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Mme de Lafayette est l’autrice française la plus présente dans les programmes de l’enseignement secondaire comme dans les manuels d’histoire littéraire, plus encore qu’une gloire du xxe siècle comme Marguerite Duras. Si cette autrice et son œuvre majeure continuent ainsi à régner sur les lettres françaises, c’est peut-être en raison du caractère énigmatique de cette « Joconde1 » littéraire qui, à tort ou à raison, fascine toujours, et pas seulement les commentateurs critiques, les spécialistes de littérature, ou n’importe quel lecteur, mais aussi les créateurs (on peut en prendre à témoin les récentes adaptations cinématographiques auxquelles elle a donné lieu). La lecture que je voudrais partager avec vous ne prétend certes pas dévoiler les dessous de ce mystère, et peut-être au contraire elle l’épaissira, car elle voudrait montrer paradoxalement comment le mystère qui entoure le personnage de l’altière princesse n’est peut-être qu’un effet de lecture, tandis que le texte permet d’envisager une interprétation plus pragmatique. Si la dynamique de l’introspection oriente le cœur du personnage éponyme, ce n’est pas en effet pour se circonscrire aux troubles émotionnels ou à la conscience malheureuse. Le passage par ces états douloureux n’est que transitoire, en attendant une élucidation par l’analyse et une résolution par la volonté. Ce mouvement qui traverse l’héroïne ne fonctionne-t-il pas comme une indication métalittéraire pour apprendre au lecteur comment il doit faire l’effort de la distanciation critique afin de bien juger du sens du texte ? C’est cette hypothèse que nous examinerons in fine.

La Princesse de Clèves : le récit d’une douleur morale… maîtrisée

La Princesse de Clèves est depuis longtemps présentée comme le premier grand roman d’analyse psychologique, et pour une première raison assez simple : il ne se passe pas grand-chose du point de vue événementiel dans cette nouvelle (pas d’action spectaculaire, aucun exploit héroïque). Il y a bien un tournoi, mais il se passe mal, et le roi y est blessé accidentellement tout autant que mortellement ; quelques exercices de cavalerie pourraient donner lieu à une scène d’action admirable, mais le héros tombe de cheval et s’évanouit ; un couronnement royal, mais l’héroïne éponyme ne se déplace pas pour assister à cet événement majeur de la vie du royaume. L’essentiel de l’« action » (si le mot convient encore) se concentre dans les événements de la vie affective de l’héroïne ; ce sont ainsi de petits événements du quotidien qui font avancer l’action : un regard échangé, un geste surpris, une parole entendue suffisent à nourrir le récit. On pourrait citer par exemple l’effet des paroles de Mme de Chartres qui juge bon de faire comprendre à sa fille que Nemours courtise sans doute la reine dauphine :

Mme de Clèves n’avait jamais ouï parler de M. de Nemours et de Madame la Dauphine, elle fut si surprise de ce que lui dit sa mère, et elle crut si bien voir combien elle s’était trompée dans tout ce qu’elle avait pensé des sentiments de ce Prince, qu’elle en changea de visage. […] L’on ne peut exprimer la douleur qu’elle sentit, de connaître par ce que lui venait de dire sa mère, l’intérêt qu’elle prenait à M. de Nemours : elle n’avait encore osé se l’avouer à elle-même. Elle vit alors que les sentiments qu’elle avait pour lui, étaient ceux que M. de Clèves lui avait tant demandés ; elle trouva combien il était honteux de les avoir pour un autre, que pour un mari qui les méritait. Elle se sentit blessée et embarrassée […]2.

Et quand un événement se produit, de nature privée (la mort de la mère, le vol d’un portrait, la perte d’une lettre, la mort du mari, etc.), alors le retentissement psychologique de l’événement prend le pas sur le récit de l’action elle-même. Tout se passe comme si Mme de Lafayette avait développé dans La Princesse de Clèves la doctrine expliquée quelques années plus tôt par Racine dans la préface de Bérénice (1670), et que je pastiche ici :

Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans un roman : il suffit que l’action en soit noble, que les personnages en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir du roman. […] Toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien, et tout ce grand nombre d’événements a toujours été le refuge des écrivains qui ne sentaient dans leur inspiration ni assez d’abondance ni assez de force pour attacher au fil des chapitres leurs lecteurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentiments et de l’élégance de l’expression.

De fait, si La Princesse de Clèves manque d’événements spectaculaires, elle s’attarde en revanche sur une série d’analyses de la douleur morale, c’est-à-dire de la manière dont l’émotion, la réception douloureuse d’un événement pénible, peut se transformer par la réflexion et le retour sur soi, en conscience de soi, en introspection qui met à nu les motivations les plus secrètes derrière les émotions les plus confuses. Voici par exemple l’effet, consistant dans les affres de la jalousie et de la honte, que provoque la lecture de la réception de la lettre d’amour (et de rupture) faussement perdue par le duc de Nemours :

Mme de Clèves lut cette lettre et la relut plusieurs fois, sans savoir néanmoins ce qu’elle avait lu : elle voyait seulement que M. de Nemours ne l’aimait pas comme elle l’avait pensé, et qu’il en aimait d’autres qu’il trompait comme elle. Quelle vue et quelle connaissance pour une personne de son humeur, qui avait une passion violente, qui venait d’en donner des marques à un homme qu’elle en jugeait indigne, et à un autre qu’elle maltraitait pour l’amour de lui ! (p. 397)

