Résumé
Le présent article s'intéresse au rôle que peut jouer la durée dans l'analyse rythmique du vers français. Il propose une approche comparative des vers syllabiques et des vers à l'antique (quantitatifs ou accentuels) dans la perspective d'une scansion rythmique non prescriptive, permettant de comprendre le travail des poètes sur la durée. Il pose la question d'une portée stylistique des oscillations duratives en poésie française à partir d'analyses des trimètres iambiques de Jean‑Antoine de Baïf et des alexandrins de Racine.
En 2009, dans La Fabrique du vers, Guillaume Peureux rappelait avec justesse que la suprématie d'une métrique syllabique en France s'était établie de manière progressive dans l'histoire et qu'une telle métrique, loin de se révéler plus naturelle au français qu'une autre, relevait en réalité d'un choix arbitraire :
(…) la métrique syllabique, en dépit de sa très large domination quantitative dans le corpus de la poésie française, est une métrique possible et non pas nécessaire ou naturelle pour le français, elle relève de choix et de la fixation d'habitudes dont procède sa pérennitéi.
Pour intempestive qu'elle ait pu paraître à un moment où la métrique générative consolidait ses positions théoriques, cette affirmation avait pour force son ouverture – plus précisément cette vitalité féconde qui répondait à sa largesse de vue – et, partant, sa portée inaugurale. Elle élargissait le champ d'exploration des analyses rythmiques françaises en repoussant les frontières du territoire métrique connu pour admettre à l'étude tout un ensemble d'expériences parallèles – quantitatives comme accentuelles – ayant jalonné l'histoire littéraire française et représenté, l'une après l'autre, autant de tentatives hardies pour enrichir le corpus poétique francophone. Or, comme l'avait déjà souligné très tôt Jean‑Louis Backèsii, l'intérêt d'une étude comparative du fonctionnement de ces vers et des vers syllabiques est manifeste : elle permet d'enrichir notre questionnement dans le domaine du rythme (métrique ou non) en renouvelant les interrogations qui y affèrent et en nous engageant à reconsidérer les positions qui pourraient se révéler plus sclérosantes qu'utiles dans notre manière d'appréhender la poésie versifiée. Suivant une approche comparative, il est par exemple possible de repréciser ce qui distingue le rythme métrique des autres rythmes dans ces systèmes diversement contraints, ou encore de mieux saisir la façon dont les poètes, chacun à leur époque, envisageaient et envisagent encore les potentialités phonético‑prosodiques de la langue française, les mettant à profit pour façonner adéquatement les rythmes désirés et les rendre perceptibles au lecteur à mesure que se déploie le poème. Cette perspective comparative permet aussi de poser la question de l'existence d'une portée stylistique du rythme, si l'on considère ce dernier, suivant l'approche d'Henri Meschonnic, comme « l'organisation et la démarche même du sens dans le discoursiii », c'est‑à‑dire comme l'espace de déploiement – et le mouvement de déploiement lui‑même – d'une réelle activité signifiante de la part d'un sujet. Pour H. Meschonnic, le rythme abolit l'aberrante dichotomie entre fond et forme traditionnellement ancrée au cœur du « signe » et jugée paralysante pour l'analyse du discours : à ses yeux, le rythme agit et permet le développement de ce qu'il appelle la « signifiance », c'est‑à‑dire « une sémantique généralisée, fonction de l'ensemble des signifiantsiv » ; le discours, lui, est marqué par la subjectivité et la spécificité du sujet, qui fondent ensemble son historicitév. Cette interrogation sur la portée stylistique du rythme émerge nécessairement d'une analyse comparée des vers à l'antique et des vers syllabiques français. En effet, dans ces types de vers distincts, la portée signifiante du rythme peut se manifester diversement, eu égard aux contraintes différentes qui régissent le rythme métrique.
Dans notre recherchevi, nous avons choisi d'aborder comparativement ces vers en nous intéressant à la notion de durée et en étudiant le rôle que celle-ci pouvait jouer dans le dessin rythmique des vers français. L'étude de la composante durative du vers cristallise en effet de nombreux problèmes en rythmique et invite à poser la question de l'existence d'une portée stylistique du rythme, si l'on compare la place que tient cette composante durative dans les systèmes syllabiques, quantitatifs et accentuels. Quelle portée stylistique peuvent par exemple avoir les allongements vocaliques remarquables d'un même alexandrin de Racine (vraisemblablement ménagés à dessein par le poète dans un contexte dramatique précis grâce à un ensemble de facteurs phonétiques et prosodiques) et les allongements du même type introduits dans un trimètre iambique de Baïf, à l'évidence imposés mécaniquement par le patron métrique ancien aux positions lourdes du vers mesuré ? En un mot, la composante durative « tient-elle le même discours » dans un vers à l'antique et dans un vers syllabique ? Parce qu'elle est contrainte, la composante durative dans le vers à l'antique quantitatif français est-elle pour autant inexpressive ? La notion d'éthos des mètres et des pieds anciens peut‑elle être utile pour aborder ces nouveaux univers rythmiques ? Nous tenterons d'apporter brièvement une première réponse à ces questions.
