- Barbara
- Chanson
- Poétique
Résumé :
C'est drôle de lire une anthologie des chansons de Barbara ; drôle de regarder les textes de celle qui se proclamait dès 1964 « femme qui chante » sans entendre la voix qui les accompagne, qui les porte. Est-ce pour autant une hérésie ? Non, c'est drôle, tout simplement. Et cette bizarrerie devient, une fois consentie, un privilège extraordinaire, pour elle et pour nous. D'abord parce que tout le monde n'aime pas écouter Barbara : avant 64, qu'elle imite la gouaille parisienne ou qu'elle « grandiloquente » en râpant les gutturales, Barbara adopte un phrasé qui peut déplaire et pas seulement à la jeune génération. Après 72, il y a un chuintement dans le grain de voix sur les consonnes sifflantes. Après 81, une raucité, séquelle des crises d'asthme, ne fera, bon an mal an, que s'accentuer jusqu'au dernier récital de Tours en 94. Et que ceux qui ne voudraient pas entendre Barbara puissent la lire, c'est une aubaine. Beaucoup d'écrivains terniraient leur réputation si nous devions les découvrir à travers leur seule récitation. Ensuite parce qu'en changeant de support, les mots changent de valeur, ils jouent imprévisiblement entre eux sans la musique qui les aspire et les teinte, sans la voix qui les accapare et les soude (le contraire est d'ailleurs tout aussi vrai, et les phrases d'un texte théâtral qu'on se contente de lire trouveraient un écho différent lors de la représentation à laquelle on assiste : ce qui compte, c'est donc le passage d'un statut de lecteur à celui d'auditeur ou inversement, et l'attention particulière que ce passage nécessite). Et que ceux qui ont tant de fois écouté et usé les paroles de Barbara puissent les redécouvrir, c'est une seconde chance. Enfin parce que si le papier les glace, ces mots prennent une nouvelle dimension, aux allures de revendication poétique. Notre regard de lecteur pourra les isoler, les ralentir, les épingler avec tout le poids dont les a lestés l'auteur. « Je veux ce mot là, c'est ça et pas autre chose que je veux dire », déclare-t-elle en 1970.