 

L’exclamative, dont on ne sait s’il faut y lire la transcription au style indirect libre de ce que ressent l’héroïne ou un commentaire de la narratrice, permet au lecteur d’avoir accès au flux des pensées de la princesse. Ce type de cheminement intérieur, caractéristique de La Princesse de Clèves, a déjà souvent été analysé : des travaux anciens (ceux de Jean Fabre ou de Marie-Jeanne Durry par exemple) ont parfaitement mis en lumière comment l’écriture de Mme de Lafayette s’attache à décrire le mécanisme psychologique par lequel l’héroïne passe de l’événement à son intériorisation. Dans les deux moments déjà cités, on constate que le texte est construit sur la répétition du même schéma ternaire : 1. le récit d’un micro-événement ; 2. la description du retentissement de l’événement dans la psyché de la princesse (c’est là que se déploie un lexique qui permet l’analyse des différentes facettes du retentissement psychique : embarras, malaise, aigreur, jalousie, honte, repentir, désespoir, etc.) ; 3. le temps des réflexions qui se termine par une prise de décision (cacher ses sentiments, parler à sa mère, s’éloigner de la cour, parler à son mari, etc.).

On constate ainsi que La Princesse de Clèves ne s’apparente pas au récit des malheurs d’une belle princesse, car le récit ne s’arrête pas aux douleurs de la princesse mais montre sans cesse comment elle essaye, avec plus ou moins de réussite, d’une part de maîtriser par la réflexion ses réactions visibles mais aussi ses sentiments cachés et d’autre part de prendre des décisions pour éviter que ce qui a été vécu comme un désordre ne se reproduise3. Pour Mme de Lafayette, l’individu peut donc tenter d’agir sur la douleur, lui imposer des limites, et ce non seulement en combattant les signes du trouble, mais en réussissant par ce volontarisme de la conscience à maîtriser ce qui est subi, ce qui échappe à la volonté, ce qu’on appelle communément la passion.

La voix/la voie de la raison

C’est pourquoi, plutôt que m’attarder sur l’analyse de la représentation et de l’expression de la vie intérieure dans La Princesse de Clèves, je voudrais plutôt montrer comment son effort d’élucidation de ses émotions, recomposées et analysées par le ressassement qu’impose l’obsession passionnelle, ouvre la voie à un dépassement.

Tout d’abord, il m’apparaît que le refus de la princesse de Clèves est un acte éminemment raisonnable, c’est-à-dire d’abord rationnel, logique, ce que la nouvelle souligne elle-même. Car la princesse fait l’expérience que la passion amène à se soumettre à des forces irrationnelles, en donnant par exemple la direction à l’imagination, aux angoisses de l’incertitude, aux fantasmes erronés. C’est ce que constate la princesse après l’épisode de la lettre égarée, après que Nemours a eu l’occasion de s’expliquer et de rétablir la vérité (la lettre perdue n’était pas à lui mais au Vidame, oncle de Mme de Clèves) :

Mme de Clèves demeura seule, et sitôt qu’elle ne fut plus soutenue, par cette joie que donne la présence de ce que l’on aime, elle revint comme d’un songe, elle regarda avec étonnement la prodigieuse différence de l’état où elle était le soir, d’avec celui où elle se trouvait alors ; [...] elle ne se reconnaissait plus elle-même […]. (p. 415)

Ce temps du retour à soi se présente comme un temps de tentative d’éclaircissement, d’analyse de soi où la raison reprend le dessus sur le trouble émotionnel. Avant même la première ombre de fait coupable, par la seule force déstabilisante du sentiment, la passion apporte trouble et malheurs (jalousie, remords, honte, faiblesse, indignité, déshonneur, et même mort) : elle se montre donc fondamentalement inapte à assurer durablement le bonheur, et moins encore le « repos » (la sérénité de la conscience) de l’individu. Face à pareille menace de débâcle, un être raisonnable, responsable, ne doit-il pas alors tenter d’échapper à cette dangereuse dérive de l’être, en pratiquant une sorte de volontarisme qui contient sa part d’héroïsme4 ? Dans le refus que la princesse va opposer aux désirs de Nemours (et aux siens propres), refus où la critique a parfois tendance à voir la marque d’une méfiance d’origine religieuse par rapport à la passion, il me semble qu’on méconnaît la puissance de la raison. Cette explication paraît d’autant plus crédible que Mme de Lafayette n’était pas connue pour une pratique religieuse intense, mais en revanche s’était imposée à tous comme une « femme de tête ». Son amie la plus intime, Mme de Sévigné, dira après sa mort : « Elle a eu raison pendant sa vie, elle a eu raison après sa mort, et jamais elle n’a été sans cette divine raison qui était sa qualité principale5 ».

