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Dans le séminaire La vie la mort (1975-76), Jacques Derrida identifie la « reproduction » comme le critère qui sous-tend et oriente La logique du vivant (1970), l’œuvre du biologiste François Jacob, auquel a été attribué en 1965 le prix Nobel de médecine, avec Jacques Monod et André Lwoff, pour leurs études sur la synthèse des protéines par l’ADN :

Commençons par le concept de re-production. Il est le concept ultime du critère selon lequel, nous dit Jacob, du seul critère, du seul et unique critère auquel on reconnaît qu’on a affaire à du vivant. Seul le vivant – et c’est à quoi on le reconnaît – a le pouvoir de se reproduire1.

Derrida identifie en particulier dans la forme réflexive – se reproduire – le nœud problématique qu’il juge nécessaire de déconstruire : « car Jacob dit toujours re-production où visiblement il décrit une auto-reproduction : il y a des non-vivants qui re-produisent sans se re-produire et cette flexion sur soi, cette auto-affection est un pli essentiel de la structure2 ».

En effet, bien que Jacob pense que la biologie génétique moderne, grâce à la notion de « programme » importée de la cybernétique, s’est enfin émancipée de tout héritage philosophico-métaphysique, et en particulier de la téléologie, Derrida observe, à juste titre, qu’en définissant la reproduction, Jacob propose une définition de l’essence de la vie du vivant qui, au lieu de rompre avec la tradition aristotélicienne de la philosophie de la vie, et donc avec la téléologie, ne ferait que la reproduire inconsciemment :

la reproduction est définie comme l’essence même, la propriété essentielle, le propre du vivant, la vivance même, son ousia et son aitia, son être-vivant, son essence-existence, la cause motrice et finale, le devenir final de la cause motrice : « pour un tel système, la reproduction qui constitue la cause même de l’existence devient aussi la fin. Il est condamné à se reproduire ou à disparaître3.

Plus précisément, selon Derrida, en définissant la reproduction comme l’essence de la vie du vivant, Jacob ne ferait que confirmer involontairement la définition philosophico-métaphysique par excellence, celle que Hegel aurait proposée sur la base de la matrice aristotélicienne, et comme dépassement dialectico-spéculatif de l’opposition kantienne entre « mécanisme » et « téléologie » :

Comme par hasard, la définition essentielle qu’il donne de la vivance, de ce qui fait qu’un existant (un système ou un individu vivant) est vivant, c’est littéralement la définition qu’en donne le plus métaphysicien des métaphysiciens, le métaphysicien par excellence, Hegel, à savoir que l’individu vivant est vivant en tant qu’il peut se reproduire. Dans la dernière section de la grande Logique, par exemple, au chapitre 1, la Vie, sous-chapitre A (je ne reconstitue pas tous les syllogismes), Hegel écrit : « la sensibilité et l’irritabilité sont des déterminations abstraites ; mais dans la repro­duction (in der Reproduktion) la vie devient concrète et vraiment vivante [vivance] (in der Reproduktion ist das Leben Konkretes und Lebendigkeit)4.

Derrida a sans doute raison de déceler une matrice téléologique dans la détermination du prétendu « programme génétique », dont la reproduction constituerait l’essence des êtres vivants ; d’autre part, cette matrice est également considérée aujourd’hui par les biologistes comme le « dogme du déterminisme génétique », et ce dogme n’est plus tenable à la lumière des études épigénétiques. J’ai traité de cette question en détail dans Biodeconstruction. Jacques Derrida and the Life Sciences5. Pourtant, en traduisant La vie la mort pour l’édition italienne, je me suis rendu compte qu’il y avait là un problème qui risquait d’affaiblir la déconstruction opérée par Derrida de la notion de « reproduction ». En effet, Derrida élude un passage historique décisif dans l’histoire des sciences naturelles. Par le terme Reproduktion, Hegel n’entend pas la génération d’un ou de plusieurs individus, mais l’assimilation – la digestion (Verdauung) – à partir de la nature extérieure des substances nécessaires à la construction et à la conservation de l’individualité animale, donc le processus par lequel l’organisme se régénère, c’est-à-dire se produit comme une individualité pour lui-même (Selbst), rejoignant la forme immédiate de la subjectivité, la plus haute détermination à laquelle accède la Nature dans son développement dialectico-spéculatif ; en ce sens, la forme réflexive est évidemment justifiée :

§ 365. Cet acte par lequel le vivant fraye avec l’extérieur (Einlassen mit dem Äußern), c’est-à-dire la stimulation et le processus lui-même, possède, face à l’universalité et à la simple relation du vivant avec lui-même, la détermination de l’extériorité ; ainsi cette manière de frayer constitue elle-même, à proprement parler, face à la subjectivité de l’organisme, l’objet à surmonter et à digérer (zu verdauen). Cette inversion du point de vue est le principe de réflexion de l’organisme en lui-même ; son retour en lui-même est la négation de son activité orientée vers l’extérieur. Il possède la double détermination, d’une part, de séparer de lui-même son activité qui est entrée en conflit avec l’extériorité de l’objet, d’autre part, en tant qu’il est devenu pour lui-même immédiatement identique à cette activité, de s’être reproduit (sich reproduziert hat) dans ce moyen. Le processus allant vers l’extérieur est ainsi transmué dans le processus formel de la simple reproduction (der einfachen Reproduktion) à partir de soi-même, dans l’acte qui consiste à se rassembler soi-même avec soi-même.

