective et individuelle de l’écriture, entre style de genre, style d’époque et style d’auteur, mais aussi entre changements linguistiques et changements stylistiques. Cette réflexion, également d’ordre épistémologique et méthodologique, sera d’abord menée à partir de deux types d’objets différents :

– Histoire des représentations et des idées linguistiques et stylistiques. L’exploration corrélée d’ouvrages métalinguistiques de la Renaissance (dictionnaires, grammaires, mais aussi poétiques et rhétoriques) et du métadiscours auctorial et éditorial présent dans un ensemble de fictions en prose (dans le texte et le péritexte, notamment dans les textes liminaires ou les annotations marginales) permet d’étudier le métalangage et les représentations de la langue et du style qu’il mobilise : ainsi la métaphore corporelle, qui fonde la métaphore vestimentaire mobilisée dans le discours sur l’emprunt et sur la traduction, génère aussi un imaginaire genré des langues et des styles.

– Les figures de correction, envisagées d’un point de vue rhétorique et stylistique, mais aussi linguistique permettent d’explorer une modalité singulière d’expression du sentiment épilinguistique, impliquant à la fois de la part de l’auteur un retour sur soi (par auto-dialogisme) et la prise en compte anticipée de la réception. Si le jeu énonciatif qu’elles inscrivent dans le discours se prête à des interprétations variables en micro-contexte, la mise en scène par l’écriture du choix d’un mot ou d’une expression engage simultanément, parfois de façon explicite, un conflit de représentations et un positionnement d’ordre éthique par rapport à la langue et au style. Elles seront étudiées dans des œuvres relevant de genres différents (poésie, fiction narrative, récit de voyage, essai).

Tout en approfondissant des travaux en cours, ce projet est susceptible de plusieurs prolongements en diachronie, tant en aval (vers la période classique et post-classique) qu’en amont (période médiévale), dans le cadre d’une histoire des styles et des représentations stylistiques.

 

4.1.3. Stylistique du texte de chanson (resp. Joël July)

L’enjeu même de cette perspective, attachée spécifiquement au genre chansonnier, consiste à faire pièce aux analyses cantologiques qui exigent des compétences musicologiques éprouvées. Il s’agit d’envisager le texte de chanson en tant qu’il sera performé et parce qu’il appartient de ce fait, quoi qu’il prétende, à une littérarité « en kit », tournée vers l’oral. Le « popularisme » de la chanson est justement cette capacité du texte à intégrer ce qu’il doit être, un texte poétique fait pour être chanté. Les dimensions figurales, énonciatives, métapoétiques, génériques et génétiques retiendront donc notre attention au sein du réseau de recherche Les Ondes du monde (qui étudie la chanson comme phénomène de création, d’interprétation et de circulation culturelle) : elles constitueront autant de questionnements essentiels pour notre axe en ce qu’elles sont observables prioritairement dans le matériau verbal de la chanson, et que  ce genre chansonnier, avec ses contraintes et ses permissions, leur a donné des particularités distinctes de la prose, de la poésie moderne en vers libres ou des nouvelles narrativités contemporaines.

Le travail génétique abordé notamment dans la revue Genesis n° 52 (dirigée par Joël July et Stéphane Chaudier, avec la participation de Jean-Marc Quaranta et Élodie Burle) a pour dessein de se poursuivre puisque l’axe met le style au cœur d’un dispositif allant du créateur au récepteur. La prochaine Biennale d’études sur la chanson (organisée par Étienne Kippelen – LESA, avec la participation d’Adeline Duperray – CIELAM, et en partenariat avec l’université d’Innsbruck) portera sur la dramaturgie de la chanson et vise en 2025 une association avec l’université de Lausanne sur la problématique de l’émotion.

La poursuite de ce projet, animé par Joël July au sein du CIELAM, bénéficie en outre désormais de nombreuses collaborations fructueuses, à commencer par le réseau Chanson. Les ondes du monde, qui a pour but l’étude de la chanson au sein de la société française et au sein d’autres sociétés, principalement dans l’aire méditerranéenne et romane. Ce réseau pluridisciplinaire, né à Aix Marseille Université (AMU), réunit déjà de nombreux chercheurs français et étrangers (bientôt 15 universités). Ce projet connaît en outre une visibilité renforcée, au sein d’AMU, par les liens développés avec le laboratoire du CAER (par la participation de chercheurs du Cielam au séminaire « Chanson dans tous les sens »), ou encore avec le Festival de la chanson française soutenu par la mission culture d’AMU et le SCD, qui a connu sa 2e édition (Hommage à Barbara) en octobre 2022. Enfin, l’organisation en janvier 2023 d’une journée enseignants / chercheurs sur ce thème, en partenariat avec le rectorat de l’académie d’Aix-Marseille, et avec la collaboration d’Adeline Duperray, ouvre la voie à d’autres manifestations en direction des collèges et lycées et en lien avec la formation.

