- Personnage
- Personne
- Figure
- Scène
- Dispositif
- Historicisation
- Esthétisation
- Sénèque
- David Aubert
- Tacite
- Théodore de Bry
- Juste Lipse
- Rubens
Résumé :
Fait rare pour un philosophe de l’antiquité païenne, Sénèque est continûment lu et représenté iconographiquement du Moyen Âge jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Cette représentation est une construction : construction progressive d’un personnage et révélation, par ce personnage, de l’intériorité et de la posture politique d’une personne. Dans l’enluminure médiévale, Sénèque est un professeur d’université, voire un théologien ; à la fin du Moyen Âge, il quitte la chaire et les bancs de l’école pour le cabinet de l’intellectuel et, face aux puissants, il commence à incarner l’idée d’un magistère possible de l’esprit. Cette transformation s’accompagne d’une historicisation, favorisée par la redécouverte de Tacite en 1470. On veut désormais disposer d’une image authentique de Sénèque : la découverte d’un prétendu buste antique de Sénèque à Rome à la fin du XVIe siècle, son utilisation par Rubens, sollicité par Juste Lipse pour illustrer l’édition des œuvres complètes de Sénèque, fixent la représentation de Sénèque comme statue : statue de révérence, placée dans une niche pour la dévotion du lecteur humaniste et libertin ; mais aussi simple statue, visage hypocrite offert à la moquerie par le courant de la littérature morale anti-humaniste. Cette réduction de l’image à une figure dont Le Brun schématise les traits est en même temps une complexification : le caractère se théâtralise et s’ouvre à une intériorité possible. Parallèlement, l’école italienne popularise le thème de la Mort de Sénèque dans la peinture d’histoire, à partir d’un autre visage de Sénèque, le buste de vieillard de Guido Reni. On constate alors un curieux phénomène de « déport » : les artistes (Giordano, Tiepolo, Battoni) déportent l’attention du spectateur de Sénèque vers l’effet que son suicide produit. La contagion sensible prime sur l’action héroïque : Sénèque s’esthétise. Ce processus trouve son aboutissement avec le Grand Prix de Rome de 1773, dont le sujet imposé était la mort de Sénèque. Le vainqueur, Peyron, comme David son concurrent, partagent leur composition entre Sénèque et Pauline son épouse, en dernier ressort au profit de cette dernière. Sénèque ne sera pour ainsi dire plus représenté après cette date. Un dernier événement doit cependant être mentionné : c’est la publication de la traduction de Sénèque par Lagrange en 1778, et l’Essai que Diderot écrivit à cette occasion. Diderot y théorise l’image de Sénèque comme dispositif analogique qu’il se réserve de promener de site en site, pour penser la politique contemporaine depuis la position impossible de l’intellectuel engagé, qui remplace désormais le conseiller du prince. La construction du personnage de Sénèque aura porté cette transformation décisive.