§ 366. Grâce au processus avec la nature extérieure, l’animal confère à la certitude qu’il a de lui-même, à son concept négatif, la vérité, l’objectivité, en tant qu’individu singulier. Cette production de soi (Diese Produktion seiner) est aussi une conservation de soi (Selbsterhaltung), ou reproduction, mais en outre, auprès d’elle-même, la subjectivité devenue produit, est en même temps supprimée comme subjectivité immédiate ; le concept, étant ainsi allé-ensemble avec lui-même, est déterminé comme universel concret, comme genre, lequel entre en rapport et en processus avec la singularité de la subjectivité6.

Par ailleurs, lorsqu’il évoque la reproduction sexuée animale, et donc la génération de nouvelles individualités vivantes à la suite du rapport sexuel (Geschlechts-Verhältnis) (§ 369), Hegel utilise le terme Fortpflanzung, qui signifie littéralement propagation, mais s’applique aussi à la procréation, ou au terme plus courant de Zeugung (§ 370Zu.), génération. Et cela vaut aussi bien pour l’Encyclopédie que pour la Science de la logique. Nous devons également garder à l’esprit la définition hégélienne de la reproduction simple (einfachen Reproduktion), qui nous sera utile tout à l’heure lorsque nous devrons aborder la question de la reproduction chez Marx. Sur ce point, il est important de signaler que dans certaines traductions françaises et italiennes de ces deux ouvrages, Reproduktion et Fortpflanzung sont traduits indifféremment par reproduction, ce qui conduit à la confusion de Derrida qui assimile ces deux notions (et moi avec lui, dans mon commentaire dans Biodeconstruction). Comme c’est aussi le cas dans la traduction de Gandillac datant de 1970 :

§ 370. Le processus de la reproduction (Fortpflanzung) aboutit à la mauvaise infinité de la progression. Le genre ne se conserve que grâce au déclin (Untergang) des individus qui, dans le processus d’accouplement, ont donné plénitude à leur détermination (Bestimmung) [ici, il faut l’entendre aussi comme « destination »] et, dans la mesure où ils n’ont point de détermination supérieure, vont par là même à la mort7.

En effet, en allemand, le terme Reproduktion n’a que récemment pris le sens de « génération de nouveaux individus », en ne le prenant qu’à la suite de l’utilisation de ce terme par la biologie génétique8. C’est probablement la cause de l’aveuglement des traducteurs quant à la différence entre Reproduktion et Fortpflanzung ou Zeugung chez Hegel, et donc de la confusion que Derrida fera à son tour. En outre, il faut noter qu’en vertu de cette distinction, pour Hegel, l’animal se reproduit par l’assimilation de substances organiques puisées dans la nature, alors que, par le « rapport sexuel », il se disperse dans le progrès infini de la propagation de l’espèce, c’est-à-dire qu’il ne se reproduit pas au sens où Jacob semble concevoir la reproduction. A ce stade, il s’agit tout d’abord de vérifier quels sont les effets de cette confusion sur la déconstruction de la notion de reproduction par Derrida, notamment en ce qui concerne la question de la forme réflexive « se reproduire » qui, pour Derrida, constitue le cœur du problème, étant donné la centralité qu’elle revêt dans la conception de François Jacob. Afin d’éviter les redondances et autres confusions, précisons qu’à partir de maintenant, nous nous réfèrerons à la reproduction au sens (plus ancien) du processus de régénération naturelle par la notation « Rep.A », tandis qu’avec « Rep.B » nous viserons la reproduction au sens (plus récent) où elle est utilisée en biologie génétique et, par conséquent, dans le langage courant, à savoir comme la génération de nouveaux individus vivants. Cette distinction terminologique permet, d’une part, d’éviter de recourir au terme de « génération » lui-même, comme nous le verrons, fortement investi dans l’histoire des sciences du vivant. D’autre part, elle nous permet d’avancer notre hypothèse, à savoir que si le nœud à déconstruire consiste en la forme réflexive – se reproduire –, alors il faut identifier dans l’histoire des sciences de la vie le moment et le lieu où l’on bascule de l’usage de Rep.A à celui de Rep.B, de la reproduction de soi comme régénération de l’individu à la reproduction de soi dans un autre qui devrait être, en tant que tel, différent :

Le concept de re-production est à peine concevable. A fortiori celui de reproduction de soi, d’auto-reproduction, du se-reproduire. Surtout si l’on prétend y reconnaître une origine et une essence, l’origine et l’essence du vivant, la propriété interne du vivant. Surtout, donc, si la reproduction de soi n’est pas une aptitude particulière qui, entre autres choses, conviendrait aussi à la vie, mais si l’on dit, comme nous l’avons vu la semaine dernière, que seul le vivant en était doué et qu’il n’était pas vivant sans elle. L’auto-reproducti­bilité, c’est le vivant, en tant que 1) il n’y a pas de vivant qui n’en soit doué et 2) il n’y a pas d’auto-reproductibilité qui ne soit qualifiée de vivante. L’auto-reproductibilité n’appartient qu’au vivant9.

