- Katrina
- Prisonniers
- Dénonciation
- Parole
- Minorités
Résumé :
Témoignages, récits, reportages et fictions n’ont eu de cesse de dénoncer les différents scandales qui ont entaché la gestion de Katrina, l’ouragan qui a frappé La Nouvelle-Orléans fin août 2005. On connaît généralement l’abandon des pauvres et des minorités pris au piège de la montée des eaux dans la ville et l’intervention tardive des forces censées organiser l’évacuation de la cité. Le gouvernement, les élus locaux et les forces de l’ordre ont été mis sur le banc des accusés. Dans cette débâcle, un aspect est moins systématiquement abordé, bien qu’il soit souvent évoqué de façon oblique : le sort des prisonniers durant la catastrophe. C’est à cette dimension que s’attache cet article en étudiant les différentes façons qu’ont trouvé les militants et les artistes pour révéler le scandale : l’abandon des personnes incarcérées sans eau, nourriture, ni soin dans des cellules inondées pendant souvent plusieurs jours. On connaît la célèbre formule de G. Spivak : « The subaltern cannot speak ». On verra qu’effectivement, quelles que soient les formes sollicitées, il est rare que la parole des détenus nous parvienne directement, sans reformatage préalable. Dans le document le plus complet qui enregistre les témoignages tant du personnel pénitentiaire que des détenus – "Abandoned and Abused : Prisoners in the Wake of Hurricane Katrina" (2007), rapport produit par l’American Civil Liberties Union –, la place accordée à la parole de chacun est limitée. Essentiellement illustrative, elle ne laisse guère de possibilité à l’expression personnelle d’une expérience. Si chaque prisonnier se voit attribué au sein du rapport une page où figurent son nom, sa photo et son texte, le discours – produit de réponses à un questionnaire établi préalablement – est uniformisé. Construction chorale plus souple, "Voices from the Storm" (2008) fait entendre le témoignage de treize survivants de Katrina parmi lesquels deux détenus. Les auteurs de l’ouvrage ont eu le souci de retranscrire la parole de chacun, fruit d’enregistrements d’entretiens afin d’élaborer, grâce à leur collecte, une page d’histoire orale. Couronné du Book Award dans la catégorie nonfiction, "Zeitoun" (2009) relève encore d’un autre parti pris. Dans ce récit mené à la troisième personne, Dave Eggers s’attache exclusivement à un individu – Abdulrahman Zeitoun – un Syrien, installé de longue date à la Nouvelle-Orléans, arrêté pendant la catastrophe et incarcéré. Dans ces différentes formes textuelles, que reste-t-il de la présence des êtres, de leur voix, de leur expérience spécifique ? C’est la question qui oriente l'article.