LES EXPÉRIENCES PRIVILÉGIÉES DANS À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU ET SES AVANT TEXTES : ÉLÉMENTS DE LA GENÈSE D’UNE ESTHÉTIQUE

Résumé :

Ce travail a pour but d’éclairer la définition de la littérature que propose À la recherche du temps perdu et étudie la genèse des expériences du type de celle de la madeleine présentées par Proust comme le principe de la littérature. L’établissement d’un corpus et d’une dénomination stables permet de subdiviser ces épisodes en trois catégories (réminiscences, impressions obscures et expériences esthétiques) et de limiter la place accordée à la mémoire involontaire. Une approche comparatiste montre que ces épisodes sont des épiphanies littéraires ce qui rend possible une lecture épistémologique de la Recherche. L’étude des brouillons éclaire l’évolution de la pensée de Proust et la naissance de la modernité. Elle révèle, en effet, que Jean Santeuil est un roman sur la vocation fondée sur une vision impersonnelle et extérieure du génie inspirée par Schopenhauer et Schelling. En 1908, au contraire, Proust élabore un roman de la vocation dont le centre est le sujet et développe une critique de l’intelligence qui témoigne de la volonté de rendre l’art autonome par rapport à la pensée spéculative, qu’elle soit positiviste ou idéaliste. Cette évolution permet l’avènement de l’écriture auparavant subordonnée à la philosophie et la naissance des expériences privilégiées qui accompagne celle du roman. C’est à la faveur du travail de traduction de Ruskin que l’écrivain se dégage, en 1905, de l’influence de Schopenhauer et définit le génie comme la restitution de la vision personnelle par le style. Cette conception aboutit en 1909 aux matinées du Contre Sainte-Beuve. Le rapport au monde y est fondé sur l’effacement de la sensation au profit de la perception et sur la saisie de la scène dans son ensemble, le style devient le moyen de restituer l’unité originelle. La pensée de Proust rejoint par là celle des théoriciens de la forme et de Matisse. La genèse des expériences privilégiées raconte ainsi le passage du romantisme à la modernité par l’affirmation du sujet et de l’unité du style.