C’est ainsi que s’ouvre la cinquième séance du séminaire au cours de laquelle, comme nous le verrons, la confusion que nous avons repérée semble se propager en cascade, diffusant ses effets dans la lecture de Derrida, conduisant à une série de malentendus qui nous apparaîtront tout à fait surprenants. D’autre part, il convient de rappeler qu’il s’agit d’un séminaire et non d’un texte publié, qui souffre évidemment des conditions dans lesquelles il s’est tenu, du rythme bi-mensuel des conférences et du contexte institutionnel, un cours préparatoire à l’Agrégation. Pour l’évaluation de ce séminaire, comme des autres séminaires de Derrida, il faut cependant tenir compte de ce que Derrida lui-même aura dit dans L’animal que donc je suis au sujet d’un séminaire de Heidegger :

Enfin, un autre intérêt de ce texte tient au fait que c’est un « séminaire » — qui garde toutes les marques d’un long séminaire (et il ne faut pas oublier ce qu’est un séminaire avec la part de contingence, d’improvisation et de labeur, de fixation relativement injustifiable de certains énoncés)10.

C’est précisément dans cette perspective que nous entendons réviser la cinquième séance de La vie la mort, afin de réenclencher une déconstruction de la reproduction qui dépasse les limites de la lecture peut-être trop hâtive de Derrida. En effet, après avoir déployé les coordonnées générales d’une déconstruction de la notion de reproduction dans La logique du vivant, Derrida accuse ici Jacob d’utiliser cette notion de manière naïve et non critique, sans s’interroger sur son origine :

Le discours de Jacob – comme celui de toute une modernité – manie le concept de production ou de re-production comme s’il était transparent, univoque, allant de soi, comme s’il y avait aussi une distinction ou une opposition claire entre produire et reproduire, reproduire et se reproduire. À aucun moment Jacob ne se demande ce que ça veut dire, jamais il ne soumet ce concept ou ce mot de production/reproduction (de soi) à la moindre question critique. Or c’est le concept opératoire majeur, ultime, de tout son discours11.

Cette accusation semble au moins exagérée, sinon injustifiée, étant donné que Jacob, dans La logique du vivant, traite longuement de la genèse du concept de reproduction, de même qu’on trouve dans l’index à la fin du livre l’entrée « reproduction (origine du concept) 12 ». Plus encore, Jacob reconstruit son émergence dans l’Histoire naturelle et, surtout, sa fonction décisive dans le passage du préformisme, encore strictement conditionné par l’obéissance aux dogmes chrétiens, aux théories de l’hérédité biologique qui, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, cherchent à s’en émanciper avec les milliers de difficultés que l’on peut imaginer. D’autre part, c’est justement ce qui aura été reconnu à François Jacob dans le champ de la philosophie et de l’histoire des sciences : d’avoir été l’un des premiers à traiter de l’origine et de la fonction de la notion de reproduction dans l’histoire des sciences de la vie13.

Malgré ces preuves textuelles, Derrida est convaincu que dans son recours au mot de reproduction, Jacob aura cédé à l’esprit du temps, sinon à la mode de l’époque, et il attribue même une valeur « historiale » à l’omniprésence de ce signifiant dans la culture des années 60/70 :

l’urgence historiale de cette question se signale à ceci notamment que la notion de production vient partout combler les vides du discours moderne. Ces vides ne sont pas des carences, mais ils marquent, dans leur contour, qu’on ne peut plus, aux lieux décisifs, se servir de valeurs périmées, qui ne sont plus d’époque, et qu’on les remplace régulièrement par production, cette notion devenant le vicaire général de la détermination de l’être. Là où l’on ne peut plus dire créer (parce que seul Dieu est censé créer et que l’on en a fini avec le théologique), on dit produire, là où l’on ne peut plus dire engendrer, exprimer, penser, etc., là où un concept paraît par trop – et à juste titre – importer de métaphysique ou de théologie ou d’idéologie suspecte, on en appelle au produire pour le remplacer ou le neutraliser. […] Je ne dis pas cela pour produire un effet de dérision mais, au contraire, convaincu que je suis de la nécessité historiale de ce filtrage et de cette sélection faite d’abord pour éliminer tout un ensemble de valeurs impliquées dans les notions ainsi exclues ou remplacées, je me demande ce que signifie cette vicariance. Dans la sélection ou le filtrage ainsi opérés, tout un ensemble de valeurs (agir, créer, engendrer, penser, parler, etc., avec tout leur système qui est énorme) se trouve frappé de non-pertinence, exclu, sauf produire14.

Pour le moment, signalons, en effet, que dans l’histoire des sciences de la vie, la notion de « reproduction » est venue remplacer celle de « génération », mais ce n’est pas si récent, et surtout pas aussi simple que Derrida l’imagine. L’histoire de ce remplacement s’accomplit au cours de l’Histoire naturelle française vers le milieu du XVIIIe siècle, à travers un processus long, retors, conflictuel. L’enjeu pour les sciences de la vie est de s’émanciper de la tradition aristotélicienne et des dogmes religieux, et cela implique aussi, évidemment, des conséquences sociales, politiques, économiques. Et on imagine les forces de résistances, les luttes et les négociations qui auront accompagné ce remplacement de la notion de génération par celle de reproduction. On y reviendra, mais nous pouvons déjà anticiper que c’est dans ce laps de temps que se jouent les articulations décisives qui nous intéressent quant à l’émergence de la notion de Rep.B dans sa forme réflexive.

Ce qui va encore compliquer les choses, c’est que Derrida pense reconnaitre à l’origine de cette ouverture historiale, marquée par la diffusion presque ubiquitaire du mot « production », la marque de Marx et du marxisme :

Que veut-on garder là et re-produire là ? Or il se trouve que ce mot et ce concept de production marquent tout ce qui dans l’époque reçoit, directement ou indirectement, sur un mode ou sur un autre, le discours marxiste ou ce que le discours général réfléchit et nomme comme marxiste15.

