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La fin de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette présente un paradoxe étonnant : si tout laisse penser que le texte est parfaitement achevé, qu’il a prononcé son dernier mot et que l’on sait bien comme « cela se finit », rarement cependant dénouement aura suscité dans l’histoire littéraire autant de lectures, relectures, voire contre-lectures.

D’un côté, les dernières pages de la nouvelle tirent leur coloration particulière du fait que le « sentiment de la fin » s’y diffuse impeccablement : la terminaison du texte (ou sa disparition typographique) correspond apparemment à l’achèvement de son sens ; et l’intrigue se résout de façon presque redondante, dès lors qu’elle fait intervenir tous les topoï signifiant eux-mêmes la fin (le silence, la disparition et la mort). Ainsi coïncideraient ce que Philippe Hamon nomme la fin du texte (sa terminaison), sa finalité (sa fonction idéologique, qui le rendrait lisible) et sa finition (au sens où il se clôt de façon cohérente et semble bien « fini »)1. Mais d’un autre côté, ce qui apparaît comme un lieu privilégié du récit, lieu « plein », « sémantiquement surdéterminé », point d’aboutissement de la trajectoire de son personnage éponyme (qui ne déploierait qu’au dernier moment sa figure complète2), laisse place à une forme d’incertitude et d’ambiguïté. La princesse a-t-elle tout dit ? Sait-on vraiment comment finit l’histoire ?

Cette question délibérément suspicieuse révèle ce qui constitue, depuis la parution de l’œuvre en 1678, l’une de ses singularités : je veux parler du lien qui l’attache à un type de réception reposant sur la critique psychologique et morale et faisant une place irréductible à l’illusion référentielle. Les critiques ont en effet très souvent pris la forme ou bien du jugement de valeur (« la princesse avait-elle raison de… ? »), ou bien de l’hypothèse contrefactuelle (« que se serait-il passé si… ? »), unissant d’emblée la réception de l’œuvre à la question de sa récriture. Et il est d’ailleurs loisible, aujourd’hui encore, de proposer ce type de critique « créative » dans l’enseignement secondaire ou supérieur. Aussi la pérennité d’une telle œuvre, pour ne pas dire son actualité, reposerait-elle fort paradoxalement sur des déterminations liées au contexte historique dans lequel elle est née : car ces questions, qui peuvent encore intéresser tout un chacun, relèvent de près ou de loin d’une forme de « casuistique » alors très en vogue dans les salons des Précieuses, laquelle imprègne si bien l’écriture de la nouvelle qu’elle en oriente, dans une certaine mesure, la lecture.

Or ce qui frappe plus particulièrement, de ce point de vue, est la confusion ainsi introduite entre l’autrice et son héroïne, comme si les choix littéraires de Lafayette tendaient à se confondre avec les choix moraux de la princesse. À cet égard, la lecture de la fin de la nouvelle, qui est aussi la fin du personnage, jouit d’un statut privilégié. La tentation est grande d’identifier l’analyse de la configuration du texte à l’analyse des raisons et des motivations qui auraient mené l’héroïne à sa fin. Il importe donc de comprendre comment les différentes lectures et relectures de cette fin (dont aucune sans doute n’est « la bonne ») nous tirent dans deux directions opposées : en mettant au jour le pouvoir conjoint de l’idéologie et de l’illusion référentielle (qui nous font croire que cette princesse existe et qu’elle est prise dans un système de valeurs bien défini) mais aussi leur échec relatif à élucider complètement le texte, c’est la valeur littéraire de l’œuvre qui se voit paradoxalement entérinée. En effet, lire et relire la fin de La Princesse de Clèves revient à la fois à faire place aux idées et aux valeurs qui la traversent et à constater pourtant qu’aucune d’elles n’est capable d’en donner définitivement la « clé ». Il se pourrait que Lafayette ait ainsi joué à faire de ces grands thèmes que sont le renoncement, le refus et la résolution (que l’on a tendance à imputer à l’héroïne) des thèmes lisibles au second degré, à la fois intérieurs et extérieurs à la fiction : car rien n’est résolu, c’est au fond au lecteur que la princesse s’est refusée, et ce renoncement devient le sien, qu’il le veuille ou non.

Où commence la fin ?

Avant d’entrer dans l’examen des diverses lectures de la fin et de leurs limites, posons cette question simple : comment délimiter et comment nommer la fin de La Princesse de Clèves ? Dénouement, finale, explicit, épilogue, clôture, résolution, catastrophe, le choix des syntagmes employés pour désigner la fin du récit de Lafayette n’a rien d’évident. Les périphrases et les métaphores ont d’ailleurs souvent été préférées par la critique : « finale crépusculaire » d’une symphonie selon Philippe Sellier3, « brève histoire d’une extinction » selon Jean Rousset4, ou encore « dénouement en grisaille » et « smorzando » selon Henri Coulet5. Difficile, on le voit, de rendre raison de ce qui relèverait en dernière instance d’un sentiment indéfinissable ou d’un je ne sais quoi, pour reprendre une terminologie chère aux Précieuses.