Une donnée problématique : la durée à l'ère du soupçon
Depuis une quarantaine d'années, à quelques exceptions près, rares sont les analyses de versification française qui ont pris en compte la durée en tant que composante rythmique du vers. Cet état de fait n'a rien de surprenant si l'on considère, en premier lieu, les difficultés posées par sa seule définition. En effet, de quel objet parle‑t‑on, lorsque l’on emploie en poésie le terme de « durée » ? Le problème est plus exactement de savoir à quel niveau celui qui étudie la durée dans le vers français doit se situer : s'agit-il d'appréhender celle-ci à l'échelle des syllabes du vers (en incluant par exemple les phénomènes d'accentuation syllabique, de durée d'émission vocalique et d'articulation consonantique qui fondent le poids phonétique total de la syllabe en termes de phonétique combinatoire) ou bien plus strictement à l'échelle des voyelles, en envisageant par exemple la durée comme un allongement plus ou moins modulable selon l'environnement phonétique dans lequel ces voyelles apparaissent ? Pour certains encore, il peut s'agir de concevoir la durée comme un total temporel, correspondant au déroulement du vers en diction de la première à la dernière syllabe. Certains tenants de la phonétique expérimentale se sont ainsi livrés à de nombreuses additions de durées syllabiques de façon à calculer la « durée moyenne d'un versvii ». Bien entendu, ce qui s'avère là hautement problématique, c'est le procédé méthodique consistant à ne prendre en compte qu'une prononciation donnée d'un vers par un lecteur‑témoin pour l'ériger en une sorte de norme générale ou d'étalon du profil duratif du vers. Ce faisant, on insinue qu'en moyenne le vers se prononce suivant cet étalon. Cette méthode a été fortement critiquée pour la confusion qu'elle entretenait entre le vers en tant qu'entité littéraire graphique et le vers dit, c'est‑à‑dire en réalité non pas le vers, mais une multitude de possibilités de diction de celui-ci. C'est précisément pour éviter ce genre de confusions que Roman Jakobson distingue très explicitement les notions de « modèle de vers » (verse design), d' « exemple de vers » (verse instance) et d' « exemple d'exécution de vers » (delivery instance), représentant respectivement le « schème théorique, abstrait, le mètre », « chaque vers particulier » répondant à ce patron et enfin les « récitations possibles » de chaque « exemple de vers »viii. On le voit, au problème de définition de l' « objet durée » en versification s'articule celui du choix de sa méthode d'appréhension.
En outre, cet abandon du traitement de la durée dans les analyses s'explique par l'histoire de la critique, tant celle touchant au vers syllabique que celle traitant des vers français à l'antique. Dans le cas du vers syllabique, le tournant critique engagé dès le début des années quatre-vingt par l’apparition en France de la méthode d’analyse métricométrique a été décisif. Cette méthode, élaborée puis explicitée par Benoît de Cornulier dès 1979 et prolongée ensuite par les chercheurs du Centre d’Études Métriques de Nantes, notamment Jean‑Michel Gouvard, a eu sur le paysage critique de la versification française un double effet constructif et destructeur. D’une part – et c’est là une avancée décisive – elle a contribué à définir clairement et solidement la notion de mètre en poésie française syllabique, en la distinguant de celle de rythme (sans pour autant nier l’existence de ce dernierix). Dès lors, le rythme du mètre en tant qu'objet positivement et mathématiquement identifiable a exercé une forme de puissant magnétisme sur la critique, au point de polariser presque exclusivement son attention aux dépens d'autres types de rythmes à l'œuvre dans le vers français (rythmes créés entre autres par les diverses coupes, les jeux de retours phonémiques suivis d'effets de ruptures et de reprises, l'introduction d'allongements vocaliques plus ou moins repérables dans le vers et le poème, la mise en place de réseaux lexicaux produisant, à l'échelle des mots, des vers et des strophes, les diverses réverbérations du sens…). Le repérage des éléments constitutifs de ces figures rythmiques, réputé plus délicat, a pâti d'une comparaison redoutable avec celui de la métricométrie, systématique et implacable de rigueur. D'autre part, la critique ferme et approfondie qu'elle a formulée des analyses métriques antérieures du vers syllabique, plus particulièrement de celles qui reposaient sur une interprétation musicale ou accentuelle (proposées par Étienne Souriau ou bien avant par Antonio Scoppa), a eu pour conséquence fâcheuse – bien qu'accidentelle – l'abandon de toute considération pour la composante durative du vers français. Ainsi les analyses rythmiciennes postérieures à l'avènement et au succès de cette méthode ont‑elles répondu par un mutisme critique général à un travail de redéfinition qui, bien qu'il s'avérât depuis longtemps nécessaire, ne concernait à l'origine que la métrique du vers syllabique.
Parallèlement, dans le cas des vers français à l'antique, et particulièrement des vers quantitatifs, ce sont les vives critiques adressées au talent des poètes expérimentateurs comme à leur sensibilité rythmique (le plus souvent jugée inexistante) qui ont conduit à l'évincement de l'élément duratif du champ de l'analyse. Fréquemment présentées avec un certain mépris, les expériences quantitatives françaises ont été comparées à des monstruosités et systématiquement assimilées à des échecs poétiques cuisants. Ainsi Georges Lote affirme-t-il par exemple dans son Histoire du vers français que Jean‑Antoine de Baïf, l'un des auteurs les plus prolifiques de vers mesurés à l'antique au XVIe siècle, n'a « aucune idée de ce que peut et doit être un rythmex », tandis qu'Antoine Thomas introduisait ainsi en 1883 un passage du poème mesuré français de Michel de Botteauville :
Le poème français ne vaut pas davantage [i. e. comparé au poème latin de Botteauville] (…). Nous devons cependant mettre un échantillon sous les yeux du lecteur, ne fût-ce que pour l’amener à nous savoir gré de ne pas en publier davantagexi.
