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Pour articuler hospitalité et intimité, l’oikeioteta

Articuler hospitalité et intimité est, à mes yeux, un choix pertinent et difficile. Rendre son foyer accessible à quelqu’un d’autre, lui céder une partie de son espace, relever le défi de l’hospitalité quelle que soit sa forme me semble indissociable de l’expérience d’une certaine intimité avec elle ou lui. Accueillir est aussi débloquer, ne serait-ce que partiellement, la voie vers l’intimité du chez-soi : les pièces les plus centrales ou les moins accessibles d’un foyer, les placards ou les tiroirs les mieux cachés d’une maison familiale, les rayons les plus poussiéreux d’une bibliothèque, les sous-entendus ou les entre-les-lignes les plus insaisissables d’une société ou d’une culture1. Dans une articulation de l’hospitalité avec l’intimité, cette dernière ne serait plus entendue comme synonyme de l’herméticité d’une vie privée ou d’un domicile, mais plutôt comme une invitation ou une autorisation à y pénétrer. Vu que, par définition, l’hospitalité trouble l’ordre des choses établi en peuplant les espaces les plus privés ou en diversifiant les populations les plus homogènes, elle ne peut qu’être une remise en question de l’intimité comme isolement, tranquillité ou retrait. Plus encore, vu que l’hospitalité est, dans un sens derridien, liée à la venue inopinée de l’arrivant qui déstabilise l’intimité de quelqu’un (d’une personne, d’une famille, d’une société ou d’une nation), elle déclenche en même temps une intimité imprévisible avec quelqu’un, entre des personnes jusqu’alors inconnues qui vont désormais négocier, expérimenter et tester leur proximité. Dans une articulation de l’hospitalité et de l’intimité, il s’agit de l’intimité du contact, de la mise en relation, du partage et de la coprésence, souvent improgrammables. Mais il se peut également qu’il s’agisse d’une intimité de la tension, de la dispute et de la querelle, de la proximité excessive et difficile à tolérer, une intimité de trop à laquelle les intimes involontaires auraient hâte de mettre fin.

Dans cette distinction que je viens d’esquisser, je ne vois pas une intimité réussie et une autre ratée, mais une ambiguïté potentiellement présente dans tout l’intimité. Dans ce sens, l’articulation que je propose ici serait aussi celle de l’intimité avec l’hostilité dans l’hospitalité, donc avec l’hostipitalité qui, selon Derrida, est inhérente à l’hospitalité conditionnelle et distincte de l’hospitalité absolue, renvoyant à « l’étranger (hostis) accueilli comme hôte ou comme ennemi2 ». Mon articulation de l’hospitalité avec l’intimité est donc basée sur l’hypothèse d’une analogie entre les ambiguïtés fondatrices de deux notions. Dans la phrase « fais comme si tu étais chez toi ici », l’accent serait mis sur le « comme si », l’idée que le foyer offert ressemblerait temporairement au foyer d’origine de la personne accueillie, sans toutefois exclure la possibilité que celle-ci soit, à un moment donné et peut-être très prochainement, mise à la porte. Pareillement, l’intimité ne serait pas une métonymie de l’amour, de la relation fusionnelle, ou de la proximité imperturbable. Comme l’explique bien Lauer, même dans le cas d’une confrontation, « nous n’avons même pas besoin d’attendre une réconciliation complète, car l’intimité peut être trouvée dans l’activité même du conflit3 ». Plus généralement, mon articulation de l’hospitalité avec l’intimité s’appuie clairement sur une désidéalisation des deux notions, non pas conjoncturelle mais systémique : l’hostilité dans l’hospitalité, le conflit dans l’intimité, l’être-avec sans harmonie préalable ou garantie.

Derrida ouvre la sixième séance (celle du 7 février 1996) de la première année du séminaire qu’il a consacré à l’hospitalité avec un questionnement sur la pertinence d’une réflexion portant sur le chez-soi :

Quel sens y a-t-il à s’interroger ou à faire semblant de s’interroger sur ce qui va absolument de soi, à savoir ce que veut dire « chez soi » ? Car enfin s’il y a quelque chose qui s’offre à une pré-compréhension telle que d’avance nous savons ce que cela veut dire, c’est bien la familiarité, le chez-soi. La familiarité du chez-soi, n’est-ce pas précisément ce que je pré-comprends toujours déjà, de telle sorte que si des questions peuvent se poser à partir de l’être-chez-soi familier, une question au sujet de ce qui est pour moi l’être-chez-moi est toujours inutile, impossible, ou présupposée dans sa réponse4 [?]

Derrida nuance davantage ces questions dans les paragraphes qui suivent, en insistant sur la spécificité de cette expression française qui signifie à la fois le foyer et le sujet écrivant. L’expression « chez l’auteur » ne renvoie pas uniquement à un corpus de textes, mais aussi à la construction d’un foyer par le discours et à la reconnaissance d’un discours comme l’équivalent d’un foyer. Avec cette remarque, Derrida fait allusion à la nécessité de parler la langue de l’autorité afin de se sentir chez soi ou, au moins, afin de se rapprocher d’un certain chez-soi. C’est le cas de Socrate, sur lequel Derrida insistait dans De l’hospitalité5 : cet Athénien par excellence n’arrive pas à parler la langue du tribunal et se retrouve brusquement privé de l’hospitalité de sa ville natale qu’il n’avait jamais quittée. Selon cette logique, le chez-soi présuppose le partage d’une langue qui nous précède, à laquelle on s’attache et avec laquelle on s’est familiarisé, mais aussi d’une langue par laquelle est infiltré le hors-chez-soi ou le non-familier. Dans la dernière phrase du passage cité, et surtout dans sa forme interrogative, je vois une invitation à penser la prétendue inutilité de l’interrogation sur le chez-soi. Socrate l’a déjà fait en s’interrogeant sur le type de chez-soi que représenterait Athènes pour lui ; Derrida nous invite à répéter ce geste afin de revoir ce qui serait perçu comme familier dans la familiarité du chez-soi.

Pour aller dans ce sens, je me permets ici une digression par le terme oikeioteta qui, en grec moderne, articule certaines nuances sémantiquement proches du « chez ». Issu de l’oikos, oikeioteta signifie moins l’expérience de sa propre maison que le sentiment d’être comme chez soi, ou encore le sentiment d’être ailleurs, même loin, tout en étant à l’aise là où l’on est, ou de faire l’expérience d’un chez soi dépaysé et agréable. Oikeioteta signifie aussi le sentiment d’être comme chez sa famille, donc plutôt bien, même si cela s’appuie sur une conception quelque peu embellie de la famille. Enfin, oikeioteta signifie la proximité avec quelqu’un qui n’est pas, ou qui n’est pas encore, de la famille, avec des personnes proches depuis longtemps ou des personnes avec lesquelles une amicalité s’est graduellement ou soudainement développée. « Développer une oikeioteta » signifie, entre autres, se permettre une intimité, potentiellement sexuelle, avec une ou plusieurs autres personnes. Derrida souligne que c’est dans cette « quasi-normalité quasi transcendantale du chez-soi-chez-l’autre qu’il peut y avoir cette terrible pathologie qui consiste à ne pas se retrouver chez-soi, à ne pas reconnaître son chez-soi6 ». Oikeioteta résume cette possibilité de se retrouver chez-soi chez l’autre imprévisiblement, avec ou malgré tout ce que cela pourrait entraîner. Si je passe par l’équivalent approximatif de l’« être-chez-soi » en grec moderne (ma langue maternelle, donc un de mes chez-soi), c’est pour mieux saisir ce que Derrida appelle le « à partir de l’être-chez-soi familier » et afin d’y inclure un « à partir de l’être-avec-quelqu’un comme chez-soi » : de l’hospitalité à l’intimité, et vice-versa. Bref, l’oikeioteta résume, à mon sens, le va-et-vient entre les deux notions et, comme j’essaierai de le démontrer par la suite, les contradictions qu’elles partagent, les familiarités et les étrangèretés ambiguës qui s’y jouent.

