Qu’est-ce qui définit l’Europe ? Un territoire ? Des valeurs communes ? L’Europe dans laquelle nous vivons, que nous pratiquons, est-elle l’héritière de l’utopie européenne des Lumières ? D’emblée, penser l’Europe nous confronte à une série de contradictions : entre Europe rêvée et Europe pratiquée, entre construction économique et partage des cultures, entre migration et identité, entre identité et globalisation, entre austérité et générosité… Et si ces contradictions faisaient précisément la valeur de l’Europe ? L’Europe connaît actuellement une crise, mais aussi une mutation de projet : née, dans sa structure actuelle, de la réconciliation franco-allemande, elle renouait avec le projet de paix perpétuelle imaginé par l’abbé de Saint-Pierre au début du XVIIIe siècle. La paix instaurée durablement au sein de l’Europe depuis 1945 constitue un progrès de civilisation mais, précisément grâce à ce progrès, elle ne propose plus aux nouvelles générations un idéal, un projet de société. Et si le projet consistait justement à penser l’Europe ? Il ne s’agit pas là simplement de régulations techniques, de mise aux normes d’un marché de la concurrence, avec tout ce que cela comporte comme danger d’uniformisation, de monolithisme, d’hyper-contrôle sans garantie démocratique. Il s’agirait plutôt de culture et de civilisation : là encore ces termes nous renvoient à l’histoire longue et à la confrontation, à l’aube du romantisme, d’un modèle allemand de culture (nationale) et d’un modèle français de civilisation (universelle). Le multiculturalisme serait-il la réponse contemporaine à cette divergence, une sorte de solution de compromis et le nouveau modèle identitaire de l’Europe ? D’évidence non, le rejet est quasiment unanime : la culture s’accommode mal d’un multi gris et aseptisé, normé. Autre chose se dessine, qui place l’échange, la communication, la mobilité au cœur d’une forme de vie européenne cultivant l’hétérogène, la variété des langues, la résistance et la singularité de cultures superposées sans être amalgamées. Ce n’est pas une identité européenne qui émerge, mais un sentiment d’appartenance. Et voilà que, de la culture, penser l’Europe fait retour vers le questionnement politique et économique : peut-être est-ce dans cette mobilité, cet échange, ce jeu des comparaisons plutôt que des concurrences, que l’Europe pourra trouver le chemin de sa renaissance comme modèle de société, en assumant ses responsabilités au sein de la mondialisation ? Penser l’Europe, c’est penser cette responsabilité.