Le concept de transgression suppose l’existence préalable d’une limite à transgresser. Le terme vient du latin transgressus, participe passé de transgredi signifiant « traverser, franchir » ou, au sens figuré, « dépasser, excéder la mesure ». Sans limite, pas de transgression possible. Cette limite peut être de nature concrète, lorsqu’elle est spatiale ou physique, ou bien de nature abstraite, lorsqu’elle est d’ordre traditionnel, moral, conventionnel ou légal. La transgression implique donc, dans tous les cas, un mouvement vers un au-delà (au-delà d’une limite) et qui dit mouvement dit aussi changement, changement de lieu, changement de perspective ou changement de statut. En cela, la transgression est bien souvent synonyme de progrès, mais pas toujours, car la transgression, en fonction de son objet comme de son but, peut aussi être désastreuse, voire même rétrograde et autodestructrice, lorsque se faisant systématique elle mène à l’anarchie, par exemple. Enfin, la transgression peut aussi être stérile ou n’avoir qu’un effet ponctuel, éphémère. Car la transgression a ceci de particulier qu’elle peut se suffire à elle-même en ce sens qu’elle n’a parfois d’autre but, d’autre motivation, que la simple recherche du plaisir de transgresser. Un plaisir généralement double : celui, intime, de violer un interdit et celui, en réaction, de susciter l’ire ou la surprise de ceux qui s’en tiennent à la limite.
Ce quatrième numéro de la revue Malice aborde diverses formes de transgression par le biais de six contributions originales inspirées de communications données lors du XIIIème colloque annuel de l’Association des Études Françaises et Francophones d’Irlande (ADEFFI) qui s’est tenu les 21 et 22 octobre 2011 à Aix-en-Provence sur le thème « Transgressions » et qui fut organisé en partenariat avec le CIELAM.
Pascal Semonsut ouvre ce numéro en montrant comment la Préhistoire, telle que représentée dans la fiction littéraire de la seconde moitié du XXe siècle, est devenue irrémédiablement associée dans l’inconscient collectif à une période de transgressions par excellence, le processus d’humanisation apparaissant en conséquence et par contraste comme « une longue, mais inexorable, marche à la norme ».
John McCann analyse quant à lui la transgression du sacré dans l’œuvre de Michel Houellebecq et l’émergence d’un nouveau système de valeurs dominé par les lois de la science caractéristique du monde moderne tel que dépeint par le romancier.
La notion éminemment transgressive de sacrilège est à son tour abordée par Nadège Bavoux, mais dans une perspective historique cette fois, à travers une étude sur la dimension symbolique du vêtement liturgique et sur les enjeux de sa profanation.
Dans une quatrième contribution, Morgane Leray nous plonge dans l’imaginaire décadent de la littérature fin-de-siècle tel qu’illustré par la transgression de divers tabous sexuels dans le roman La Tour d’Amour de la sulfureuse Rachilde.
La violation supposée d’un tabou sexuel, celui de l’adultère, est également au cœur de la contribution de Jérôme Devard qui, à partir d’un texte du XIIIème siècle contant la vie de l’enchanteur Merlin, s’interroge sur la valeur documentaire que peut avoir cette œuvre de fiction dans la représentation qui y est faite du traitement judiciaire d’un tel scandale.
Ce numéro se clôt par une étude d’Anna Ledwina sur l’image transgressive de la féminité chez Marguerite Duras, à la fois dans son œuvre, au travers de ses héroïnes subversives, et dans son processus même d’écriture, mêlant érotisme et folie.
Loïc Guyon
Mary Immaculate College,
University of Limerick, Irlande