Résumé :
L A JUDÉITÉ, QUI NE SE LAISSE PAS CIRCONSCRIRE par la plu-part des critères religieux, ethniques ou culturels traditionnellement utilisés pour définir les identités, entretient des liens complexes avec la notion de race. Les écrivains français du début du XX e siècle, juifs ou anti-sémites, la pensaient comme l'une de ses formes. Mais le point commun le plus flagrant est certainement le sort qui lui est réservé dans la pensée fran-çaise : comme la race, la judéité a été discréditée au nom de l'universalisme républicain, et ce alors même qu'elle ne suppose pas de critères biologiques contestables. Plus encore, elle semble être souvent délaissée en raison des contradictions internes du concept de « littérature juive » et du risque d'essen-tialisation qui lui est associé. Or les oeuvres de Proust, Cohen, Perec, Gary, Modiano, décisives à plus d'un titre, tiennent aussi leur sens de cette judéité. Il convient donc de se demander ce que ces oeuvres gagnent à être interprétées à travers ce prisme, à partir du moment où l'on a rendu explicite l'ensemble des difficultés précédentes. Car plusieurs éléments forts de ces textes, particu-lièrement innovants au cours du XX e siècle, méritent d'être reliés aux diffé-rentes judéités qui s'y disent pour en mesurer pleinement les enjeux. La judéité, si l'on n'en fait pas une entité globale et unifiée, est en effet un outil herméneutique indispensable pour saisir certains questionnements histo-riques, sociaux, religieux, philosophiques et éthiques, mais, plus surprenant et peut-être plus délicat, pour aborder la question de l'esthétique, tant d'un point de vue générique que formel, ainsi que celle de l'histoire littéraire. Toute étude d'une oeuvre à la lumière de la judéité doit toutefois être consciente que les écrivains ne sont pas assignables à une identité par essence probléma-tique, mais que la part qu'occupe la judéité dans leur oeuvre n'est nullement accessoire. Deux écueils se dressent devant nous : d'une part le risque de réduire, par essentialisme, les auteurs à leur origine, et d'autre part la tentation d'ériger cette identité en clef de lecture unique de leurs oeuvres. Une littérature juive ? Il importe en premier lieu de savoir si l'on peut parler, sans prendre d'infinies précautions, d'une littérature juive française. Car l'idée est fragile, la notion restrictive. Comment pourrait-elle englober des écritures aussi diverses que celles de Cohen, Schwarz-Bart, Wiesel, Perec, Jabès, Cixous ? À moins qu'il faille la limiter à certains thèmes ou à certaines époques. Mais là encore l'hé-© L