Hospitasexualité, virus, intimité

Dans la septième séance du séminaire sur l’hospitalité (celle du 14 février 1996), Derrida propose une autre base de réflexion pour ces questions :

Tout cela vaut aussi sans doute pour ce qu’on pourrait appeler l’hospitalité sexuelle dans ce qui court sous le nom de rapport ou de non-rapport sexuel. [S]’il va de soi que […] la zone d’hospitalité est investie de désir sexuel, et profondément libidinalisée, au point que tout ce que nous disons depuis le début du séminaire en est immédiatement marqué, et donc traduisible en langage sexuel, amoureux, érotique, etc., la question n’en reste pas moins ouverte de savoir si l’expérience de l’hospitalité est de part en part sexuelle, fût-ce implicitement, indirectement ou inconsciemment7 […].

Derrida résume cette hypothèse sous le nom d’« hospitasexualité » et en même temps se demande « si cette ‘hospitasexualité’ est totalement commandée par la différence sexuelle, si elle est inscrite en elle ou encore, plus précisément, dans ce qui fait de la différence sexuelle une alternative, c’est-à-dire ce qui se compte seulement entre un et deux, de un à deux8 ». La question des liens entre hospitalité et sexualité n’est certainement pas nouvelle : de l’Odysséehomérique au Décaméron de Boccace et du Théorème de Pasolini au Shortbus de John Cameron Mitchell, les œuvres littéraires, cinématographiques et autres qui l’ont abordée abondent. La question est non seulement celle de la sexualité dans l’hospitalité, mais aussi et surtout celle de la sexualité comme excès de l’hospitalité et éventuellement comme danger pour l’hospitalité. Pour Derrida, en revanche, il s’agit plutôt d’aborder l’hospitalité et la sexualité comme deux aspects de l’expérience du plus-d’un. Il parle, d’abord, d’un discours sur l’hospitalité, le sien en l’occurrence, qui serait « traduisible en langage sexuel » et, par la suite, de la possibilité que l’expérience de l’hospitalité soit « de part en part sexuelle ». Dans un geste assez typique de sa démarche, Derrida se contente de quelques mots pour ouvrir tout un questionnement, même s’il ne poursuit pas lui-même ce chemin dans l’immédiat.

Pourtant, son geste reste imposant. Il donne ses séminaires sur l’hospitalité dans le sillage de la loi Pasqua concernant les sans-papiers et lors d’un temps fort de la vie publique française et de la réception politique de sa pensée. Parallèlement, les études sur le genre et la sexualité étaient déjà en développement depuis plusieurs années — notamment sur l’axe franco-nord-américain de l’époque —, à l’issue de la première phase, fatale pour plusieurs milliers de personnes, de la pandémie du vih/sida. Si on était tenté de ne pas suffisamment associer les politiques de l’accueil, d’un côté, et les politiques du corps et de la sexualité, de l’autre, Derrida (qui ne serait pas immédiatement identifié comme un théoricien du genre ou de la sexualité) instaure dans sa pensée le germe de ce rapprochement. Il le fait en abordant la « pervertibilité de l’inconditionnel » et en écrivant qu’« il faut laisser ouverte la possibilité du mal radical. Sans la possibilité ouverte d’une perversion possible, il n’y a pas non plus le bien ou l’amour ou l’hospitalité inconditionnelle9 ». Trois pages plus loin, et après avoir désigné l’expulsion des personnes séropositives comme un acte d’extrême violence, Derrida se demande :

[Q]u’est-ce que c’est que l’hospitalité à un virus, qu’est-ce que c’est que l’accueil, l’exposition à un virus, en général au virus du sida, qui n’est pas n’importe lequel, et qui est lié à des expériences, le plus souvent d’amour et d’hospitalité ? Comment traiter cette question en terme de virus, de parasites10 ?

Les choix rhétoriques et conceptuels de Derrida sont assez frappants : l’hospitalité ne serait pas qu’aux personnes atteintes du virus, mais au virus même ; plus encore, elle équivaudrait à une exposition, encore potentiellement fatale au milieu des années 1990, à lui. Plus que toute insémination, ce virus devient dans le propos de Derrida représentatif d’une hospitalité et d’un amour qui ne seraient pas pervers mais porteurs d’une pervertibilité nécessaire, ainsi qu’indissociables l’un de l’autre de par l’accueil qu’ils accordent au virus. N’ayant pas assisté à cette séance du séminaire, je peux seulement imaginer les frémissements que ce parallèle, et l’idée même d’une hospitalité offerte à un virus encore terrifiant à ce moment-là, auraient suscité parmi les membres de son public. Mais, de l’autre côté, je ne peux que remarquer, d’abord, la dextérité avec laquelle Derrida passe d’une échelle du politique à l’autre (des masses de migrants qui s’entassent aux frontières de l’Europe au minuscule virus qui fait imperceptiblement intrusion dans les corps), puis sa volonté de ne pas écarter d’une réflexion sur l’hospitasexualité ni le danger fantasmé ou réel, ni la peur de l’impureté, ni l’éventualité d’une déperdition. Le terme « hospitasexualité » n’est pas très régulièrement employé dans le séminaire de 1995-1996, donc son statut y reste plutôt indécis ; par exemple, en récapitulant les trois principaux modes d’appartenance, Derrida ne mentionne que le lieu et l’autochtonie d’abord, le sang ensuite, et enfin la langue11. Néanmoins, bien que la place d’une pensée sexualisée de l’hospitalité ne soit pas suffisamment explicitée, cette référence furtive reste, à mon sens, un jalon de la pensée du plus-d’un et un chaînon important de l’articulation de l’hospitalité avec l’intimité, et cela pour au moins deux raisons.

Premièrement, l’intimité porte le poids d’une notion qui ne serait pas forcément comprise dans tous les contextes comme une notion politique, voire qui serait comprise comme une notion affirmativement apolitique. L’intimité est sans doute moins systématiquement théorisée que la sexualité et bien moins présente dans les débats dans les milieux universitaires, artistiques et militants. Je trouve pourtant que l’intimité, aussi bien dans son croisement avec l’hospitasexualité que dans plusieurs de ces problématisations récentes, peut s’avérer le nœud d’une pensée qui renouvellerait notre compréhension de l’être-avec, du rapprochement et de la séparation entre les corps, ainsi qu’un moyen supplémentaire pour penser les corps singuliers, les corps en contexte et en relation, sexuelle ou non. Intimacies, le livre co-écrit par Leo Bersani12, célèbre théoricien de la sexualité depuis les premières années de la pandémie vih/sida, serait un exemple indicatif ici. Deuxièmement, l’intimité ne fait pas partie de ces paléonymes sémantiquement surchargés, dont parle parfois Derrida, comme l’hospitalité ou la démocratie. Elle n’est toutefois pas un terme jeune non plus. Je l’introduis donc ici en comptant sur le fait qu’elle est longtemps restée une notion de second plan et même suspecte de suggérer un retrait du débat public. Mais cette même notion a fait l’objet d’une appropriation par une partie des études sur le genre, qui y aurait trouvé un outil pour théoriser l’exercice de sa propre visibilité ; Unlimited Intimacy, le livre célèbre de Tim Dean sur les pratiques du barebacking et de l’intimité contaminante, en serait ici l’exemple le plus caractéristique13.