Cela complique les choses parce que là où Derrida pense que Jacob a été influencé par cette Stimmung marxiste qui caractériserait l’époque, il faut plutôt reconnaître que la notion de reproduction dont Marx se sert vient elle-même de l’Histoire naturelle et des sciences de la vie du XVIIIe siècle, et donc avant le remplacement que nous avons évoqué plus haut. Le signifié de la reproduction chez Marx est donc différent de celui que lui attribue la biologie génétique moderne (Rep.B), comme il diffère du sens que lui attribue Derrida dans ces pages de La vie la mort, car il s’agit en réalité d’une version de Rep.A, comme nous allons le voir.

Il faudrait relire mot à mot cette partie du séminaire où Derrida, curieusement, abandonne la lecture de La logique du vivant pour aborder les notions de production et de reproduction dans la pensée de Marx, en induisant la piste que la véritable cible de ces pages est Althusser, même s’il n’est jamais mentionné, ou son disciple, Bourdieu, qui avait publié avec Passeron un livre auquel Derrida se réfère implicitement dans le cours du séminaire : La reproduction : éléments d’une théorie du système d’enseignement16.

Derrida cite, depuis Le Capital, la critique que Marx adresse au matérialisme abstrait des savants des sciences naturelles, qui, dès qu’ils sortent de leur spécialité – et parce qu’ils n’ont pas assez de sens historique – se mettent à tenir un langage « abstrait et idéologique », dit Marx17:

On peut retenir au moins le principe de cette critique et l’appliquer aux discours des savants – par exemple biologistes – qui, quand ils prennent une portée philosophique ou épistémologique générale, ne sont pas assez vigilants quant à la philosophie ou à l’idéologie implicite de leur propos, n’interrogent pas assez le système et l’histoire des concepts opératoires dont ils se servent. Et sont plus abstraits que les « philo­sophes » alors que… Exemple, entre autres, celui de production ou de reproduction chez Jacob. Mais peut-être aussi chez Marx18

Derrida retient pour lui-même le principe de cette critique pour la contester à Jacob et même à Marx. Or, on pourrait avancer que lui non plus ne peut se considérer à l’abri. Il suffit d’inverser les termes pour également critiquer ces philosophes qui, ayant quitté leur propre territoire, abordent les sciences naturelles sans disposer de compétences appropriées, ni surtout « de sens historique ». Nous trouvons particulièrement étrange cette défense des frontières entre territoires du savoir de la part de Derrida. Non seulement parce qu’il l’affirme au même moment qu’il est en train de transgresser la limite entre philosophie et biologie – comme s’il voulait garantir au philosophe un privilège qu’il nie aux savants des sciences naturelles – mais surtout parce que Derrida nous a également enseigné l’impossibilité structurelle, irréductible, de maintenir l’intégrité des frontières, en nous mettant en garde contre la primauté présumée de la philosophie par rapport aux autres domaines du savoir. Cette défense paraît plutôt le symptôme d’une méfiance tenace qui maintient la ligne de démarcation entre « sciences de l’esprit » et « sciences de la nature », et qu’il faudrait plutôt chercher à déconstruire, surtout de nos jours, alors que les passages de frontières se multiplient dans une direction comme dans l’autre, souvent avec naïveté, et surtout sans que la possibilité de tels passages soit jamais thématisée du point de vue épistémologique. Je traiterai cette question ailleurs. Ici, il nous faut aborder le lieu où se concentrent les difficultés majeures : la citation par Derrida dans Le Capital d’un célèbre passage qui concerne la reproduction et qui est situé en ouverture du chapitre XXI dédié à « La reproduction simple » (Derrida indique le chapitre XXIII19 de façon erronée) :

Les conditions de la production sont aussi celles de la reproduction. Une société ne peut reproduire, c’est-à-dire produire d’une manière continue, sans retransformer continuellement une partie de ses produits en moyens de production, en éléments de nouveaux produits20.

Il nous faut insister sur le fait que selon les éditeurs du séminaire, la provenance de la traduction française de cette citation n’est pas claire21. Elle présente deux problèmes, l’un évident, l’autre plus subtil, qui, ensemble, conduisent Derrida à prendre un mauvais chemin lorsqu’il interprète la reproduction. Il nous faut repartir de ce texte, parce qu’il porte en dernière instance la lecture de Derrida qui réduit les notions marxiennes de production et reproduction à la simple reproduction des déterminations aristotéliciennes, et donc métaphysiques, de ces notions. Il faut souligner ici l’usage que Derrida fait du verbe « retransformer » : la référence à la forme permet le passage abrupt de Marx à Aristote par lequel Derrida arrive à ses conclusions, qui se fondent uniquement sur l’interprétation heideggérienne d’Aristote, qu’il ne questionne pas :

En tout cas, avec ce dernier texte, on voit d’une part qu’il n’y a pas de production qui ne soit re-production, de productibilité qui ne soit dans sa structure même re-productibilité, le re- de la ré-pétition n’étant ni seulement secondaire ou survenu ni simplement ré-pétitif, répétition de l’iden­tique puisqu’il est le re- d’une production incessante et constamment transformatrice et génératrice de suppléments structurels. Et on voit d’autre part qu’à ce prédicat de manifestation, de mise au jour, en lumière au dehors, prédicat qui caractérisait toute production, se lie ici celui de transformation, de mise en forme de la matière, d’information-transformative, par quoi nous rejoignons là encore la fonction de la technè dans ses rapports avec la forme (morphè, eidos, etc.) chez Aristote. Essence de l’être comme vie (physis), la production est à la fois manifestation et in-formation22.