Ces critiques acerbes ont elles aussi porté atteinte au peu de confiance que la notion même de durée inspirait encore à ceux qui entendaient l'étudier en dehors des vers syllabiques. Or, les récentes études très approfondies d'Yves Charles Morin comme d'Olivier Bettensxii sur la prosodie et la versification mesurée de Baïf démentent avec force le commentaire cinglant de G. Lote (qui semble au demeurant s'être penché lui‑même assez modérément sur l'œuvre mesurée de l'auteur pour écrire qu'il composait uniquement des vers mesurés isosyllabiques, ce que ses 1276 hexamètres des Étrénes de poézie ƒranʃoȩze démentent). De même, les scansions et commentaires rythmiques des vers mesurés de Nicolas Rapin par Jean Brunel montrent bien que la maîtrise du rythme quantitatif (certes davantage lié à l'agencement des accents de groupe de mots que dans les vers de Baïf) était pour ce dernier une affaire primordiale, requérant un effort de composition extrêmement méticuleux pour que la cadence semblât indissociable du sens expriméxiii. Ces études détaillées, qui se dégagent des simples et stériles proclamations d'échec littéraire pour replacer le travail de la langue par les poètes au centre de l'analyse, ouvrent une voie nouvelle : c'est en suivant leur trace qu'il est possible de réintégrer la notion de durée dans l'étude rythmique du vers à l'antique comme du vers syllabique. Cette réintégration dans le champ revient à examiner les moyens phonético-prosodiques utilisés par les poètes pour former des quantités et plus précisément « faire les longues » du patron ancien. Par conséquent, dans la perspective comparative citée plus haut, il peut s'avérer intéressant de vérifier concurremment dans les vers syllabiques si les poètes introduisent des effets d'allongements et à quels endroits, si les propriétés phonético-prosodiques qu'ils mobilisent pour y parvenir sont similaires, enfin si ces allongements peuvent assumer une portée stylistique dans un contexte sémantique donné.
Une composante rythmique essentielle mise en valeur par une scansion non prescriptive
L'angle d'approche que nous avons choisi pour étudier les oscillations de durée dans le vers français est rythmique. Dans cette perspective, nous envisageons la durée comme une composante non contrainte du vers, laissée à la libre disposition du poète dans toute sa rythmicité potentielle. Elle se situe ainsi pour nous au cœur d'une prosodie, si l'on entend par prosodie l'orchestration d'une courbe rythmique oscillatoire ménagée dans chaque vers librement et qui repose sur l'enchaînement de syllabes et de voyelles plus ou moins longues faisant contraste entre elles et creusant le rythme duratif du versxiv. Dans le vers syllabique d'une part, les oscillations duratives sont à nos yeux introduites sciemment par le poète à divers moments du déroulement de la parole poétique. Plusieurs outils duratifs sont en effet à sa disposition dans la langue française pour disposer dans le vers ce que nous pourrions appeler des foyers d'allongement potentiel, c'est‑à‑dire des lieux propices à un allongement vocalique appuyé, dont la force de réalisation dépendra des choix interprétatifs du lecteur-diseur (la scansion se situe au niveau de l'exemple de vers jakobsonien mais ses notations envisagent plusieurs exemples d'exécution possibles de ce vers). Nous pensons qu'en amont, le poète crée d'emblée un environnement syntaxique et phonétique incitant le lecteur à s'appesantir sur telle ou telle syllabe du vers, située dans un vocable donné et pouvant le mettre en valeur. Dans le cas des vers à l'antique, qu'ils soient quantitatifs ou accentuels, il s'agit d’analyser grâce à la scansion la nature des foyers d'allongement potentiel, leur nombre et leur disposition dans le vers. Tout porte à croire que leur apparition sera plus régulée, beaucoup plus contrainte que dans un vers syllabique, puisque dans le cas des vers quantitatifs surtout, c'est justement la durée que l'on aspire à élever au rang de donnée métriquexv.
Dans notre travail, nous nous sommes concentrée sur la durée syllabique et particulièrement sur les allongements vocaliques introduits en cours de vers. Qu'il réponde à une métrique syllabique, quantitative ou accentuelle, nous proposons pour chaque vers de notre corpus une scansion non prescriptive qui se décline elle‑même le plus souvent en deux lignes de scansion minimum. Dans une telle scansion, il s'agit en effet non pas de montrer que des allongements doivent être réalisés aux positions marquées d'un macron (–), mais plutôt de signaler ces positions comme concentrant un ensemble de facteurs allongeants remarquables, et d'interroger les liens pouvant exister entre ces oscillations duratives et le sens du propos poétique. L'analyse concomitante des lignes de scansion d'un distique, d'une strophe voire d'un poème entier permet de proposer un commentaire rythmique plus approfondi, rendant plus fidèlement justice au travail phono‑sémantique accompli par le poète. Pour repérer les variations de durée dans le vers, nous nous appuyons sur plusieurs phénomènes linguistiques attestés en françaisxvi : d'un point de vue prosodique, d'une part, l'existence d'un accent de groupe décrit comme duratif par les linguistes, d'autre part, d'un point de vue phonétique, l'existence de voyelles intrinsèquement longues en français et du caractère allongeant de certaines consonnes qui, en entravant la voyelle d'une syllabe accentuée, en augmentent notablement la durée. Enfin, nous signalons lorsque nous prenons en compte le rôle allongeant du e muet post‑tonique dont la diction est maintenue devant consonne hors position finale de vers : l'introduction de cet e atone dans le cours du vers peut participer sensiblement au dessin de sa cadence durative (c'est le phénomène appelé communément « coupe enjambantexvii», coupe très fréquemment utilisée par les poètes conjointement à l'introduction d'une consonne allongeante et créant une impression d'allongement remarquable sur le noyau vocalique de la syllabe accentuée).