Si la princesse, malgré son désir réel de s’abandonner à l’amour et à Nemours, se retient de toute démarche dans ce sens, c’est que sa raison ne lui laisse guère d’illusion sur la suite si elle se laissait aller : devenir certes la femme de l’homme qu’elle aime, mais aussi une épouse, c’est-à-dire quelqu’un qui ne peut rien exiger de son mari, et certainement pas l’amour. L’onomastique est à cet égard éclairante, puisque Nemours porte le sème de la négation de l’amour. Il est là où il n’y a amour ; son nom porte le signe du N(on-)amour.

Contrairement à ce qu’affirme l’héroïne (« Les passions peuvent me conduire, elles ne sauraient m’aveugler »), elle ne se laisse pas conduire par ses affects, ou très provisoirement, sous le coup d’une émotion, avant que sa volonté ne reprenne bientôt le contrôle de sa conduite, dans son comportement comme dans ses idées. Jamais en fait, sauf à de rares moments aussitôt suivis d’un examen de conscience scrupuleux, elle ne méconnaît la voix de la raison, cette force qui, se fondant sur l’analyse et la volonté d’élucidation, la gouverne. C’est d’ailleurs la lecture qu’en faisait Albert Camus, et je crois qu’il faut faire confiance aux écrivains pour lire les œuvres. Pour lui, La Princesse de Clèves est bien comme une sorte d’épopée de l’analyse et de la conscience de soi, « une œuvre sèche et brûlante où se déroule sans une défaillance, jusqu’à l’échafaud, l’exercice supérieur d’une intelligence qui n’a de cesse qu’elle domine6 ». Plutôt que de placer la princesse sous l’influence du jansénisme, comme la critique tend parfois à le faire, il me semble qu’on trouve plutôt dans ses choix une application des préceptes cartésiens. Par exemple, ceux édictés en 1649 par Descartes dans son Traité des passions de l’âme :

Or c’est par le succès des combats [entre les mouvements du corps et la volonté de l’âme] que chacun peut connaître la force ou la faiblesse de son âme. Car ceux en qui naturellement la volonté peut le plus aisément vaincre les passions et arrêter les mouvements du corps qui les accompagnent, ont sans doute les âmes les plus fortes. [... Or] il n’y a point d’âme si faible qu’elle ne puisse étant bien conduite acquérir un pouvoir absolu sur ses passions7.

Dans le roman, l’abondance des tours assertifs, des énoncés de la volonté qui se conjuguent toujours à la première personne prouve cette ascèse (au sens étymologique d’« exercice ») de la volonté.

Une autre considération, plus pragmatique, suggère que le refus de la passion, pour frustrant et si difficile à croire qu’il puisse nous sembler aujourd’hui, présente aussi d’un point de vue de stricte clairvoyance (pas très sentimental, et qu’on peut même juger cynique) de multiples avantages pour la princesse. La critique s’est-elle déjà interrogée sur ce que dicte à la princesse son intérêt bien compris ? Sa conduite ne relève-t-elle par d’une imparable logique sociale ? À un niveau pratique, son statut de veuve aristocratique lui garantit l’indépendance financière et l’autonomie juridique d’une personne majeure, avantages qu’elle perdrait par un remariage. Au plan existentiel, le refus satisfait l’esprit en imposant la cohérence que tout choix net implique ; il la délivre de la violence des forces irrationnelles du désir ; il comble son orgueil, l’autorisant à se prévaloir de ne pas être « tombée comme les autres femmes8 ». L’unité de cette démarche se lit dans le choix final de Mme de Clèves qui, en partageant son temps entre retraite religieuse et retraite pastorale, réalise l’union des deux types de retraite et manifeste la cohérence de cette démarche où l’intelligence réussit, non sans mal certes, à venir à bout des troubles passionnels.

De la maîtrise à la distance critique : quand l’écriture met à distance la passion

L’écriture de l’œuvre de Mme de Lafayette n’inviterait-elle pas le lecteur à imiter cette démarche de lucidité par un effet similaire de mise à distance, sur le modèle de ce que réussit à opérer l’héroïne dite « inimitable » (et que la nouvelle inviterait malignement à imiter, le dernier mot du texte résonnant comme un défi et une invite) ? L’hypothèse métatextuelle que je voudrais interroger ici9 consiste à envisager dans quelle mesure la souffrance dont témoigne La Princesse de Clèves est mise à distance par l’écriture même de la nouvelle.

La distance ironique

La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second. (p. 332)

Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit Mme de Chartres, vous serez souvent trompée : ce qui paraît n’est presque jamais la vérité. (p. 354)

La juxtaposition de ces deux citations, prises au début du texte à quelques pages de distance, avec la reprise du même verbe paraître, indique explicitement toutes les précautions avec lesquelles il convient de considérer les apparences prestigieuses de la cour de France ; et le lecteur ne cesse de vérifier tout au long de la nouvelle la pertinence de l’analyse de Mme de Chartres, qui s’oppose si précisément à la déclaration inaugurale de la narratrice. Ce paradoxe, inscrit dès les premières lignes de la nouvelle, invite à lire dans la leçon morale donnée par la mère à sa fille une indication métalittéraire : la mise en garde que Mme de Chartres adresse à la princesse ne serait-elle pas également valable pour le lecteur, mis en garde par le texte lui-même du risque qu’il court de se laisser prendre aux apparences du récit, et invité à garder une distance critique par rapport aux situations, aux événements, aux personnages ? Dans ce décalage entre discours et récit, il me semble qu’est donné le signe inaugural d’une invitation plus générale à la mise à distance critique du texte, car la tonalité de l’incipit fonctionne dans les textes ironiques comme un signe d’alerte, invitant le lecteur à la vigilance. C’est dans cette faille critique que peut se justifier à mon sens une lecture ironique de La Princesse de Clèves.

