Aller au contenu principal

Résumé

Dans les Euvres de Louise Labé, le topos de la Renaissance qui associe « lettres » et « armes » trouve une réalisation originale. Ce topos est issu de la conjoncture culturelle des années 1520-1550, avec l’idéal courtisan d’un Castiglione. Chez Labé (mais aussi dans son portrait par François de Billon), ce « temps » nouveau, où se marient lettres et armes, autorise une image de soi où le genre féminin, investi de qualités viriles, se fait genus commune. Cet ethos d’une « courtisane » maniant, tel le courtisan de Castiglione, l’épée comme la plume, est au fondement du discours d’expérience labéen. D’où le pari de lire les Euvres, au croisement de ce temps, de cette expérience et de cet ethos, comme des « Mémoires » poétiques où s’affirme la volonté de maîtrise de l’expérience amoureuse, par les commentaires qui l’intellectualisent. En conclusion, la légende de Labé en Amazone est distinguée de l’effet produit par le texte de Labé, où le Je poétique échappe à de telles réductions.

Abstract

In the works of Louise Labé, the Renaissance topos of “letters” and “arms” finds an original realization. This topos stems from the cultural conjuncture of 1520-1550, with the courtier ideal of a Castiglione. In Labé (and also in her portrait by François de Billon), this new “time”, when letters and arms were combined, authorized a self-image in which the feminine gender, invested with virile qualities, became genus commune. This ethos of a “courtesan” wielding both sword and pen, like Castiglione's courtier, is at the heart of Labé's discourse of experience. Hence the wager to read the Euvres, at the crossroads of this time, this experience and this ethos, as poetic “Memoirs” in which the will to master the experience of love, through the commentaries that intellectualize it, is affirmed. In conclusion, Labé's Amazon legend is distinguished from the effect produced by Labé's text, where the poetic I escapes such reductions.

Printer Friendly, PDF & Email

Je propose d’étudier, dans l’œuvre de la Sapho lyonnaise, les liens entre écriture et expérience, à partir d’un topos qui était alors d’introduction récente, mais qui trouve sous la plume de Labé une réalisation singulière : l’association des lettres et des armes1. Celle-ci, née d’une conjoncture culturelle, est aussi constitutive d’un ethos au fondement d’un discours d’expérience ; d’où ma suggestion de lire – sous l’angle du rapport entre ce temps, cette expérience et cette persona d’autrice – les Euvres comme des « Mémoires » poétiques.

Quel « temps » est « venu » ?

L’épître dédicatoire à Clémence de Bourges, bien connue pour ses accents féministes, pose d’emblée, explicitement, une autre question :

Estant le tems venu Madamoiselle, que les severes loix des hommes n’empeschent plus les femmes de s’apliquer aux sciences et disciplines : il me semble que celles qui ont la commodité, doivent employer cette honneste liberté que notre sexe ha autrefois tant desiree, à icelles apprendre : […] Et si quelcune parvient en tel degré, que de pouvoir mettre ses concepcions par escrit, le faire songneusement & non dédaigner la gloire, & s’en parer plutost que de chaines, anneaus, & somptueus habits : lesquels ne pouvons vrayement estimer nostres, que par usage (p. 3/61-62)2.

Cette idée d’un « temps » (enfin) « venu » semble, bien sûr, moins l’expression d’un constat que d’une revendication. Mais quel est ce « temps » ? L’autrice fait-elle référence à une conjoncture particulière, qui l’autoriserait à se mêler des « sciences et disciplines » ?

Si la recherche récente a insisté sur « l’émergence littéraire » des femmes au mitan du XVIe siècle, en particulier à Lyon3 et dans la proche Italie4, je voudrais ici associer cette émergence à un contexte culturel plus large, celui d’une redéfinition des critères de la légitimité auctoriale.

Un cas exemplaire du siècle précédent pourra illustrer ce propos. Dans le prologue de son Livre de fais d’armes et de chevalerie (composé en 1410), Christine de Pizan signale que, en traitant de l’art militaire, elle fait face à deux obstacles. Le premier est que ses lecteurs, évidemment des nobles, ne sont donc pas « clercs », ni « instruis en science de langaige » ; ce qui oblige l’autrice à condescendre à un « plus plain et entendible langaige […] à celle fin que la doctrine […] puist estre à tous clere et entendible5 [intelligible] ». Le second obstacle, c’est qu’elle est femme :

Et pource que c’est chose non acoustumee et hors usage a femme, qui communement ne se sieust entremettre ne més de quenouilles, filaces et choses de mainage, je supplie humblement audit tres hault office et noble estat de chevalerie que, en contemplacion de la saige dame Minerve nee du paÿs de Grece que les Anciens, pour son grand savoir, repputerent deesse, laquelle trouva […] l’art et la maniere de faire le harnois de fer et d’acier, qu’ilz ne vueillent avoir a mal se moy [si moi], femme, me suis chargee de traictier de si faicte matiere, ains [mais plutôt] vueillent ensuivre l’ensengnement de Seneque qui dit : « ne te chault qui dire, mais que les parolles soient bonnes6 ».

Pizan prenait ainsi acte de l’inculture de ses lecteurs nobles, et de l’inexpérience des femmes (donc d’elle-même) en la matière dont ces lecteurs, eux, sont experts. Sa légitimité, elle la tire d’une part de sa capacité à bien dire (le bien faire militaire n’étant pas de son domaine), d’autre part d’un lien originaire, allégorisé par la « dame » Minerve, entre le savoir et la guerre (pas d’art de la guerre sans intelligence de la guerre), qui fait de ce domaine de l’expérience humaine, comme tout autre, un objet digne d’être saisi par l’intelligence qui, elle, n’a ni sexe ni genre – mais que la référence mythologique place habilement du côté du féminin.

Un tel dispositif n’a plus de sens un siècle plus tard. Au « temps » de Labé, l’expérience participe de la légitimité de la parole auctoriale. Le dire ne s’oppose plus au faire : l’idéal humaniste des bonae litterae implique une circulation constante entre toutes « sciences et disciplines7 », tout en prenant en compte leur dimension pratique8. Cette redéfinition des critères de légitimité concerne en particulier, comme on va le voir, les deux ensembles évoqués par Pizan : les nobles et les femmes.

Avant de s’étonner de ce qu’une femme produise des Euvres, il faut donc avoir à l’esprit ce climat intellectuel où des individus et des groupes nouveaux ont pu se consacrer aux lettres. Dans la première moitié du XVIe siècle, il est nouveau que des nobles – et non seulement des femmes – s’intéressent aux « sciences et disciplines ». Cette expression ne signifie pas tant l’activité d’écrire qu’une étude approfondie, sinon érudite, en tout cas supérieure aux pratiques d’écritures ordinaires du loisir aristocratique – François Ier faisait des vers mais on ne peut en faire pour autant un homme « appliqué aux sciences et disciplines ».

Un jalon décisif, à cet égard, fut la diffusion en France du Livre du courtisan de Baldassar Castiglione. L’un des traducteurs de ce texte fut Jacques Colin, lecteur du roi François Ier ; l’ouvrage parut à Lyon en 1537 et 1538. L’idéal du courtisan mariant armes et lettres y fait l’objet d’un débat, sur la préséance des unes ou des autres. C’est l’occasion d’opposer le modèle courtisan, tel qu’il se dessine dans les cours italiennes, au constat de l’ignorance de la noblesse française :

Alors le Conte respondit, Je blasme les Françoys de ce qu’ilz dient que les lettres portent nuysance à la profession des armes, & tiens que à nul soit plus convenable estre litteré, qu’à ung homme de guerre. Et ces deux conditions enchaisnées ensemble, & l’une de l’aultre aydée (chose plus que tresrequise) je veulx qu’elles soient en nostre Courtisan […]9.