Or le verbe allemand qui a été traduit par « retransformer » est zuruckverwandeln, qui signifie wieder zu dem umwandeln, verwandeln, was jemand, etwas früher war, ou den alten Zustand wiederherstellen, c’est-à-dire « rétablir les conditions de, ou encore mieux, restaurer ou renouveler un état passé », et même « retransformer », mais dans le sens de reconduire quelque chose ou quelqu’un à l’état qui précède une transformation subie (et non pas une transformation nouvelle ou continue) ; la traduction italienne par riconvertire23, « reconvertir », paraît plus cohérente avec le sens de reproduction tel que Marx en use ici et qu’il faut maintenant préciser : reproduire ici veut dire « régénérer ou renouveler les ressources matérielles nécessaires à la production », et non pas la simple répétition du procès de production, comme paraît l’entendre Derrida. Ce dernier est conduit sur un mauvais chemin par la traduction « Les conditions de la production sont aussi celles de la reproduction » qui introduit le mot « aussi » là où le texte allemand ditt zugleich, qui correspond plutôt à « en même temps ». Cette phrase ne signifie donc pas que les conditions de la reproduction sont les mêmes que celles de la production, mais que les conditions de la reproduction sont les véritables conditions de la production, et donc que la reproduction, en tant que « régénération ou renouvellement des ressources matérielles », est la condition de la production. C’est exactement ce que rappelle Althusser dans l’ouverture de Idéologie et appareils idéologiques d’État en parlant « de la nécessité de renouveler les moyens de production pour que la production soit possible » afin de montrer qu’

il n’y a pas de production possible sans que soit assurée la reproduction des conditions matérielles de la production : la reproduction des moyens de production. […] Mais nous savons, grâce au génie de Quesnay, qui, le premier, a posé ce problème, et au génie de Marx qui l’a résolu, que ce n’est pas au niveau de l’entreprise que la reproduction des conditions matérielles de la production peut être pensée, car ce n’est pas là qu’elle existe dans ses conditions réelles. Ce qui se passe au niveau de l’entreprise est un effet, qui donne seulement l’idée de la nécessité de la reproduction, mais ne permet absolument pas d’en penser les conditions et les mécanismes24.

Or, il faut suivre cette référence à François Quesnay. Père de l’école physiocratique, auteur du fameux Tableau économique (1758-1766), il faisait partie des naturalistes, et il fut aussi le médecin personnel de Mme de Pompadour, la favorite de Louis XV. Il écrivit également l’Essai physique sur l’économie animale (1736). Devenu membre du cercle des Idéologues à travers lequel il fréquentait le naturaliste Georges-Louis Leclerc de Buffon, il contribua à l’Encyclopédie en y rédigeant deux entrées — « Fermiers » (1756) et « Grains » (1757) —, et surtout en introduisant son Tableau où sont exposés les principes des physiocrates, et dans lequel il applique le modèle de la circulation sanguine aux relations économiques qui déterminent la richesse d’une nation. Pour Quesnay la véritable richesse d’une nation consiste dans ses ressources naturelles, en particulier les ressources agricoles. L’agriculture est l’unique activité productive qui permet la production et la distribution de la richesse, parce que, dans des conditions idéales, elle produit naturellement le surplus nécessaire à assurer les revenus des propriétaires terriens, des fermiers qui travaillent la terre, et des artisans et commerçants. Ces derniers sont définis comme classe stérile parce que leur production consommerait les ressources sans pouvoir les régénérer, quand l’agriculture, lorsqu’elle rencontre ces conditions idéales, produirait également le surplus de semences nécessaires à renouveler la culture de l’année suivante25.

Marx, qui admirait le Tableau parce qu’il montrait l’interrelation structurelle entre tous les acteurs économiques, critique l’idée que seule l’agriculture produirait la richesse en raison de sa capacité de régénérer ses ressources naturelles, quand l’industrie et le commerce ne feraient que les consommer. Marx veut démontrer que l’industrie, elle aussi, doit régénérer les ressources nécessaires à la continuité et à l’expansion de sa production. Il veut surtout démontrer que la production industrielle capitaliste elle-même se fonde sur la reproduction entendue avant tout comme la régénération d’une ressource naturelle, c’est-à-dire la régénération physique des énergies de l’ouvrier, ainsi que la génération de nouveaux ouvriers qui constituent le moyen de production le plus indispensable au capitaliste :

Le capital aliéné dans l’échange contre de la force de travail est transformé en moyens de subsistance (Lebensmittel) dont la consommation sert à reproduire (zu reproduciren) les muscles, les nerfs, les os, le cerveau des ouvriers qu’il a déjà et à engendrer (hervorzubringen) de nouveaux ouvriers. A l’intérieur même des limites de ce qui est absolument nécessaire, la consommation individuelle de la classe ouvrière est donc la retransformation (zuruckverwandlung) des moyens de subsistance que le capital a aliénés contre de la force de travail, en une force de travail que le capital peut réexploiter. Elle est production et reproduction du moyen de production le plus indispensable au capitaliste, l’ouvrier lui-même26.

