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Auteurs / Autrices :
Directeur(s) / Directrice(s) de l'ouvrage :
Alexis Nuselovici, Nina Sahraoui
Nbre ou N° pages :
p. 13-28
Editeur :
Presses de Sciences Po
Année :
2022
Revue, Collection, Ouvrage collectif :
Raisons politiques, n°86
Type de production :
Article dans une revue
n° ISBN (ou ISSN) :
9782724637359
Raisons politiques 86

L’étude de la genèse et de l’articulation théorique des notions de crise et de migration, telles qu’elles apparaissent dans les dictionnaires classiques, dans l’Encyclopédie et dans L’Esprit des lois de Montesquieu, révèle quelques surprises. Le migrant a été pensé, non comme l’étranger qui immigre et menace l’autochtone, mais comme la condition même de l’autochtone, dont le peuple a d’abord été migrant. Quant à la crise, ce fut d’abord une notion médicale, désignant l’issue de la maladie, la guérison ou la mort. La crise fait sortir le fluide qui met la santé en péril, alors que nous concevons la crise migratoire comme entrée d’un corps étranger. Nous nous méprenons peut-être aujourd’hui sur la crise parce que nous n’observons pas le bon flux, celui qui, de l’inérieur de notre sysème social et politique, cherche à sortir. Car dès les Lumères, la notion médicale de crise a pris une signification politique : chez Montesquieu, la crise désigne à la fin de L’Esprit des lois le moment où se constitue le régime féodal. Son origine n’a nullement été une translation pacifique des Romains aux Francs, mais bien une invasion et un asservissement. L’ancien régime romain n’a pas été aboli : une hybridation des sysèmes s’est produite. Montesquieu y voit le germe de l’état de droit. Nous sommes, comme Européens, le produit de cette crise migratoire, sans laquelle nos valeurs n’auraient jamais vu le jour.

DOI : 10.3917/rai.086.0013.