Cette injonction eut des effets notables en France, puisque le même reproche aux nobles français se retrouve sous la plume de Colin dans une épître adressée à toute la noblesse, placée en tête de la première édition française de Thucydide. Il y fustige l’ignorance comme une « grant honte » pour les nobles, qu’il exhorte à cultiver les lettres, surtout l’histoire « qui appartient à leur vocation, consistant plus aux charges et maniemens publicques […] que à ung tas de desduictz [plaisirs] inutiles et exercices recreatifz […]10 ».

On voit par la teneur polémique du propos – si sévère pour les nobles, et cela dans un ouvrage favorisé par le roi – que l’étude des « sciences et disciplines », pour la noblesse, était alors loin d’être une évidence. Les nobles devaient se rallier à la nouvelle politique culturelle du roi, sous l’impulsion d’un Budé et de nobles lettrés à l’italienne, comme les frères Jean et Guillaume Du Bellay – ce dernier fut même célébré comme le premier à apporter les lettres à la noblesse française11. Quant à la poésie, c’était précisément une nouveauté, chez les poètes du milieu du XVIe siècle, d’affirmer leur identité nobiliaire – parfois en toute sincérité, comme chez Joachim Du Bellay issu de l’illustre famille déjà citée, mais parfois au prix de brouillages et manœuvres comme chez Ronsard dont le nom apparaît, dans les premières œuvres, sous la forme « Pierre de Ronsard Vendomois », puis, plus tard, sous celle de « Pierre de Ronsard gentilhomme vendomois12 ».

Chez Castiglione, cependant, l’ambition est à la limite de l’utopie, comme le souligne l’un des devisants :

[…] je croy qu’au monde ne soit possible trouver ung vaisseau si grand qui soit capable de toutes les choses que vous voulez que soient dedans le Courtisan. Alors le Conte. attendez [sic] ung peu (dist il) Car il y en a beaucoup d’aultres, qu’ont desir y entrer. […] je ne me contente pas du Courtisan s’il n’est d’avantaige musicien, & si oultre l’entendre, & estre seul au livre, il ne sçai[t] encores jouer de divers instrumens13.

Placée après l’association des armes et des lettres, la musique semble donc le couronnement de la culture courtisane. Et d’associer tout spécialement à cet art les femmes :

[…] Dont les espritz tendres, & delicatz sont facillement penetrez de l’armonie, & rempliz de doulceur, parquoy n’est pas merveille, si au temps passé, & à present elles ont tousjours esté enclinées aux musiciens, & ont tenu cela pour tresagreable repas d’esprit14.

Cette affirmation ne va pas de soi, pas même dans le monde idéalisé du Courtisan, puisqu’elle fait ensuite l’objet d’un débat. L’un des devisants doute que cette activité soit adaptée aux hommes, que la musique pourrait efféminer – à quoi il lui est répliqué que la musique concourt à l’harmonie du monde.

Aussi, dans le contexte culturel de la diffusion en France de cette nouvelle culture de cour, ne faut-il pas prendre à la lettre la modestie de Labé dans son épître à Clémence de Bourges :

Si j’eusse esté tant favorisée des Cieus, que d’avoir l’esprit grand assez pour comprendre ce dont il ha ù envie, je servirois en cet endroit plus d’exemple que d’amonicion, Mais ayant passé partie de ma jeunesse à l’exercice de la Musique, & ce qui m’a resté de temps l’ayant trouvé court pour la rudesse de mon entendement, & ne pouvant de moymesme satisfaire au bon vouloir que je porte à notre sexe, de le voir non seulement en beauté seulement, mais en science & vertu passer ou egaler les hommes : je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames d’eslever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenoilles & fuseaus, & s’employer à faire entendre au monde que si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons nous estre desdaignees pour compagnes tant es affaires domestiques que publiques, de ceus qui gouvernent & se font obeir (p. 4/62).

En introduisant discrètement une nuance d’égalité dans son tableau de la hiérarchie sociale, Labé place certaines femmes d’élite au-dessus du vulgaire, « compagnes » et non sujettes de ceux « qui gouvernent et se font obéir ». En évoquant, sous des dehors de modestie, sa formation musicale, elle semble donc remplir une partie du programme de Castiglione – voici un « courtisan » au féminin, sans acception péjorative –, et même la totalité de ce programme, si l’on veut bien prendre en considération les passages, situés cette fois hors de l’épître, où Labé évoque sa connaissance des lettres mais aussi des armes.

Je reviendrai sur ce point. Remarquons déjà que la façon dont Labé, dans l’épître à Clémence de Bourges, souligne les bienfaits de l’étude des lettres s’inscrit dans la continuité de l’éthique aristocratique de Castiglione :

S’il y ha quelque chose recommandable apres la gloire & l’honneur, le plaisir que l’estude des lettres ha acoutumé donner nous y doit chacune inciter : qui est autre que les autres recreations : desquelles quand on en ha pris tant que l’on veut, on ne se peut vanter d’autre chose, que d’avoir passé le temps. Mais celle de l’estude laisse un contentement de soy, qui nous demeure plus longuement. Car le passé nous resjouit, & sert plus que le present […] (p. 5/63).

Les mots gloire et honneur sont couramment associés à l’exercice des armes, et rien ne permet ici de les associer à une activité proprement féminine – en tout cas, ni à la quenouille ni aux fuseaux ! Labé, cependant, met d’avantage l’accent sur le « contentement », sur le plaisir, qui n’est pas pour autant séparé de l’utilité : au contraire, un plaisir supérieur, plus complet, provient de l’activité intellectuelle qui n’est pas simple « passetemps », mot qui, lui, est d’ordinaire associé au loisir aristocratique, aux « exercices récréatifs » comme le dirait Jacques Colin.

Ainsi, la nouveauté de l’écriture féminine et celle de l’écriture nobiliaire sont toutes deux thématisées dans la littérature des années 1530-1550. Elles sont ainsi rapprochées sous la plume de Guillaume Du Bellay, un fidèle de Marguerite de Navarre, qui, dans le prologue de ses Mémoires, faisant le catalogue des historiens antiques qui ont mêlé l’écriture et la politique, mentionne deux noms de femmes mémorialistes, Agrippine (mère de Néron) et Zénobie (reine de Palmyre, déjà évoquée par Christine de Pizan) pour clore la liste de ces auteurs anciens (qui commençait par Thucydide15 !). Plus intéressant encore, écriture nobiliaire et écriture féminine sont rapprochées dans l’un des premiers ouvrages qui évoque Labé, et qui fut publié peu après les Euvres : le Fort inexpugnable de l’honneur du Sexe Feminin, de François de Billon. La défense des femmes s’y présente dès la page de titre sous l’aspect d’un traité de poliorcétique – l’art militaire des fortifications. Le superbe exemplaire conservé à la BnF fut offert à Catherine de Médicis :

Page de titre (Le fort inexpugnable de l'honneur du sexe féminin, 1555)
François de Billon, op. cit., exemplaire de la BnF, Arsenal, RESERVE4-BL-4390.

L’auteur s’y propose de montrer :

[…] les Femmes estre par nature, autant Capables de toute Invention & Composition que les Hommes : autant qu’eux Magnanimes, Libéralles, Chastes, Dévotes, & en tout vertueuses : Et […] sera besoin (pour trop ne nous confier de noz forces ou preuves) de recourir aux forces durables de la PLUME Maistresse tresantique des Sciences, Pour manifester autrement & myeux, les singuliéres Qualitéz de l’asséz mal congnue Condition femenine16.

