Il y a dans notre littérature un écrivain qui reste un phénomène à part et dont le récent prix Nobel n'a fait que confirmer la singularité : Patrick Modiano. Ce romancier discret, pudique, à l'écriture tempérée, était pourtant entré en littérature comme on fait un esclandre. Sa plume, il l'avait d'abord mise au service d'un cri. D'un hurlement furieux et ironique : celui d'un texte dément, La Place de l'étoile.
Comme Le Clézio ou comme Annie Ernaux, il avait débuté par ce qui était aussi une sorte d'exorcisme qui l'avait libéré d'un certain nombre de hantises, ou plus exactement d'une forme d'écriture pour dire ces hantises : la révolte, l'indignation, la colère. C'est seulement après cette liquidation qu'une manière tout à fait inédite d'écrire s'est installée pour ne plus le quitter et pour décrire avec constance un certain nombre d'obsessions qu'on a très souvent, et avec raison, rapportées à cette Occupation qu'il n'a pourtant pas vécue.
Malgré cela, Modiano n'a pas écrit de grandes fresques historiques ou sociales, mais surtout de brèves aventures traversées d'incertitude et de vide, où le fantôme de l'Occupation s'inscrit dans un miroitement trouble sans qu'il écrase le récit par son omniprésence. Et c'est cette manière d'écrire qui fait de Modiano un révélateur : il nous permet de ressentir, par contraste, tout ce que l'histoire contemporaine nous a désigné sans parvenir à nous le faire vivre.
Son écriture est celle d'une mémoire médusée qui est le signe d'un deuil inachevé et inachevable.
Présentation du numéro sur le site de la revue Europe.