En un mot, en réponse au défi lancé par Derrida, à savoir penser l’hospitalité et la sexualité ensemble, j’aborde l’intimité comme une dimension indispensable de la pensée du plus-d’un. L’idée d’une intimité contaminante a une place importante dans cette réflexion, ne serait-ce qu’en filigrane. De plus, l’articulation de l’hospitalité avec l’intimité nous invite à calquer le corps intime sur la figure de l’arrivant, parce que, si l’intimité n’est pas toujours avec le corps inconnu et anonyme, elle est au moins avec ce qu’il y a ou qui reste d’inconnu et d’anonyme chez le corps intime. Cela nous amène à un certain nombre de questions : comment accéder à ce qu’il y a d’inconnu et d’anonyme dans le corps intime, comment le regarder et l’incorporer ? Comment le préserver en tant qu’inconnu et anonyme pendant ou malgré l’intimité développée avec lui ?

Faire l’amour, le chez-soi

L’articulation de l’hospitalité avec l’intimité nuance l’éventuelle coextensivité de l’hospitalité et de la sexualité, dont parle Derrida14. L’intimité y serait un nom pour la proximité entre corps et, plus particulièrement, pour « le rapport ou le non-rapport sexuel » ainsi que pour l’ambiguïté de ce qui serait ou ne serait pas sexuel. Ma référence de base sera ici Jean-Luc Nancy, celui de L’Intrus, que je trouve fondamental pour une réflexion sur l’intimité, ainsi que celui de Sexistence (2017), notamment comme celle-ci est reprise dans The Deconstruction of Sex (un dialogue avec Irving Goh, publié en anglais en 2021). Ce dernier livre resitue Sexistence dans le contexte de #metoo et essaie de le débarrasser de quelques ambiguïtés potentiellement embarrassantes, notamment pour ce qui est du « forçage » et de la « pénétration », termes employés par Nancy à plusieurs reprises. Pour Goh, « le terme ‘forçage’ a pour effet malheureux de rappeler tous les actes insensibles, irrespectueux et oppressifs des hommes violents à l’égard des femmes, laissant ces dernières à l’état de victimes passives, sans autre recours que de se soumettre à cette violence, de la tolérer et de la subir15 ». Pour ce qui est de la pénétration, Goh exprime un avis identifiant exclusivement, et assez injustement à mon sens, la pénétration à l’hétérosexualité : « insister sur la ‘pénétration’ […] c’est aussi renforcer obstinément une normativité hétérosexuelle, qui exige souvent qu’une partie soit soumise à l’autre, ce qui fait surgir les spectres du phallocentrisme et de la masculinité toxique16 ». Je ne proposerai pas ici un commentaire détaillé de la façon dont Goh prépare la réception de son dialogue avec Nancy. Je me contente pourtant de remarquer que son choix d’expliquer, de justifier et de modérer l’usage des deux termes serait une preuve des difficultés que pose un travail sur l’intimité, de ses contradictions et de ses pièges.

Dans les deux textes les plus récents de Nancy il est question de sexistence, donc de construction du soi à travers le sexe. Étant donné que le soi chez Derrida est indissociable du chez-soi, la pensée de Nancy ne peut que maintenir des liens privilégiés avec la notion d’hospitasexualité. Derrida prépare sa référence à celle-ci en s’appuyant sur une phrase de Franz Rosenzweig sur le peuple juif à qui il « n’est pas donné de s’endormir dans son ‘chez-soi’ ». En élargissant la perspective de cette position, Derrida se dit intéressé par

cette allusion au sommeil, comme si le chez-soi était d’abord le lieu où l’on peut dormir en paix, le lieu où l’on passe la nuit, où l’on fait l’amour ou bien où l’on meurt, par opposition à l’indigénat qui lie l’appartenance du chez-soi à la naissance, à la conscience, à la vigilance, à la veille, au jour17.

Si je lis bien entre les lignes ici, Derrida ne revient pas sur la discussion sur le chez-soi pour abandonner les éléments qu’il a déjà posés, notamment l’idée que l’ancrage dans un chez-soi précède toute discussion du chez-soi. Il le fait plutôt pour y ajouter un supplément : le « chez-soi » reconçu à travers l’intimité de la nuit paisible et celle de l’acte sexuel, donc un « chez-soi » qui pourrait bien avoir lieu loin de sa propre maison, un « chez-soi » dépaysé, littéralement à côté d’un ou de plusieurs autres corps, chez ces corps qui seraient capables non seulement d’ouvrir leur « chez-soi » mais de devenir le « chez-soi » de quelques autres. Cependant, comme souvent chez Derrida, le supplément est susceptible de devenir un suppléant18. Dormir et faire l’amour ne sont pas juste au cœur d’un « chez-soi » ouvert à celles et à ceux qui vont dormir à côté de nous ou avec qui on fera l’amour. Ils sont le « chez-soi », qui n’est établi, dans ce cas, qu’avec les corps intimes. C’est ce « chez soi » qui n’advient qu’avec l’intimité qui pourrait devenir le centre, ou un des centres, de l’hospitasexualité. Il n’est pas forcément un seul endroit, le même qui servira de foyer pendant une bonne partie d’une vie, ni même un autre mot pour la stabilité, l’ancrage, la localité ou les racines. Plutôt que par un attachement ou par un lien préalablement défini comme fort, fondamental et ineffaçable, le chez-soi semble être ici l’espace du lâcher-prise (le sommeil, la nuit, l’amour, la mort), d’un certain abandon du soi dans le repos ou dans l’excitation. Plutôt que sur le noyau dur d’un soi, le chez-soi se jouerait sur ses frontières indécises, comme celles du corps au moment même où il fait l’amour. C’est pour cette raison qu’il n’y aurait pas de chez-soi sans la possibilité d’un dérangement, d’une rupture ou d’une abrupte fin de l’excitation ; ou encore, pas de chez soi sans l’imminence d’un bruit embarrassant dans la nuit calme, d’un refus érotique ou d’une gêne perturbant la mort paisible.

Ni le repos ni l’excitation ne seraient, pourtant, solitaires. Encore une fois, c’est plutôt autour de l’ouverture à l’expérience du plus-d’un fragile et temporaire que ceux-ci se construiraient. Cette approche recoupe une position que Nancy avait proposée déjà dans La Communauté désœuvrée et que je lis comme étant le précurseur des positions que je discute ici :

L’amour […] expose le désœuvrement, et donc l’inaccomplissement incessant de la communauté. Il l’expose sur sa limite. Les amants forment la limite extrême, mais non externe, de la communauté. Ils sont à l’extrémité du partage (et l’extrémité d’un partage se loge plutôt en son milieu qu’à son bord extérieur, qui du reste n’existe pas19...)

Je reste vigilant ici, afin de ne pas identifier ce que Nancy théorise sous le nom de « communauté » (pour lui l’expérience que l’on fait en commun est celle de la perte de la communauté20, la fin de toute tentative d’appropriation du sens de la communauté21) à ce que Derrida entend par « hospitalité » (qui serait un des exemples les plus typiques d’une communauté sans communauté). Cependant, tous les deux sont d’autres noms pour le « cum- » du plus-d’un et pour ses limites. Je ne peux donc que repérer une certaine continuité entre l’idée du partage et de l’être-avec des amants, chez Nancy, puis l’idée d’être chez-soi-chez-l’autre et l’hypothèse d’une hospitalité de part en part sexuelle chez Derrida. Pareillement, si la rupture entre les amants est la fin du partage extrême qu’ils représentent, et que cette même rupture est attendue et imminente quelle que soit sa durée, l’hospitalité sous forme d’hospitasexualité « concerne la visite […] essentiellement passagère même si elle dure longtemps22 ». Devenir intime avec l’autre ressemble, de ce point de vue, au droit de visite chez le corps de l’autre plutôt qu’à une installation ou au droit de résidence chez l’autre. Plus encore, vu que l’intimité est par définition temporaire même dans les relations les plus fusionnelles, les amants seraient ceux qui ne font pas encore assez communauté, qui sont toujours trop loin l’un de l’autre, et qui se réunissent avant tout dans l’attente et l’espérance d’une communauté qui n’adviendra jamais complètement. Ils s’exposent l’un à l’autre en voyant l’un dans l’autre à la fois l’horizon de leur communauté et l’impossibilité de celle-ci. Les amants ensemble exposent la communauté désœuvrée aux yeux de celles et ceux qui seraient encore moins impliqués dans celle-ci, un peu ou très loin de cette limite extrême qui serait aussi son noyau.