 

4.2. Laboratoires de la création littéraire

 

4.2.1. Le « laboratoire de l’écrivain » (resp. Jean-Marc Quaranta)

Menés par Jean-Marc Quaranta, les travaux en théorie littéraire et en génétique, sur les brouillons d’écrivain, ont donné lieu à plusieurs projets de recherche au CIELAM dont certains demeureront étroitement liés aux problématiques de cet axe transversal, tout en impliquant des collaborations interdisciplinaires avec des informaticiens et des psychologues.

C’est avec le soutien de l’InCIAM que se développe un projet de recherche interdisciplinaire sur la création littéraire, mené par une équipe constituée dès 2016, et réunissant des psychologues cognitivistes (Nathalie Bonardel et Marie-Laure Barbier – du laboratoire PsyClé), des informaticiens (Patrice Bellot et Alexis Nasr – LIS), une psychologue clinicienne (Delphine Scotto Di Vettimo – LPCLS) ainsi que des chercheurs du CIELAM en littérature française, générale et comparée (Jean-Marc Quaranta, Alexis Nuselovici, Francesca Manzari). Il s’agit donc d’une équipe pluri- et interdisciplinaire réunie par un objet commun, la création littéraire, et dont l’objectif est de parvenir à une meilleure connaissance des processus d’écriture, particulièrement de l’écriture de création, en croisant différentes approches.

Cette équipe, historiquement constituée autour de l’enseignement de la création littéraire à l’université d’Aix-Marseille (pionnière dans ce domaine en France et en Europe continentale), a depuis été fédérée par l’InCIAM, notamment autour de la thèse d’Anne-Marie Butzek co-dirigée par Jean-Marc Quaranta et Marie-Laure Barbier, qui offre désormais un terrain de travail commun. Situés à la croisée de la génétique des textes et de la psycholinguistique, ces travaux ont pour objectif de déterminer si l’écriture littéraire implique des mécanismes différents de l’écriture académique ou utilitaire : sachant que les écrivains sont des scripteurs experts voire super-experts, il s’agit de comprendre s’ils mettent en œuvre des processus différents et, par une meilleure connaissance de ceux-ci, d’accompagner les écrivains en cours de formation initiale ou continue.

On peut d’ores et déjà identifier plusieurs apports majeurs de ces travaux :

– Pensée convergente, pensée divergente : l’intégration dans la formation des écrivains de notions issues de la psychologie cognitive. L’existence dans le processus de création et dans la créativité d’une pensée convergente et d’une pensée divergente est bien connue en psychologie cognitive, mais non dans les études de lettres et en critique génétique ; or les travaux de l’équipe ont déjà montré l’intérêt d’intégrer ces deux concepts tant dans la réflexion pédagogique que dans l’étude des brouillons d’écrivain. Ils rendent compte en effet de deux types d’activités d’écriture très fréquemment mobilisées dans la formation ; une fois identifiés ces deux modes de fonctionnement complémentaires, il est possible d’évaluer la capacité des étudiants à les mobiliser, mais aussi d’adapter leur formation en fonction des progrès constatés. En critique génétique, l’utilisation de ces concepts permet de mieux saisir les processus à l’œuvre dans la création littéraire : l’étude du cas de Proust invite à explorer le lien entre régime d’écriture à programme et pensée convergente d’une part, et régime d’écriture à processus et pensée divergente d’autre part – l’étude des brouillons et les concepts de la critique génétique permettant à leur tour d’approfondir les concepts issus de la psycholinguistique.

– La notion de projet et la démarche de résolution de problèmes comme complément de la production linguistique. Un autre apport de la complémentarité des différentes disciplines est la prise en compte de la notion de projet et de la résolution de problèmes dans la démarche de création littéraire : ces concepts permettent de mieux appréhender ce que l’écrivain a de commun avec tout créateur, et ce qui lui est spécifique dans la mesure où la langue est la matière première de son travail de créateur (les problèmes auxquels il est confronté ne sont pas nécessairement tous d’ordre linguistique, mais ils ont tous une répercussion linguistique). Par ailleurs la psycholinguistique a depuis longtemps observé la distinction entre le comportement d’un scripteur expert (qui corrige beaucoup son texte) et celui d’un scripteur débutant (qui corrige peu ou pas). Cette distinction s’explique, en psycholinguistique, par la capacité du scripteur à déceler ses erreurs et à les corriger (Hayes et al. 1987) ; toutefois cette explication trouve sa limite en création littéraire, où le scripteur ne corrige pas des erreurs. C’est vers la notion de projet qu’il faut se tourner : le projet est plus élaboré chez le scripteur expert, qui va comparer ce qu’il a produit à ce qu’il projette et donc se livrer à une série abondante de réécritures ; alors que chez le scripteur débutant le projet est très limité, et donc très peu créatif, et n’appelle donc pas de reprise.

– Le développement d’un outil original, Schnappi : enregistrer et représenter l’écriture, analyser et reproduire le processus. Le travail d’Anne-Marie Butzek porte à la fois sur des scripteurs experts (écrivains reconnus), des scripteurs débutants (étudiants), et des brouillons d’écrivains. Pour cela elle a développé un logiciel d’enregistrement et d’analyse des séances d’écriture (Schnappi), qui est parallèlement utilisé pour enregistrer des reconstitutions de sessions d’écriture issus de brouillons d’écrivains (Proust). Ce logiciel permet ainsi la mise en scène du brouillon et l’analyse des processus à l’œuvre.