L’éloge de la plume, qui devient ici une sorte de divinité agissante, se décline notamment avec l’éloge de ceux qui, aux yeux de Billon, incarnent l’association des armes et des lettres au sein de la noblesse. Ces nobles sont les lieutenants successifs du Piémont – à commencer par Guillaume Du Bellay, déjà cité :

PLUME, à ce propos, qui par la vigueur de ton bec temperé, as à bon droit, rendu regreté par la France le grand Seigneur de Langey [Guillaume Du Bellay], en le faisant plus redoubter de tout un Empyre générallement (luy en sa Chaire, & toy entre ses mains) que n’eüssent peü estre vingt mil autres Chevaliers, comme luy, entre les Arçons bardéz de Cavallerye Françoyse. Considérant sagement par benefice de Letres ce Valureux Lieutenant de Roy en Piémont, que là où premierement n’entre l’Esprit par Science eveillé, n’entrent jamais bien les Armes : Et que là où ne peult bécher la PLUME, à peine y pourra jamais faire trenchée aucun Pyonnier militaire17.

Naguère possession du duc de Savoie, le Piémont fut envahi par François Ier en 1536. Sous sa lieutenance, Guillaume Du Bellay favorisa les lettres et disciplina l’armée ; le Piémont devint alors un refuge pour les persécutés, notamment pour les poètes, tel Marot qui mourut à Turin18. La province fut ainsi le creuset de cette France à l’heure italienne, chérissant lettres et armes, et maniant les deux langues, française et toscane. Enfin, Langey employa à son service de nombreux secrétaires, dont Billon lui-même, qui fait l’éloge de son ancien maître tout au long du Fort, pour mieux valoriser l’importance de sa propre profession. Nouvel exemple d’une refonte des critères de la légitimité auctoriale : si Billon fait l’éloge des femmes et des nobles lettrés, c’est pour faire celui des secrétaires, et montrer ainsi que le mérite ne connaît de borne ni de genre, ni de caste19.

Un vent nouveau soufflait d’Italie, jusqu’à Lyon qui n’était plus ville frontière, mais un point de passage vers la Savoie et le Piémont occupés20. Clémence de Bourges, fille de Claude, général des finances du Piémont, incarne bien cette réalité nouvelle et ce continuum franco-italien, qui ne s’explique donc pas seulement par une forte communauté italienne dans la capitale des Gaules. C’est en tout cas ce continuum, aussi, qui explique la proximité, déjà soulignée, entre les Euvres de 1555 et les recueils contemporains de poétesses italiennes.

L’ethos pré-amoureux : lettres et armes

Revenons maintenant à ce que Billon dit de la « Cordiere », en un passage bien connu où il pardonne aux mœurs de la dame :

Pour myeux amplifier l’Histoire antique de laquelle Cleopatra, ilz s’efforcent souventeffois de l’acoupler à une moderne, par l’exemple de quelque pauvre simplette, ou plus tost de la belle Cordiere de Lyon, en ses safres déduytz [plaisirs lascifs] : sans qu’ilz ayent l’entendement de considerer, que s’il y a chose en sa vie qui puisse estre taxée, les Hommes premierement en sont cause, comme Autheurs de tous maux en toutes Creatures : ny aussi sans povoir compenser en elle, les graces et gentilles perfections qui y sont, à tout le pis [avec le pire] qu’on pourroit estimer de ses autres qualitéz : lesquelles, pour resolution, si mauvaises sont, des Hommes sont procedées : & les autres qui sont louables, des Cieux tant seulement. Et par cela, qui desormais voudra blasmer Femmes de sa robbe, regarde, que de soy mesme il ne forge un blason, veu que les Clercs disent en cas de Femmes, Hic & Haec, Homo. Parquoy, comme lubrique ou autrement vicieux que puisse estre à present le Sexe Masculin, icelle Cordiere se pourra bien dire Homme : mesmement qu’elle sçait dextrement faire tout honneste exercice viril, & par especial aux Armes, voire & aux Lettres, qui la pourront tousjours relever de toute notte que telz Brocardeurs (cy devant assés promenéz) par malice envyeuse se sauroient efforcer de luy donner : ainsi qu’ilz font à toutes, sans exception, de mil autres sornettes si tresapres, que cela bien souvent les en preserve, à faute d’autres meilleurs propos, de s’endormir à la table […]21.

Comme le souligne l’expression voire et (« et même »), les lettres sont une qualité indéniable de celle qui apparaît bien, ici, comme une courtisane, dans l’acception sulfureuse du terme. Le portrait est double : la dame est « lubrique »… comme un homme (et les hommes « en sont cause », la cause première), mais aussi « honnête »… comme un homme, et cela en raison de « graces et perfections » dont la cause réside paradoxalement en elle et non dans l’univers viril ! Cette « honnêteté », du moins pour Billon – qui ne craint pas de dédier son ouvrage à la reine et à plusieurs princesses, et qui bénéficie (comme Labé) d’un privilège royal à son nom – n’a rien de commun avec un vice. Voici la courtisane sauvée par un mérite très… courtisan.

Contrairement à ce qu’allègue Mireille Huchon pour qui la chose est entendue, c’est une « paillarde22 », il est probable que Billon ait en tête la courtisane et l’autrice23. Le privilège du Fort est daté du 9 novembre 1555 et l’achevé d’imprimer du 1er avril « 1555 » ancien style24, soit 1556 avant Pâques (5 avril). La composition de l’ouvrage est souvent tenue pour antérieure, du fait de sa dédicace datée de 1550 ; mais Billon mentionne des événements plus récents, jusqu’au printemps 155525. A-t-il eu vent des Euvres de Labé dont le privilège est du 13 mars, l’achevé d’imprimer et du 12 août 1555 ? Si la défense de la « Cordière » par Billon est de peu antérieure aux Euvres, elle pourrait témoigner d’un début de renom littéraire et, surtout, annoncer leur parution prochaine comme une gloire pouvant à elle seule « relever » la réputation des mœurs de la Cordière ; gloire qui procéderait des armes et des lettres, voire des seules lettres (difficile de savoir si le pronom qui dans « qui la pourront tousjours » renvoie aux unes et aux autres, ou aux lettres exclusivement).

Billon a séjourné en Italie, au Piémont puis à Rome jusqu’en 155526, année où il rentre à Paris, où il s’était déjà rendu en mission deux ans plus tôt27. Il est donc probable qu’il soit passé par Lyon, d’où sa connaissance du milieu littéraire féminin local. Le dernier événement qu’il mentionne, après la chute de Sienne (avril), semble la parution des Prophéties de Nostradamus28 (4 mai), publiées… à Lyon ! Et c’est sans doute surtout sa réputation ambivalente qui l’empêche de mentionner la « Cordiere » quand, plus loin, il évoque des « poetrices » lyonnaises, notamment Jeanne Gaillarde et Pernette Du Guillet. L’évocation de leur talent lui inspire certes, là aussi, une réflexion sur la relativité des repères de genre :

Considerans bien les susdites Damoyselles, que les Ames ne sont ny Masles ny Femelles : Ains que quelquesfois se trouve des Femmes, qui par un zele assidu qu’elles employent aux choses d’Esprit, Si fort se transforment en icelluy, que par l’apparence visible de la diminution de leurs personnes, elles sont jugées si fort Spirituelles, que les Maryz y perdent souvent l’attente de la Curée […]29.

De même la « Damoyselle Anne Tullonne Maconnoyse » est idéalisée pour ses lettres « faites par grace speciale », « outre les infiniz dons de DIEU, qui souz sa douce Humilité merveilleusement s’agrandissent30 ». On voit ce qu’aurait eu d’incongru la mention de la « Cordière » dans ce passage, puisque l’ambiguïté de genre, chez elle, semble d’une autre nature que celle, toute spirituelle, des autres lettrées lyonnaises ; elle implique l’exercice de l’esprit comme du corps, et à en croire l’auteur une lubricité digne (si l’on peut dire) d’un homme.