Une distanciation satirique

Quand le rideau se lève au début de La Princesse de Clèves sur le décor qui va servir de toile de fond à l’intrigue, le lecteur peut à bon droit ressentir un sentiment d’émerveillement, le sentiment d’être invité à pénétrer en privilégié à la cour, monde qui tient d’une sorte de conte de fées où tout et tous sont faits pour plaire et pour être admirés. Cette première impression est largement communiquée par le ton ébloui, l’insistance hyperbolique qu’affecte la narratrice :

Jamais Cour n’a eu tant de belles personnes et d’hommes si admirablement bien faits, et il semblait que la nature eût pris plaisir à placer ce qu’elle donne de plus beau dans les plus grandes Princesses, et dans les plus grands Princes. [...] ce qui rendait cette Cour belle et majestueuse, était le nombre infini de Princes et de grands Seigneurs d’un mérite extraordinaire. Ceux que je vais nommer, étaient en des manières différentes, l’ornement, et l’admiration de leur siècle. (p. 332)

L’emploi répété de l’intensif « tant », les tournures superlatives, l’adverbe d’exclusivité « jamais », le choix du vocabulaire laudatif, tout témoigne d’une volonté idéalisante : un vrai conte de fées ! Ce qui est affirmé d’abord de manière générale est ensuite détaillé en particulier dans des personnes précises : la reine dauphine est « une personne parfaite pour l’esprit et pour le corps » ; le roi de Navarre « attirait le respect de tout le monde par la grandeur de son rang, et par celle qui paraissait en sa personne » ; le duc de Guise « avait donné des marques d’une valeur si admirable, et avait eu de si heureux succès qu’il n’y avait point de grand Capitaine qui ne dût le regarder avec envie » ; le chevalier de Guise était « un Prince aimé de tout le monde, bien fait, plein d’esprit, plein d’adresse, et d’une valeur célèbre par toute l’Europe », etc. Jusqu’au duc de Nemours : « un chef d’œuvre de la nature ; ce qu’il avait de moins admirable, c’était d’être l’homme du monde le mieux fait et le plus beau » ! On ne saurait aller plus loin, et comment le lecteur pourrait-il vraiment résister à une telle accumulation laudative ? Comment ne pas être séduit par ces êtres supérieurs pour lesquels on ne peut éprouver que de l’admiration ‒ ou éventuellement de l’envie ? Force est de céder à tant de merveilles et de se dire que l’on entre sur les terres glorieuses de l’imaginaire romanesque...

Mais pour qui se rappelle les paroles de Mme de Chartres sur le mensonge des apparences, on a le sentiment que c’en est beaucoup trop, qu’on essaye un peu facilement de nous jeter de la poudre aux yeux, et on reste perplexe devant une exagération tellement ostentatoire. Que peut vouloir prouver la narratrice en plaçant ainsi d’emblée son lecteur devant un tableau si splendide ? La suspicion se glisse alors dans l’esprit d’un lecteur méfiant, qui commence à se demander si l’excès même de la louange ne peut pas être compris autrement, non pas comme une tentative d’idéalisation du monde de la cour, mais comme un signe discrètement adressé que quelque chose d’autre se dit qui n’est pas dit, comme un signe ironique. Et si tant d’indices jetés ostensiblement devaient prendre un sens autre que leur sens littéral ? Et si l’hyperbole laudative de la description devait être comprise non pas seulement comme moyen apparent d’idéalisation, mais aussi comme exagération caricaturale qui implique une distance dés-idéalisante ? D’autres indices sont en effet donnés à travers des annotations dispersées, laissées au fil du texte, petites remarques auxquelles la narratrice ne s’attarde pas, mais qui créent de véritables effets de cassure par rapport au ton du discours dominant. La face glorieuse est en effet si avantageusement avancée par la narration générale que le regard du lecteur se trouve orienté et comme prédisposé à ne retenir que les éléments positifs, et cette prédisposition sélective inconsciente fait négliger la face cachée, discrètement suggérée dans les exemples particuliers. Car on constate en fait deux séries descriptives contradictoires, l’une laudative, l’autre pour le moins ambivalente. La duchesse de Valentinois règne sans partage dans le cœur du roi depuis plus de vingt ans, mais, revers de la médaille, cette « vieille maîtresse » a une petite-fille en âge d’être mariée et continue néanmoins à s’habiller comme une jeune fille10 ; la reine ne témoigne aucune jalousie, mais « elle avait une si profonde dissimulation, qu’il était difficile de juger de ses sentiments » ; la fille du roi est d’une beauté incomparable, mais cette beauté lui sera « funeste » ; la reine dauphine est parfaite pour l’esprit et le corps, mais on sait qu’elle finira mal également ; le cardinal de Lorraine a « un esprit vif et une éloquence admirable », mais aussi « une ambition démesurée » ; le prince de Condé a « une âme grande et hautaine », mais « dans un petit corps peu favorisé de la nature » ; le duc de Nevers fait les délices de la cour « quoique dans un âge un peu avancé », etc. Comme on le voit, la louange n’est pas si unanime qu’une première lecture aveuglée par l’éclat des adjectifs éloquents et des superlatifs redondants le laisse d’abord croire, et les portraits se révèlent au contraire souvent ambivalents.