Nous entendons donc par allongement le résultat d'une augmentation de la durée initiale d'une syllabe – le plus souvent de sa voyelle – par l'effet d’un accent et/ou d'une entrave allongeante en français et/ou de la présence d'un e muet post-tonique articulé allongeant la voyelle de la syllabe précédente. Plus précisément, la voyelle différenciée par la scansion peut à l'origine être longue par nature (phénomène que nous justifions si besoin du point de vue de la phonétique historique lorsqu'il est rencontré) mais elle peut également, s'il s'agit d'une voyelle nasale, être allongée par tout type de consonne subséquente, ou encore, quelle que soit sa nature, être allongée par la présence d'un e muet post-tonique constituant le noyau vocalique de la syllabe suivante. La durée vocalique est alors considérablement accrue et bien distincte de celle des autres voyelles environnantes dans le vers, ce qui crée un effet d'oscillation durative palpable même en lecture intérieure et contribue à modeler le profil rythmique global du souffle poétique, en lui imprimant une forme de cadence. Nous posons que cette cadence dessine une figure rythmique dans le vers, et ce au même titre que les échos allitératifs ou assonantiques qui peuvent s'y rencontrer, de même que les effets de parallélismes lexicaux. Ces figures multiples se surimposent et interagissent dans le vers ainsi qu'au delà de la limite du vers seul. De fait, très fréquemment, les variations de durée sont soutenues par des retours de timbres sonores notables et des reprises lexicales appuyées (c'est tout particulièrement le cas des vers mesurés, car la multiplication des parallélismes formels autant que lexicaux permet d'accentuer l'effet « scandé » de la parole poétique). L'interaction de ces phénomènes témoigne chez le poète de la pleine conscience des potentialités rythmiques inscrites à l'état latent dans le matériau verbal de la langue, ainsi que du travail scrupuleux auquel celui-ci soumet ce matériau. Ce travail – qui est celui de l'écriture – peut ainsi s'apparenter à une forme d'activation optimale et culminante des potentialités rythmiques de la langue au service de la parole poétique.
De façon à souligner les variations de durée possibles dans le vers, nous proposons une scansion sur plusieurs lignes. Ce parti pris permet de présenter sur des niveaux successifs plusieurs interprétations du vers en lien avec les éléments qui seront considérés comme saillants lors de sa lecture. La première ligne propose ainsi une lecture qui se rapproche plutôt de ce que serait une diction simple du vers, c’est‑à‑dire prenant en compte uniquement l'accentuation de groupe de mots, sans ajout d'accents sémantiques (d'insistance) et sans prendre en compte dans le cas des vers de Baïf la graphie ou les règles de la prosodie ancienne. Le vers est alors scandé, qu'il soit syllabique ou non, simplement en fonction de la place des accents de groupe et des facteurs phonétiques de langue française pouvant allonger telle ou telle voyelle. La constitution des groupes rythmiques couronnés d'un accent apparaît de manière chiffrée avant chaque vers scandé et les facteurs allongeants sont détaillés à droite du vers scandé dans un tableau, syllabe par syllabe grâce à des abréviations désignant chaque phénomène (nous expliciterons ces phénomènes ici sans intégrer le tableau). La deuxième ligne présente une analyse plus accentuelle du vers, avec des accents de groupe de mots plus fréquentsxviii), coïncidant avec ce que l'on pourrait appeler des « mesures » de deux à trois syllabes. Cette scansion inclut également les accents sémantiques pouvant être réalisés sur des mots‑clés du vers (adjectifs, adverbes axiologiques ou pronoms personnels mis en apostrophe) dont la dernière syllabe, sur laquelle le lecteur peut s'appesantir pour focaliser l'attention sur le terme évoqué, est soulignée dans le vers scandé. Dans le cas des vers mesurés de Baïf, la troisième ligne de scansion (la seconde pour les vers où nous n'en proposons que deux) réunit enfin l'analyse plus accentuée de la deuxième ligne et la prise en compte de règles de prosodie ancienne et de graphie respectées par Baïf, qui utilise un nouvel alphabet alliant caractères latins et grecs et permettant de distinguer voyelles longues et voyelles brèves d'un simple regard (il faut bien admettre que cette graphie est parfois tyrannique pour l'œil, même si elle devait avant tout servir de guide à la lecture). Cette approche permet de comprendre quels facteurs allongeants sont privilégiés par chaque poète et semblent pour eux les plus saillants, combinés ou non avec d'autres. En fonction du contexte sémantique dans lequel ils apparaissent, de leur nombre et de leur agencement, il est ensuite possible de discerner si les auteurs donnent à ces allongements une portée stylistique.
Exemples et remarques sur la portée stylistique des oscillations duratives
Puisqu'il est impossible de résumer ici les résultats de l'ensemble des scansions d'un large corpus ainsi que du commentaire rythmique qui les accompagne, nous ne prendrons en exemple que le trimètre iambique de Jean‑Antoine de Baïf, tel que pratiqué dans ses Étrénes de poézie ƒranʃoȩze an υȩrs mezurés (1574) et l'alexandrin de Racine dans le songe d'Athalie (1691). Précisons que notre scansion prend en compte les problématiques posées par l'histoire de la langue et l'évolution des prononciations du français (voire des français). Elle suit entre autres, concernant l'accentuation dans les trimètres, les principes adoptés par Yves Charles Morin dans son étude des hexamètres mesurés de Baïfxix, de manière à éviter toute suraccentuation dans le vers. En outre, il faut rappeler que si la langue du poème prend bel et bien son essor à partir de la langue française, elle ne saurait lui être totalement assimilée. Plusieurs linguistes ont même déjà constaté que des phénomènes d'allongement remarquable ainsi que de découpage en groupes rythmiques plus restreints que dans le parlé courant caractérisaient singulièrement la lecture, particulièrement celle de la poésiexx. Ces constats tendent à confirmer l'idée que le travail du rythme du vers en amont par les poètes nécessite une attention qui porte au-delà des limites de la seule description linguistique d'un énoncé.