Est-il alors possible, au moins, de s’accorder sur un résumé de la fin ? Henri Coulet, dans l’article qu’il consacrait en 1990 au dénouement de La Princesse de Clèves, reprenait, pour mieux le réfuter ensuite, les propos que tenait Gérard Genette dans son article de 1968 intitulé « Vraisemblance et motivation6 » : « Admettons que le dénouement de La Princesse de Clèves soit bien : ‘‘Mme de Clèves, veuve, n’épousera pas M. de Nemours, qu’elle aime.’’ Comment ce dénouement est-il textualisé, quelles sont les phrases qui l’expriment7 ? ». Un tel résumé – si simple et consensuel soit-il en apparence – appelle plusieurs remarques.

D’abord, il invite à faire du renoncement final la substance même de la clôture de la nouvelle. Il attire l’attention sur ce paradoxe qui noue le drame : alors qu’elle pourrait épouser Nemours, et alors même, a fortiori, qu’elle lui avoue son amour, l’aveu de cet amour consacre en même temps la retraite de l’héroïne, autrement dit la rupture des amants. On peut aller plus loin et dire que la tonalité apparemment tragique de la fin reposerait, plus que sur un paradoxe, sur une forme d’asymptote : deux individus épris l’un de l’autre et libres de s’aimer se retrouvent, s’avouent leur amour, mais ne s’unissent finalement pas.

Il faut ajouter en second lieu que, du point de vue de la narration, l’événement paradoxal en question est un non-événement : le fait qu’elle n’épouse pas Nemours, comme le souligne Henri Coulet, « ne peut faire l’objet d’un récit8 ». Mais que s’agira-t-il alors de lire et d’interpréter ? Il n’est même pas certain que les commentateurs soient d’accord sur ce que signifie la négation inhérente à ce renoncement sur lequel on a tant glosé.

Enfin, dernière remarque, en forme de question : ne pourrait-on pas beaucoup plus littéralement désapprouver un tel résumé de la fin et lui en préférer un autre ? Car ce n’est pas ainsi que se termine l’histoire : ce « non-événement » tragique correspond à la dernière scène, mais ne correspond pas au dernier paragraphe, qui en contient (certes de manière elliptique) une autre. Une proposition de résumé pourrait être : « On sait comment cela se finit : la princesse meurt ». Posons la question à nouveaux frais : où commence exactement la fin de La Princesse de Clèves ? Et considérons pour ce faire plusieurs hypothèses, par ordre décroissant de volume textuel.

(1) L’hypothèse maximaliste-déterministe considère la fin comme enveloppée dans la totalité de l’œuvre. La fin serait le telos du récit, son but, ce vers quoi il tend. Ainsi l’adjectif « inimitable » sur lequel se referme le texte serait-il déjà contenu dans l’incipit hyperbolique et brillant : « La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second9 ». La « nécessité » de la fin inviterait à lire l’œuvre à l’envers, en partant de ce telos qui détermine la structure de l’ensemble. Armine Kotin Mortimer a par exemple cherché à mettre en évidence la structure paradigmatique de la nouvelle, en insistant sur la notion de « clôture narrative » et en affirmant que la « la série des événements […] est érigée en vue d’une certaine fin10 » qu’elle identifie essentiellement au refus. Une telle hypothèse, qui s’inscrit dans une lecture de type structuraliste (sur laquelle nous reviendrons), implique de considérer que la fin ne réside pas dans les dernières lignes, mais plutôt dans le fait qu’une « tension » (causée par la passion) soit finalement dénouée. Elle invite dès lors à considérer que ce qui meut essentiellement la narration peut se réduire à l’amour et à son analyse11. Ainsi, suivant cette hypothèse, il faudra dire que « la clôture est la terminaison d’un programme narratif dont la conduite et la conclusion finale sont contenues dans le début12 » (la notion de « clôture narrative » invitant à considérer la fin comme intervenant bien avant la fin).

(2) L’hypothèse analeptique propose plus spécifiquement de lire la fin en opérant un retour en arrière ou un flash back. Cette hypothèse s’appuie sur une scène bien particulière de la première partie : la mort de Mme de Chartres, la mère de la princesse. De fait, on considère souvent que cette scène constitue une forme de prolepse13, par l’avertissement qu’il contient et dans la mesure où le discours maternel aurait valeur de prophétie autoréalisatrice. Dans ce cas, la fin ne serait que la confirmation ironiquement tragique de la mise en garde de la mère, qui demandait à sa fille de ne pas « tomber comme les autres femmes14 ». Autrement dit, celle qui laisse un exemple de « vertu inimitable » aurait seulement, par sa fin, obéi à sa mère. Notons que si cette hypothèse peut être rapprochée de la précédente (dans la mesure où elle invite à regarder la configuration de l’œuvre avec un peu de recul), elle a également ouvert la voie à toute une série de lectures féministes (nous y reviendrons) : lier la fin du récit à la scène de la mort de Mme de Chartres, c’est s’interroger sur la fonction idéologique de l’injonction maternelle et suggérer que notre héroïne aurait été d’emblée invitée à « faire exception » par ses choix de vie, autrement dit à se donner une valeur ou un prix grâce au renoncement.