Donc, « reproduire (reproduciren) » ici veut dire « régénérer », « renouveler », et plus précisément régénérer les conditions physiques nécessaires au travail de l’ouvrier (Rep.A), tandis que la reproduction de nouveaux ouvriers (Rep.B), ici, consiste à « générer (hervorbringen) », verbe qui, en allemand, a un sens générique et qu’on utilise aussi pour se référer à la Rep.B sans la forme réflexive se. Cette forme, en revanche, est cohérente avec l’usage de reproduciren que nous avons déjà rencontré chez Hegel. Il faut aussi remarquer que Marx, pour se référer à la reproduction sexuelle dans ce même chapitre, utilise aussi le mot Fortpflanzung, comme Hegel : « La conservation et la reproduction constante de la classe ouvrière demeurent une condition constante de la reproduction du capital. Le capitaliste n’a pas de souci à se faire : il peut faire confiance à l’instinct de conservation et à l’instinct sexuel (Selbsterhaltungs- und Fortpflanzungstrieb) des ouvriers.27 »

Donc Marx, comme déjà Hegel, utilise le mot reproduction dans le sens de Rep.A en empruntant le terme à Quesnay. Notons que ce signifié est attesté aussi dans l’Encyclopédie lorsqu’on se rend à l’entrée « Reproduction », une entrée dont la brièveté nous révèle qu’il s’agissait d’un terme d’usage très spécifique. En fait, il vient de l’histoire naturelle :

REPRODUCTION, s. f., REPRODUIRE, v. act. (Gramm. et Hist. nat.) est l’action par laquelle une chose est produite de nouveau, ou pousse une seconde fois. Voyez REGENERATION28.

Même si, à la lettre, cette définition paraît laisser la possibilité de penser la reproduction comme quelque chose de technique, les exemples cités concernent tous la nature : il s’agit de phénomènes de régénération, de la repousse d’une branche coupée d’un arbre, et surtout de la régénération de morceaux d’animaux qui ont été détruits ou coupés. L’entrée se réfère à des découvertes qui remontent au XVIIe siècle concernant la capacité de régénération de certains animaux, en particulier les écrevisses, et qui animeront le débat entre naturalistes, surtout parce que ces phénomènes n’étaient pas explicables par la théorie préformiste de la « génération » (Rep.A) qui, par sa cohérence ou sa sujétion aux dogmes de la théologie chrétienne, faisait encore autorité à l’époque de l’Encyclopédie :

Quand on coupe tout près du tronc les branches d’un chêne, d’un arbre à fruit, ou autres semblables, le tronc reproduit une infinité de jeunes pousses. Voy. TIGE ou POUSSE.
Par reproduction on entend ordinairement la restauration d’une chose qui existait précédemment, et qui a été détruite depuis. Voy. RESTAURATION.
La reproduction des membres des écrevisses de mer et d’eau douce est un des phénomènes des plus curieux dans l’histoire naturelle. Cette formation d’une nouvelle partie toute semblable à celle qui a été coupée, ne quadre point du tout avec le système moderne sur la génération, par lequel on suppose que l’animal est entièrement formé dans l’œuf. Voy. GENERATION et ŒUF.
C’est cependant une vérité de fait attestée par les pêcheurs, et même par plusieurs savants qui s’en sont assurés par leurs propres yeux ; entre autres par MM. de Réaumur [collaborateur fidèle de Quesnay] et Perrault, dont on connaît assez la capacité et l’exactitude dans ces matières, pour s’en rapporter à eux29.

Toutefois, à l’entrée « Génération (Physiologie) » rédigée par Arnulphe d’Aumont, la « reproduction » est convoquée dès la définition liminaire, mais cette fois dans le sens de Rep.B et même dans sa forme réflexive :

Génération, (Physiologie.)​​ on entend en général par ce terme, la faculté de se reproduire, qui est attachée aux êtres organisés, qui leur est affectée, et qui est par conséquent un des principaux caractères par lequel les animaux et les végétaux sont distingués des corps appelés minéraux.

La génération actuelle est donc, par rapport au corps végétant et vivant, la formation d’un individu semblable par sa nature à celui dont il tire son origine, à raison des principes préexistants qu’il en reçoit, c’est-à-dire de la matière propre et de la disposition à une forme particulière que les êtres générateurs fournissent pour la préparation, le développement et l’accroissement des germes qu’ils produisent ou qu’ils contiennent. Voyez Germe30.

L’entrée « génération » est très prudente : l’auteur se limite à rappeler l’histoire et les nombreuses tentatives de comprendre un « secret de la nature » qui serait « essentiellement impénétrable aux yeux des esprits les plus fins », au point qu’« il faut ranger la cause de la formation de l’animal parmi les causes premières, dont nous ne pourrons jamais connaître que les résultats31 ». D’Aumont passe brièvement en revue les théories des anciens, Platon, Aristote, Hippocrate, avant de donner davantage de place à la théorie qui, à l’époque, faisait autorité : le préformisme dans les deux versions qui se partageaient le terrain de l’histoire naturelle, l’« ovisme » et le « spermatisme ». Il concluait avec les théories les plus récentes et les plus controversées, en particulier la théorie de « la moule intérieure » de Buffon, sévèrement jugée, même si ce dernier était aussi un membre des Idéologues. Selon les historiens des sciences de la vie, c’est justement Buffon qui étendra l’usage du terme de reproduction de la notion Rep.A à celle de Rep.B en utilisant la forme réflexive, même si cet usage n’est repris par les savants que beaucoup plus tard32. Le plus important pour notre propos, c’est de montrer que Jacob connaît très bien cette historie complexe et qu’il lui attribue un rôle décisif dans le passage de la génération à la reproduction, et donc dans le passage du préformisme, encore conditionné par les dogmes chrétiens, à des gestes scientifiques qui cherchent à s’en émanciper, jusqu’à voir dans l’œuvre de Buffon l’ouverture du chemin qui conduira à la biologie génétique :