Le trimètre iambique de Baïf se définit par une métrique et une prosodie hybrides, situées au carrefour des règles de la métrique et de la prosodie grecquesxxi et des habitudes métriques syllabiques françaises autant que des propriétés du français parlé par Baïf. Les résultats fournis par la scansion de l'ensemble du corpus permettent de comprendre à quel point l'introduction des consonnes allongeantes, des voyelles nasales ou de la coupe enjambante aux positions lourdes du patron antique constituent des piliers du rythme duratif façonné par le poète, qui souvent combine ces facteurs pour rendre un allongement palpable. Le rythme iambique est perceptible à l'échelle des pieds (six iambes, c'est‑à‑dire six groupes rythmiques brève‑LONGUE attendus) et des dipodies (le trimètre se compose de trois couples d'iambes successifs, les dipodies, la première position de la dipodie étant indifféremment remplie par une brève ou une longue et le second iambe toujours pur). Le schéma métrique de surface du trimètre iambique pour Baïf est le suivant (nous marquons par des macrons (–) et des microns (ᴗ) les syllabes attendues respectivement longues et brèves et par un « X » les positions remplies indifféremment par ces deux types de syllabes aux positions 1, 5 et 9 du trimètre, les dipodies sont signalées par des barres verticales, enfin nous matérialisons la césure par deux barres obliques) :
x – ᴗ – | x // – ᴗ – | x – ᴗ –
Suivant ce schéma dans ses Étrenes, Baïf compose 116 trimètres dans des pièces à visée explicitement métapoétique. En rendant particulièrement palpable la cadence iambique brève‑LONGUE, le poète compose par anticipation une critique cinglante des détracteurs de son entreprise mesurée. Cette critique est portée sur un rythme vivement martelé qui coïncide avec l'éthos de l'invective iambique. Sur un rythme très cadencé dès l'ouverture du recueil, Baïf engage la défense de son projet et ironise sur l'ignorance aveugle de ses futurs critiques (nous proposons ici la dernière ligne de scansion, prenant en compte la graphie de Baïf) :
La dernière ligne de scansion proposée ici témoigne du jeu des quantités syllabiques créé par Baïf de manière à introduire dans le vers l'effet d'un rythme sautillant. L'accent de fin de syntagme est considéré comme facteur allongeant (particulièrement sur « ri » à la césure qui est marquée ici d'une pause par la ponctuation), de même que l'introduction des nombreuses nasales. Le cas du deuxième pronom en est ici intéressant pour ce qu’il nous apprend sur la potentialité rythmique novatrice du vers mesuré. Les voyelles nasales, prononcées au XVIe siècle en voyelles nasalisées suivies des consonnes nasales elles‑mêmes réalisées, permettaient d’introduire lors de la prolation du vers un certain rebond rythmique lorsqu’une autre consonne leur faisait suite : ce qui apparaît clairement ici, ce n’est pas le caractère choquant de l'alourdissement du monosyllabe, mais bien plutôt le fait qu'il entre dans l’architecture d'un rythme scandé et que, ce faisant, la cadence qu'il insuffle au vers devient plus importante que sa nature inaccentuée initiale. Le rebond permis par la prononciation de la nasale semble être considéré par Baïf comme constitutif d'un profil syllabique lourd, ce que le poète pouvait sans doute sentir, en accordant son poids à chaque consonne lorsqu'il prononçait le vers. Issu du nouvel alphabet de Baïf, le caractère < ą > signale ici une voyelle longue placée au cœur d'une coupe enjambante qui permet une insistance sémantique (l'allongement porte sur l'impératif du verbe moquer, adressé ainsi plus ostensiblement à l'interlocuteur imaginaire). Ce qui frappe, c'est l'effet de rebond permis par le e bref, second avantage de ce type de coupe, qui permet au poète de former la brève de l'iambe pur attendu en fin de dipodie. L'analyse rythmique des scansions montre que Baïf accorde également une portée sémantique à l'allongement en dehors de la contrainte métrique et de l'éthos iambique de l'invective. L'enchaînement d'allongements multiples dans le vers peut par endroits lui donner une résonance solennelle, étouffant le mouvement piqué de la cadence iambique dans un contexte sémantique particulier. On trouve ainsi un seul trimètre iambique qui, dans tout le corpus, évoque la mort, plus précisément la mort de Baïf et des contemporains auxquels il adresse son poème (v. 29 « Aux Secrétaires d'État »).
L'ouverture de ce trimètre où ne figure avant la césure qu'une syllabe légère ralentit le rythme en aplanissant la cadence. Le travail du rythme par Baïf dénonce sa volonté d'introduire une impression de solennité qui s'accorde harmonieusement avec le sujet du vers. Le débit est nécessairement ralenti dans ce trimètre consacré à une considération à la fois glaçante et grave. Par ce ralentissement orchestré, prémédité, le souffle même de la cadence iambique se trouve d’abord étouffé : plus de contraste ressemblant à la succession //diastole SYSTOLE// de l'interprétation claudélienne iambique des battements du cœur humain. Le vers semble pesamment ralentir dans son premier hémistiche pour rejoindre l'idée même de la mort : cette absence de battement, de rythmique interstitielle, en un mot, un électro-iambogramme plat. La façon dont Baïf régit la variation durative dans ce type de vers s'apparente à ce que l'on pourrait appeler une rhétorique de la durée (entendue ici comme une forme de phono‑sémantique du discours poétique transmis par la variance durative).