D’où le jeu de Billon sur cette formule de « clerc » : « Hic et haec homo ». C’est, au sens propre, un cas d’école de la grammaire latine, laquelle considère que le substantif homo ne relève ni du masculin, ni du féminin, mais du genus commune. L’Ars breuiata attribué à Augustin donne le mot homo comme exemple du comune utriusque sexus31 ; les exemples sont légion de l’Antiquité à la Renaissance32. Melanchthon écrit encore :

Quae conveniunt viris ac mulieribus, communis generis sunt :
hic et haec homo

hic et haec pincerna33.
[Ce qui convient aux hommes comme aux femmes, est du genre commun :
ce ou cette personne (littéralement : « celui-ci, ou celle-là [est] homme » au sens d’« être humain »)
cet ou cette échanson.]

Ce qui signifie qu’elle est un homme ; pas au sens de vir, mais au sens d’homo. Allons plus loin : Labé, pour Billon, est un courtisan et non seulement une courtisane, courtisan étant ici non au masculin, mais, si l’on m’y autorise, à ce genus commune si utile à la réflexion de Billon. Courtisane par accident, courtisan par son talent.

Ce n’est plus au surnom de « Cordiere », mais au nom sous lequel elle a voulu se faire connaître34, « Loise Labé », qu’est associé le portrait attribué à Nicolas Denisot, où l’on voit Labé en armure, tenant une épée35. Associée à Mars mais aussi à Vénus (du fait de son ample et blonde chevelure) l’image est aussi rapprochée par M. Huchon de celle de Jeanne d’Arc – et de rappeler que le travestissement fut l’un des principaux chefs d’accusation de son procès36. Il y a, cependant, une nuance entre le déguisement et l’habit, et l’opposition médiévale du féminin et du masculin était une question de dynamique plutôt que d’identité, de faire plutôt que d’être37. Du point de vue de ses défenseurs, Jeanne n’était pas déguisée puisqu’elle faisait la guerre : « Tu scez comment estoit aprise / À porter lances et harnois38 », écrit Martin Le Franc dans son Champion des Dames, écrit en 1440, où l’on trouve une miniature de Jeanne armée – en compagnie d’une autre amazone, biblique celle-ci, Judith (fig. 2).

Judith et Jeanne la Pucelle (Le Champion des Dames, Bnf Fr 12476, F101v)
Le Franc, op. cit., fo 101 vo

L’habit fait parfois le moine, ou le chevalier :

Armes propres habis requierent
Il n’est nul qui ne le sache :
Aultres pour estre en ville affierent,
Aultres pour porter lance ou hache39.

C’est d’ailleurs pour être plus crédible aux yeux des troupes qu’elle fut habillée en homme, selon Machiavel et l’auteur des fameuses Instructions sur le faict de la guerre attribuables à G. Du Bellay et à son entourage40. Billon, de même, souligne la crédibilité de la Cordière dans des domaines pourtant masculins ; il fait, dans le même sens, l’éloge de Jeanne d’Arc41, « guerroyante Amazone42 » mais aussi celui de Minerve dont il fait, comme Pizan, la responsable de « l’invention de l’ordonnance militaire43 ».

Or, à ces images semble correspondre celle de la poétesse – un ethos du genus commune ?

L’élégie 1 s’ouvre apparemment sur le refus de chanter la guerre, pour chanter l’amour. Ce refus semble installer le registre élégiaque :

Au tems qu’Amour, d’hommes & Dieus vainqueur,
Faisoit bruler de sa flamme mon cœur […]
Encore lors je n’avois la puissance
De lamenter ma peine & ma souffrance.
Encor Phebus, ami des Lauriers vers,
N’avoit permis que je fisse des vers :
Mais meintenant que sa fureur divine
Remplit d’ardeur ma hardie poitrine,
Chanter me fait, non les bruians tonnerres
De Jupiter, ou les cruelles guerres,
Dont trouble Mars, quand il veut, l’Univers.
Il m’a donné la lyre, qui les vers
Souloit chanter de l’Amour Lesbienne :
Et à ce coup pleurera de la mienne (p. 100/155-156).

Il s’agit en fait d’une prétérition : une bonne part du reste de l’élégie évoque des guerrières, ce qui suffit à la poétesse pour adopter une tonalité épique, pour décrire ces dames qui, comme Minerve, veulent résister à l’amour, lui préférant les choses de la guerre, mais qui, à l’inverse de Minerve, succombent aux flèches du petit dieu :

Semiramis, Royne tant renommee,
Qui mit en route [déroute] avecques son armee
Les noirs squadrons des Ethiopiens,
Et en montrant louable exemple aus siens
Faisoit couler de son furieus branc [épée]
Des ennemis les plus braves le sang […]
Trouva Amour, qui si fort la pressa,
Qu’armes & loix veincue elle laissa (p. 102/158).

L’amour incestueux pour son fils Ninyas est évoqué en moins de deux vers, puis l’élégiaque se mêle à l’épique, en une série d’interrogations rhétoriques :

Où est ton cœur qui es combaz resonne ?
Qu’est devenu ce fer & cet escu,
Dont tu rendois le plus brave veincu ?
Où as-tu mis la Marciale creste,
Qui obombroit le blond or de ta teste (p. 102/159) ?

Les deux derniers vers offrent un écho frappant avec le portrait attribué à Denisot. Au reste, la reine ici ne pleure pas tant la perte de son indépendance que celle d’un « cœur [courage] viril », fondement d’une identité de genre qui tendait vers le masculin :

T’a pù si tot un faible ennemi rompre ?
Ha pù si tot ton cœur viril corrompre,
Que le plaisir d’armes plus ne te touche :
Mais seulement languis en une couche (p. 103/159) ?

Le scandale n’est pas tant l’inceste que l’altération du Moi : « Ainsi Amour de toy t’a estrangee, / Qu’on te diroit en une autre changee » (ibid.).

Plus originale encore est l’association de Mars et Minerve, dieux des armes et des lettres, dans l’élégie 3, où Labé construit sa figure épique :

Sur mon verd aage en ses laqs il [Amour] me prit,
Lors qu’exerçoi mon corps & mon esprit
En mile & mile euvres ingenieuses,
Qu’en peu de temps me rendit ennuieuses.
Pour bien savoir avec l’esguille peindre
J’usse entrepris la renommee esteindre
De celle là, qui plus docte que sage,
Avec Pallas comparoit son ouvrage.
Qui m’ust vù lors en armes fiere aller,
Porter la lance & bois faire voler,
Le devoir faire en l’estour furieus,
Piquer, volter le cheval glorieus,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Seur de Roger, il m’ust, possible, prise.
Mais quoy ? Amour ne put longuement voir,
Mon cœur n’aymant que Mars & le savoir […] (p. 108-109/170-171).

La puissance d’Amour est décrite par l’image des « lacs », les filets par lesquels il piège celle-là même qui tisse d’ingénieuses toiles. Avec l’allusion à Arachné, c’est à Minerve que sont associés les travaux féminins, pourtant dévalorisés dans l’épître à Clémence de Bourges. La référence à Minerve autorise l’autrice à passer de l’aiguille à l’épée, de l’ingéniosité domestique à la fureur martiale emblématisée par les guerrières rivales du Roland furieux – déjà rapprochées de Sapho et Corinne, les poétesses grecques, par Laura Terracina44.

