La biographie fascine. Les éditeurs lui consacrent des collections entières, le vieux genre des Vies qui nous vient de Xénophon et de Plutarque produit les best-sellers d’aujourd’hui : reines et princes, hommes de guerre et capitaines d’industrie, cinéastes, chanteurs ou créateurs de mode, banquiers et terroristes, dictateurs et martyrs constituent une galerie colorée de figures scintillantes offrant aux regards concupiscents des lecteurs avides leurs destins exemplaires et leurs intimités inaccessibles.
Le genre est noble et ignoble tout à la fois. Entre l’exhibition voire l’invention perverse des secrets d’alcove ou des tours joués au fisc et la synthèse documentée de l’historien, la biographie fait œuvre de scandale et œuvre de vérité : elle désigne des mires et elle construit des leurres ; elle se nourrit de la poubelle des rumeurs et des anecdotes colportées par les libelles, les blogs et les magazines et elle exprime le diamant pur des combats de nos héros et de nos anonymes ; elle révèle et elle salit ; elle livre en pâture et elle donne en exemple.
Sans doute faudrait-il retracer une histoire de la fabrique biographique : de la visée exemplaire des Vies parallèles à l’édification des Vies de saints, de la matière épique et chevaleresque à l’historiographie qui s’esquisse dans les recueils de la Renaissance, de la rétrospection mémorialiste à l’invention du roman historique, du poli de la fiction à l’éclat du témoignage et aux tropismes de l’intime, de l’écriture blanche du savant à la monstration du document, la matière biographique ne livre pas volontiers les secrets et les méthodes de son élaboration. Elle revendique sa transparence, sa sincérité, sa vérité : ce qui nous serait donné serait la vie même, sans la couleur, l’épaisseur, la fabrication d’une écriture. Mais qu’est-ce qu’un genre qui ne serait pas écrit ? Peut-on, doit-on faire, à travers lui, l’histoire d’un déni de l’écriture ?