(3) L’hypothèse musicale est tout autre : elle s’appuie en effet sur une analogie entre le récit de Lafayette et une grande pièce musicale, considérant la fin comme un « finale », c’est-à-dire comme le dernier mouvement d’une symphonie ou d’un opéra. Cette hypothèse associe la fin de La Princesse de Clèves à sa quatrième et dernière partie. S’enchaînent en effet dans cette partie du récit les péripéties menant à la conclusion, depuis la scène de la canne des Indes, le retour du Gentilhomme de Coulommiers, l’accablement et la mort de M. de Clèves (mort désignée comme la première raison du renoncement final de la princesse), l’échec de la réunion des deux amants, la maladie et la mort de l’héroïne. C’est ici l’articulation dramatique et en apparence implacable des événements qui importe. On remarque au passage que ce terme de « finale » fait d’ailleurs l’objet d’une forme de consensus de la part de la critique, qui a bien souvent recours – sans trop l’expliciter – à l’analogie musicale. On l’a dit, « finale » est le terme choisi par Philippe Sellier ; quant à Jean Mesnard, il affirme, dans l’introduction de son édition, que « Mme de Lafayette ne nous offre pas un simple récit d’aventure amoureuse, mais une véritable symphonie de l’amour15». Il n’est pas anodin que ces critiques aient cherché avant tout le sens de l’œuvre et de son dénouement : l’analogie musicale invite à considérer l’harmonie du récit, dans laquelle les idées et la forme coïncideraient parfaitement.

(4) L’hypothèse picturale sollicite la comparaison avec les arts visuels plutôt qu’avec la musique. Elle déplace la fin en question, invitant à considérer que le dénouement résiderait dans la dernière grande scène du roman. Mais une telle hypothèse reconduit à une question de taille, plus difficile à résoudre qu’on ne le croit : quelle est la dernière grande scène de La Princesse de Clèves ? S’agit-il de la scène de la rencontre secrète entre Mme de Clèves et Nemours chez le vidame de Chartres, lors de laquelle l’héroïne avoue son amour en même temps qu’elle se refuse ? Possible, mais le problème est qu’il ne s’agit pas du dernier épisode du récit. S’agit-il alors de la rencontre entre Nemours et la « personne de mérite » qui se fait l’émissaire de la princesse, en présence de laquelle le duc pense expirer de douleur et qu’il prie instamment de « retourner à Mme de Clèves, afin de faire en sorte qu’il la vît16 » ? Il s’agirait alors à la fois d’une scène de rencontre (puisque Nemours se trouve face à cette « personne » envoyée par la princesse) et de l’échec de la scène de rencontre attendue (puisque la princesse n’est représentée que par les mots transmis qui se substituent à elle-même et n’attend aucune réponse). On pourrait encore faire une dernière hypothèse et se demander si la mort de la Princesse, qui est bien le dernier élément du récit, n’est pas la dernière scène. C’est là le choix que fit Jean Cocteau en écrivant le scénario du film de Jean Delannoy en 1961 : dans cette adaptation cinématographique, la princesse accepte finalement de revoir Nemours, qui trouve cependant la princesse sur son lit de mort. On n’épiloguera pas sur un tel choix scénaristique, mais force est de constater qu’elle tord le texte de Lafayette, qui choisissait précisément de passer cette mort sous silence, et de ne pas en faire une « scène » (contrairement aux autres scènes de mort qui précèdent dans le récit). Comment donc situer scéniquement le dénouement ? Il importe de souligner en tout cas que le décalage établi par Lafayette entre le dénouement scénique et la fin du récit n’est pas anodin et qu’il semble même faire partie de ces procédés signalant le refus de l’héroïne.

(5) Penchons-nous un moment sur le dernier paragraphe, qui installe un tel décalage : l’hypothèse typographique est sans doute la plus attendue, la plus simple et en un sens la plus scolaire. Contrairement à l’hypothèse picturale, elle associe simplement le dénouement à la terminaison matérielle du texte. La fin serait introduite par le dernier alinéa et formerait une unité de sens bien délimitée. Dans le dernier paragraphe est décrite la réaction accablée de Nemours et ses tentatives désespérées pour revoir la princesse, avant que la passion ne s’éteigne sous l’effet du temps. N’est-ce pas dire que la fin de « La Princesse de Clèves » est plutôt celle du duc de Nemours ?

