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Résumé :
L’histoire hante les Essais, qu’on la retrouve sous la forme des « histoires » ou anecdotes empruntées aux historiens, moralistes et mémorialistes anciens ou modernes, ou par le biais de ces grands personnages dont Montaigne n’a de cesse de méditer les exploits et les crimes, tels César ou Épaminondas. Pour comprendre cette persistance de l’histoire dans un texte que son auteur présente comme une peinture de lui-même, la critique ramène souvent l’histoire au statut d’étape, étape nécessaire mais qui n’est que préalable, dans un processus qui mène de l’écriture sur les actes d’autrui à l’écriture sur soi. Cette conception suppose l’idée d’un « premier Montaigne » dont l’empreinte serait fossilisée dans les premières « strates » des Essais, et repose sur le constat de la forte présence textuelle de l’histoire dans les plus anciens chapitres, lesquels prennent souvent la forme de « leçons » tirées d’anecdotes historiques. On peut faire remonter ce type d’interprétation à Villey qui, dans sa notice à « De la tristesse », remarquant les nombreux emprunts aux Du Bellay, à Guichardin, aux Annales d’Aquitaine de Bouchet, note qu’« il n’est aucunement question alors de “peinture du moi” ». Il rapproche ce constat de l’expression de Montaigne selon laquelle ses premiers essais « puent un peu à l’estranger ». Or il me semble qu’en ramenant l’histoire à une « première étape » du projet montaignien, on manque deux aspects essentiels de ce projet. D’une part, la formation du jugement : au lieu d’être le moyen de la découverte d’un Moi qui serait « à la limite » du Moi moderne, l’« exercitation » et l’« essai » du jugement me paraissent être tout autant une fin, la peinture de soi prenant pour objet un « Moi » singulièrement mis à distance ; quel est le vrai « centre » des Essais – si tant est qu’il y en ait un –, le Moi « récité » ou le Je qui le récite ? La seule présence de l’histoire et des « vies » d’un bout à l’autre du livre incite à pencher pour la seconde réponse. D’autre part, le lecteur moderne omet souvent le fait que se peindre soi-même, être son propre objet d’étude, implique au XVIe siècle, à une époque où le rapport à soi suppose d’autres évidences, une distinction : celle du propre et de l’étranger, qui n’est rien d’autre que la vieille distinction stoïcienne de ce qui dépend ou ne dépend pas de nous. Une telle distinction n’est pas une simple étape de la définition du Moi ; elle permet de penser les conditions de possibilité de l’action, de comprendre la prise de l’individu sur le monde qui l’entoure.