La fameuse « petite musique » de l'alexandrin de Racine nous paraît résider elle aussi en partie dans les oscillations duratives introduites dans le vers. Le travail minutieux des allongements est remarquable dans le songe d'Athalie, morceau dont la prosodie, quoiqu'elle semble opérer mystérieusement, devient en partie saisissable si l'on s'intéresse aux facteurs d'allongement vocalique que Racine concentre à plusieurs positions du vers. La combinaison de facteurs qui caractérise cet extrait est l'alliance d'une voyelle nasale entravée et placée en coupe enjambante. On la trouve aux vers 487, 497, 501, 505, 518, 527, 532, la formule rythmique du double anapeste ainsi créé étant particulièrement appréciée de Racine pour le remarquable effet de ralentissement qu'elle produit (« […] d'une profon/de nuit », v. 490, « […] et des mem/bres affreux », v. 505, « […] d'une som/bre vapeur », v. 518). Le dramaturge introduit volontiers sous l'accent une voyelle nasale entravée par une consonne allongeante (« songe » v. 487, 536 et 544 ; « ronge », v. 488 ; « mélange » rimant avec « fange », v. 503-504) ou une voyelle nasale entravée d'une consonne autre qu'allongeante, mais qui l'allonge du fait même de son entrave (« peindre », v. 495 ; « présente » rimant avec « éclatante », v. 507-508 ; « s'avance », v. 533). Ce qui caractérise le récit de cette vision cauchemardesque, c'est avant tout un ralentissement du débit et le retour extrêmement fréquent de voyelles nasales, placées au cœur d’un lexique de l'obscurité et de la terreur (« profonde nuit », v. 490 ; « sombre vapeur », v. 518 ; « un chagrin qui le ronge », v. 488 ; « Tremble », v. 497 ; « membres affreux », v. 505). L'univers cauchemardesque est caractérisé par un ralentissement pesant de la parole du personnage qui le décrit. Or, ce ralentissement est hautement signifiant puisqu'il révèle à la fois l’atmosphère lourde du songe, situé dans une forme de hors‑temps terrorisant, et l'effet tétanisant de la peur sur Athalie qui, en ressassant ce cauchemar, est « rong[ée] » par la crainte d'une menace qui va progressivement prendre corps pour s'ancrer dans le réel. L'introduction de très nombreuses coupes enjambantes, mais aussi de consonnes allongeantes ou encore de voyelles historiquement longues, contribue ensemble à ce ralentissement du tempo dans le récit. Par elles, l'atmosphère de ce monde cauchemardesque est rendue pesante, particulièrement par le choix judicieux de vocables qui renvoient à la crainte d'Athalie ou à la tension qui règne dans l'univers qu'elle décrit. Tous ces termes se clôturent sur une ou plusieurs consonne(s) allongeante(s) : « horreur », v. 490 ; « mort », v. 492 ; « malheurs », v. 493 ; « outrage », v. 496 ; « fange », v. 504 ; « désordre », v. 507 ; « bizarre assemblage », v. 515 ; « honteuse de ma peur », v. 517 ; « sombre vapeur », v. 518 ; « horreurs », v. 523 ; « frayeur », v. 526. On peut ajouter également à ce relevé les voyelles historiquement longues (« traître », v. 514 ; « mon âme possédée », v. 519) ou encore les adjectifs arborant le suffixe -able, permettant aussi un allongement de la voyelle (« redoutables », v. 499, « épouvantables », v. 500, puis dans le commentaire du récit « incroyable » et « effroyable », v. 543-544). Racine rend ainsi prosodiquement cette pesanteur cauchemardesque qui oppresse Athalie : la parole poétique est ralentie, oppressée par l'expression de sa crainte issue du rêve et d'une forme de suffocation face à la menace implacable de l’assassinatxxii. En outre, si la prolifération des allongements vocaliques caractérise le récit du songe, la présence répétée des voyelles nasales charge son univers sonore d'effets d'échos et de réverbérations qui renforcent l'impression d'indistinction perceptive caractéristique des rêves. Cet effet de « flou » sonore est particulièrement entretenu par Racine dans la première partie de la description du songe, avant l'intervention d'Abner : outre les effets d'échos produits par les multiples allongements vocaliques, Racine place des simulacres de rimes de césure en césure, dans des alexandrins successifs ou séparés par un vers ou deux (« mon cœur » et « l'horreur », v. 488 et 490 ; « sa mort » et « encor », v. 492 et 494 ; « m'a‑t‑elle dit » et « vers mon lit », v. 497 et 501 ; « de sang » et « dévorants », v. 505-506). Ces retours sonores multiples, ajoutés à ceux des voyelles nasales, participent d'une poétique du sensible onirique : ils visent à créer, appuyés ça et là par des retours d'allongements vocaliques, un bruissement indistinct qui correspond à l'univers sonore du rêve, s'étirant vaguement dans l'atemporalité. Ces échos qui se mêlent peuvent révéler également l'atmosphère cauchemardesque dans laquelle évolue Athalie après avoir entrevu le fantôme de sa mère et entendu ses paroles, elles aussi très floues. L'imminence d'une menace indistincte est rendue par ces jeux d'échos soutenus par les allongements. Il est ainsi possible de postuler dans l'alexandrin de Racine l'existence d'une sémantique émotive de la durée, dont les diverses variations et dispositions dans le vers viendraient exprimer rythmiquement une tonalité ou l'émotion qui envahit un personnage.