 

D’autres pistes d’approfondissement sont actuellement envisagées, comme le développement de l’analyse du lexique et de la syntaxe avec les informaticiens du LIS ; ou encore le développement de cet outil dans le cadre d’AMPIRIC, afin qu’il soit mis à disposition des enseignants du secondaire et du primaire.

Il s’agira aussi de travailler avec les outils de la psychanalyse pour intégrer à la réflexion la dimension plus émotive, voire la part de l’inconscient dans le processus de création : on sait qu’il y joue un rôle important, qui reste cependant à préciser. Ce développement pourra ainsi rejoindre les travaux sur la réception de l’inconscient de l’artiste (Patrick Mathieu).

Enfin, au-delà du nouveau doctorat en « Pratique et théorie de la création artistique et littéraire », ces champs de recherche resteront étroitement articulés avec la formation et la réflexion sur les méthodes d’enseignement, notamment par le séminaire de recherche en création littéraire de master, ou encore l’organisation de journées d’étude (comme celle portant sur l’évaluation des travaux de création, organisée par Jean-Marc Quaranta, en collaboration avec l’université de Nice et de Cergy-Paris, juin 2022).

 

4.2.2. Traduction et création (resp. Francesca Manzari)

La recherche sur les rapports entre traduction et création s’intéresse au domaine de la traduction littéraire, considérée comme un domaine à part entière de la création littéraire. Il est en effet possible de mener des travaux sur l’histoire des formes littéraires à partir du rapport entre leurs évolutions et la pratique historique de la traduction. C’est plus particulièrement l’une des voies que prend le comparatisme aixois, notamment avec les travaux de Francesca Manzari et Alexis Nuselovici et en lien avec les séminaires du master Traduction littéraire.

Francesca Manzari travaille plus spécifiquement sur les réécritures, traductions, transpositions de la poésie médiévale par les poètes romantiques et modernistes anglo-saxons, mais également sur l’évolution des formes poétiques occidentales du Moyen Âge au contemporain. Dans ce cadre, elle a entrepris une nouvelle traduction française et italienne des cansos les plus célèbres des troubadours, qui donnera lieu à la publication d’une nouvelle anthologie.

La réflexion sur l’interaction singulière entre création et réception dans la traduction littéraire constitue en outre un point de rencontre avec les travaux d’autres chercheurs du CIELAM, portant notamment sur les périodes anciennes. Elle est ainsi susceptible de donner lieu à de nouvelles collaborations entre comparatistes, littéraires et stylisticiens dans les années à venir. Ainsi, le projet mené par Adeline Duperray avec la start-up Myrà (projet rattaché principalement à l’axe « Fabriques patrimoniales »), comporte un travail important impliquant à la fois le domaine de la création, les questions de transposition et la prise en compte des caractéristiques stylistiques des textes du Moyen Age : il s’agit en effet d’adapter des textes médiévaux en un format court et accessible au grand public, mais qui ne trahisse ni l’esprit ni le style des textes originels.

 

4.2.3. Édition et création (resp. Cécile Vergez-Sans)

La réflexion sur les rapports entre édition et création se fonde sur la prise en compte de la réception non seulement comme aboutissement mais aussi partie prenante de la création. Elle s’appuie plus spécifiquement sur un projet, en cours, de recherche en édition de littérature de jeunesse, animé par Cécile Vergez-Sans (CIELAM) en collaboration avec Marianne Berissi (laboratoire STIH-Paris Sorbonne) et le Labex Obvil, intitulé : L’enfant, l’éditeur, l’auteur autour du livre : fonctions des ateliers dans la création et l’édition d’albums pour enfants.

Ce projet vise à réunir chercheurs, éditeurs et artistes, autour des ateliers pour enfants animés par les éditeurs et les créateurs – pratique très fréquente et caractéristique de ce champ, mais quasiment jamais explorée, comme l’a montré la thèse de Cécile Vergez-Sans par son analyse des archives de la Charte des auteurs et illustrateurs. Il s’agit de tenter de comprendre quelles peuvent être les fonctions de ces ateliers dans la création des livres pour enfants. Ce fonctionnement particulier à l’édition pour la jeunesse permet ainsi, par une autre voie, d’interroger la présence du lecteur futur/potentiel/imaginé, et s’inscrit dans une réflexion sur les créations auctoriale et éditoriale, tout en faisant le lien avec les recherches en cours sur la notion d’atelier.

Ce projet se fondera d’une part sur les quelques archives existantes (archives d’éditeurs du Père Castor, archives des Trois Ourses, archives du Port a jauni ; archives de structures organisatrices de résidences d’auteurs, telles que celles portées par la Région Ile de France) ; et cherchera d’autre part à constituer des matériaux d’analyse à partir d’enquêtes et entretiens avec les auteurs-illustrateurs.

Ce projet est également susceptible de fédérer d’autres chercheurs du CIELAM, notamment par un colloque programmé en 2024 (« Auteurs et directeurs de collection »), ou encore par des travaux sur l’hybridité des textes romanesques et théâtraux (Florence Bernard).