L’orientation sélective du regard lectoral s’explique par le fait que le texte est structuré de telle manière que « la magnificence et la galanterie » occupent le devant de la scène : ce n’est que progressivement que se dévoilent les dissonances d’un tableau d’abord décrit comme idyllique, au fur et à mesure que s’accumulent les décalages entre l’euphorie du début et les contre-exemples qui suivent et viennent infirmer, sans que jamais la narratrice ne le souligne, la déclaration d’entrée.

Autre distanciation : les scènes comiques

De même que La Princesse de Clèves emprunte des motifs à l’imaginaire romanesque, pour mieux les détourner, elle intègre aussi de véritables scènes de comédie à son récit. La critique a par exemple noté les effets dévastateurs de « l’enfer de la curiosité » qu’est la cour, mais elle a plutôt limité ses observations aux conséquences dramatiques qu’entraînent pour la princesse toutes les formes de déviances et de faiblesses morales qu’implique plus ou moins l’esprit courtisan : le caractère comique de certaines scènes a été oublié. Il y a pourtant de la comédie de mœurs dans la nouvelle, par exemple quand sont mis en scène les indiscrétions et les ragots qui hantent les conversations. La cour, monde clos et restreint, fonctionne en effet comme une caisse de résonance où le moindre bruit prend l’ampleur d’une tempête. Pour stigmatiser par exemple l’indiscrétion dont raffolent les courtisans, Mme de Lafayette utilise à plusieurs reprises le motif de l’histoire racontée sous le sceau du secret, et qui revient inopinément à son narrateur par un effet « boomerang ». Ainsi dans l’affaire de la brouillerie du roi et de la duchesse de Valentinois à propos d’une bague qu’il lui a donnée, et dont il soupçonne qu’elle l’ait offerte à un amant, c’est le prince de Clèves qui, instruit par M. d’Anville, s’empresse de partager la nouvelle, secrète mais croustillante, de cette fâcherie :

Sitôt que M. d’Anville eut achevé de me conter cette nouvelle, je me rapprochai de Sancerre pour la lui apprendre ; je la lui dis comme un secret que l’on venait de me confier et dont je lui défendais d’en parler.

Le lendemain matin, j’allai d’assez bonne heure chez ma belle-sœur ; je trouvai Mme de Tournon au chevet de son lit. Elle n’aimait pas Mme de Valentinois, et elle savait bien que ma belle-sœur n’avait pas sujet de s’en louer. Sancerre avait été chez elle au sortir de la comédie. Il lui avait appris la brouillerie du roi avec cette duchesse, et Mme de Tournon était venue la conter à ma belle-sœur, sans savoir ou sans faire réflexion que c’était moi qui l’avais apprise à son amant.

Sitôt que je m’approchai de ma belle-sœur, elle dit à Mme de Tournon que l’on pouvait me confier ce qu’elle venait de lui dire et, sans attendre la permission de Mme de Tournon, elle me conta mot pour mot tout ce que j’avais dit à Sancerre le soir précédent. Vous pouvez juger comme j’en fus étonné. (p. 370)

La boucle a donc été bouclée, et le message renvoyé à l’envoyeur, selon un procédé habituel de la comédie (par exemple, on retrouve le même mécanisme à la scène 3 de l’acte III des Fourberies de Scapin, où Géronte s’entend raconter par Zerbinette ses propres mésaventures, et comment son fils, par un enlèvement feint, lui a subtilisé cinq cents écus). La chaîne de transmission D’Anville - prince de Clèves - Sancerre - Mme de Tournon - belle-sœur du prince de Clèves - prince de Clèves, en même temps qu’elle révèle au prince de Clèves la liaison cachée entre Sancerre et Mme de Tournon, montre le fonctionnement centripète de la cour, fonctionnement propice à d’amusants quiproquos. Les effets comiques de cette scène sont d’ailleurs soulignés sobrement par le texte : le lecteur est invité à imaginer la surprise de M. de Clèves (« Vous pouvez juger comme j’en fus étonné »), la gêne de Mme de Tournon (« elle me parut embarrassée »), et le malin plaisir que prend M. de Clèves à lui faire comprendre que son personnage de veuve inconsolable est percé à jour (« Je la remis à son carrosse et je l’assurai, en la quittant, que j’enviais le bonheur de celui qui lui avait appris la brouillerie du roi et de Mme de Valentinois »). On le voit : le vertueux, l’immaculé prince de Clèves lui-même n’est pas plus que les autres exempt d’indiscrétion ‒ c’est lui qui lance la chaîne du « téléphone arabe » ‒ ni d’humour si l’on en juge par l’hommage galant avec lequel il signale à Mme de Tournon qu’elle est démasquée.

