Résumé :
L’affirmation d’une « culture de l’écrit » à l’époque moderne ne permet pas seulement l’émergence de nouveaux supports de stockage mémoriel, allégeant les dispositifs mnémotechniques complexes hérités de l’antiquité et du Moyen Âge. Elle ouvre aussi toute une part de la population en voie d’alphabétisation, peu concernée jadis par les très complexes « arts de la mémoire », à de nouveaux outils cognitifs, utilisant l’espace graphique de la page à la fois comme support textuel et comme support visuel, relayant sans doute des pratiques mal connues de la mémoire orale tout en s’appropriant de manière empiriques de nouvelles stratégies mémorielles, pour construire des lieux de mémoire qui sont aussi des répertoires de signification et d’action. L’exemple de deux femmes provençales issues d’une famille réformée, dont les destins bifurquent quand l’une s’exile en 1686 pour demeurer fidèle à sa foi tandis que l’autre se convertit au catholicisme et reste au pays, atteste de l’importance de ces nouveaux outils de maîtrise de la mémoire. Sans doute sont-ils médiatisés par des contextes historiquement situés, comme la valeur du témoignage dans la culture réformée. Ils n’en construisent pas moins une forme extériorisée de la mémoire, des schémas mentaux les plus intimes pour arriver à vivre ou à survivre, jusqu’à la formation complexe d’une véritable mémoire collective, avec ses oublis, ses non-dits, ses obsessions. Dans le cas des Brachet-Lafont, pour survivre, là aussi.