Le terme [reproduction] est d’abord utilisé pour désigner les phénomènes de la régénération chez les animaux amputés. Ce qui se reconstitue après l’amputation, c’est le morceau qui existait auparavant. Si l’on coupe une patte à une écrevisse, la patte est régénérée. Elle est re-formée, re-produite. […] C’est Buffon, semble-t-il, qui donne au terme de reproduction une signification plus large. Dans l’Histoire naturelle des animaux de 1748, la reproduction désigne non seulement la reformation des parties amputées, mais la génération des animaux. […] Quoique l’article « Reproduction » de l’Encyclopédie donne encore le sens de reformation d’une patte manquante, l’article « Génération » indique : « On entend en général par ce terme, la faculté de se reproduire, qui est attachée aux êtres organisés. » Même les partisans convaincus de la préformation parlent de reproduction. Mais si le terme de reproduction est généralement accepté, il n’en est pas de même du sens qu’y met Buffon. Pour Haller, pour Charles Bonnet, pour Spallanzani, pour toute la fin du siècle et même le début du suivant, les êtres vivants naissent toujours de germes préformés33.

En conclusion, nous pouvons donc souligner que :

1) dans l’histoire naturelle reproduction  a signifié, à partir du XVIIe siècle, régénération (Rep.A) et qu’au XIXe siècle, Hegel et Marx l’utilisaient encore dans ce sens. En France, et en général sous l’autorité du préformisme, on utilisait génération pour indiquer Rep.B.

2) au XVIIIe siècle, dans le même contexte – celui de l’Histoire naturelle française – Buffon commence à utiliser le mot reproduction au lieu de génération jusque dans sa forme réflexive. La forme « se reproduire » se répandra alors dans la modernité en exportant dans la biologie le paradoxe inconcevable que Derrida entendait déconstruire : la reproduction de soi – mais de quoi, de qui ? – dans un autre individu qui devrait être différent. Aussi, pour relancer la déconstruction de la notion biologique de reproduction, il faut abandonner la piste Aristote-Hegel-Marx suivie par Derrida, et repartir de l’Histoire naturelle française du XVIIIe siècle, notamment celle de Buffon, reconnu par Jacob lui-même comme le véritable précurseur de l’usage de la notion de reproduction au sens de la biologie génétique.

Notes

1

Jacques Derrida, La vie la mort. Séminaire (1975-1976), Paris, Seuil, 2019, p. 116.

2

Ibid.

3

Jacques Derrida, La vie la mort, op. cit., p. 120. Le passage cité par Derrida se trouve dans François Jacob, La logique du vivant. Une histoire de l’hérédité, Paris, Gallimard, 1970, pp. 12-13.

4

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Science de la logique, t. III, trad. fr. Samuel Jankélévitch, Paris, Aubier Montaigne, 1947, p. 479, et Jacques Derrida, La vie la mort, op. cit., p. 118.

5

Francesco Vitale, Biodeconstruction. Jacques Derrida and the Life Sciences, Albany, SUNY Press, 2018, p. 53-58; 214-16. J’ai approfondi la déconstruction de l’utilisation de la téléologie en biologie, en particulier de la notion de « téléonomie » chez Jacques Monod in Id., « With or Without you… : DeconstructingTeleology between Philosophy and Biology », Oxford Literary Review, 39.1 (2017).

6

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé (1830), trad. fr. M. de Gandillac, Paris, Gallimard, 1970, § 365-366.

7

Ibid. § 370. Cf. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Scienza della logica, trad. it. Di C. Cesa, Roma-Bari, Laterza, 1996, t. 2, p. 878.

8

Cf. Nick Hopwood, “The Keywords ‘Generation’ and ‘Reproduction’”, in Nick Hopwood, Rebecca Fleming and Lauren Kassell, Reproduction. Antiquity to the Present Day, Cambridege, Cambidge University Press, p. 299 : “Through the early twentieth century, psychologists commonly referred to reproduction of ideas. But biological and medical usage was distinctive, because while ‘hervorbringung seines Gleichen’ (Production of its like) had translated ‘reproduction in Buffon’s title, ‘Fortpflanzung emphasized propagation beyond the individual act of ‘Zeugung and transferred between domains”.

9

Jacques Derrida, La vie la mort, op. cit., p. 133.

10

Jacques Derrida, L’animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006, p. 197. Derrida se réfère à Martin Heidegger, Les Concepts fondamentaux de la métaphysique – Monde-Finitude-Solitude, trad. fr. Daniel Panis, Paris, Gallimard, 1992.

11

Jacques Derrida, La vie la mort, op. cit., p. 135.

12

François Jacob, La logique du vivant, op. cit., p. 351.

13

Cf. Nick Hopwood, “The Keywords ‘Generation’ and ‘Reproduction’”, op. cit., p. 287-288. Selon Hopwood, Jacob s’est largement inspiré, sans le citer, de l’œuvre monumentale de Jacques Roger, Les sciences de la vie dans la pensée française du XVIII siècle, Paris, Armand Colin, 1963.

14

Jacques Derrida, La vie la mort, op. cit., p. 137.

15

Ibid.