Mais Labé préfère insister sur son identité guerrière. Le motif du cœur percé de la flèche d’Amour est revisité comme un combat du dieu avec l’autrice-héroïne ; Amour lui lance un défi digne des duels épiques, en raillant Mars qu’elle a choisi de « suivre » :

De me blamer quelquefois du n’as honte,
En te fiant en Mars dont tu fais conte :
Mais meintenant, voy si pour persister
En le suivant me pourras resister (p. 109/171-172).

Cet ethos, lié aux armes et aux lettres, est donc associé, dans la chronologie fictive des Euvres, à une période antérieure à l’innamoramento ; rien d’étonnant, dès lors, s’il disparaît dans les sonnets45, surtout consacrés à la période suivante, le tourment amoureux. L’ethos de maîtrise de soi y réapparaît pourtant quand le Je poétique revient à la tranquillité d’esprit dans le dernier sonnet (24), précédé d’une période de colère au sonnet 23 où la poétesse se dit « outree & de despit & d’ire » (p. 123/207) ; l’idée comme la formule, inusitées dans la poésie masculine, laissent entrevoir le retour de la poétesse amazone et de sa martiale fureur. Ce n’est qu’une étape du parcours du Je, mais ce moment de révolte signale assez la quête de maîtrise qui sous-tend l’ensemble du parcours, apparemment personnel, de la partie versifiée des Euvres.

Et si Amour ne saurait marcher sans Folie, ces vers décrivent l’un et l’autre à partir d’un autre temps, le temps d’après. La fureur amoureuse ne saurait se raconter elle-même : l’élégie 1 souligne qu’Amour, par les peines qu’il engendre, entrave la parole poétique qui ne peut naître que d’une autre fureur. Et c’est l’inspiration d’Apollon-Phébus qui favorise l’écriture : « Mais meintenant que sa fureur divine / Remplit d’ardeur ma hardie poitrine, / Chanter me fait » (p. 100/155). Le passage à un nouveau « temps » permet d’écrire le temps d’aimer, d’en faire plus qu’un poème – des « Euvres ». Les étapes de l’expérience figurées dans le recueil sont donc capitales pour comprendre les métamorphoses de l’ethos poétique.

Mémoires de Labé : de l’expérience personnelle au plaisir social

Je proposerai enfin de lire l’ensemble du discours amoureux labéen, que M. Clément et M. Jourde décrivent comme un « journal des émotions46 », comme des Mémoires amoureux où l’expérience de l’amour passe au premier plan, en dépit des multiples modèles que l’autrice suit et imite. La question n’est pas ici de savoir s’il s’agit d’une expérience authentique ou si l’autrice est sincère47, mais d’analyser la façon dont elle affiche son discours comme un discours d’expérience, agencé selon un déroulement qui n’est pas en tout point linéaire mais qui suit, globalement, l’ordre chronologique typique des récits historiques.

Il faut d’abord remarquer que l’épître à Clémence de Bourges caractérise l’ensemble des Euvres non comme un monument achevé, mais comme un « euvre rude & mal bâti », ce qui, tout en faisant écho au titre de l’ouvrage (Euvres, au pluriel), dément ce même titre, d’une nouveauté encore audacieuse en France depuis Marot, même si publier des Opere est alors « déjà usuel48 » en Italie. Une telle stratégie rhétorique est bien entendu courante, mais, sous cette forme, elle évoque aussi la pratique d’écriture des mémorialistes : ainsi dans leurs prologues, Commynes49 ou Guillaume Du Bellay présentent leurs Mémoires comme des brouillons d’histoire : Du Bellay prétendait n’avoir fait « qu’esbaucher la pierre ou le boys », disant espérer que d’autres écrivent, mieux que lui, sur le même sujet50. En écho, son parent Joachim Du Bellay évoquera ses propres Regrets comme mal ou trop peu « peign[és] », n’étant que « papiers journaux » ou « commentaires » (comme les Commentaires de César51). Noble, ou femme : toute personne qui ne consacre à l’écriture qu’une partie de son loisir (et non toute sa vie comme les doctes) était encore tenue à une certaine réserve.

Dans la même épître, Labé semble rapprocher sa pratique de celle d’un mémorialiste, en soulignant le caractère double de l’écriture de l’expérience52 : d’une part celle qui naît de l’expérience même (les commentaria au sens étymologique, brouillons ou notes, aide-mémoire), d’autre part celle qui naît de la reprise de ces notes à une date ultérieure (le commentaire au sens moderne du terme) :

Mais quand il avient que mettons par escrit nos concepcions, combien que puis apres nostre cerveau coure par une infinité d’afaires & incessamment remue, si est ce que long tems apres reprenans nos escrits, nous revenons au mesme point, & à la mesme disposicion où nous estions. Lors nous redouble notre aise : car nous retrouvons le plaisir passé qu’avons ù ou en la matiere dont escrivions, ou en l’intelligence des sciences où lors estions adonnez. Et outre ce, le jugement que font nos secondes concepcions des premieres, nous rend un singulier contentement (p. 6/63-64).

Ainsi Labé distingue, à la façon des mémorialistes53, un jugement premier et un jugement second, lequel porte non plus sur l’expérience mais sur la façon dont cette expérience a d’abord été vécue et pensée – non sans plaisir, et les tourments amoureux, ici, ne sont pas même évoqués. Ainsi l’intelligence ne semble jamais perdre ses droits, mais au contraire les affirme d’autant mieux avec le temps, à mesure que l’autrice mûrit ses « conceptions ».

Dans le Débat, l’évocation de Pallas-Minerve par Amour souligne, de façon plaisante mais très implicite, la lâcheté d’Amour face à la puissante Minerve :

Regarde au ciel tous les sieges des Dieus, & t’interrogue si quelcun d’entre eus s’est pù eschaper de mes mains. […] Et n’auront honte les Deesses d’en confesser quelque chose. Et ne m’a Pallas espoventé de son bouclier : mais ne l’ay voulu interrompre de ses sutils ouvrages, où jour & nuit elle s’employe (p. 12/71).

Ainsi Minerve est-elle épargnée. Or, tout en affirmant qu’elle n’a pas, elle, été épargnée, la poétesse prouve dans son recueil qu’elle conserve une maîtrise sur l’expérience amoureuse, par l’écriture – quelles qu’aient été par ailleurs les erreurs de ses « jeunesses ». L’épanorthose provocatrice : « si c’est erreur » (élégie 3, p. 108/168), s’explique par son retour à la raison, qui lui permet de voir rétrospectivement ses folies comme une expérience voire comme une application de la dialectique du Debat.

Le Debat fonctionne, lui, comme un discours explicatif, sur les causes, qui permet d’envisager de façon rationnelle les tourments du Je poétique dans les élégies et sonnets. Ils sont rapportés à l’histoire humaine, qui, à la suite d’Érasme, consiste en l’extension de l’empire de la Folie :

Vray est qu’au commencement les hommes ne faisoient point de hautes folies, aussi n’avoient ils encores aucuns exemples devant eus. […] Petit à petit ha cru Folie avec le temps (p. 69/122).

Mieux, le Debat met en rapport l’expérience amoureuse apparemment intime de la partie versifiée avec l’expérience commune. Les devisants, en particulier dans le Discours V qui oppose Apollon à Mercure, ne ressemblent pas tant à des dieux qu’à des lettrés tenant de beaux propos d’amour et, surtout, faisant part de leur connaissance du monde – ici des femmes amoureuses qui « ferment la porte à raison » :

Elles laissent leurs ocupations muliebres [féminines]. Au lieu de filer, coudre, besongner au point, leur estude est se bien parer, promener es Eglises, festes, & banquets […] Elles prennent la plume & le lut en main : escrivent & chantent leurs passions : & en fin croit tant cette rage, qu’elles abandonnent quelque fois pere, mere, maris, enfans, & se retirent où est leur cœur (p. 89/140-141).