Mieux encore, le mécanisme de « retour à l’envoyeur », typique de la comédie, fonctionne aussi autour de l’héroïne centrale, par exemple quand la reine dauphine rapporte à Mme de Clèves son propre aveu. On peut encore montrer comment l’épisode de la lettre perdue par le vidame, dont Nemours se trouve promu destinataire involontaire, relève du type du « quiproquo », dont Bergson a analysé l’effet « boule de neige ». L’incident, au départ bénin, de la lettre perdue implique effectivement un nombre toujours croissant de personnages : non seulement le vidame et Mme de Thémines, destinataire et destinateur, mais la vicomtesse d’Uzès, qui prévient le vidame du danger, un gentilhomme ami qui sert d’intermédiaire, le duc de Nemours bientôt intéressé à établir lui aussi qu’il n’est pas le destinataire, Chastelart qui a récupéré la lettre, la reine dauphine qui l’a transmise à Mme de Clèves, M. de Clèves à qui Nemours est venu demander son aide et qui « le mena à l’heure même dans la chambre de sa femme » (!), enfin la reine Catherine qui soupçonne les mensonges du vidame. Et l’effet « boule de neige » est terrible, puisque la narratrice indique parmi les conséquences la haine de la reine pour la dauphine « qu’elle persécuta jusqu’à ce qu’elle l’eût fait sortir de France » ‒ avec les conséquences que l’on sait ‒ et la disgrâce du vidame que la reine « perdit ensuite à la conjuration d’Amboise où il se trouva embarrassé ». Le fonctionnement de type comique se trouve ainsi mis au service d’un sens qui ne l’est pas forcément. C’est ce que montre encore la suite de la scène, où les revirements d’esprit de la princesse, qui passe progressivement d’un « esprit aigri et agité » par la jalousie (p. 409) à un « esprit de gaieté » (p. 414), forment une suite de saynètes plaisantes, qui n’empêchent pas une interprétation finalement moraliste, quand la princesse comprend combien ses revirements trahissent une passion dont la maîtrise lui échappe. On retrouve ainsi chez Mme de Lafayette une ambivalence « tragi-comique » : le comique, loin de fonctionner comme envers du tragique, peut au contraire en constituer l’un des moyens.

La Princesse de Clèves et le libertinage

Ces effets de quiproquos m’amènent à une nouvelle distance, les mœurs libertines mises en scène dans cette nouvelle actuellement lue souvent de manière si morale. La digression concernant les aventures amoureuses de Mme de Tournon fournit le modèle d’une configuration récurrente dans la nouvelle, le cas où un-e amant-e entretient parallèlement plusieurs liaisons. La comédie de mœurs me semble alors aller jusqu’à la mise en scène du vagabondage sexuel. On a déjà mentionné Mme de Tournon, menant parallèlement deux intrigues galantes, tout en jouant les veuves vertueuses : elle semble la préfiguration de la duchesse de Merteuil, la rouerie en moins. Mais, noblesse oblige, il faut évidemment accorder à la maîtresse du roi la primauté dans ce genre d’intrigue, au point qu’on pourrait dire qu’elle semble en avoir donné et promu le modèle à la cour. En effet, selon la nouvelle, elle aurait commencé par séduire François Ier avant de s’attaquer à son fils, le futur Henri II, mêlant ainsi le relent de l’inceste au parfum de l’adultère : « [Diane de Poitiers], dont la beauté était admirable, et qui avait déjà plu au feu roi, fit si bien (je ne sais par quels moyens) qu’elle obtint la vie de son père » raconte Mme de Chartres (p. 354). Au lecteur d’apprécier le pudique sous-entendu des moyens employés par Diane de Poitiers pour obtenir la grâce de son père... Mais il faut noter que Mme de Chartres, loin de laisser dans une ombre bienséante cette allusion transparente, en donne elle-même la clef deux phrases plus loin : « Sa fille parut à la Cour comme la maîtresse du Roi ». On comprend alors que l’allusion n’était pas justifiée par la pudibonderie, par un souhait de voiler pudiquement une sexualité non seulement adultère mais vaguement incestueuse, mais qu’elle doit en fait plutôt se comprendre comme un sous-entendu grivois. Et la malice de Mme de Chartres se poursuit quand elle conclut sa relation des incartades amoureuses de la duchesse en remarquant que « le Roi a eu bien d’autres sujets de jalousie ; mais ou il ne les a pas connus, ou il n’a osé s’en plaindre » (p. 358) !

Les galanteries successives de Mme de Valentinois prennent une orientation d’autant plus scandaleuse que le cocu présomptif n’est autre que le roi de France, qui a un si « extrême respect […] pour sa maîtresse [… qu’il n’ose] éloigner son Rival » (p. 357). Le libertinage du comportement de la favorite se double donc d’un défi au pouvoir royal et dit assez l’impertinence impudente de celle qui sait pouvoir agir en toute impunité en profitant de la faiblesse du caractère de son royal amant. L’analyse, très informée et très lucide, que fournit Mme de Chartres ne laisse d’ailleurs rien ignorer de cette veulerie11 qui fait le roi et cocu et content. À travers le libertinage des mœurs se dessine ainsi l’audace d’un défi au pouvoir masculin, à l’autorité royale, à l’ordre social et moral. Faire de Mme de Chartres, présentée comme l’incarnation de la vertu la plus exigeante, la narratrice de ce récit guère édifiant apparaît comme le signe ultime de l’ironie ici à l’œuvre12.