16

Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction : éléments d’une théorie du système d’enseignement, Paris, Minuit, 1970. Pour la référence de Derrida, cf. Jacques Derrida, La vie la mort, op. cit., p. 30. Elias Jabre, dans son intervention au colloque Biopolitique et Deconstruction (« “Après” la biopolitique, retour à Freud : la pulsion de pouvoir ») a avancé l’hypothèse plutôt convaincante que Foucault pourrait aussi être concerné par ces pages : en effet, c’est vrai que le mot « auto-reproduction », contre lequel s’acharne Derrida, ne vient pas du livre de Jacob, mais on le retrouve avec un rôle signifiant chez M. Foucault, Histoire de la sexualité I : La Volonté de Savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 121.

17

Karl Marx, Le Capital. Critique de l’économie politique, trad. fr. Jean-Pierre Lefebvre, Paris, PUF, 1993, Livre 1, p. 418.

18

Jacques Derrida, La vie la mort, op. cit., p. 139.

19

Ibid., p. 141.

20

Karl Marx, Das Kapital: Kritik der politischen Ökonomie, Karl Marx et Friedrich Engels, Werke, t. 23, Berlin, Dietz Verlag, 1968, p. 591.

21

Jacques Derrida, La vie la mort, op. cit., p. 142n.

22

Ibid., p. 142. La référence à Heidegger à ce propos est explicite (même si elle est entre parenthèses) dans un passage précédent concernant la notion de production dans L’Idéologie Allemande, Ibid., p. 140 : « [j’insiste sur cette production comme extériorisation, les traductions disent le plus souvent manifester, ce qui n’est pas faux : l’important c’est ce pro-duire comme conduire au jour, mettre en avant, faire sortir, détermination traditionnelle présente non seulement dans le mot latin pro-ducere, mais dans la détermination grecque et aristotéli­cienne de la technè (cf. Heidegger : technè et vérité et physis, etc.)] ».

23

Karl Marx, Il Capitale, Libro I, trad. it. di D. Cantimori, Roma, Editori Riuniti, 1980, p. 621.

24

Louis Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État (Notes pour une recherche) », La Pensée, 151, juin 1970, p. 6, 8.

25

Pour le naturalisme de Quesnay, présupposé de la théorie économique des physiocrates, voir Margaret Schabas, The Natural Origins of Economics, Chicago,Chicago University Press, 2005, p. 39-53.

26

Karl Marx, Le Capital, op. cit., Livre I, p. 642.

27

Ibid., p. 642. Ce passage, qui paraît considérer la reproduction sexuelle humaine comme une loi de nature extérieure et indépendante de la société, provoquera les critiques des féministes des années 60/70 qui y verront la sous-estimation des contraintes exercées par la société en général, et par le capitalisme en particulier sur le rôle de la femme dans les relations sexuelles et la famille, en proposant la notion de « travail reproductif », destinée à jouer un rôle essentiel dans les revendications du mouvement. La littérature sur ce sujet est immense. Pour une introduction voir Susan Himmelweit, “Reproduction and the materialist conception of history: a feminist critique ”, in Terrell Carver (Ed.), The Cambridge Companion to Marx, Cambridge, Cambridge University Press, 1991. Même si on ne peut réduire la question de la famille dans Marx et Engels à ce seul passage, il faut remarquer qu’Althusser paraît le confirmer en donnant à la famille très peu d’attention dans son essai sur les appareils idéologiques d’État (AIE), en la mentionnant uniquement en relation avec les institutions religieuses et éducatives. Il paraît aussi lui refuser le statut d’AIE. Cf. Louis Althusser, « Idéologie et appareils idéologiques d’État (Notes pour une recherche) », op. cit., p. 21 : « La famille remplit manifestement d’autres fonctions que celle d’un AIE, elle intervient dans la reproduction de la force de travail ».

28

Denis Diderot et Jean-Baptiste Le Rond d’Alambert (dir.), Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, 1770, t. XIV, « Reproduction », p. 127.

29

Ibid. À l’écrevisse il faut ajouter aussi le pulpe dont on avait découvert, à la même époque la capacité de régénérer les parties coupées ; Abraham Trembley, naturaliste suisse, qui l’avait découvert, la définit par « reproduction ». Cf. Nick Hopwood, “The Keywords ‘Generation’ and ‘Reproduction’”, op. cit., p. 292 : “In the early 1740s, the Genevan naturalist Abraham Trembley, announced a still more amazing result: the regrowth of a tiny freshwater ‘polyp’ (hydra) after bisection or sieving. He distinguished ‘this mervellous reproduction’ from generation’, that is “the natural manner” in which the polyp “multiply” by plant-like “buds”. Well into the nineteenth century regeneration was the main sense in which living beings were ‘reproduced’”. Hegel aussi se réfère à ce phénomène en tant que forme de reproduction (Reproduktion).Cf. Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé (1830), op. cit., § 368Zu.

30

Denis Diderot et Jean-Baptiste Le Rond d’Alembert (dir.), Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, 1770, vol. VII, p. 559.

31

Ibid.

32

Nick Hopwood, “The Keywords ‘Generation’ and ‘Reproduction’”, op. cit., p. 282 : “In the 1740s, two savants associated with the court at Versailles, Georges-Luis Leclerc, Comte de Buffon, and François Quesnay, developed more abstract meaning in natural history and the analysis of wealth respectively. The regeneration of natural resources interested them both. Yet it took till the mid-nineteenth century for ‘reproduction’ to capture much territory from ‘generation’ and build up links to copying, imitation and manufacture, and a few decades more for it to become the subject of a unified discourse”. 

33

François Jacob, La logique du vivant, op. cit., p. 84-85.

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