On voit que l’écriture est ici liée chez ces dames à la fureur amoureuse, alors que Labé associe au contraire, dans l’élégie 1, son écriture à une autre fureur, le temps d’amour étant surtout évoqué au passé. Il n’y a pas contradiction si l’on veut admettre que Labé se met au-dessus du commun des mortelles, d’autant qu’avant même d’être éprise elle ne se cantonnait pas aux « ocupations muliebres ».

Discours d’expérience, le « débat » s’éloigne alors de son contexte mythologique et dénonce sa propre fiction, où les dieux évoquent moins ceux d’Homère que les devisants de l’Heptaméron :

Je voy souventefois une femme, laquelle n’a trouvé la solitude & prison d’environ sept ans longue, estant avec la personne qu’elle aymoit. […] J’en ay connu une autre, laquelle absente [éloignée] de son ami, n’alloit jamais dehors qu’acompagnee de quelcun des amis & domestiques de son bien aymé […] (p. 89-90/141).

Est-ce Mercure qui témoigne ici ? Dans le même sens, l’expérience est présentée dans l’élégie 1 comme celle, vécue, de la poétesse :

Telle j’ay vù qui avoit en jeunesse
Blamé Amour : apres en sa vieillesse
Bruler d’ardeur […] (p. 103/160).

Dans les sonnets, le constat de la puissance d’amour au sonnet 1, en italien, est contrebalancé par la présence d’Ulysse. Or si Ulysse ne saurait échapper à Amour, il est aussi le protégé de Minerve, celui qui, après des années d’errances (c’est un des sens du mot « erreurs » à la Renaissance), revient d’où il est parti. Sa présence à l’ouverture des sonnets annonce donc l’aboutissement de l’odyssée amoureuse, décrit dans le dernier sonnet (24) par les trois mots « j’ay aimé », et par l’évocation des peines endurées, résumant les sonnets précédents : « mile torches ardentes, / Mile travaus [souffrances], mile douleurs mordentes ». L’image associe les topoi pétrarquistes aux topoi chrétiens des peines infernales : voici, comme Ulysse, la poétesse revenue des enfers.

Le sonnet 1, au reste, est immédiatement mis à distance par le fameux commentaire ironique du sonnet 2, « Tant de flambeaus pour ardre une femelle ». Et si l’abandon du Moi à la passion est décrit dans les sonnets suivants, le mouvement du poème consiste le plus souvent en un mouvement de recul critique et/ou d’élargissement du propos54. C’est très net dans le sonnet 4, qui rejoue l’innamoramento des élégies dans le huitain (au passé) avant de proposer dans le sizain une réflexion plus générale (au présent) sous forme d’épiphonème ; le je devient alors un nous indifféremment masculin ou féminin :

Depuis qu’Amour cruel empoisonna
          Premierement de son feu ma poitrine
          Tousjours brulay de sa fureur divine
          Qui un seul jour mon cœur n’abandonna.
Quelque travail, dont assez me donna,
          Quelque menasse & procheine ruïne :
          Quelque penser de mort qui tout termine,
          De rien mon cœur ardent ne s’estonna.
Tant plus qu’Amour nous vient fort assaillir,
          Plus il nous fait nos forces recueillir,
          Et tousjours frais en ses combats fait estre :
Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,
          Cil qui les Dieus & les hommes mesprise :
          Mais pour plus fort contre les fors paroitre (p. 113/182).

Le passé simple situe la fureur amoureuse dans une période révolue, hors du présent de l’énonciation, à l’inverse de ce qui se passe dans d’autres poèmes pétrarquistes – ainsi chez Ronsard, dans les Amours de 1553 : « L’an est passé, et l’autre commence ores, / Où je me vois plus que devant encores / Pris dans leurs rets55 » (ici les cheveux de la Dame). En outre, le point de bascule du sonnet 4, à la fin du huitain, réside dans l’évocation d’une lucidité maintenue jusque dans la folie : tout « ardent » (brûlant) que soit son cœur, « de rien ne s’estonna ».

On retrouve donc dans les sonnets le thème de l’observation, mais qui porte essentiellement, à l’inverse de ce qui se passe dans le Debat, sur une expérience présentée comme vécue. Ainsi dans le sonnet 17, dont le quatrain final commence ainsi : « Mais j’aperçoy, ayant erré maint tour… » (p. 120/198). Loin de figurer une écriture au fil de l’expérience, le mais signale l’évolution des « premières conceptions » aux « secondes », et la relation complexe qu’entretient le Je poétique avec l’expression spontanée du désir – en particulier dans le sizain, et dans ce sonnet comme dans le suivant (18), c’est le quatrain final, formé par la rime embrassée, qui contient le commentaire réflexif, la « seconde conception » :

          Permets m’Amour penser quelque folie :
Toujours suis mal, vivant discrettement,
          Et ne me puis donner contentement,
          Si hors de moy ne fay quelque saillie (p. 120/200).

Ici même, où l’autrice semble décrire son abandon à « folie », celle-ci est objet du « penser », comme si le refus de vivre avec discernement (c’est le sens de « discrettement ») permettait d’accéder à un autre discernement, né de l’étude de la psyché amoureuse qui ne peut se « contenter » de soi.

On retrouve aussi dans les sonnets le dialogisme du Debat, là encore dans les sizains où l’adresse à un destinataire signale que les réflexions de la poétesse continuent de s’inscrire dans un cadre social, celui de l’honnête conversation sur l’amour, y compris dans le sonnet 15 où le destinataire est mythologique :

          Veus tu Zephir de ton heur me donner,
Et que par toy toute me renouvelle ?
          Fay mon Soleil devers moy retourner,
          Et tu verras s’il ne me rend plus belle (p. 119/196).

Ce dialogisme autorise à la fois la description de l’état amoureux et une prise de distance, comme dans le sonnet 11 où la poétesse s’adresse à son regard puis à son cœur, tout en évoquant la durée de la peine amoureuse : « Tant à vous voir mon cœur s’est arresté » (s’adressant aux « Petits jardins, pleins de fleurs amoureuses »), « Tant j’ay coulé de larmes langoureuses », avant de s’adresser au lecteur : « Or devinez si je suis aise aussi »… (p. 117/190).

Les « Mémoires » de Labé, inséparables et pourtant éloignés du temps qu’ils racontent, présentent ainsi le récit et le commentaire d’une expérience qui est tout à la fois jugée par la poétesse et donnée à juger à un public complice. Le plus souvent, celui-ci semble, du point de vue du genre, mixte ; à ceci près que l’épître liminaire et le sonnet final identifient au contraire un public spécifiquement féminin. Plutôt que de me lancer dans des spéculations sur l’identité sexuelle et/ou genrée de l’autrice (dont l’ethos semble troubler toute identité, et partant toute identification), je propose de voir dans cette distinction de deux publics – un public féminin aux seuils initial et final des Euvres et, entre ces deux bornes, un public indifférencié – une distinction d’enjeux : le Débat, les élégies et les sonnets s’inscrivent dans un art de la conversation honnête, forcément mixte ; l’épître liminaire et le dernier sonnet, en revanche, visent à susciter l’émulation et la réflexion chez toutes « dames », incitant à de futures réalisations littéraires.