Le vidame de Chartres fournit pour sa part l’exemple masculin de ces liaisons multiples. Quand il raconte à Nemours le danger que lui fait courir la lettre perdue, ce ne sont pas moins de quatre maîtresses différentes qui viennent compliquer le récit de ses intrigues : la tendre Mme de Thémines pour le cœur, « une autre femme moins belle et moins sévère » dont le nom est tenu secret pour les plaisirs, la redoutable Catherine de Médicis pour l’ambition, et Mme de Martigues pour remplacer bientôt Mme de Thémines. Le duc de Nemours lui-même, séducteur s’il en est, plaisante le vidame sur cette collection libertine : « On m’a accusé de n’être pas un Amant fidèle, et d’avoir plusieurs galanteries à la fois ; mais vous me passez de si loin, que je n’aurais seulement osé imaginer les choses que vous avez entreprises » (p. 407).

Le libertinage ne tient pas seulement à la multiplicité des intrigues « galantes », mais aussi à la claire distinction qu’opère le vidame entre ses différents intérêts et son ambition de jouir de tous les plaisirs, sentimentaux, sexuels, sociaux, sans se priver d’aucun, grâce à son hypocrisie, son calcul et son habileté de courtisan. Chez le vidame, comme chez Mme de Valentinois, cette claire distinction des différents ordres d’intérêt se double du désir de ne sacrifier aucune liberté personnelle, de ne donner au pouvoir que des gages apparents de soumission, tout en se ménageant un espace de liberté personnelle : tout en faisant une cour fervente à Catherine de Médicis, le vidame cherche à conserver sa liaison avec Mme de Thémines, et entreprend une relation nouvelle avec Mme de Martigues. La conscience lucide de ce que demandent les raisons du cœur, de ce qu’exigent les appétits du corps, et de ce que suggèrent les lumières de l’esprit et de ce que réclament les ambitions sociales, montre la maîtrise qu’entend exercer le libertin vidame sur les contingences de la vie. En cette occurrence, le libertinage mène au cynisme, faisant passer les intérêts désabusés avant l’illusion des sentiments.

Mais la princesse de Clèves, refusant d’épouser le duc de Nemours pour « l’intérêt de [son] repos », par-delà les « raisons de [son] devoir », agit-elle au fond très différemment ? Les scrupules de la princesse l’amènent à pratiquer elle aussi la distinction entre ordre du désir et ordre de l’intérêt, et l’exposé, si rationnel qu’il en est presque cynique, qu’elle fait au tremblant Nemours prouve chez elle aussi la supériorité de l’intellect sur le sentiment. Elle est si détachée qu’elle va jusqu’à sourire quand il se jette à ses pieds pour lui témoigner sa passion (p. 469). Et la narratrice de s’amuser encore une fois à tromper le lecteur, en rapportant que le duc sort de l’entretien persuadé « qu’il était impossible que Mme de Clèves demeurât dans les résolutions où elle était » (p. 473-474) ! L’ironie est ici si radicale qu’elle n’épargne aucune attitude, aucune valeur, et pas même la douleur de l’amant, incapable de croire à un refus définitif.

 

En définitive, le suprême paradoxe de la nouvelle, et la suprême ironie du récit, consistent peut-être à montrer comment cynisme et vertu opèrent parallèlement, contrairement à ce qu’on croit souvent. Les vertus ne sont bien que des vices déguisés, comme le rappelle l’exergue des Maximes de l’ami de Mme de Lafayette, le duc de La Rochefoucauld, affirmation ontologiquement augustinienne, mais qui renvoie aussi bien aux questions que pose la philosophie des libertins. Comme on le voit, une lecture ironique de La Princesse de Clèves est possible et révèle que l’ironie est mise au service d’un travail de sape des illusions du cœur et des apparences de la société. Mais on trouve aussi au fil du texte de nombreux clins d’œil adressés au lecteur, qui invitent à penser, autant qu’à sourire en silence. L’ironie, « écriture oblique » selon la formule de Philippe Hamon, parce qu’elle implique un sens caché explique sans doute le caractère indécidable, énigmatique de la nouvelle. C’est pourquoi, pour ma part, je ne souscris pas à la potentialité de l’interprétation augustinienne. Il faut dire que cette lecture qui tend à ramener le choix du refus de la princesse à une prise de conscience moralisante, sur fond de doute sur la validité des sentiments humains, finit aussi par ramener la femme à sa double assignation patriarcale : souffrir et se taire. Cette lecture ne me semble plus correspondre à la manière dont notre époque a besoin de lire le chef d’œuvre de Mme de Lafayette. Et, comme féministe, j’ai du mal à admettre que la plus grande autrice du xviie siècle (et de la littérature française ?) a dressé le portrait d’une femme d’exception pour apprendre aux femmes à renoncer à la liberté d’une vie autonome. Et c’est ainsi pourquoi j’ai essayé dans mon dernier article sur Mme de Lafayette13 d’envisager une tout autre perspective. Repartant de l’idée communément reçue que la condamnation des passions est bien au cœur de l’éthique développée par Mme de Lafayette, j’observe que ce pessimisme n’affecte pas les deux sexes de la même façon : les femmes sont clairement des victimes des hommes, et si la passion détruit les unes, elle éprouve beaucoup moins les autres. Non seulement les hommes survivent au déchaînement passionnel (à deux exceptions près, Chabannes et le prince de Clèves), mais ils en sortent souvent sans encombre. La condamnation des passions, plutôt que de signaler une influence augustinienne, ne serait-elle par le moyen d’expression d’une forme de défiance par rapport aux hommes, en raison des conséquences désastreuses sur la vie et le bonheur féminins que suscitent les sentiments qu’éprouvent les héroïnes ? En parcourant l’ensemble de l’œuvre (La Princesse de Montpensier, Zayde, La Princesse de Clèves), on constate en effet la récurrence d’intrigues qui mettent en scène des héroïnes anéanties par l’inconstance et la légèreté de leurs amants. Si de telles intrigues ne sont pas nouvelles en littérature, ce qui change, c’est la prise de parole par une femme romancière qui recommande une « défiance naturelle de tous les hommes ». J’envisage donc cette dénonciation comme le signe que Mme de Lafayette, formée par la Préciosité, avait déjà conscience que les inégalités de genre ne permettent pas des rapports équitables entre les sexes. Comme on voit, Mme de Lafayette a encore des choses à nous apprendre, et les nouvelles lectures qu’on peut en faire prouvent que son œuvre reste bien vivante.