Si Racine ne suit aucun patron métrique comparable à celui respecté par Baïf dans ses trimètres, il semble néanmoins partager avec lui une sensibilité remarquable aux rythmes inhérents à la langue française et les mettre à profit. Les techniques de phonétique combinatoire qu'ils mobilisent tous deux dans des systèmes métriques différents témoignent de l'attention qu'ils portent au rythme duratif qui se déploie en poésie versifiée. Racine ne « pensait » sans doute pas son alexandrin en pieds, mais il est clair qu'il tenait compte, en écrivant, des variations duratives permises par la langue au travers du rythme poétique et qu'il pouvait moduler celles-ci en fonction de ce que son vers visait à exprimer.
L'oscillation des durées peut, en bien des contextes poétiques, s'avérer signifiante toutes les fois que le rythme rejoint le sens, ou plutôt, l'accomplit. Il serait regrettable de négliger le pouvoir expressif d'une composante rythmique aussi dynamiquement suggestive dans le vers, car il semble que la plupart des comparaisons établies entre la poésie et la musique, de même que l'ensemble des métaphores qui les assimilent découlent de la même importance que ces deux arts accordent à la durée et à son organisation suivant l'axe du temps. La « prosodie mystérieuse et méconnue » de la poésie évoquée par Baudelairexxiii est musicale parce qu'elle repose, comme le chant, sur des variations duratives, bien qu'agencées beaucoup plus librement. En ce sens, la poésie peut apparaître comme une sorte de musique ou de chant – beaucoup plus libre qu'eux en réalité, la lecture poétique s'apparentant à une forme de parcours acrobatique de la parole, sautant d'une crête syllabique à une autre dans le cadre du vers, pour s'appesantir à un endroit, en fuir prestement un autre dans un mouvement oscillatoire caractéristique. Ce sont les richesses et les pouvoirs évocateurs de ce chant ondoyant qu'il faudrait explorer davantage, en scandant les Fleurs du Mal, par exemple – fascinant recueil où l'on trouve, au détour d'un tercet, ce souhait singulier adressé par le poète à sa « Muse malade » (v. 9-12) :
Je voudrais qu'exhalant l'odeur de la sainteté
Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rythmiques,
Comme les sons nombreux des syllabes antiques, [...]
Notes
Guillaume Peureux, La Fabrique du vers, Paris, Seuil, 2009, p. 33.
Jean‑Louis Backès, « Poétique comparée – I / Métrique générale », in Pierre Brunel et Yves Chevrel (dir.), Précis de littérature comparée, Paris, PUF, 1989, Section « Transmission des métriques », p. 93‑94.
Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Lagrasse, Verdier, 1999, p. 99.
Henri Meschonnic, Critique du rythme. Anthropologie historique du langage, Lagrasse, Verdier 1982, p. 72.
Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Lagrasse, Verdier, 1999, p. 99.
Juliette Lormier, Peut-on scander le vers français ? Métrique et prosodie de la Renaissance à nos jours, Thèse de doctorat sous la direction d'Yves Baudelle, Université de Lille SHS, soutenue le 7 décembre 2016.
Georges Lote, L'Alexandrin français d'après la phonétique expérimentale, Paris, la Phalange, 1913, p. 147.
Roman Jakobson, Essais de linguistique générale. 1. Les fondations du langage, traduit et préfacé par Nicolas Ruwet, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963, p. 229‑231.
Benoît de Cornulier a dû, à plusieurs reprises, se défendre d'avoir adopté une position strictement pro-métricienne aux dépens du rythme généré par l'accentuation du français dans le vers, or dès 1979, sa théorie fait une place à ce type d'analyse rythmique du vers : si elle ne s'y attarde pas, c'est précisément parce qu'elle entend définir avant tout ce qui est métrique et l'illustrer (voir Benoît de Cornulier, « La place de l'accent, ou l'accent à sa place » in Michel Murat, Le Vers français. Histoire, théorie, esthétique, Paris, H. Champion, 2000, p. 57‑58). Dès 1979, Benoît de Cornulier admet qu'il existe des variations duratives dans le vers syllabique français, à placer du côté du rythme, en dehors de la métrique (Benoît de Cornulier, Théorie du vers, Paris, Seuil, 1982, p. 76).
Georges Lote, Histoire du vers français, t. IV, Aix‑en‑Provence, PUP, 1988, p. 150.
Antoine Thomas, « Michel de Botteauville et les premiers vers français mesurés (1497) », Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux, V, 1883, p. 330.
Voir entre autres : Yves Charles Morin, « La prononciation et la prosodie du français du XVIe siècle selon le témoignage de Jean‑Antoine de Baïf », Langue française, 2000, 126, 1, p. 9‑28 et « L'hexamètre “héroïque” de Jean‑Antoine de Baïf », in Billy Dominique (dir.), Métriques du Moyen Âge et de la Renaissance. Actes du colloque international du Centre d'études métriques, Nantes, 20-22 mai 1996, Paris ; Montréal, L’Harmattan, 1999, p. 163‑184. Olivier Bettens, « Octosyllabes, vers mesurés et effets de rythmes », in Jean‑Charles Monferran (dir.), L'expérience du vers en France à la Renaissance, Paris, PUPS, Cahiers V. L. Saulnier, n° 30, 2013, p. 185‑213.