 

Difficile de conclure sans évoquer l’étonnant retour des lettres et des armes dans le dernier poème des « Écrits de divers poètes », avec la poétesse en amazone :

Louïze ainsi furieuse
En laissant les habiz mols
Des femmes, & envieuse
De bruit, par les Espaignols
Souvent courut, en grand’ noise,
Et meint assaut leur donna,
Quand la jeunesse Françoise
Parpignan environna.
Là sa force elle desploye,
Là de sa lance elle ploye
Le plus hardi assaillant :
Et brave dessus la celle
Ne demontroit rien en elle
Que d’un chevalier vaillant (p. 155/265-266).

S’ils font écho à ceux de Labé ici commentés, ces vers sont d’une autre portée : ils produisent un effet de réel à l’origine de la légende du « capitaine Loys ». La mention d’un événement historique récent, le siège de Perpignan par le Dauphin, futur Henri II, en 1542, est cependant significative. Selon l’historien Paul Jove (ici cité dans la traduction parue à Lyon la même année que les Euvres de Labé56), le siège traîna, avant d’échouer, parce que l’armée fut lente à s’acheminer (le Dauphin la fit attendre les troupes suisses), mais aussi du fait de besoins plus frivoles :

[…] de sorte qu’il leur vint à grand dommaige d’avoir attendu les Suisses, & […] avoir inutilement sejourné pour depesche de toutes sortes de vivres : comme, selon la coustume des François, on aloyt querir foison de vins & de somptueuses victuailles, jusques à Toulouse & autres païs loingtains, non seulement pour remédier à la faim, voire opulemment, en terre ennemie, ains encores pour apprester festins et banquets57.

Des membres des élites lyonnaises ont pu faire le déplacement avec l’armée. La guerre était alors volontiers considérée comme un spectacle (et les spectacles rejouaient volontiers les guerres, même les plus récentes58) : on s’y précipitait, les uns (la noble « jeunesse Françoise ») pour monter sur la scène, en quête d’exploit ; les autres en spectateurs, pour le « passetemps59 ». Si le portrait de Labé en amazone est un topos, insolite car normalement réservé à des dames de la haute noblesse60, ce micro-récit n’était sans doute pas invraisemblable en son temps.

Une autre anecdote est à signaler. Des dames de Perpignan, imprudemment sorties, furent capturées par les troupes du Dauphin qui en demandèrent une rançon, chose inusitée en ce temps61. Les sources mettent donc l’accent sur la prédation exercée sur les femmes plutôt que sur leur rôle agissant. L’originalité de Labé est d’être associée à une « jeunesse » essentiellement noble et masculine, et de tenir le rôle de « l’assaillant ».

Advenu ou non advenu, comme dirait Montaigne, l’épisode de Labé à Perpignan fait bien écho à l’ethos de la poétesse, d’armes et de lettres. Mais dans ses vers, celle-ci évite précisément de tels effets de réel ou de personnalisation de l’œuvre. Ce qui la singularise, ce ne sont pas des détails autobiographiques (quelle qu’en soit la vérité historique), c’est l’ethos androgyne et odysséen qu’affiche la poétesse, l’art si maîtrisé de ses métamorphoses. Quand Labé haussait ses « Mémoires » à une hauteur de vues fondatrice d’un lyrisme quasi impersonnel – car assumé par un Je incarnant toutes vertus courtisanes – et subversif – car c’est d’une voix féminine qu’il s’exprime62 : haec homo –, ses poètes d’escorte ont, peut-être, contrevenu à son ambition en ramenant la poétesse à un genre moins troublé, à un lieu et un temps plus circonscrits – contrariant, dans leur hommage même, une inspiration plus vaste que la leur.

Hic, et haec poeta.

Notes

1

Pour une autre mise au point très récente sur ce sujet, voir Anne Debrosse, « Louise Labé dans la Querelle des femmes », Le Verger, Bouquet XXVII : Les Œuvres de Louise Labé, 2024 [http://cornucopia16.com/blog/2024/01/02/anne-debrosse-louise-labe-dans-la-querelle-des-femmes/].

2

La double pagination renvoie à l’éd. originale (Euvres de Louïze Labé lionnoize, Lyon, Jean de Tournes, 1555) et à l’éd. au programme (Œuvres, éd. Michèle Clément et Michel Jourde, Paris, Flammarion, 2022). C’est toujours moi qui souligne.

3

Voir Janine Incardona, Michèle Clément, dir., L’Émergence littéraire des femmes à Lyon à la Renaissance : 1520-1560. Actes du colloque international de Lyon (2006), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2008.

4

Voir Adeline Lionetto, « Chanter le désir demeuré désir. Louise Labé sur les traces de Gaspara Stampa », Op. Cit. Revue des littératures et des arts, « Agrégation Lettres 2024 » ; Michèle Clément, « Du nouveau sur l’élégie II de Louise Labé : écrire d’après un modèle latin, français ou italien ? », Le Verger, numéro cité [http://cornucopia16.com/wp-content/uploads/2023/11/Cl%C3%A9ment-version-finale.pdf].

5

Christine de Pizan, Le Livre des fais d’armes et de chevalerie, éd. Lucien Dugaz, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 167.

6

Ibid., p. 167‑168.

7

L’expression se trouve aussi chez Budé : voir Jean Céard, « Philologie, droit et philosophie selon Guillaume Budé », Cahiers du GADGES 4/1, 2006, p. 167‑179, ici p. 175.

8

Voir aussi Lionel Piettre, « Comment devenir “escors et preux”, des sphincters aux oreilles : l’intelligence pratique chez Rabelais », Fabula-LhT 29, 2023 (en ligne).

9

Baldassare Castiglione, Le Courtisan, trad. Jacques Colin et Mellin de Saint-Gelais, Lyon, François Juste, 1538, fo 56 ro et vo.

10

Jacques Colin, « À la tresillustre et tres haulte excellence des princes [...] » [1527], éd. in Lionel Piettre, L’Ombre de Guillaume du Bellay sur la pensée historique de la Renaissance, Genève, Droz, 2022, p. 141‑142.

11

Ceci dès avant sa mort (1543), et avant la publication de ses œuvres historiques après 1556 : voir Piettre, op. cit., passim.

12

Voir Claire Sicard, « D’une noblesse l’autre : stratégies poétiques pour une imposture généalogique, le cas de Ronsard [2010] », Le Marquetis de Claire Sicard, 2021.

13

Castiglione, op. cit., fo 57 ro.

14

Ibid., fo 57 vo.

15

Guillaume Du Bellay, Prologue des Ogdoades, éd. in Piettre,, op. cit., p. 329‑352.

16

François de Billon, Le Fort inexpugnable de l’honneur du sexe féminin, Paris, Jan d’Allier, 1555 [1556], fo 118 ro.

17

Ibid., fo 119 vo. La suite évoque aussi les qualités lettrées de son successeur, le prince de Melphe.

18

Voir Rosanna Gorris Camos, « “Je voys, je viens ça et là tout pensif” : poesia ed eresia nel Piemonte francese », in Susanna Peyronel Rambaldi, dir., Verso la Riforma. Criticare la Chiesa, riformare la Chiesa, Turin, Claudiana, 2019, p. 315‑352.

19

Voir Marianne S. Meijer, François de Billon (1522-1566). Féministe – nationaliste – secrétaire, thèse de doctorat, dir. Richard J. Schoeck, Washington D. C., 1972 [https://petruscamper.com/billon.htm].

20

Voir Alexandre Ruelle, « (Dé)construire un État dans un territoire d’entre-deux. Le Piémont-Savoie et la Lorraine à l’époque moderne », Cahiers Tocqueville des Jeunes Chercheurs vol. 3/1, 2021, p. 22.

21

Billon, op. cit., fo 15 ro.

22

Mireille Huchon, Louise Labé : une créature de papier, Genève, Droz, 2006, p. 129.

