Modernités des Troubadours
Réécritures et traductions
Le Centre Interdisciplinaire d’Etude des Littératures d’Aix-Marseille (CIELAM) organise à Aix-en-Provence du 27 au 29 septembre 2012 un colloque intitulé « Modernités des Troubadours : réécritures et traductions ». L’objectif de ce colloque est de proposer une approche diachronique de l’invention médiévale du trobar dans le cadre des recherches sur la production littéraire, la traduction, le transfert et l’interculturalité autour desquelles se déploient les travaux des chercheurs du centre. Le groupe comparatiste « Transpositions » et les médiévistes du CUER MA, associés à l’axe transversal sur les « Interculturalités littéraires en Méditerranée », proposent de mener une réflexion transversale sur le devenir de la pratique de célébration de la poésie et de l’amour qui a vu le jour dans la littérature d’oc.
Présentation
Dans la Préface d’un célèbre ouvrage intitulé La Fleur inverse, Roubaud commence par évoquer une canso de Guillaume IX d’Aquitaine, À la douceur du temps nouveau :
Ab la dolchor del temps nouvel . foillo li bosc e li aucel . chanton chascus en lor lati . segon lo vers del novel chan .
À la douceur du temps nouveau les bois feuillissent les oiseaux chantent chacun en son latin selon les vers du nouveau chant
La chanson qui inaugure la saison du trobar naît au printemps, au moment de l’explosion du chant des oiseaux en Provence. À chacun donc son latin, au gazouillis des oiseaux correspondant le chant des troubadours. C’est, dit Roubaud, la raison pour laquelle, au printemps, nous célébrons la poésie « depuis des siècles dans toutes les langues de l’Europe ». Les mots de la canso associent très matériellement la douceur du chant et du printemps au désir et à l’amour :
La nostr’amor va einassi . com la brancha de l’albespi . qu’est sobre l’arbr’en creman . la nuoit ab la ploi’ez al gel . tro l’endeman que-l sols s’espan . per la fueilla vert el ramel .
La notre amour va ainsi que la branche d’aubépine qui est sur l’arbre en tremblant la nuit dans la pluie et le gel le lendemain le soleil se répand par les feuilles vertes les rameux
Roubaud attire notre attention sur le fait que presque neuf siècles séparent cette canso de nous et qu’il est difficile d’imaginer à quel point celle-ci constitua une nouveauté : « la langue neuve de l’amour parla, en langue romane. […] L’oc, le provençal, l’occitan comme on voudra. Une manière neuve d’être dans la poésie, qui n’est pas celle de la Chanson de Roland, naît alors, en langue provençale ».
L’amour, dit le poète, est une invention du XIIe siècle et ses inventeurs furent les troubadours. Leur invention consiste en une intuition fondatrice selon laquelle « l’amour est inséparable de la poésie, est le moteur de la poésie dans le chant. Les troubadours ont inventé qu’il est un lien indissoluble : celui qui unit l’amour à la poésie ».
La question que notre colloque posera est celle de savoir ce que peut devenir cette correspondance indissoluble lorsque la canso est confrontée à l’épreuve de la transposition dans une culture autre, de la réécriture, de la traduction. Pour envisager plus précisément un tel objectif, les trois parcours de recherche suivants dessinent des pistes et des cadres de réflexion autour desquels les propositions de communication pourront s’articuler :
Lectures des Troubadours
Comment les a-t-on lus au fil des siècles ? Il s’agira d’étudier non seulement la façon dont la lyrique provençale a inspiré une certaine façon de chanter l’amour en Occident, mais d’observer aussi les parcours accomplis par les cansos et les partimens : comment ces productions ont-elles circulé dans l’espace qu’aujourd’hui nous appelons Europe ? Quelles formes poétiques leur sont redevables et en quelle mesure ?
Traduire les Troubadours
Comment l’héritage troubadouresque survit à travers les époques ? À l’aide de quelles traductions ? Et comment traduit-on les Troubadours ? Parvient-on à défaire le lien indissoluble qui tient enveloppés les figures et les thèmes de la lyrique amoureuse avec leurs « mesures » et langues occitanes ? Si oui, au prix de quoi ? S’agit-il d’une transcréation ? Des analyses formelles des traductions seront les bienvenues ainsi que de plus amples analyses sur l’histoire des traductions des œuvres troubadouresques et leur circulation dans l’espace mondial.
Troubadours et modernité
A l’appui des réflexions des poètes de la modernité (comme Ezra Pound, Augusto et Haroldo de Campos, les Oulipiens) nous poserons encore la question de savoir ce qui fait de la modernité l’âge d’or de la lecture, la réécriture et la traduction des troubadours. Nous insisterons sur le lieu inaliénable qui unit la problématique de l’amour et la forme poétique à la fois extrêmement codifiée et inventive des cansos sans laquelle l’amour ne peut être dit. Cette exigence, ces contraintes sont, en effet, d’une certaine manière, à la base des recherches oulipiennes en France, des poèmes concrétistes au Brésil, des innovations d’Ezra Pound, entre autres.
Les propositions de communications doivent être adressées à Francesca Manzari (fmanzari@voila.fr) et à Elodie Burle (heloeb72@aol.com) avant le 14 juillet 2012