Dès le soir de l’attentat qui a frappé, mercredi 14 janvier, le journal Charlie-Hebdo, un étrange slogan a surgi, bientôt répété par des millions de personnes en France et de par le monde : « Je suis Charlie ». Ce slogan blanc sur noir demande à être interrogé : quel est le statut de ce « je », d’abord invasif, normatif, et puis tant répété, approprié, qu’il prenait une valeur universelle ? Et quelle universalité convoque-t-il ?
La mort introduit un déplacement et opère une universalisation. L’esprit Charlie revient d’entre les morts comme revient le spectre de Marx convoqué par Derrida dans une célèbre conférence prononcée après la chute du mur de Berlin : ce retour pose la question d’un triple héritage qui interpelle toute la communauté universitaire ; héritage de la pensée 68, héritage de la Révolution, héritage des Lumières.
Par ailleurs, si la culture selon Freud a pour fonction de créer un équilibre entre pulsion de vie et pulsion de mort, quel lien critique peut-elle entretenir avec une idéologie qui se place résolument du côté de la seconde ? La Terreur trouve-t-elle son seul soubassement dans un tel positionnement mortifère ? Est-elle radicalement étrangère à la culture que nous convoquons contre elle ? N’y a-t-il pas, aussi, une raison de la Terreur, que la France a convoquée à plusieurs moments de son histoire, et qu’il nous est demandé tout particulièrement aujourd’hui de conjurer ?
Le défi est ainsi de trouver un espace où ces questions puissent être énoncées sans être immédiatement court-circuitées par les préjugés moraux ou politiques, un espace régi par un esprit critique dont l’esprit Charlie représente une modulation, un espace qui ne craigne pas d’interroger non seulement ce qui s’oppose à lui mais même ce qui le nie.