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Ce numéro sur l’amour-propre fait suite au numéro 1 consacré aux Représentations du plaisir du Moyen Age aux Lumières. Si elle n’a pas été préméditée, la transition d’un sujet à l’autre est la bienvenue, dans le sens d’un approfondissement psychologique. Il est significatif qu’une revue littéraire s’intéresse à l’amour-propre aujourd’hui. Les approches structuraliste, marxiste et freudienne ne permettaient guère une telle approche au XXème siècle. Le structuraliste s’opposait par nature à une question de nature anthropologique. Le marxisme s’accordait avec l’économie politique pour placer l’intérêt au centre tandis que le freudisme revendiquait cette place pour la sexualité. La littérature est sans a priori. Elle permet une lecture fine des conduites humaines au point de concurrencer les sciences humaines sur leur propre terrain.

J’ai pris la liberté d’ouvrir ce numéro par ma propre contribution en raison de son point de vue panoramique. Mon outillage méthodologique emprunte beaucoup à l’oeuvre de Paul Diel qui place le besoin d’estime, peu différent de l’amour-propre, au cœur de sa psycho-analyse : j’ai donc demandé à Cyrille Cahen, psychothérapeute, spécialiste de Paul Diel, de présenter les idées de ce grand penseur méconnu. J’ai adopté ensuite l’ordre chronologique des sujets traités. L’amour-propre a en effet une histoire. Ce n’est qu’au XVIIIème siècle qu’il a reçu son sens moderne, psychologique, pour signifier souci de l’image de soi dans la conscience d’autrui. Jusque là, sous l’influence de Saint Augustin, le signifiant amour-propre, traduction du latin amor sui, rejetait pêle-mêle dans une même réprobation toutes les formes possibles de plaisir et de complaisance envers soi-même. La modernité a réhabilité le plaisir et même l’intérêt.

Si les moralistes classiques, ces psychanalystes du XVIIème siècle, le mettaient au fond de l’inconscient qu’ils nommaient l’inscrutable, l’amour-propre est le grand oublié des sciences humaines modernes, en dépit des efforts de Hegel, de Sartre, de René Girard, de quelque nom qu’ils le nomment. Rousseau pourtant suggérait que c’est lui qui dynamise le besoin matériel comme le désir sexuel et les corrompt. Mais, justement, l’amour-propre est-il aussi maléfique que le veulent Rousseau, et à sa suite Girard, Bourdieu ou Derrida, ces néo-jansénistes ? Paul Diel montre au contraire qu’il existe un bon amour-propre, lequel est même la condition de l’amitié et de l’amour. Le débat est engagé. Qu’en dit la littérature  ?

Bruno Viard