Résumé :
Tanguy L'Aminot: La présence de la préciosité chez Rousseau et l’influence des précieuses n’ont guère intéressé les spécialistes du philosophe jusqu’à présent. Celui-ci avait pourtant signalé l’importance de ses premières lectures et la place qu’y tenaient les romans précieux. Des sources littéraires communes lient incontestablement Rousseau à ce courant. L’Astrée d’Honoré d’Urfé, Cassandre et Cléopâtre de La Calprenède, et Artamène ou le grand Cyrus de Madeleine de Scudéry ont contribué à sa formation intellectuelle. Mieux, ils en sont l’origine. Rousseau leur doit une raison d’une trempe spéciale et des « notions bizarres et romanesques » de la vie humaine « dont l’expérience et la réflexion » n’ont pu le guérir. La préciosité, associée à cet événement politique du XVIIe siècle, la Fronde, et constitutive de l’imaginaire du jeune Jean-Jacques, est en mesure de nous instruire du passage de la vie de Rousseau – qu’il nous a livrée dans son autobiographie, au système moral ou politique qui en est la métamorphose accomplie. Inversement, les transformations subies par l’imaginaire frondeur et précieux de Rousseau, à l’intérieur de son système, nous imposent de revenir aux textes sources afin d’en apprécier tous les écarts. Engager une recherche intertextuelle sur l’œuvre de Rousseau et le roman précieux, sans prendre acte de la recontextualisation récente de ce dernier, paraît tout aussi périlleux que de s’y restreindre sans égard aux transformations opérées sur lui par l’imaginaire et la politique rousseauistes. Si, comme l’écrit Ernst Cassirer, ce qu’il advient de ces rayons irradiant l’esprit – les idées philosophiques – « dépend du miroir qu’ils rencontrent et qui les réfléchit », rien ne nous interdit de faire également retour, à la source incandescente, « au foyer simple qui rassemble tous les rayons ».