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Auteurs & Autrices :
  • Perez Claude Pierre

Résumé :

Je lis, sous la plume de Gracq, ceci: Puissances de Claudel : je me souviens d'un jour où, tournant le bouton de la radio en quête d'un poste, j'entendis sortir de l'appareil la voix d'une actrice qui disait le passage de l'Échange sur le théâtre, Il y a la scène, et il y a la salle, et ne sachant encore de quoi au juste il retournait car je n'avais pas lu la pièce, je restai complètement coi et stupide, comme un lapin qu'on soulève de terre par les oreilles 1. Je commence avec ce récit : avec le mélange d'amusement, de curiosité, de sympathie et de réserve aussi qu'il suscite, ou peut susciter, chez le lecteur contemporain. Curiosité, parce qu'un événement de ce genre n'est pas si courant. Sympathie, parce que pour des professionnels de la lecture dont les yeux ont couru sur tant de textes indifférents, une telle expérience paraît forcément désirable. Réticence aussi, pourtant : à la puissance (ou surpuissance) qui se marque ici, répond souvent aujourd'hui un mouvement plus ou moins marqué de recul et de retrait. On se méfie souvent aujourd'hui de ces auteurs dont l'autorité réduit au silence le lecteur, le laisse « coi et stupide », fait de lui une proie. Ce qui se produit dans le récit de Gracq, nos théories de la lecture n'en disent d'ordinaire pas grand-chose. Elles ne prêtent aucune attention à ces micro événements, leur « lecteur idéal » ne s'y confronte jamais. Jadis, pourtant, la rhétorique, plus attentive au lecteur ou à l'auditeur empirique, mais aussi la philosophie, ont prêté attention à des phénomènes de ce genre. Elles ont eu un nom pour eux. Ce que rapporte Gracq, elles l'auraient nommé en latin stupor (dans quoi on reconnaît le stupide du fragment cité) et en grec ekplexis. Le grec ekplexis dérive d'un verbe qui s'emploie pour dire l'action de la foudre, frapper. Le dictionnaire Bailly le définit : « étonnement produit pas un coup ». Dans son acception rhétorique, ou poéticienne, il se rencontre chez Aristote, Plutarque, Longin, Plotin, Porphyre... Il désigne alors la fin que le poème veut atteindre, ou encore l'effet de la Beauté. Je cite quelques textes canoniques. Voici d'abord Aristote, Poétique (1460b 25) si des choses impossibles figurent dans le poème, c'est une faute ; mais cette faute est excusable si la fin propre de l'art est atteinte (cette fin a déjà été indiquée) si de cette façon, tel ou tel morceau de l'oeuvre est rendu ἐκπληκτικώτερον, plus saisissant

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