Fanny Delgado soutiendra sa thèse de doctorat en pratique et théorie de la création française le 4 octobre 2024 à 14 h 00
La soutenance est publique.
Titre des travaux :
"Regnardiser" le théâtre aujourd'hui : mettre en scène le métaphore
Membres du jury :
Mme Sylvie REQUEMORA |
Professeur des universités |
Directrice de thèse |
M. Guy SPIELMANN |
Full professor |
Rapporteur |
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Mme Dorothée POLANZ |
Full professor |
Rapporteur |
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M. Martial POIRSON |
Professeur des universités |
Président |
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Mme Tiphaine KARSENTI |
Professeur des universités |
Examinateur |
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M. Louis DIEUZAYDE |
Maître de conférences |
Examinateur |
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Mme Aurore EVAIN |
Metteuse en scène |
Examinateur |
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M. Daniel MESGUICH |
Metteur en scène |
Co-directeur de thèse |
Résumé
On a dit que j'étais un écrivain de l'absurde ; il y a des mots comme ça qui courent les rues, c'est un mot à la mode qui ne le sera plus. En tout cas, il est dès maintenant assez vague pour ne plus rien vouloir dire pour tout définir facilement. » Ionesco, Notes et Contre-Notes, Idées, Gallimard.
Selon Michel Puner dans Les théâtres de l'absurde, l'étymologie du mot « absurde » est d'ordre musical : en latin, absurdus (inaudible, sourd) signifie « ce qui n'est pas dans le ton, ce qui est dissonant, discordant » . Le terme appartient plus généralement au registre philosophique et désigne ce qui est contraire aux lois de la logique. L'absurde, c'est ce qui ne s'accorde pas avec la raison, ce qui est incohérent. L'absurde implique un décalage avec la norme et une rupture de sens vis-à-vis du monde. Nous pourrions rapprocher cette notion de « la folie » qui se présente également comme un écart à la norme. Dans Œuvres complètes tome 19, Voltaire affirme « Nous appelons folie, cette maladie des organes du cerveau qui empêche un homme nécessairement de penser et d'agir comme les autres. » Alors que le fou s’oppose à une figure d'altérité qui le considère comme fou, l'homme absurde lui s’oppose au monde dans lequel il ne trouve pas sa place. Le fou tout comme l'homme absurde n'est ni assimilé ni totalement exclu : ils vivent dans un monde dont ils ne comprennent pas le sens, et ils cherchent à connaître leur raison d'être. En effet tout comme affirme Camus dans le mythe de Sisyphe « L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde' (Camus). Camus, athée, pense que la part tragique de l’existence de l’homme est un homme sans dieu : il considère l’absence de divin comme facteur d’explication du monde. L'absence de réponse du monde dans lequel ils sont ancrés provoque un mal-être renforcé par la conscience de la fatalité de la mort. Face à cette angoisse de la mort, nos deux individus opteront pour deux attitudes contradictoires : tandis que l'homme absurde se résignera à embrasser son tragique destin, à l'inverse le fou s'y opposera par une altération violente de la raison et par un comportement délirant placé sous le signe de la mania. Leur point de rencontre est le cri tragique qui apparaît comme la matrice de l'émotion du fou et de l'homme absurde à l'image d'une catharsis collective. Bien que la catharsis était considérée par Aristote dans La poétique comme une purgation des passions limitée à deux formes d’émotions « la terreur et la pitié », d’autres auteurs pensent que la catharsis peut être une « purgation » ou une « purification ». Dans son article « La catharsis purge ou thérapie », Serge Tisseron « dans les cahiers de thérapies explique ces deux fonctions différentes de la catharsis :
La catharsis est alors, selon les auteurs, pensée soit comme une « purgation », soit comme une « purification ». Traduit par « purgation », le mot fait référence à la façon dont l’âme est débarrassée de ses émotions excessives par le spectacle. Au contraire, traduit par « purification », il désigne la façon dont les émotions sont épurées à l’intérieur de l’âme par le moyen du spectacle, comme par une alchimie de séparation du pur et de l’impur. Dans le premier cas, c’est l’âme qui est épurée : c’est la catharsis « dionysiaque ». Dans le second, ce sont les passions seules : c’est la catharsis « apollinienne ».