 

Notes

1

La métaphore est de Maurice Laugaa dans ses Lectures de Mme de Lafayette, Paris, Armand Colin, 1971.

2

L’édition de La Princesse de Clèves utilisée et citée est celle des Œuvres complètes de Mme de Lafayette, éd. C. Esmein-Sarrazin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2014 (ici p. 363).

3

 Une telle conception, cette volonté de limiter l’émotion par le travail de la volonté n’est d’ailleurs pas l’apanage de la princesse dans la nouvelle. Par exemple, quand le prince entend Sancerre déplorer la perte de Mme de Tournon, qui le trompait, il l’invite à se maîtriser : « Je lui dis que tant que son affliction avait eu des bornes, je l’avais approuvée, et que j’y étais entré ; mais que je ne le plaindrais plus s’il s’abandonnait au désespoir et s’il perdait la raison. » (p. 374)

4

La princesse de Clèves n’est d’ailleurs pas la première héroïne de Mme de Lafayette à faire cette expérience : Bélasire dans Zayde (1670) a déjà expérimenté le même cheminement et en a tiré la conclusion qui s’imposait, la même que celle de la princesse, le refus d’aimer et le choix de la retraite.

5

Mme de Sévigné, Correspondance, éd J. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », lettre du 3 juin 1693, t. III, p. 1007. Sur la personnalité de Mme de Lafayette, je me permets de renvoyer à la biographie que j’ai publiée en ligne récemment : http://lamo.univ-nantes.fr/Mme-de-Lafayette-ou-les-passions-subjuguees

6

Albert Camus, « L’intelligence et l’échafaud », Confluences, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1962, p. 1894. Camus ajoute : « Cette détresse disciplinée, cette lumière puissante dont l’intelligence transfigure la douleur [...] postule qu’une certaine force d’âme peut poser des bornes au malheur en censurant son expression » (Ibid. p. 1892).

7

René Descartes, Traité des passions de l'âme (1649), éd. C. Adam et P. Tannery, 11 vol., [1964-1974], Paris, Vrin, 1996, vol. XI, art. 48, p. 366-367, et art. 50 (titre), p. 368.

8

Ces mots sortent de la bouche de Mme de Chartres sur son lit de mort. Comme l’avait dit Michael Danahy, « La princesse est un être rationnel dont la décision de ne pas se marier est intelligente » (« Le roman est-il chose femelle ? », Poétique, 1976, n° 25, p. 103).

9

J’ai développé ce qui suit dans le cadre du dernier chapitre de mon livre sur Le Rire galant. Usages du comique dans la fiction narrative du XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2011.

10

« Elle paraissait elle-même avec tous les ajustements que pouvait avoir Mlle de La Marck, sa petite-fille, qui était alors à marier. » (p. 331)

11

À deux reprises elle indique que le roi n’ose pas contrecarrer sa maîtresse, ce qui donne une idée assez peu flatteuse du souverain.

12

Mme de Lafayette use du même procédé avec M. de Clèves, parangon d’amour conjugal, qui se charge de faire à sa chère femme le récit des amours multiples de Mme de Tournon.

13

« Une défiance naturelle de tous les hommes. Mme de Lafayette misandre ? », dans Regards genrés : des hommes sous le regard des femmes, Atlantide, n° 12, décembre 2021. En ligne : http://atlantide.univ-nantes.fr/-Regards-genres-des-hommes-sous-le-

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Table des matières

De La Princesse de Clèves au Fils naturel. L'invention de la scène (Journée d'étude d'Aix)

La Princesse de Clèves (Journée d'étude du Mans)

Journée d'agrégation du 4 décembre 2021