Derrida, le même qui tout à l’heure était réticent au fait de lier le chez-soi à l’indigénat et à ses expressions, ajoute qu’« il faut bien admettre que le chez-soi est aussi originaire que le soi, co-originaire avec le soi : on ne peut être soi qu’en étant chez soi, et pourtant le concept de chez-soi est plus déterminé, plus riche que le simple soi23 ». Mais quelle conception du chez-soi le rend plus riche que le « simple soi » ? De quelle manière l’hospitasexualité et l’intimité contribueraient à l’élaboration et à la compréhension du chez-soi comme soi augmenté ? Ce qui semble importer ici est la distinction entre une origine (un pays, un lieu de naissance, une ethnie, une langue maternelle) d’un côté et, de l’autre, un chez-soi élargi (grâce au corps auprès duquel on dort, avec lequel on fait l’amour, à côté duquel on meurt) qui serait « co-originaire avec le soi ». Cette distinction ouvre la possibilité des chez-soi multiples qui se succèdent et font évoluer le soi et, en même temps, renforce l’articulation de l’hospitalité avec l’intimité.

Plus précisément, l’hospitalité peut être considérée, ou évoquée, comme le propre d’une communauté (d’une nation, d’une société, d’un groupe de pays). Cependant, l’hospitalité est précisément la pratique qui contamine la communauté accueillante supposément homogène et fait évoluer les caractéristiques propres du chez-soi où les arrivants seront accueillis, y compris l’éventuelle volonté de la communauté de se représenter comme hospitalière. Ma façon de penser l’intimité s’inscrit dans une logique similaire : l’intimité comme refuge du soi (la privacy, la pièce à soi, la chambre d’hôtel, la cabane, l’espace de retraite, le lieu d’isolement et de réflexion) est celle qui pourrait accueillir l’intimité comme relation, donc l’intimité entre plus-d’un qui remettrait en question l’intimité comme refuge. Si hospitalité et intimité sont des expériences du plus-d’un, l’hospitalité ne peut qu’être, non pas le propre, mais l’im-propre d’une communauté et l’intimité ne peut qu’être non pas ce qui reste d’intouchable, mais ce qui est le tangible par excellence de soi, ce qui le met en contact et redéfinit ses limites.

L’impropre et l’espace infinitésimal

Derrida remet en question la double opposition « proche/lointain = propre/impropre »24. En commentant la pulsion xénophobique comme pulsion immunologique, il écrit :

ici l’im-propre redouté est cette fois proche, trop proche, il est ou veut être des miens et d’une certaine manière l’acharnement ex-pulsif ou exterminateur reconnaît cette proximité, puisqu’il la redoute comme contagieuse, contaminante, impure, parfois si indiscernable de soi-même qu’il faut, par-delà le partage de tant de traits communs et indiscernables (la race, la langue, le citoyenneté, parfois même la religion), il faut inventer une imperceptible différence qui permettra la coupure, et il faut alors déployer à l’infini […] l’obsession intime et infinie car elle veut purifier, assainir, faire la place nette et aseptiser, hygiéniser, immuniser chez soi. C’est chez soi, entre soi et soi, que la pulsion immunologique se déchaîne, déchaîne sa haine, là où justement on ne peut plus opposer propre et impropre comme deux contraires aussi simplement opposables que, croit-on, le proche et le lointain, le voisin et le non-voisin, l’ami et l’ennemi, le concitoyen et l’étranger, etc25.

Derrida insiste sur la proximité avec ce (ou celui/celle) qu’il y aurait d’hostile dans l’hospitalité et dans le chez-soi ou, encore plus précisément, avec ce (celui/celle) que l’on pourrait construire comme hostile dans le familier. Derrida renverse ainsi l’ordre des choses : l’im-propre ne serait pas, au moins pas toujours, ce qui viendrait s’ajouter au propre, après coup et comme se greffant sur celui-ci. Il serait plutôt extrait de l’anciennement propre, comme un trait qui aurait fait jusqu’alors imperturbablement partie intégrante de celui-ci et qui serait seulement après-coup désigné comme n’appartenant pas ou plus, ou n’ayant jamais véritablement appartenu, au corps principal, au corps sain, au noyau familial. Plutôt qu’un parasite, l’im-propre serait le jadis indétachable qui se détacherait du propre et qui en serait expulsé : Socrate exilé d’Athènes, l’enfant qui suite à son outing serait expulsé de sa famille homophobe, la personne détectée séropositive exclue d’une parenté redéfinie comme irréconciliable avec le sang contaminé, un organe défaillant qui sera extrait d’un corps pour le reste sain. L’imperceptible différence inventée permettant la coupure serait, dans ces cas, l’incapacité de Socrate de parler la langue du tribunal, l’hétérosexualité présumée comme présupposé du lien familial, la séropositivité ou la maladie asymptomatiques.

Selon la même logique, l’« acharnement ex-pulsif ou exterminateur » consisterait en la décision de regarder de toujours plus près, d’inspecter le continuum du (chez—)soi selon des critères toujours plus fins (la maîtrise des idiomes, la sexualité, les traits du sang, l’état des organes) et d’y repérer les fissures et les failles. « Aseptiser, hygiéniser, immuniser » équivaudraient ainsi à la décision à la fois de faire du chez-soi l’objet d’un regard inquisiteur et de le réduire en effaçant ses inhospitalités. L’invention de l’imperceptible différence et la construction de l’impropre serait ainsi la fin d’un regard presbyte, et ceci dans les deux sens du terme : un regard qui resterait indifférent aux narcissismes des petites différences, mais aussi un regard — bienveillant, tolérant, inclusif — de la maturité. Cette invention mettrait également en danger le « plus » du plus-d’un, qu’il s’agisse de celui de l’hospitalité ou de celui de l’intimité : aucune aseptisation, hygiénisation ou immunisation sans un virus, des bactéries, ou quelques parasites (dont un accent étranger ou une maîtrise insuffisante d’une langue) à éliminer. Mais c’est cette même invention, potentiellement disruptive et à l’origine de la dissolution des liens forts et fondamentaux (de la cité, de la famille, de la parenté), qui nous rappelle deux choses : d’abord, que nos liens ne pourraient qu’être principalement des liens d’hospitalité et d’intimité, donc conditionnels et toujours sujets à un départ ou à une rupture ; ensuite, qu’une vigilance s’impose : ni hospitalité ni intimité sans crise ni sans critique.

Derrida encourage, à mes yeux, le rapatriement de l’impropre et la « promiscuité indécidable et contaminante » avec lui. Il ne met pas seulement en place un chez-soi, lui aussi impropre, mais fait du chez-soi le site par excellence de l’impropre, voire la matrice générant l’impropriété. Qu’il s’agisse de la folie de la famille incestueuse (il est, dans les sixième et septième séances, encore une fois question d’Œdipe et des Labdacides) ou du sang des personnes séropositives, « haïssable devient le moi, le chez-soi en tant qu’il est l’intimité dans laquelle la contamination s’insinue et dans laquelle l’immunologie risque d’être prise en défaut par trop de porosité, de perméabilité, de laisser-passer26 ». Cette position de Derrida est au cœur de ma problématique ici : le soi / chez soi est une intimité et celle-ci serait tout sauf close ; au contraire, l’intimité serait le noyau du chez-soi non pas malgré sa porosité, mais grâce à elle. Par conséquent, l’hospitalité comme proximité contaminante ne serait, au fond, qu’une proximité-par-contamination ; de même, s’il y a un type du plus-d’un qui va de pair avec l’éventualité (la peur et/ou le désir) de la contamination et de l’exposition à celle-ci, ce serait l’intimité.

