Le Colloque d’un juif avec Mahomet est la traduction française, par l’humaniste Blaise de Vigenère (1523-1596), d’un récit court et plaisant dont la première version connue fut composée en latin au XIIe siècle. Comme son titre l’indique, ce petit ouvrage représente une conversation entre deux personnages : d’une part, le prophète Muḥammad ; d’autre part, un rabbin très savant, ici appelé Abdias. Abdias vient vérifier la mission de Muḥammad, en lui posant des questions difficiles, auxquelles le prophète répond avec autant d’exactitude que de patience. D’abord condescendant, Abdias se montre finalement convaincu par les réponses obtenues : inutile de prolonger l’entretien, le voici converti à l’islam.
Le premier intérêt du Colloque d’un juif avec Mahomet tient dans un appel constant à l’imagination, dans la variété insolite des thèmes abordés, dans la vivacité des répliques. Mais il s’agit aussi d’un document historique. Car du Moyen Âge jusqu’à l’âge classique, l’entretien de Muḥammad et d’Abdias, connu aujourd’hui sous le nom de ‘Abdallāh ibn Salām, est cité par les plus célèbres intellectuels européens comme faisant autorité en islam, presque au même titre que le Coran. Et ce n’est pas un hasard si Montesquieu s’en inspire encore pour l’une de ses Lettres persanes.
Sans avoir évidemment la valeur théologique qu’on lui prête en Europe, le texte circule parallèlement en terres musulmanes, de l’Afrique du Nord jusqu’en Asie du Sud-Est, des ḥadīṯ-s d’Al-Būḫārī et de Muslim jusqu’aux limbes de l’époque contemporaine. Aussi est-ce à un grand voyage que nous convie ce petit texte : un voyage autour du monde comme au cœur de notre propre culture et de son rapport à l’islam.