La catharsis ne se limite plus à deux formes d’émotions mais désigne une pluralité d’émotions comme la cruauté ou la colère qui permettent au spectateur en les observant sur scène de métamorphoser ces passions en capacités vertueuses. La catharsis adopte une fonction moralisatrice collective c’est-à-dire applicable à l’ensemble du public qui assiste au spectacle théâtral. Lorsque le corps subit une agression, le cri reste l'ultime issue de décharge de la souffrance, et le mutisme du monde se transforme en une phonologie du destin : le son devient porteur de sens. Le fou et l'homme absurde ne sont plus dans un monde muet mais sonore où ils peuvent faire entendre leur voix. En ce sens, la mise en scène me paraît pertinente puisqu'elle permet une extériorisation du cri tragique symbole de la condition éclatée de l'homme que le public peut entendre, et en même temps le cri est l'expression immédiate de la saisie d'un temps irréversible, l'aboutissement implacable d'une angoisse, d'une souffrance et d'une vision de la mort. Une interrogation demeure néanmoins : la folie permet-elle d'affranchir l'homme d'un univers hostile réel La catharsis ne se limite plus à deux formes d’émotions mais désigne une pluralité d’émotions comme la cruauté ou la colère qui permettent au spectateur en les observant sur scène de métamorphoser ces passions en capacités vertueuses. La catharsis adopte une fonction moralisatrice collective c’est-à-dire applicable à l’ensemble du public qui assiste au spectacle théâtral. Lorsque le corps subit une agression, le cri reste l'ultime issue de décharge de la souffrance, et le mutisme du monde se transforme en une phonologie du destin : le son devient porteur de sens. Le fou et l'homme absurde ne sont plus dans un monde muet mais sonore où ils peuvent faire entendre leur voix. En ce sens, la mise en scène me paraît pertinente puisqu'elle permet une extériorisation du cri tragique symbole de la condition éclatée de l'homme que le public peut entendre, et en même temps le cri est l'expression immédiate de la saisie d'un temps irréversible, l'aboutissement implacable d'une angoisse, d'une souffrance et d'une vision de la mort. Une interrogation demeure néanmoins : la folie permet-elle d'affranchir l'homme d'un univers hostile réel ou l'asservit-elle à vivre à travers l'illusion (hors de la réalité) ? Il me paraît alors intéressant de mettre en relation la folie avec l'absurde. Pour ce faire, il serait intéressant de mener un projet de réécriture Des Folies amoureuses de Regnard à la manière du théâtre de l'absurde et de la mettre en scène. ou l'asservit-elle à vivre à travers l'illusion (hors de la réalité) ? Il me paraît alors intéressant de mettre en relation la folie avec l'absurde. Pour ce faire, il serait intéressant de mener un projet de réécriture Des Folies amoureuses de Regnard à la manière du théâtre de l'absurde et de la mettre en scène.