Cependant, je n’entends pas ici l’hospitalité simplement comme une pratique étendue de l’intimité. Je définirais leur différence, ne serait-ce que provisoirement, ainsi : l’hospitalité s’appuie sur la (fausse) idée d’un chez-soi précédant sa contamination, même si, comme on vient de le voir, celle-ci n’est souvent inventée qu’après-coup. En revanche, l’intimité serait un chez-soi qui n’émergerait que sur le coup, lors d’un rapprochement mutuellement contaminant et d’une contamination équilibrée. Nancy, qui avait situé les amants sur la limite extrême mais pas externe de la communauté, parle, dans The Deconstruction of Sex, de l’écart [spacing] infinitésimal de leurs peaux où leur relation a lieu. Cette proximité et cette distance infinies, donc la distance comme condition de la proximité, fait que les amants s’embrassent et s’entrelacent27. Pourtant, c’est seulement à partir du moment où ceux-ci vont commencer à se laisser l’un l’autre que cette distance, inhérente à leur intimité, deviendra perceptible. C’est à partir du lâcher-prise et de la séparation que les amants feront l’expérience de la différence entre faire-un, d’une part, et, de l’autre, les limites du chez-soi-chez-l’autre.

En fait, ce n’est pas la seule fois que Nancy parle en termes de spacing pour décrire un « trouble dans l’intimité28 ». C’est l’expression qu’il a utilisée dans L’Intrus afin de décrire les signes que son ancien cœur lui envoyait lorsqu’il commençait à faire défaut et lorsqu’il a dû être opéré pour qu’un nouveau cœur lui soit greffé. L’ancien cœur, son cœur de toujours, était pendant plusieurs années non seulement inséparable de lui mais aussi impensable comme un organe détachable. Il était là, bien ancré dedans, faisant partie intégrante d’un système insécable. C’est lorsque le premier cœur est sorti de son silence — silence qui valait pour son bon fonctionnement — que le trouble a émergé : l’intimité troublée n’était pas uniquement celle du corps intérieur invisible, mais surtout celle des organes entre eux et de Nancy avec son propre cœur. C’est là où l’écart infinitésimal a été perçu et qu’un regard sur l’interior intimo29 est devenu nécessaire. C’est là où les organes ne prétendaient plus faire un, mais faisaient partie d’une intimité, en l’occurrence troublée. C’est aussi là qu’on a appris que même un cœur ne maintenait qu’une relation intimement troublée avec le corps et qu’il n’est accueilli que provisoirement dans ce corps hostipitalier — et cela, bien qu’on ait du mal à imaginer le corps sans lui. Le trouble dans l’intimité est celui qui nous fait remarquer la distance infinitésimale et jusqu’alors imperceptible entre le cœur et le reste du corps. Celle-ci sera désormais surveillée, ce qui nous permettra de comprendre qu’il s’est agi d’une intimité plutôt que d’une continuité sans faille entre eux. Le trouble dans l’intimité est aussi le début d’une hospitalité calculée dont la fin s’annonce imminente : l’ancien cœur ne sera plus pour longtemps accueilli par le corps duquel il était censé faire partie intégrante. Pour acquérir la nécessaire intimité avec le cœur greffé (intimité car surveillée), Nancy a dû laisser baisser son immunité face à l’intrus. Cette intimité surveillée assurera le lien fragile entre le plus-d’un (corps) et le faire-un (corps), en réduisant l’hostilité dans l’hospitalité offerte à/par le nouveau cœur, donc en empêchant que l’hospitalité ne l’emporte sur l’intimité.

Entre regarder et avaler, l’inapproprié

La proximité et la distance infinies sont la façon dont s’organisent la co-présence, la co-habitation, ou le partage des corps et des lieux, leurs conditions, leurs modalités et leurs limites. Parlant de l’hospitalité, Derrida est assez catégorique :

Quand un hôte est reçu par un hôte […], leur être-ensemble, leur être-avec, leur être-l’un-avec-l’autre dans ce qui est d’abord la maison ou le chez-soi de l’un n’est pas une occupation commune, ce n’est pas une habitation homogène et confuse des lieux. Il n’y a pas de fusion, de confusion ou de mise en commun de l’espace et de ce qui se spatialise dans cet espace. Il y a enclave et invagination. Il y a dissymétrie30.

Derrida perpétue ainsi la distance dans l’extrême proximité. C’est aussi de cette manière qu’il traduit le fait que l’hospitalité soit par définition temporaire et qu’une hospitalité permanente ne serait plus une hospitalité, mais un ancrage, une habitation, une copropriété ou une occupation des lieux. Cette distance infinie est, au fond, la différence entre le chez-soi et le fais-comme-chez-toi dans le double sens de celui-ci : s’approprier l’espace et/mais le traiter avec le respect qui lui est dû, se permettre de pénétrer un foyer tout en restant sous la surveillance de l’hôte, s’y installer pour y trouver sa propre place et y être enveloppé au risque d’être absorbé. Je pense qu’une sorte d’hymen est de retour ici : mariage et membrane corporelle qui sépare, il déjoue l’opposition de l’intériorité et de l’extériorité31, d’où la possibilité de voir l’accueil de l’autre à la fois comme mise en place d’une enclave et comme invagination.

Le Nancy de la Sexistence est sur la même longueur d’onde. Dans le chapitre « Continu, discontinu », il écrit : « S’il cherche la continuité, le sexe ne la cherche ni ne la trouve qu’au titre de la discontinuité. Les amants souhaitent éprouver ensemble un soutien “sentiment de continuité profonde” : “ensemble” — un mot qui possède une valeur locale, temporelle et émotive — ne signifie pas “indistinctement32 ». Nancy exclut ainsi la fusion en introduisant une distinction qu’il juge nécessaire entre « ensemble » (ou, comme il disait plus haut, « à proximité extrême ») et « indistinctement ». Pour lui, être-ensemble est avant tout une expérience de la simultanéité, autrement dit du « cum » du « contemporain ». C’est dans cette expérience de synchronisation temporaire que sont aussi prévus le départ, la séparation, la perte mutuelle, la « cessation du rapport ». Un peu plus loin, Nancy apporte une nuance en ajoutant la possibilité, voire l’inévitable, d’une confusion comme variante ou alternative de la fusion « qui ne se résout pas en une transsubstantiation mais qui consiste en une indistinction de substance ou de sujets pourtant distincts. La confusion des corps dans l’étreinte […] excède le contraste entre continu et discontinu. En un sens, le sexe est sans doute toujours en proie à une confusion33 ». Je situerais la différence entre fusion et confusion non pas dans le chambardement ou la perturbation, mais dans le « cum- » de la simultanéité, du rapprochement synchronisé et unique qui précède la fusion et peut potentiellement mener à elle. C’est dans ce rapprochement précis, de ce « cum » non pas fusionnel mais confusionnel, que se joue l’ambiguïté entre le plus-d’un et le faire-un.

