Mathilde Morinet soutiendra sa thèse de doctorat en langue et littératures françaises le 17 décembre 2022 à 14 h 30
La soutenance est publique.
Titre des travaux :
Arpenter le monde en esprit fort : les écrits de voyage libertins au XVIIe siècle
Membres du jury :
Mme VÉRONIQUE MAGRI, UNIVERSITE COTE D'AZUR - Nice, présidente du jury
Mme JUDITH SRIBNAI, UNIVERSITE DE MONTREAL (Canada), rapporteure du jury
M. FRÉDÉRIC TINGUELY, UNIVERSITE DE GENEVE (Suisse), rapporteur du jury
M. GRÉGOIRE HOLTZ, UNIVERSITE PARIS SACLAY, membre du jury
Mme ISABELLE LUCIANI, UNIVERSITE D'AIX-MARSEILLE, membre du jury
M. SWANN PARADIS, YORK UNIVERSITY - TORONTO, membre du jury
Mme MARIE-CHRISTINE PIOFFET, UNIVERSITE YORK TORONTO, co-directrice
Mme SYLVIE REQUEMORA GROS, UNIVERSITE D'AIX-MARSEILLE, directrice
Résumé :
L’intérêt de la critique pour l’histoire du colonialisme depuis les années 1970 a suscité de nouvelles recherches sur les représentations des mondes et des peuples extraeuropéens. La littérature de voyage de la Renaissance et de l’Âge classique constitue un corpus privilégié, en ce qu’elle permet d’étudier l’écriture produite par les contacts interculturels lors des premières expéditions et tentatives coloniales. Un certain nombre de chercheurs se sont alors attachés à inventorier, classer et étudier ces textes par aires géographiques , et à mettre en évidence la violence de discours qui visent à altériser ces cultures nouvellement découvertes. D’autres , en tâchant de caractériser ce genre à mi-chemin entre la littérature et le documentaire, ont montré que le réel exotique est toujours perçu au prisme de grilles culturelles, empêchant une pleine compréhension de ce qui est vu. Aucun de ces travaux n’a cependant repéré l’apparition quasi simultanée d’une écriture subversive du voyage qui remet en cause ces préconceptions culturelles. Or, en parallèle des nombreux récits de voyage produits par les marchands, les missionnaires ou les militaires , il existe un ensemble de relations viatiques au statut plus confidentiel, fait de journaux manuscrits, de lettres et de quelques imprimés qui ont été rédigés dans les milieux libertins déniaisés. Certains de ces textes ont fait l’objet d’analyses partielles , d’autres ont échappé à l’attention des chercheurs, mais aucun travail n’a rassemblé un propos sur ces voyageurs et leur discours particulier en un unique lieu, ni n’a tiré les fils de leur mise en réseau. La thèse « Arpenter le monde en esprit fort : les récits de voyage libertins au XVIIe siècle », vise donc à combler ce point aveugle de la critique, en analysant la pratique dissidente du voyage d’« esprits forts » étiquetés comme « libertins » par le fondateur des études sur le libertinage, René Pintard .
Situé à la confluence de l’ethnographie, de la géographie, de la linguistique, de la stylistique, de l’histoire des idées et du livre, mon travail consiste à interroger un corpus de relations de voyage peu parcouru jusqu’ici par la critique, afin de montrer le pouvoir qu’avaient ces textes de questionner les normes, les coutumes, et les ordres cartographiques, réels et symboliques. Il analysera en particulier les textes de voyage de ces érudits (disponibles à Fribourg, voir ci-dessous) fréquentant les académies savantes parisiennes - en particulier le Cabinet des frères Dupuy ou de l’Hôtel Montmor, où évoluent des savants et philosophes nourris de scepticisme, prompts à exercer leur liberté critique et avides d’interroger les structures du réel et des cultures, à l’instar du philosophe Gassendi. Et si les relations de François-Auguste de Thou, Jean-Jacques Bouchard, Balthasar de Monconys, Chapelle et Bachaumont, Dassoucy, François Bernier, Samuel Sorbière et Isaac de La Peyrère présentent une expérience semblable du voyage, c’est qu’ils ont intellectuellement préparé celle-ci au contact des Académies savantes parisiennes qu’ils fréquentaient tous. Je montre que ces textes visent chacun à leur manière à offrir une narration hétérodoxe du voyage. Loin de se contenter d’un relevé des merveilles exotiques, ces érudits exercent une continuelle distanciation critique, cherchant à questionner les fondements de l’orientalisme, à sonder les mystères de la nature ou à réfléchir aux fausses croyances – mise à distance réflexive qui passe toujours par un retour sur soi et sur le cas français, et notamment sur les superstitions populaires et religieuses. Cette expérience nouvelle du voyage, faite de soupçon et de distanciation, se forge tout particulièrement dans la langue, par la pratique continue de l’ironie. Cette dernière opère une incessant travail de sape de toutes les certitudes et de tous les dogmatismes, instaurant un rapport inquiet aux lieux, proposant ainsi une perception alternative de la géographie à l’âge classique, remettant profondément en cause l’européanocentrisme et l’instauration historique, politique, des frontières.
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