(6) L’hypothèse clausulaire, qui s’appuie sur l’ellipse narrative contenue dans les dix dernières lignes du texte, renforce cette impression. Cette ellipse multiplie les indices signifiant la fin et fait assez rapidement disparaître le récit : alors que Nemours, animé d’une passion « violente », « ne se rebut[e] pas encore », seules quelques lignes suffisent à faire le récit d’une double extinction, celle (plus métaphorique) de la passion et celle de la princesse :

Enfin des années entières s’étant passées, le temps et l’absence ralentirent sa douleur, et éteignirent sa passion. Mme de Clèves vécut d’une sorte qui ne laissa pas d’apparence qu’elle pût jamais revenir ; elle passait une partie de l’année dans cette maison religieuse, et l’autre chez elle, mais dans une retraite et dans des occupations plus saintes que celles des couvents les plus austères ; et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables17.

Avec l’adverbe « enfin » et la mention du passage des années, le temps de la narration s’accélère. Il se pourrait – en apparence – que cette ellipse ait valeur d’euphémisme : c’est en effet par l’évocation de sa vie que la mort de la princesse est signifiée. L’adverbe de temps ne produit pourtant aucun passage à la ligne : c’est que le dernier paragraphe réunit autant qu’il les sépare les deux amants. On peut d’ailleurs se demander si cette phrase charnière – « Enfin des années entières s’étant passées, le temps et l’absence ralentirent sa douleur, et éteignirent sa passion » – évoque la fin de la passion de Nemours ou celle de Mme de Clèves : si, du point de vue grammatical, la douleur et la passion qui s’éteignent avec les années sont bien celles du duc (ce que viennent ironiquement confirmer les craintes qu’avait formulées la princesse18), on peut se demander s’il ne pourrait pas aussi s’agir de celles de la princesse, et si « Mme de Clèves » ne peut être considérée comme un sujet postposé (ce qui viendrait nuancer le caractère tragique de la « fin » de l’héroïne, car on ne peut exclure qu’elle aussi ait pu cesser d’aimer). Rappelons en outre que le dernier paragraphe commence avec « M. de Nemours » – dont il est question dans les deux premiers tiers du paragraphe – tandis que « Mme de Clèves » réapparaît seulement dans la dernière phrase, occupant seulement le dernier tiers du paragraphe. On peut donc considérer que la phrase charnière ou pivot – « Enfin […] sa passion » – sert d’embrayage illusoire entre le point de vue de Nemours et celui de la princesse : car on n’aura en réalité plus accès à l’intériorité de la princesse, le récit de ses dernières années et de sa mort demeure aussi extérieur, lointain et mystérieux qu’il l’aura été pour Nemours.

(7) La dernière hypothèse, que l’on peut appeler hypothèse minimaliste, repose sur le dernier segment de phrase (« et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables »), qui forme à strictement parler la clôture du récit, par son rythme cadencé et surtout son placement en hyperbate. Mais l’examen de ce seul segment invite à reconsidérer les conclusions tirées de l’hypothèse précédente. En effet, le « dernier mot » ne semble-t-il pas (même indirectement) laissé à Mme de Clèves ? La fin, ainsi réduite à l’essentiel, prend la forme d’une épitaphe s’apposant à l’ensemble, associant le sème de la mort à celui de la « fin de l’histoire19 ». Le déploiement de cette phrase, qui peut se lire comme la fin d’une période, met en évidence ce dernier adjectif, si décisif : « inimitable ». Comme l’a montré Georges Molinié, ce « et » relativement inattendu est sans doute « LA caractéristique stylistique » de l’écriture de Lafayette, sinon de l’esthétique classique entière, et de son « (faux) équilibre » : ainsi « la rallonge […] en succession mineure, segmentée […], introduite par un ET qui a le sens de ‘‘point à la ligneFinalement,’’20 » prend-elle un relief particulier. On notera que cette approche stylistique de la fin fait appel encore une fois à la métaphore musicale, dans la mesure où elle insiste sur la tonalité mineure de cette « rallonge » qui vient clore le texte en même temps qu’elle en concentre toute l’ambiguïté.

Cet examen non exhaustif des différentes manières de nommer et de situer la fin de la nouvelle n’aura pas permis d’affirmer avec certitude « où commence la fin » de La Princesse de Clèves ; mais il révèle que chacune des hypothèses dénombrées implique un choix d’interprétation. S’agit-il de considérer la fin comme le lieu de restitution ultime du sens de l’œuvre ? Ou bien de saisir, par la fin, la structure et la genèse de l’œuvre ? Enfin, dans quelle mesure faut-il prendre au sérieux cette fin ? Tâchons maintenant d’analyser ces directions possibles.