J’ai déjà expliqué en quoi, pour Derrida, c’est le propre qui est détaché de l’impropre plutôt que l’impropre qui vient contaminer le propre. Pareillement, le chez-soi ne serait que la version hygiénisée d’un chez-soi-avec-l’autre, où l’autre, l’intrus ou le parasite, est inventé pour en être par la suite exclu. Dans The Deconstruction of Sex, Nancy va dans le même sens. D’abord, après avoir évoqué Bataille et la communauté des amants, il dit que « la communication des amants est bien celle de leur finitude : ils consentent à s’abandonner devant l’autre, en l’autre et par l’autre, à l’aveu de leur finitude34 ». Un peu plus loin, il ajoute : « Le ‘un’ est toujours ôté, soustrait du ‘plus d’un’. Mais c’est précisément alors qu’il est, ou qu’il fait, ‘un35’ ». Je ne peux ici que m’interroger sur le sens de l’acte même de « s’abandonner devant l’autre » : si c’est ce que les amants font, ne serait-il pas aussi le présupposé de toute intimité ? S’abandonner en tant qu’entité close et se mettre avant tout devant l’autre, dans un face à face avec elle ou lui, en se rendant visible d’abord, puis tangible, pénétrable et incorporable. Mais quelles sont les conditions de ce face à face, de l’abandon à l’autre, de l’écart et de l’intimité avec elle ou lui ?

Analysant le portrait chez Nancy, Danielle Cohen-Levinas écrit :

Dans cet effort qui consiste à faire du portrait le paradigme de la notion d’écart, toujours dans l’intervalle de soi à soi, puisque le propre du portrait que je regarde regarde le propre du portrait que je suis, réside une béance que Nancy nomme dans son dernier livre,Sexistence, un inapproprié. Comme une coïncidence entre deux inextricables : le propre et le désa-propre36.

Un peu plus loin, elle complète son raisonnement en disant qu’il s’agit, d’une certaine manière, de « perdre la face », ce qui « revient […] à s’absenter de sa propre mêmeté, à faire l’expérience du désa-propre »37. Si le portrait est le paradigme de l’écart, celui-ci serait, dans le cas des amants qui s’abandonnent l’un à l’autre, l’inapproprié chez eux qui empêche la fusion. Ce même écart n’empêcherait pourtant pas la déformation volontaire des amants impliqués dans l’intimité. Dans le cas du portrait et de son spectateur, les regards qui se croisent ne s’exposent qu’au propre des visages. Les amants, de leur côté, bien que contraints par l’inapproprié et par l’écart infinitésimal entre eux, sont impliqués dans une intimité indissociable de l’excès de soi qu’elle-même apporte et performe. Pour Nancy, celle-ci s’excède elle-même dans ses orientations, ses perversions, sa jouissance ou son impuissance38. Les amants sont proches et séparés, regardés, touchés, pénétrés, quasi-incorporés l’un par l’autre, exposés l’un à l’autre, visibilisant et risquant leurs périmètres respectifs avec l’autre, s’ouvrant ainsi à la confusion mais pas à la fusion. Je pourrais bien répéter cette dernière phrase en remplaçant les « amants » par les « hôtes » ; dans ce cas, les périmètres ne seraient plus ceux de leurs corps respectifs, mais ceux de leurs foyers.

Toujours dans The Deconstruction of Sex, Nancy dit :

Il suffit de comparer le sexe à l’alimentation : cette dernière peut se dépasser dans la gloutonnerie, dans la goinfrerie, ou dans la gastronomie — dans l’anorexie ou la boulimie aussi — mais ces excès sont assez reconnaissables par rapport à une alimentation ‘normale’. Au contraire, le sexe peut-il être simplement normal39 ?

Je ne suis pas convaincu qu’il serait aisé de repérer une alimentation normale, avec ou sans guillemets. Ses conditions médicales, historiques, sociales, religieuses, économiques et autres risqueraient de rendre cette tâche extrêmement compliquée. Je vois pourtant dans l’énumération par Nancy des façons dont l’alimentation se dépasse au moins deux positions différentes vis-à-vis de l’inapproprié que serait ici le non-comestible : d’un côté, la voracité et la volonté d’avaler beaucoup trop, même au-delà de sa capacité de digérer ; de l’autre, le refus de manger, donc de se mettre trop en retrait par rapport à l’inapproprié et de laisser, à ses propres dépens, le domaine de l’inappropriable s’étendre. Dans le premier cas, la proximité infinie se transforme en absorption et la peau poreuse comme surface de contact cède sa place à l’orifice buccal ; dans le deuxième, la distance infinie prend l’épaisseur d’une peau-carapace, d’un corps scellé et d’une bouche cousue. Si je lis bien Nancy, l’alimentation normale serait plus qu’une alimentation modérée : elle s’interrogerait sur le comestible et le non comestible, sur ce qu’il faut ou qu’il ne faut pas manger, en maintenant de l’inapproprié dans l’appropriable par excellence qu’est la nourriture. Toute une réflexion sur le rapport avec le (non-)vivant aurait été possible ici. Je me contente toutefois de remarquer que Nancy, ne serait-ce qu’implicitement, semble associer une réflexion déjà épineuse sur la normalité du sexe à un questionnement sur les conditions du partage et sur l’inapproprié.

De son côté, Derrida avait déjà donné, dans le cadre de son dialogue avec Nancy intitulé « Il faut bien manger, ou le calcul du sujet », une réponse à la question de savoir ce que serait un manger, non pas normal, mais nécessaire et dû :

La question infiniment métonymique au sujet du « il faut bien manger » ne doit pas être nourrissante seulement pour moi, pour un moi, qui alors mangerait mal, elle doit être partagée, comme tu le dirais peut-être, et non seulement dans la langue. « Il faut bien manger » ne veut pas d’abord dire prendre et comprendre en soi, mais apprendre et donner à manger, apprendre-à-donner-à-manger-à-l’autre. On ne mange jamais tout seul, voilà la règle du « il faut bien manger ». C’est une loi de l’hospitalité infinie40.

Nancy voit dans l’alimentation normale un parallèle potentiellement pertinent pour penser le sexe normal, tout en reconnaissant la difficulté ou l’impertinence de l’effort de définir une normalité. Derrida voit dans l’acte de manger une métonymie pour le partage, le devoir d’apprendre à donner et le désistement volontaire d’un manger exclusif ou solitaire. Je lis l’injonction de Derrida (« il faut bien manger ») comme un rappel récurrent que, lorsqu’on mange, on ne peut que manger l’autre ou la nourriture de l’autre, on ne peut qu’occuper son espace à lui qui est l’espace que l’on aurait dû lui céder chez nous (« l’hospitalité infinie »). En conjuguant, grâce à la place ambiguë du « bien », la nécessité et la déontologie du manger, Derrida introduit une logique du « calcul du sujet », comme l’indique la deuxième moitié du titre de son entretien avec Nancy. De manière intéressante, la phrase déjà citée « [le] “un” est toujours ôté, soustrait du “plus d’un41” » vient d’un chapitre du dialogue entre Nancy et Goh intitulé « Who comes before/after sex? » (« Qui vient avant/après le sexe ? »), titre faisant allusion au volume bien connu de 1991 intitulé Who Comes After the Subject42?, dans lequel a paru en anglais le dialogue Nancy-Derrida « Eating Well » (« Il faut bien manger »).

Chez Derrida, l’un ne peut émerger que lors du bien manger qui est un manger-avec-l’autre lié à l’hospitalité infinie. Pour Nancy, l’un se fait l’écho du singulier pluriel et émerge aussi depuis l’intimité sexuelle, chaque fois singulière, en préparant la place qu’il fera à l’autre ou après lui avoir fait de la place, dans l’attente du rapport sexuel ou après sa fin. Dans les deux cas, cet un s’appuie sur la possibilité d’une confusion qui, selon Nancy, excède le contraste entre continu et discontinu, ainsi que le contraste entre chez-soi et chez-soi-chez-l’autre. Mais à partir de quel moment arrive la confusion ? Par qui ou par quoi est-elle portée ? Comment articuler le « cum- » de la confusion nancienne, la simultanéité du corps accueillant et du corps accueilli et le moment d’invagination, avec la réflexion de Derrida qui a explicitement refusé toute fusion et toute confusion dans l’hospitalité ?

