André du Bouchet (1924-2001) compte parmi les poètes les plus marquants de la deuxième moitié du XXe siècle. Il a vécu son enfance sur «fond de rumeur de langues étrangères».Son père, Américain d'origine française, avait passé sa jeunesse en Russie.
Sa mère, française, était la fille d'émigrés juifs russes qui avaient choisi «le pays de la lumière et de la liberté». En juin 1940, la guerre et l'exode furent ressentis par André du Bouchet comme une déchirure, avec le sentiment d'une perte irrémédiable dans l'écroulement d'un monde qu'il commençait tout juste à découvrir du haut de ses quinze ans.
«J'écris pour retrouver une relation perdue», dira-t-il plus tard. L'écriture sera le seul viatique pour endosser sa condition précaire : «pour ne pas rester les mains nues, pour que mon poème serve de route à ce que je ne connais pas». André du Bouchet produit son premier livre en 1946. Si son cheminement ne va pas sans rencontres marquantes avec des poètes de sa génération, des amitiés avec des peintres, il poursuit cependant sa route singulière. Outre ses poèmes, ses traductions - de Mandelstam et de Celan, entre autres -, pendant des années du Bouchet consigne sa recherche dans des carnets qu'il emporte toujours avec lui lorsqu'il marche dans la campagne du Vexin et de la Drôme.
S'il noircit des milliers de pages c'est dans l'espoir de prendre langue avec le monde.
Son expérience devient celle d'un réel qui ne se laisse pas saisir mais sur lequel il est possible de prendre appui. André du Bouchet débarrasse la langue de ses oripeaux et s'avance vers la nudité. Il voudrait «peser sur chaque mot jusqu'à ce qu'il livre son ciel».
Sa poésie agit en aérant la parole : «ce qui aère la parole oblige à en sortir aussi vite qu'on y sera entré», dit-il. Dans un équilibre toujours instable entre dispersion et cohésion, son oeuvre accorde une grande place à la force motrice du vide, à l'espacement qui sépare et relie. Pour André du Bouchet, tout doit rester ouvert : «Je ne voudrais pas que le langage se referme sur moi. Je ne voudrais pas que le langage se referme sur soi.»
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