Lectures métaphysiques : le(s) sens de la fin

Les lectures que l’on peut appeler « métaphysiques » ont en commun d’avoir cherché une « clé de lecture » (i.e. un sens) dans la fin de l’œuvre. Il est vrai, on l’a vu, que la fin de La Princesse de Clèves est rendue particulièrement explicite par la présence redondante des topoï signifiant eux-mêmes la fin : la fermeture, le mutisme et la mort. Le récit soulignerait thématiquement sa fin en même temps qu’il la configure. On aurait affaire, pour citer à nouveau Philippe Hamon, « à une sorte de mimétisme textuel, de commentaire métalinguistique implicite du texte sur lui-même, l’énoncé soulignant sa frontière ultime par des métaphores qui renvoient indirectement à sa cessation même21 ». La fin serait donc une manière de saturer (en apparence) le sens de l’œuvre. Mais dès lors que l’on s’intéresse au « sens », plusieurs interprétations entrent pourtant radicalement en concurrence.

L’interprétation augustinienne

Une tradition critique française (représentée entre autres par Bernard Pingaud, Roger Francillon, Jean Mesnard ou Philippe Sellier) a mis au jour les points de contact entre l’œuvre de Lafayette et l’augustinisme littéraire, lequel aurait pour ainsi dire « imprégné » son écriture. Ainsi, on a pu lire le « finale » du roman en mettant l’accent sur les thèmes du repos et de la retraite, lesquels seraient l’expression, dans la fiction, de concepts augustiniens.

C’est ce qui autorise Jean Mesnard à affirmer sans détour que « la véritable signification du roman ne se découvrira que si l’on procède à une lecture métaphysique22 ». La princesse renoncerait à aimer et à se donner à Nemours parce qu’il n’y a « pas d’amour heureux » mais au contraire une profonde « cassure du monde », cassure qui introduirait une « vision tragique, dans laquelle le rêve et l’idéal se heurtent brutalement à l’hostilité des choses » et qui permettrait de rapprocher l’œuvre de Mme de Lafayette de celle de La Rochefoucauld. Suivant une théorie du sens accumulative23, le dénouement viendrait confirmer la dimension tragico-métaphysique de l’œuvre : le paradoxe du renoncement final s’expliquerait par l’opposition entre temps et éternité24 et la fin du récit coïnciderait avec la fin d’une héroïne qui, après avoir été confrontée au « divertissement » de la cour, y échapperait par ce sublime renoncement et se situerait « dans l’au-delà du terrestre25 ».

Une telle interprétation s’inscrit dans les pas de celle proposée par Philippe Sellier, qui continue à faire autorité26 : d’après lui, « le finale du roman fournit la clé de sa lecture27 ». Il ne faudrait donc pas se laisser piéger par l’atténuation, en régime fictionnel, du vocabulaire technique de la théologie : plus encore, le finale « interdit » d’après Sellier de considérer que l’augustinisme de Lafayette pourrait être un augustinisme « sécularisé28 ». Mieux encore : tout dans le récit préparerait ce qu’il n’hésite pas à lire comme une conversion ultime de l’héroïne. Cette lecture se nourrit de l’analyse, au fil du roman, de ce qu’il nomme des « surimpressions chrétiennes29 ». Et en effet, le prisme augustinien autorise une lecture assez fine du grand renoncement final, dans la mesure où il considère que ce renoncement est en réalité, et pour ainsi dire, « à double détente » : en effet, on pourra distinguer « un moment La Rochefoucauld » – celui de la dernière entrevue entre les amants, qui fait valoir les raisons du devoir et du repos de la jeune femme mais se clôt par l’ambiguïté de cette déclaration qui peut laisser entrevoir un espoir : « Attendez ce que le temps pourra faire30 » – et un moment proprement « pascalien », beaucoup plus radical, moment de conversion proprement dit rendu symboliquement possible par la maladie violente qui vient frapper la princesse.

Parce qu’il offre une « clé », le finale rendrait raison a posteriori de la construction du récit, construit autour d’une alternance entre l’exposition à la Cour, lieu de la séduction et du divertissement, et la Retraite, conçue comme « reprise de soi, ascension difficile vers la lucidité31 ». Ainsi analysée via l’idéologie qui la sous-tend, la fin apparaît comme une confirmation harmonieuse du sens général de l’œuvre. C’est ce qui conduit Sellier à faire cette remarque :

Comment a-t-on pu trouver le finale « postiche », alors qu’il constitue au contraire l’ultime battement d’un balancier aux mouvements de plus en plus amples ? L’attrait de la retraite sourd, grandit au fil des onze ralentis réflexifs qui rythment le roman et conduisent, musicalement, au dénouement32.