Droit de regards, ou s’exposer en commun

Toujours dans son séminaire sur l’hospitalité, Derrida insiste sur le « droit de regard » :

admettre, recevoir, accueillir un visiteur chez soi, c’est le laisser entrer et donc occuper un espace à lui, s’en emparer symboliquement, regarder, inspecter, visiter, donc aussi fouiller, prendre connaissance, comprendre et prendre tout court ce qui se trouve chez moi. Ce droit au droit de regard, ce droit à l’indiscrétion que je concède à l’autre qui, en tant qu’hôte, n’est plus un intrus ou un parasite, ce droit dessine les contours d’un espace enclavé, à la fois désenclavé et réenclavé, car l’hôte ne va pas pour autant vivre dans une communauté de partage homogène l’espace du « chez-soi », il va y inscrire son propre trajet, son propre pas, sa propre orientation, sa propre sélection ou son propre filtrage de perception et d’interprétation : […] il va avoir sa pièce, sa chambre, son quant-à-soi, son for, son for intérieur, ses secrets dans ma maison43 ».

La personne accueillie est ici, avant tout, quelqu’un qui inspecte, qui découvre, qui regarde depuis un dehors qui est désormais dedans, qui porte le droit d’interprétation de ce qui était jusqu’alors la privacy de celui ou de celle qui l’a accueilli. En s’inscrivant à l’intérieur de l’espace qui l’accueille et en y trouvant son quant-à-soi, le visiteur (qui est aussi un regard-visiteur) connaît mieux le « chez-soi » de celui qui l’a accueilli que ce dernier, précisément parce qu’il n’y est plus un intrus ou un parasite. Au contraire, il y est celui qui s’est approprié cet espace en y installant ses propres secrets, ou en s’y installant comme secret. C’est l’intrus qui s’arroge un droit de regard dans la privacy de son hôte, qui entre dans son intimité en devenant intime, sexuellement ou non, avec lui, et qui n’y est, peut-être, même plus perçu comme un intrus.

Encore une fois intrus, donc encore une fois L’Intrus de Nancy. Nancy y part de la fameuse phrase de Saint Augustin interior intimo meo pour parler de son sternum ouvert et du « trouble dans l’intimité » que j’ai évoqué plus haut. Avec cette référence, Nancy fait allusion à la pratique de la confession, de la parole qui s’adresse au regard divin, bien que ce regard soit toujours déjà omniscient. Pendant la confession, la privacy invisible devient intimité, intérieur au superlatif partagé avec celui qui a par définition droit de regard. En parlant du cœur-intrus, Nancy dit : « L’intrus m’expose excessivement. Il m’extrude, il m’exporte, il m’exproprie44 ». Son intimité troublante avec son ancien cœur commence au moment où celui-ci commence à se détacher du reste du corps et que leur intimité est suivie par le regard médical. Son intimité avec le nouveau cœur s’appuie sur le fait que celui-ci risque toujours de faire défaillance et demeure étranger. Comme je l’ai déjà dit plus haut, l’intimité est scrupuleusement surveillée : une fois le droit de regard accordé, il n’y a plus de privacy avec le nouveau cœur, même plus de privacy (secret ou pénombre) tout court. Il y a intimité, et celle-ci ne peut qu’être visible, exposée. La logique de Nancy dans The Deconstruction of Sex est essentiellement la même :

J’ai toujours trouvé que « pénétration » est un mot équivoque : certes, on va « dedans », mais ce « dedans » est la continuité intime du dehors ; c’est un dehors exposé intimement, donc sombre, caché, dans lequel le corps est plus humide, plus liquide même, où il va vers une effusion non seulement de liquide séminal (masculin ou féminin), non seulement de sueur et de salive, mais aussi […] de toute son individualité corporelle45.

Dans L’Intrus c’était le dedans (l’intimité avec le nouveau cœur) qui s’exposait au grand jour. Ici, c’est le dehors qui est « exposé intimement », un dedans qui n’est pas non plus celui de la privacy ni de l’invisibilité. C’est plutôt le dedans qui, en s’ouvrant au droit de regard et aux regards multiples, s’ouvre aux intimités potentielles et plurielles, aux hospitalités sexuelles.

À sa compréhension de l’hospitalité, Derrida ajoute ce qu’il appelle le « droit au droit de regard », ce qui comprend, pour ce qui est de la personne accueillie, son droit de découvrir les secrets du foyer dans lequel il se retrouve, y pénétrer indiscrètement sans que sa présence ne soit considérée comme une irruption ou une invasion, s’y installer en important ses propres secrets et sans forcément accepter que ses secrets y soient à leur tour révélés ou au moins accessibles. Derrida avait déjà évoqué l’asymétrie dans la relation d’hospitalité, lorsqu’il écrivait sur l’hostipitalité. Il ajoute ici l’asymétrie qu’il résume dans l’idée d’une nouvelle enclave implantée dans l’espace désenclavé, donc d’une autre parcelle d’hostilité dans l’hospitalité. Derrida semble penser que la concession du droit de regard n’est ni mutuelle ni parfaitement équilibrée. C’est une autre façon de décrire « le respect de l’autre au moment même où, en en faisant l’expérience […] on doit commencer à s’identifier à lui, à l’assimiler, l’intérioriser, le comprendre idéalement46 » : il s’agit de garder de l’inapproprié chez celui qui est en train d’être assimilé, mais aussi de le comprendre sans le laisser se dissoudre ni disparaître en nous. Il y a là les conditions du plus-d’un : proximité et séparation, concession du droit de regard et respect pour l’invisible que le nouvel arrivé porte en lui.

Dans L’Intrus, Nancy reprend une idée similaire lorsqu’il souligne la nécessité de baisser son immunité afin de maintenir le cœur greffé. Il s’agit ici d’organiser son assimilation partielle par l’autre, dans un contexte où « l’étrangeté et l’étrangèreté deviennent communes et quotidiennes »47. Cette bizarre communauté-en-étrangeté est la base de l’intimité entre les anciens et les nouveaux organes. Elle se met progressivement en place et présuppose, elle aussi, une certaine concession du droit de regard. Cependant, ce n’est ni le reste du corps qui aurait prioritairement droit de regard sur le cœur, ni le cœur sur le corps. C’est plutôt tous les deux, en commun et toutefois sans se confondre, qui cèdent le droit de regard au regard qui vient de l’extérieur : le regard médical en l’occurrence, qui rend possible l’interior intimo meo que Nancy évoque comme équivalent d’une exposition infinie48.

Dans Sexistence, Nancy revient sur la pénétration pour mettre l’accent sur les « dilatations et resserrements de tous orifices jusqu’aux pores et jusqu’aux méats de l’âme49 », par lesquelles s’effectue l’effusion non seulement des liquides séminaux mais aussi de l’individualité corporelle. Si celle-ci se perd parce qu’elle se mélange, elle n’en est pas moins une version du plus-d’un : la pénétration (qui, je le rappelle, a fait l’objet de la critique de Goh) est ainsi revue comme un contact entre deux surfaces poreuses, comme un moyen de les dilater et de les exposer à un regard, ou encore à un toucher, donc à tous les regards et à tous les touchers, aimants ou abusifs. C’est précisément cela l’intimité : l’ex-peau-sition50, le devenir-accessible-en-commun à un, donc à plusieurs regards. Dans le cas de l’hospitalité, il s’agissait des espaces désenclavés et réenclavés, de l’exposition de l’accueillant au regard de l’accueilli. Dans le cas de l’intimité, il est question de l’ouverture commune des corps intimes et confondus, donc du plus-d’un, à un regard externe. Dans ce sens, l’intimité est la sortie de la privacy, que celle-ci soit celle de l’hospitalité ou de la sexualité ; elle est le fait d’accorder en commun le droit de regard sur le plus-d’un corps et sur le moment précis du plus-d’un.