23

Voir dans ibid., p. 127, le bref commentaire de M. Huchon à tout ce passage : « Comparée ici à Cléopâtre, comme elle l’était plus haut à la Laïs de Corinthe, la Belle Cordière apparaît comme un type de courtisane française, non méprisable. » Rien sur les armes et les lettres, qualités qui contredisent la thèse d’une distinction entre la « Cordière » et « Labé », depuis écartée du Labérinthe de la même autrice (Genève, Droz, 2019) au profit de la fragile distinction Labbé (courtisane) / Labé (créature de papier). Le passage de Billon y est encore plus vite résumé (p. 30) : il « évoque “la belle Cordiere […]” experte en tout exercice viril, aux armes et aux lettres, mais il renvoie la responsabilité de ses vices aux hommes. » Sic. Et ses vertus ?

24

L’année commençait alors à Pâques (ancien style) ou au 1er janvier (nouveau style).

25

Jeanne d’Albret est citée comme reine de Navarre : l’ouvrage a donc été terminé après le 29 mai 1555. Voir infra ; et M. S. Meijer, op. cit., p. 213 et 25-26.

26

Billon, dans sa préface évoque sa « Forteresse d’Honneur », « en Rome ainsi fundée ». Le privilège dit le livre « fait & composé en Italye ». Voir M. S. Meijer, op. cit., p. 6 : c’est par erreur que Billon passe pour avoir été secrétaire à Rome à la fin des années 1540 de Jean Du Bellay (voire de Guillaume, pourtant mort en 1543 – autre erreur souvent reprise par la critique) ; il ne le mentionne pourtant pas, au contraire de Guillaume qu’il dut servir au Piémont avant sa mort, et de leur cadet Martin. À Rome, il servit les Farnèse. Billon, lié à des réseaux d’espionnage, était sans doute un homme bien renseigné.

27

Voir ibid., notamment p. 204 et annexes p. 247 sqq.

28

Billon, op. cit., fo 154 vo.

29

Billon, op. cit., fo 35 vo.

30

Ibid.

31

Guillaume Bonnet, « Remarques sur le genus commune des noms dans la grammaire latine », Letras Clássicas 11, 2007, p. 91.

32

Bernard Colombat, Jacques Julien et Irène Rosier, « La grammaire latine humaniste : Textes choisis et traduits », Histoire Épistémologie Langage 6/1, 1992, p. 41‑60.

33

Philippi Melanthonis Opera quae supersunt omnia, Brunswick, apud C. A. Schwetschke et filium, 1854, col. 252.

34

La graphie Labé figure bien dans les archives (françaises comme italiennes), en particulier pour les opérations financières menées en son propre nom : voir le site publié par Michèle Clément et Michel Jourde [https://elll1555data.huma-num.fr/publication/un-nom-dautrice-louise-labe/une-vie-documentee].

35

Reprod. dans Œuvres complètes, éd. Mireille Huchon, Paris, Gallimard, 2021, p. 353 ; et en ligne (consulté le 16/01/2024).

36

M. Huchon, Le Labérinthe, op. cit., p. 119‑120.

37

Voir Clovis Maillet, Les Genres fluides : de Jeanne d’Arc aux saintes trans, Paris, Arkhê, 2020.

38

Martin Le Franc, Le Champion des Dames, BnF, ms. fr. 12476, fo 101 vo.

39

Ibid., fo 102 vo.

40

Voir Lionel Piettre, « Guillaume Du Bellay polumètis », L’Année rabelaisienne 6, 2022, p. 373‑392.

41

À la suite de Postel : voir ibid. (j’y discute l’interprétation de M. Huchon, reprise dans son Labérinthe, op. cit., p. 119) ; et M. S. Meijer, op. cit., p. 152 sqq.

42

Billon, op. cit., fo 47 vo.

43

Ibid., fo 24 vo.

44

Laura Terracina, Discours sur le Roland furieux (1549), cité dans Labé, Œuvres, éd. cit., p. 171, n. 1.

45

Sauf dans le sonnet 19 qui rapproche la poétesse non plus de Minerve et Mars mais de Diane, opposant cette fois l’arc et les flèches de la chasseresse à ceux d’un « passant » qui n’est sans doute pas Amour mais l’être aimé – encore une manière singulière de rapprocher l’amour et la guerre.

46

Labé, Œuvres, op. cit., introduction p. 41 ; voir p. 41-47.

47

La comparant à Tebaldeo, M. Clément (« Du nouveau sur l’élégie II », art. cit., p. 9) note que chez Labé « La confusion entre le “Je” lyrique et l’autrice est sciemment entretenue ».

48

Ibid., p. 13.

49

Commynes, Memoires, éd. Denis Sauvage, Paris, Roigny, 1552, fo i : « Et, là ou [sic] je fauldroye, vous trouverez Monseigneur du Bouchage, & autres, qui mieulx vous en scauroyent parler, & le coucher en meilleur language que moy ».

50

G. Du Bellay, Prologue, éd. cit., p. 350. Voir aussi p. 349 : « je me tiendray pour bien satisfait, si par ce mien labeur, j’excite et semons à entreprendre de mesmes ceux qui trop mieux le pourront faire que moy ».

51

Voir Lionel Piettre, « Images enfumées et trophées de Miltiade : la fonction familiale de la poésie de Joachim Du Bellay », in Adeline Lionetto, François Rouget, dir., Joachim Du Bellay, poète bifrons, Genève, Droz, 2023, p. 259‑278.

52

Voir ici la belle analyse d’Adèle Payen de La Garanderie, « Louise Labé et le plaisir d’écrire : une lecture humaniste de l’épître dédicatoire », Op. Cit., numéro cité [https://revues.univ-pau.fr/opcit/index.php?id=765]

53

Voir mes remarques sur « l’histoire-jugement » dans Piettre, op. cit., passim.

54

Je rejoins ici encore A. Payen de La Garanderie, art. cit., § 19, qui invite à « chercher […] les marqueurs stylistiques de ce souci scientifique revendiqué par la poétesse : les pointes (concetti), épiphonèmes et autres clausules dans les sonnets pourraient être lus comme les témoins d’un effort de “conception” intellectuelle de l’autrice, autant que de son libre plaisir créateur ».

55

Ronsard, Les Amours, éd. André Gendre, Paris, LGF, 1993, sonnet 124, p. 165‑166.

56

Paolo Giovio, Le second tome des Histoires, trad. Denis Sauvage, Lyon, Guillaume Roville, 1555. L’épître liminaire du traducteur est datée du 5 juin 1555.

57

Ibid., p. 740.

58

Voir Bruno Méniel, « La bataille comme spectacle, dans les textes du XVIe siècle », in Concetta Cavallini et Philippe Desan, Le Texte en scène. Littérature, théâtre et théâtralité à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 151‑171.

59

Ainsi les « dames de Lorraine et de Guise » admirant les combats de leurs fenêtres chez Martin Du Bellay, Memoires, Paris, L’Huillier, 1569, fo 54 vo.

60

Voir l’éloge de Béatrice de Naples, comparée à Hypsicratia, dans Alessandro Cortesi, Laudes bellicae [c. 1487-1488], v. 935 [http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=Perseus%3Atext%3A2011.01.0405]. Guillaume Rouillé dans son Promptuaires des medalles, vol. 1, Lyon, Rouillé, 1553, p. 148, évoque cette « amie ou […] femme de Mithridates », laquelle « l’acompaigna en ses guerres, habillee en homme : mesme se trouva en bataille pres de luy ».

61

Giovio, op. cit., p. 740. Le roi réprouve cette initiative (p. 743).

62

Voir Michèle Clément, « Les Euvres de Louise Labé : quand le genre dérange », Francofonia 74, 2018, p. 39‑54.

Printer Friendly, PDF & Email