Résumé :
La version de ce texte donnée ici est une version de travail qui ne correspond pas exactement à la version publiée. Le roman policier fut l'un des rares genres inventé par la modernité littéraire 1 , celui qui, de l'aveu de Borges, a « créé un type spécial de lecteurs 2 », suspicieux et affairé, un double de l'enquêteur. Si ce genre a nourri tout un pan de la création du XX e au XXI e siècle, ce n'est pas seulement en raison du suspens et du romanesque qu'il prodigue si facilement. C'est aussi parce qu'il est le genre par excellence où une part essentielle du fonctionnement de la littérature est mise à l'épreuve : l'herméneutique. C'est elle qui est dramatisée, questionnée et, parfois, attaquée. Avec le roman policier, la littérature interroge son propre pouvoir à donner du sens tout comme elle confronte le lecteur à sa capacité à interpréter à la fois le texte et le réel. Au-delà des différentes sous-catégories de polars qu'il est possible de distinguer, on peut repérer trois principales veines dans lesquelles s'engagent les écrivains 3. La première relèverait d'une inspiration proche du roman noir, sérieuse, réaliste et où importent souvent des questions sociales et historiques, telles qu'on peut les rencontrer sous la plume de Didier Daeninckx. De part et d'autre de cette ligne se situent une veine où le polar bascule dans l'inquiétude, l'étrangeté et parfois l'absurde, comme chez Robbe-Grillet, Butor et Paul Auster, et une veine ludique qui emboîte le pas à Queneau, Perec et qu'on retrouverait chez Jacques Roubaud. C'est à cette troisième manière qu'on pourrait rattacher les textes policiers de Jean Echenoz. Chez celui-ci, les gens et les objets ont une propension hors du commun à s'égarer ou s'évaporer. Ces disparitions suscitent des enquêtes et sont l'un des moteurs narratifs privilégiés. Mais un roman policier d'Echenoz se lit à la fois comme un roman policier traditionnel et très différemment 4. Car l'intrigue, bien qu'elle revête les apparences du polar