Dans un texte où il commente une série de photographies de Marie-Françoise Plissart, intitulée précisément Droit de regards, Derrida souligne les conséquences que ce titre aurait sur la lecture de ces photographies, dont les premières et les dernières consistent en des scènes d’intimité entre femmes. Il remarque que le titre « dit en somme, et en abyme, le droit de regard de l’auteur et des éditeurs sur le corpus ». Mais, avant tout, ce titre définit une position par rapport aux photographies, et beaucoup moins un contenu, et produit l’effet suivant :

À l’intérieur de ce que présentent ou représentent les photographies, sur la face photographiée, les personnages ont « droit de regard » les uns sur les autres. C’est une guerre amoureuse pour le droit de regard […] et grâce au dispositif technique […] les partenaires, les parties détiennent l’autre en effigie. Elles en disposent dès lors que l’autre entre dans le champ de leur vision, ou plutôt dans le cadre artefactice de leur objectif. Devenu objet optique, l’autre du coup relève […] de l’autorité de qui regarde, comme de qui cela regarde. L’autre se trouve pris en vue dans mon objectif, il devient objet pour moi, au travers d’une irréductible tekhnè (objectif, filtre, rideau, diaphragme, cadre, etc51.).

Le mouvement que décrit Derrida complète, je pense, ce que j’ai essayé d’expliquer sur le mécanisme de l’intimité. Le droit de regard, dans le cas de l’intimité captée par une caméra, est garanti par le dispositif photographique. D’une certaine manière, c’est en passant par « l’autorité de qui regarde » que les corps regardés se proposent l’un à l’autre et se déplient en commun, l’un face à l’autre et l’un pour l’autre, « dans le champ de leur vision ». Si les corps intimes s’exposent simultanément à la caméra et s’ils se synchronisent entre eux dans leur exposition à la caméra, ils ne peuvent que s’ouvrir également l’un à l’autre. Et s’ils se déplient simultanément devant un regard tiers, ils ne peuvent pas refuser de se déplier l’un devant l’autre. L’intimité ne serait pas l’équivalent exact de la nudité réciproque, mais plutôt ce qui facilite et prépare une proximité qui maintient bien l’écart infinitésimal mais sans interposer l’enclave d’un secret dissymétriquement partagé, comme c’est le cas de l’hospitalité. Même lorsque l’intimité a lieu chez l’un ou chez l’autre, celle-ci ne peut qu’être une enclave commune, un lissage partiel et temporaire de la dissymétrie inhérente à toute hospitalité. Au fond, c’est là où je vois le lien et la différence entre hospitalité et intimité : le lien, dans l’inspection par celui qui arrive, par la personne intime, et par les corps intimes comme arrivants ; la différence, chez les regards arrivants auxquels s’exposeront en commun les corps intimes, ces corps devenus le chez-soi les uns des autres.

Notes

1

Pour la notion d’intimité culturelle, voir Michael Herzfeld, Cultural Intimacy: Social Poetics and the Real Life of States, Societies, and Institutions[1997], London – New York, Routledge, 2016.

2

Jacques Derrida, De l’hospitalité, Paris, Calmann-Lévy, 1997, p. 45.

3

Christopher Lauer, Intimacy: A Dialectical Study, Londres et New York, Bloomsbury, 2016, p. 99 (je traduis).

4

Jacques Derrida, Hospitalité, vol. I, Séminaire (1995-1996), p. 213.

5

Jacques Derrida, De l’hospitalité, op. cit., p. 19sq.

6

Jacques Derrida, Hospitalité, vol. I, Séminaire (1995-1996), p. 263.

7

Ibid., p. 261.

8

Ibid., p. 261.

9

Ibid., p. 195-196.

10

Ibid., p. 199.

11

Ibid., p. 231.

12

Leo Bersani – Adam Philips, Intimacies, Chicago, Chicago University Press, 2008.

13

Tim Dean, Unlimited Intimacy: Reflections on the Subculture of Barebacking, Chicago, Chicago University Press, 2008.

14

Jacques Derrida, Hospitalité, op. cit., p. 261

15

Jean-Luc Nancy – Irving Goh, The Deconstruction of Sex, Durham, Duke University Press, 2021, p. 9 (je traduis).

16

Ibid., p. 10 (je traduis).

17

Jacques Derrida, Hospitalité, op. cit., p. 229.

18

Cf. Charles Ramond, Dictionnaire Derrida, Paris, Ellipses, 2016, p. 65sq.

19

Jean-Luc Nancy, La communauté désœuvrée [19861], Paris, Christian Bourgois, 2004, p. 95.

20

Ibid., p. 30-31.

21

Jean-Luc Nancy, « Of Being in Common », in Miami Theory Collective (dir.); Community at Loose Ends, Minneapolis – Oxford, Minnesota University Press, 1991, p. 6.

22

Jacques Derrida, Hospitalité, op. cit., p. 237.

23

Ibid., p. 239.

24

Ibid., p. 246.

25

Ibid., p. 246-247.

26

Jacques Derrida, Hospitalité, op. cit., p. 247-248.

27

Jean-Luc Nancy – Irving Goh, The Deconstruction of Sex, op. cit., p. 47.

28

Jean-Luc Nancy, L’Intrus, Paris, Galilée, 2000, nlle éd. augmentée 2010.

29

Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo, « mais, toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même » (Augustin, Confessions, III, 6, 11).

30

Jacques Derrida, Hospitalité, op. cit., p. 255.

31

Cf. Charles Ramond, Dictionnaire Derrida, op. cit., p. 122sq.

32

Jean-Luc Nancy, Sexistence, Paris, Galilée (coll. « La Philosophie en effet »), 2017, p. 87.

33

Ibid., p. 88.

34

Jean-Luc Nancy – Irving Goh, The Deconstruction of Sex, op. cit., p. 61 (je traduis).

35

Ibid., p. 62 (je traduis). Le traducteur du texte remarque que la façon dont se prononce en français la phrase « comme un ôté » est proche de prononciation du mot « communauté » ; ibid., p. 101, n. 7 (je traduis).

36

Danielle Cohen-Levinas, « Une disparition. Plus intime que le visage, le visage », in Jérôme Lèbre – Jacob Rogozinski, dir., « Jean-Luc Nancy. Penser la mutation », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg , 42:2, 2017, p. 192.

37

Ibid., p. 192.

38

Jean-Luc Nancy – Irving Goh, The Deconstruction of Sex, op. cit., p. 29.

39

Ibid., p. 29 (je traduis).

40

Jacques Derrida, « Il faut bien manger, ou le calcul du sujet », in Points de suspension. Entretiens, Paris, Galilée, 1992, p. 296 et 297.

41

Jean-Luc Nancy – Irving Goh, The Deconstruction of Sex, op. cit., p. 62.

42

Eduardo Cadava – Peter Connor – Jean-Luc Nancy (dir.): Who Comes After the Subject?, Londres, Routledge, 1991.

43

Jacques Derrida, Hospitalité, op. cit., p. 262.

44

Jean-Luc Nancy, L’intrus, op. cit., p. 42.

45

Jean-Luc Nancy – Irving Goh, The Deconstruction of Sex, op. cit. p. 38-39.

46

Jacques Derrida, « Il faut bien manger, ou le calcul du sujet », art. cit., p. 269-301.

47

Jean-Luc Nancy, L’intrus, op. cit. p. 33.

48

Ibid., p. 42.

49

Jean-Luc Nancy, Sexistence, op. cit., p. 106.

50

Jean-Luc Nancy, Corpus, Paris, Métaillé, 2000, p. 31-34.

51

Marie-Françoise Plissart, Droit de regards, suivi d’une lecture de Jacques Derrida [1985], Bruxelles, Les Impressions nouvelles (coll. « Traverses »), 2010, p. xxxix.

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