- Stylistique des concours
- Stylistique
- Simone de Beauvoir 1908-1986
- Mémoires d'une jeune fille rangée
- Orgueil
- Colère
Résumé :
Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée Commentaire stylistique du passage, p. 19-20, de « Protégée, choyée, amusée » à « que d'incertains rapports » Ce paragraphe, dramatique et drôle, se situe juste après une victoire que la petite Simone remporte sur l'injustice de l'adulte et il sera le prétexte d'un long développement psychologique sur lequel il débouchera. Les quatre pages suivantes tenteront d'expliquer le comportement capricieux que l'extrait va illustrer jusqu'à une tournure qui donne la clé de la psychologie de l'enfant : c'est « l'équivoque de [l]a condition enfantine » (p. 23) 1 que rejette plus ou moins consciemment Simone. Ce passage cherche donc à jeter les bases de la réflexion qui suivra sur la personnalité de la petite fille : « Je crois que [mes rages] s'expliquent » (p.20), asserte l'autobiographe. Beauvoir se doit donc de paraître la plus sincère possible dans l'évocation de ces crises capricieuses qui, dès les premières pages du roman, détruisent l'image rangée que le lecteur a de sa carrière et que le titre annonce, mais comme un vrai-faux programme. Nous verrons que cet extrait apparaît comme l'éthopée de Simone à trois ans et demi au travers d'un récit autobiographique en règles d'épisodes et de saynètes superficiellement anecdotiques qui, avec humour et (auto)dérision, montre, en écorchant le mensonge littéraire et les valeurs bourgeoises, que les crises de l'enfant révèlent déjà le tempérament extrême et insoumis de l'adulte en devenir. Il s'agira d'abord d'étudier les éléments garants de la vérité autobiographique avant d'examiner comment le passage est travaillé non seulement par la subjectivité d'une autobiographe rusée mais encore par un art de conteuse didactique et rhétorique qui joint à l'anecdote exemplaire et l'humour la critique et la raillerie. I. LES GARANTS DE LA VÉRITÉ AUTOBIOGRAPHIQUE I.1. La contextualisation et les effets de réel comme preuves de vérité I.1.A. Une contextualisation opérée par des référents identifiables La précision touchant différents éléments concourt à contextualiser les anecdotes narrées :-précision des toponymes : Divonne-les-Bains (l.6)-dans une incidente marquée par un tiret parenthétique (le tiret fermant est absorbé par le point-virgule, de force supérieure) ; les noms qui font référence à la géographie parisienne et qui établissent une connivence avec le lecteur parisien, supposé connaître les lieux auxquels ils réfèrent : boulevard Raspail (l.9), square Boucicaut (l.10), Luxembourg (l.14) ;-autres précisions : âge de l'enfant (« trois ans et demi », l.4), titre du périodique La Poupée modèle (l.19), sous-titré « journal des petites filles », un périodique bimensuel fondé en 1863 qui préparait les fillettes à leur avenir de « ménagères ». I.1.B. Des détails comme autant d'effets de réel Plusieurs détails produisent des effets de réel :-le GN prune rouge (l.7) (et pour l'espèce et pour la couleur indiquant la variété du fruit) ainsi que le gérondif « en me tendant un bonbon » (l.16) qui est un stéréotype ;-les pâtés au square Boucicaut (l.11) qui tiennent de la scène de genre, scène bourgeoise (l'enfant avec sa nourrice) ;-la relative explicative « que me lisait Louise » donne la parade à un éventuel soupçon du lecteur 1 La numérotation des pages, précédée de « p. », et des lignes entre parenthèses, précédée de « l. », renvoie à l'édition de référence : Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, collection « Folio », 2008 [1958] (abrégé par la suite en MJFR).