L’analogie musicale, on le voit, favorise l’analyse du texte comme porteur d’une « forme-sens » – dans laquelle seul un « coup de force » viendrait mettre fin à ce mouvement de balancier général. De fait, l’importance conférée à la notion de Retraite (à laquelle Sellier lui-même adjoint une majuscule) semble même autoriser une double lecture idéologique : le texte serait conjointement emprunt de métaphysique augustinienne et d’éthique précieuse, la Retraite lisible à la fois comme conversion et comme refus du monde : en se retirant, l’héroïne ne se donne-t-elle pas aussi du « prix33 » ? Une telle lecture a le mérite non seulement de chercher un sens mais d’inscrire ce sens dans un contexte historique qui l’éclaire en partie. Ce n’est pas le cas de toutes les interprétations dites « métaphysiques ».

L’interprétation existentielle 

La lecture janséniste s’oppose implicitement à celle qu’avait proposée Serge Doubrovsky dans son article de 195934, lecture qu’il qualifiait lui-même d’ « existentialiste », déclarant vouloir déshistoriciser la réception de La Princesse de Clèves. Le but d’une telle interprétation était de « découvrir les affinités spirituelles les plus intimes entre le pessimisme de Mme de Lafayette et le désespoir de notre temps35 » (lui-même qualifié de « nihiliste »). Chez Doubrovsky également, la fin de la nouvelle se trouve considérée comme le lieu stratégique du récit ; mais c’est cette fois pour en conclure que « le livre entier culmine en un moment de choix absolu36 ». Ainsi, le renoncement final serait la « mis[e] à nu d’une liberté qui ne repose que sur elle-même et qui crée ses propres valeurs37 », liberté détachée selon lui de toute pensée religieuse : la mort de la princesse devrait se lire non pas comme une conversion mais bien plutôt comme un suicide sublime, seule « solution » possible à l’impasse métaphysique dans laquelle l’héroïne est censée se trouver38.

On s’aperçoit que, mises côte à côte, les lectures augustinienne et existentialiste produisent un peu de confusion : si l’on ne sait pas comment finit La Princesse de Clèves, c’est aussi, en définitive, parce que l’on ne sait pas comment meurt l’héroïne. Loin d’être ce grand roman métaphysique dont les critiques cherchent à restituer le sens profond, le texte finit par apparaître comme un roman policier, avec une mort non élucidée à la clé.

Il est à cet égard frappant de constater que la trajectoire dessinée par la fin de l’héroïne a fait l’objet de lectures fort opposées. D’un côté, l’interprétation proposée par Doubrovsky inscrit la mort de la princesse dans une configuration ascendante – celle d’une forme d’apothéose dans laquelle le renoncement est conçu comme le choix héroïque d’un sujet absolument libre. Cette trajectoire inscrit la fin dans une temporalité qui est celle de l’instant. Au contraire, Henri Coulet cherche à démontrer que la temporalité de la fin du récit est plutôt celle de la durée : cette temporalité serait à ses yeux diluée, liée à « une résignation qui serait plutôt subie ou accueillie que voulue39 » et s’inscrirait dans une configuration descendante. Alors que Doubrovsky parle du choix ultime de l’héroïne comme « d’une décision d’un égoïsme total40 », Henri Coulet considère que l’héroïne demeure passive et que la beauté de ce dénouement repose plus subtilement sur le fait d’être sans ostentation : « le texte meurt comme la Princesse, après de violentes incertitudes, puis un affaiblissement muet ; il est envahi progressivement par le silence41 ». C’est ce qui le conduit à parler du « smorzando de la fin », terme emprunté encore une fois à la musique pour signaler une forme d’amortissement ou d’affaiblissement, et s’opposant clairement à l’idée qu’il y aurait dans cette fin l’éclat des dénouements cornéliens.

Smorzando mélancolique ou coup de théâtre éclatant ? La trajectoire existentielle du personnage semble résister aux efforts d’interprétation. Mais que s’agit-il d’analyser exactement ? Convient-il de restituer ce qu’une femme de lettres et son entourage auraient « pensé » ? Ou bien encore de démêler les motifs secrets d’une héroïne mystérieuse ? Le risque, on le voit, est d’oublier que l’on a d’abord affaire à un texte de fiction, dont on ne peut considérer qu’il serait soluble dans les idées et les valeurs dont il est pénétré. Il conviendra à présent de prendre au sérieux une lecture qui dirait, comme le fait Barthes, que le sens n’est pas « au bout » du récit mais « le traverse42 ».

