L’idée de créer au sein du CIELAM un axe « Critique et théorie » est née à l’occasion de la tenue, en septembre 2014, de l’université d’été La Théorie aujourd’hui (Renewing Theory in an International Frame), organisée par le CIELAM en collaboration avec l’IMéRA, l’EHESS, l’université Viadriana de Francfort sur Oder et New York University.
Trop souvent en effet, on considère que l’étude de la littérature se répartit en l’explicitation d’un contexte (l’histoire littéraire) et l’analyse formelle des contenus (rhétorique et stylistique). On oublie que la notion même de littérature, née entre la France et l’Allemagne au tournant du XVIIIe et du XIXe siècles, est inséparable de l’essor de l’idéalisme allemand, c’est-à-dire d’une pensée philosophique de la totalité (L’Absolu littéraire, 1978), elle-même issue de la critique kantienne et des Lumières conçues comme siècle de la critique (Koselleck, 1979).
[Projet ÆSTHEPOL, labellisé par CRISIS en décembre 2016. Ce projet a donné lieu à un séminaire et fait l'objet de deux dépôts ANR-DFG.]
La littérature, ce n’est donc pas seulement un ensemble de corpus textuels ; c’est aussi une idée, un projet, une ambition de théoriser. Que théorise la littérature ? Et comment le théorise-t-elle ? En quoi la théorisation littéraire diffère-t-elle de la théorisation proprement philosophique, ou scientifique ? Telles sont les questions sur lesquelles travaille l’axe « critique et théorie » du CIELAM.
Le recours à la littérature pour théoriser dans le domaine des sciences humaines est une spécialité française qui a consacré la renommée internationale de nos grands intellectuels de la deuxième moitié du XXe siècle : Foucault, Deleuze, Lyotard, Lacan et Derrida, autour de ce qu’on a appelé la french theory. La littérature n’est pas simplement convoquée pour fournir des exemples, qui serviraient d’emblèmes décoratifs à une recherche portant sur tel ou tel phénomène de société ; il s’agit de penser ces phénomènes avec la littérature, d’utiliser les voies de la littérature pour décrire, modéliser, problématiser les grands enjeux de société contemporains.
Une telle approche, souvent identifiée à la déconstruction qui n’en est pourtant qu’un des avatars, permet de décloisonner les disciplines et, en retour, d’interpréter le texte littéraire avec les outils et les méthodes de la phénoménologie contemporaine, et en tenant compte des questionnements actuels de la physique, de la chimie, de la biologie… Ce travail de recherche est mené en appui du cours de French Theory donné dans le cadre du master LIPS.
Aujourd’hui, alors que le monde bascule dans une crise générale sans précédent dans son histoire, car elle frappe simultanément tous ses territoires, toutes ses populations, toutes ses ressources, mais aussi, plus fondamentalement encore, les valeurs même qui, depuis les Lumières, le constituent comme système global fondé sur des principes universels, il s’agit de repenser ces fondements.
Depuis 2020 les activités de l'axe « Critique et théorie » se sont structurées autour de Derrida, avec l'organisation d'un colloque international en décembre 2021, « Derrida 2021 : Biopolitique et déconstruction » et la publication de deux numéros bilingues français-anglais dans Malice (n°10 et n°13). L'objectif est de constituer un réseau interdisciplinaire européen et international de chercheurs travaillant sur Derrida et la continental philosophy en liaison avec la littérature, les arts et les sciences politiques. Dans ce cadre, une collaboration est prévue avec l'université de Pecs en Hongrie et une collaboration avec l'IRHIM à Lyon pour un colloque « Derrida et le XVIIIe siècle ».