II/ Présentation du corpus Les Folies amoureuses de Jean-François Regnard
Les Folies amoureuses sont créées le mardi 15 janvier 1794, et jouées à la Comédie-Française. Elles remportèrent un vif succès auprès du public parisien. La thématique de la déraison fournit comme le précise Regnard « trente Comédie » dont des comédies de Molière telles que L’école des femmes ou L’école des maris ou encore des tragi-comédies comme Les Folies de Cardénio de Tristan L’Hermite. Les Folies amoureuses sont écrites en vers hétérométriques, et elles se composent d’un prologue d’inspiration française, d’une comédie à l’italienne avec un nombre resserré de personnage. La pièce mêle la musique, la chanson, les dialogues et différents lieux permettant de varier les décors. Regnard combine des « morceaux » comiques et est le créateur d’une nouvelle conception dramaturgique : celle de la bigarrure. Les Folies amoureuses narrent l’histoire d’une jeune fille nommée Agathe retenue prisonnière par son tuteur Albert. Obsédé par sa jalousie et terrifié à l’idée de voir s’enfuir l’adolescente dont il s’est violemment épris, Albert entend protéger cette dernière. Pour sortir de son esclavage, Agathe feindra la folie. Le thème principal de la pièce est donc la folie mais aussi la précaution inutile fondée sur le schéma pastoral : Albert aime Agathe qui aime Léandre. Une étude de diverses pièces de l'absurde du 20ème siècle ainsi que des pièces qui ont inspiré Regnard telle que La Finta Pazza, et des mises en scène de Dario Fo telle que Le Médecin Volant seront pertinentes dans le cadre d'une réécriture. Dans son chapitre « Les folies d’Agathe, les folies Regnard » de l’ouvrage Jean-François Regnard (1655-1709) sous la direction de Charles Mazouer et Dominique Quéro, Laurence Sieuzac affirme :
Les Folies amoureuses trouvent leur origine dans la pièce La Finta Pazza (1645), opéra de Francesco Sacrati sur un livret de G. Strozzi. Le topos de « la folle amoureuse » est récurrent dans le répertoire de la commedia dell’arte . La folie y est feinte ou elle est réelle. En effet, soit l’héroïne simule la folie pour échapper à un prétendant encombrant ou à une contrariété insurmontable. Elle sort de scène, puis réapparaît en proie à un délire échevelé, plongeant le spectateur dans un trouble teinté de compassion et d’érotisme.(...) Ce topos de la folle amoureuse croise un autre toposde la commedia dell’arte, la scène de travestissement, morceau de bravoure pour le comédien italien rompu aux lazzi et aux burle.
Si Regnard s’est inspiré d’un opéra pour écrire Les Folies amoureuses c’est parce que la musique est intrinsèquement liée à la folie et au théâtre. L’espace scénique est un espace sonore : La polyphonie des voix et des instruments symbolise un aspect insaisissable de transe musicale que les mots ne peuvent décrire et que le fou incarne. L’origine du terme « parodia » provient du grec et signifie « un chant à côté », un chant d’imitation bouffonne.
Composer une musique est une manière de créer un monde sonore et sensible. La lecture d’un texte de théâtre permet d’entrer dans le sens de la scène et la prosodie de déterminer une rythmique, de choisir des coupes ou des répétitions de mots. Dire un texte c’est appréhender une première forme de chant, de réfléchir sur le timbre de voix ou sur la potentialité d’un chœur à l’image d’un orchestre symphonique du monde. La musique moderne se réfère davantage aux sons électroniques produits depuis un clavier. Les écrans et les haut-parleurs saturent notre espace sonore et visuel ; nous n’avons plus accès au théâtre sous une forme directe, linéaire mais sous forme diffractée. Différentes formes d’arts entrent en conversation.
Regnard s’est inspiré du topos de la « folle amoureuse » présent dans la Commedia dell’arte
qui est une comédie italienne populaire apparue au 16ème siècle et qui est basée sur le principe de l’effet all’improviso : le comédien met en avant sa virtuosité et improvise à partir de techniques apprises, consignées dans le cento. Marie-Claude Hubert dans « Le théâtre » explique en quoi consiste le cento
Dans ces cahiers, qui constituent un fonds collectif, sont répertoriées, sous forme de canevas sommairement agencés, de nombreuses intrigues, la plupart dérivées du théâtre latin. On y trouve des tirades entières, voire des scène types (la déclaration d’amour, la tentative de suicide, la fourberie du valet etc.) Certains lazzis y sont consignés-on désigne par là un intermède comique sans rapport avec l’intrigue, mimé et accompagné parfois par un embryon de dialogue.
Perpétuant la vieille tradition latine, La Commedia dell’arte fait de la pantomime un art achevé. Elle met en scène des personnages types dont les corps sont de véritables masques de jeu et deviennent la matérialisation de la démesure. L’origine antérieure de La Commedia dell’arte est la comédie régulière qui débute avec des reppresentazioni. La commedia est en lien avec le carnaval désignant une période de bravement des convenances, de confusion des identités, de liesse et de débordement durant laquelle le fou produit des actes de désir d’enfreindre. Le fou et l’acteur sont semblables : ils concrétisent l’envie instinctive de rejouer en changeant les cartes, de mettre en scène la faille qui se forme entre ce qui est conforme et ce qui devient subversif.
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