Lecture structuraliste : la fonction de la fin

Une autre approche critique a choisi de faire porter l’attention sur l’économie du récit et sur les dangers d’une lecture idéologique au sens large, invitant pour ainsi dire à commencer par la fin, pour éviter de faire de ce lieu stratégique du texte un simple lieu de « déversement » des idées. Il importe ici de revenir un peu longuement sur l’article déjà cité de Gérard Genette, intitulé « Vraisemblance et motivation » :

M. de Clèves ne meurt pas parce que son gentilhomme se conduit comme un sot, mais le gentilhomme se conduit comme un sot pour que M. de Clèves meure […]. Ces déterminations rétrogrades constituent précisément ce que nous appelons l’arbitraire du récit, c’est-à-dire non pas vraiment l’indétermination, mais la détermination des moyens par les fins, et, pour parler plus brutalement, des causes par les effets. C’est cette logique paradoxale de la fiction qui oblige à définir tout élément, toute unité du récit par son caractère fonctionnel, c’est-à-dire entre autres par sa corrélation avec une autre unité, et à rendre compte de la première (dans l’ordre de la temporalité narrative) par la seconde, et ainsi de suite – d’où il découle que la dernière est celle qui commande toutes les autres, et que rien ne commande : lieu essentiel de l’arbitraire, du moins dans l’immanence du récit lui-même, car il est ensuite loisible de lui chercher ailleurs toutes les déterminations psychologiques, historiques, esthétiques, etc. que l’on voudra. Selon ce schéma, tout dans La Princesse de Clèves, serait suspendu à ceci, qui serait proprement son telos : Mme de Clèves, veuve, n’épousera pas M. de Nemours, qu’elle aime […]43.

La lecture fonctionnaliste invite à lire l’œuvre « à l’envers » : elle impose de considérer la fin en premier, fin conçue non plus comme point d’aboutissement et lieu du sens, mais comme point de départ et lieu d’une forme d’arbitraire. Les « déterminations rétrogrades » du récit que Genette met au jour font dès lors concurrence à la recherche d’autres déterminations (notamment psychologiques) – sans toutefois les exclure absolument.

Dans un ouvrage pédagogique plus récent consacré à Mme de Lafayette, Jean Rohou et Gilles Siouffi tirent parti d’une telle analyse fonctionnaliste. À propos de la fin de La Princesse de Clèves et des « raisons » qui la déterminent, les auteurs conviennent qu’il est nécessaire de distinguer raisons intérieures ou immanentes à la fiction d’une part, et raisons extérieures à la fiction d’autre part : les raisons du renoncement de l’héroïne invoquées dans la fiction (raisons prises dans l’illusion réaliste) ne sont pas les raisons de la fiction (raisons fonctionnelles, celles de l’autrice). Ainsi, du point de vue du personnage, on pourra à loisir relever les raisons énumérées par la princesse, lesquelles « expliqueraient », à l’intérieur de l’intrigue, sa conduite et, partant, la fin du texte : ce sont les raisons dictées par son devoir et par l’intérêt de son repos, raisons qu’il est loisible de passer au crible de l’analyse psychologique et morale et qui peuvent donner lieu, pour le lecteur, à une forme d’identification. Au contraire, l’analyse dite « littéraire » s’attardera sur les raisons de la fiction, ce qui conduit les auteurs à souligner, à propos de Mme de Clèves : « Sa décision est étonnante parce que l’auteure veut nous étonner44 ». Une telle distinction a pour but d’avertir les lecteurs (parmi lesquels les étudiants préparant les concours) du danger qu’il pourrait y avoir à confondre l’exercice de l’analyse textuelle et celui de l’herméneutique psychologique – voire psychanalytique – ou du jugement de valeur. Comprendre le texte, et en l’occurrence la fin du texte, requerrait au contraire de percevoir le décalage existant entre la stratégie du personnage et celle de l’autrice :

Il fallait susciter un espoir aussitôt déçu et poursuivre le paradoxe : pour la première fois, la princesse reçoit son amant et lui avoue qu’elle l’aime, qu’elle l’aimera éternellement, que rien ne s’oppose à leur mariage ; mais (selon la logique du personnage), ou plutôt donc (selon la stratégie de l’auteur) elle conclut qu’elle ne le reverra jamais plus45.

Insister sur la fonction de la fin (plutôt que sur son sens) revient à résister à la tentation d’extraire à loisir de l’œuvre certaines idées et valeurs à même d’épouser un système d’interprétation rôdé. Ce faisant, il s’agit également de maintenir à distance une forme d’immersion spontanée dans la fiction censée empêcher l’intelligibilité complète du texte.

On pourrait cependant objecter qu’une telle lecture tend à confondre « la pratique de la lecture du texte par un lecteur moyen » et « la pratique de l’analyse du spécialiste46 » : est-on toujours en mesure d’apprécier la configuration et les fonctions des différentes parties du récit ? Au nom de quoi faut-il craindre l’illusion produite par la fiction ? Ne risque-t-on pas enfin de se trouver devant un autre écueil, celui qui consisterait à montrer que l’histoire se termine ainsi parce que l’auteur en a arbitrairement décidé ainsi ?

Les choses ne sont pas si simples. Et ce n’est pas non plus la conclusion à laquelle Genette souhaitait arriver, dès lors qu’il soulignait en même temps que l’expérience de la lecture courante « exige que la fiction soit prise dans une illusion, même imparfaite et à demi jouée, de réalité », laquelle implique de renverser le rapport artificiel de fin à moyen en rapport naturel de cause à effet47. Mais alors que s’agit-il de « juger » ou d’ « interpréter » à la lecture du dénouement ? Un sentiment produit par la lecture ou l’agencement d’un récit ?