Jean Brunel, Un poitevin poète, humaniste et soldat à l'époque des guerres de religion : Nicolas Rapin (1539‑1608) : la carrière, les milieux, l'œuvre, t. II, Paris, Champion, 2002. Dans son vers mesuré, Baïf prête une attention minutieuse au poids phonétique de l'ensemble des syllabes, même de celles qui ne sont pas placées sous l'accent. Une syllabe inaccentuée peut venir remplir une position lourde du patron plus fréquemment que dans le vers de Rapin. Lorsqu'ils prononcent les vers en lecture publique actuellement, il est frappant de constater que les traducteurs comédiens de la troupe Démodocos dirigée par Philippe Brunet prêtent une attention tout aussi grande à la chair sonore des syllabes complexes, y compris en dehors des accents de groupes de mots.
Pour une étude diachronique des différentes définitions du terme « prosodie », voir notre thèse, op. cit., p. 20‑31.
Ces vers forment même un cas‑limite pour lequel la distinction entre mètre et rythme s'avère plus ténue, presque inopérante : lorsque, pour créer des pieds, c'est-à-dire des éléments métriques, le poète s'appuie, entre autres, sur l'accent de groupe français, l'art fait ouvertement appel à l'une des propriétés les plus caractéristiques de la langue française pour créer une métrique nouvelle. La parole qui en émane est donc marquée par une ultra-cadence jusqu'alors peu familière, scandée par des groupes rythmiques très régulièrement agencés par le poète. Ce faisant, la mesure rythmique accède au statut de « mesure métrique » – si l'on veut bien nous pardonner cette redondance par dérivation – par l'effet même de la contrainte métrique : l'introduction de pieds décidée et imposée par l'auteur à sa langue. La rythmicité passe alors par la variation libre d'autres éléments du vers, puisque entre ces deux types de poésie, il n'y a eu finalement qu'un déplacement des contraintes : les libertés, elles, sont aussi redistribuées entre divers traits saillants de la langue.
Nous présentons en détail l'ensemble des ressources duratives du français, notre méthode de scansion et notre corpus dans la thèse citée plus haut, op. cit., p. 39‑74.
Voir à ce sujet les analyses impressionnantes de Clive Scott sur la fréquence et la portée sémantique de cette coupe chez Baudelaire : Clive Scott, A question of syllables : essays in nineteenth-century French verse, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 86‑116.
Sur ces mesures et la notion d'imbrication des syntagmes, voir les analyses rythmiques très fines de Lucie Bourassa dans Rythme et Sens. Des processus rythmiques en poésie contemporaine, Paris, Rhuthmos, 2015, p. 169‑182.
Juliette Lormier, op. cit., p. 245‑246.
Voir Corinne Astésano, Rythme et accentuation en français. Invariance et variabilité stylistique, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 270 et Olivier Bianchi, Keller Éric et Brigitte Zellner‑Keller, « L'analyse informatique du rythme de la parole : pertinence pour l'étude de la césure en métrique », in Alessandra Lukinovich et Martin Steinrück (dir.), Autour de la césure, Berne ; Berlin ; New York, P. Lang, 2004, p. 128.
La formulation est pratique, mais il ne faut pas croire qu'il existe une seule métrique grecque, unitaire. Les systèmes métriques grecs anciens sont variés (sur une base quantitative, ils peuvent être isosyllabiques ou non, stichiques ou non). Précisons par ailleurs que l'influence de la métrique latine sur les vers de Baïf demeure à ce jour une piste à explorer. La formule « métrique latine » est elle-même également trompeuse puisqu'elle réunit des systèmes aussi divers que celui des vers saturniens et ceux des vers quantitatifs, isosyllabiques ou non.
C’est par cet effet duratif que dans le texte racinien le cauchemar envahit la réalité. Le second vers emblématique de cette recherche prosodique de la part de Racine est celui de la double exclamation d'Athalie lorsqu'elle comprend que son rêve a pris corps. Elle s'écrie ainsi, terrorisée en apercevant l'enfant meurtrier (v. 534) : « Pendant qu'il me parlait, ô surprise ! ô terreur ! ».
Charles Baudelaire, Œuvres posthumes et correspondances inédites, Paris, Quantin, 1887, p. 8‑9. Le texte se trouve dans le sommaire de son troisième projet de préface aux Fleurs du Mal.
Table des matières
1. Littérature, voyages et altérités
Errances, erreurs dans « L’Éducation sentimentale »
Visions dans « L'Éducation sentimentale »
Lecture de l'épisode de la découverte du Bazar de Mahabad dans « L'Usage du monde » de Nicolas Bouvier (p. 176-177) : voir dans les interstices
18e Rencontres enseignants – chercheurs / Littérature, voyages et altérités
L'« Adieu à la Nouvelle-France » de Marc Lescarbot : altérité, fécondité, interculturalité
Le genre autobiographique en question dans le récit de voyage au XVIIe siècle
L’expérience de l’altérité dans le « Journal de voyage de Montaigne » : une entreprise d’exotisation du familier
L'altérité en temps de guerres civiles : l'exemple du Passe-temps de François Le Poulchre de La Motte-Messemé
2. Territoires et frontières du style
Les mots en question dans l’œuvre narrative de Marivaux: réflexion sur une approche stylistique
Stylistique pragmatique et écriture des poilus
Approche rhétorique, linguistique et socio-poétique de la forme littéraire. La stylistique comme étude des « formes-sens ».
Le récit enchâssé, de la poétique à la stylistique
Vers à l'antique et vers syllabiques français : réflexions sur la portée stylistique du rythme
La Journée d'étude AIS « Territoires et frontières du style »