Rappelons que l’article de Genette s’appuyait longuement sur les critiques qui prirent part à la querelle de 1678, notamment sur les Lettres à Madame la Marquise*** sur La Princesse de Clèves de Valincour48. C’est d’ailleurs à Valincour lui-même que Genette emprunte les éléments de sa théorie fonctionnelle et sa conception économique du récit, dans laquelle les divers épisodes de la narration sont conçus en termes de coût et de déficit49. Or comment l’auteur de ces Lettres de 1678 jugeait-il le dénouement du récit ? Il est frappant de voir que les jugements de Valincour fonctionnent toujours comme des propositions de récriture de telle ou telle séquence, ou comme autant d’explorations de textes « possibles50 ». Ce qui attire plus particulièrement l’attention du critique à propos de la fin du récit est l’épisode de la dernière entrevue entre la princesse et Nemours chez le Vidame de Chartres, dans laquelle la parole de Mme de Clèves occupe pour ainsi dire trop de place :

L’on dirait qu’elle n’est venue là que pour parler, et Monsieur de Nemours pour écouter, au lieu que ce devrait être tout le contraire. À peine en seize pages trouve-t-il le moyen de lui dire deux ou trois mots à la traverse. Elle reprend la parole avec empressement ; il semble qu’elle a peur d’oublier ce qu’elle veut dire, ou qu’elle craint de ne lui en dire pas assez. D’ailleurs […] à quoi bon faire une si longue déclaration à un homme qu’elle aimait, et qu’elle avait résolu de ne pas épouser ? Si elle avait assez de force pour surmonter son inclination, pourquoi n’en avait-elle pas assez pour la cacher ? L’étalait-elle aux yeux de Nemours, pour avoir un témoin de la victoire qu’elle en prétendait remporter ? En vérité, il lui eût été bien plus glorieux de ne rien dire. […] Il fallait […] suivre ces sentiments jusques au bout, si elle les croyait légitimes ; ou les étouffer, et ne les point faire paraître, s’il ne lui paraissaient pas innocents ; au lieu que voulant faire tous les deux, elle ne fait ni l’un ni l’autre. C’est une femme incompréhensible que Madame de Clèves : c’est la prude la plus coquette et la coquette la plus prude que l’on ait jamais vue51.

Comme souvent sous la plume de Valincour, ce qui est évalué est inextricablement la façon dont la séquence est introduite – sa fonction et sa nécessité dans le récit – et le comportement du personnage qui porte une telle séquence. Curieusement, le jugement moral porté sur le comportement de la princesse est toujours en même temps un jugement sur la qualité littéraire du passage en question. Et c’est ici la question de la vraisemblance qui resurgit (la vraisemblance supposant de concevoir les actions d’un récit comme des cas particuliers relevant de maximes générales implicitement reçues comme vraies par un public auquel on s’adresse, comme le montre Genette), la question posée étant en résumé : qu’est-ce qui motive le comportement du personnage dans cette situation ? Plus généralement, qu’est-ce qui motive le comportement d’une héroïne dont on nous dira par ailleurs, pour finir, qu’elle est « inimitable » ? C’est là ce qui fait la spécificité de la nouvelle, qui oscille entre respect du vraisemblable et mépris des vraisemblances, et dans laquelle, selon Genette, aucune « maxime » n’est décelable, « comme si les actions étaient toujours soit au-dessous, soit au-dessus de tout commentaire », situation paradoxale à laquelle La Princesse de Clèves « doit peut-être sa valeur exemplaire comme type et emblème du récit pur52 ».

Comme l’a montré Marc Escola, en repartant de l’article de Genette, il n’y a donc sans doute pas à choisir entre l’analyse fonctionnaliste et l’analyse fictionaliste du texte, dans la mesure où la fiction est précisément « le lieu où le possible advient comme nécessaire53 » et où cette nécessité est pensable en termes de fonction narrative. C’est aussi pourquoi le jugement de valeur de Valincour se présente aussi, paradoxalement, comme un jugement portant sur la littérarité du texte. Dans le riche apparat de l’édition des Nouvelles galantes du xviie siècle, Marc Escola s’est attaché à montrer que la nouvelle historique et galante fonde ce pacte de lecture tout à fait paradoxal qui autorise l’auteur à sortir de la vraisemblance ordinaire pour « faire fiction de ce qui est sans exemple » mais à condition de construire une intrigue qui « motive » précisément le comportement extraordinaire du personnage en le rendant nécessaire au regard de la situation narrative54. Or c’est précisément un tel pacte de lecture paradoxal que cherchèrent à théoriser les commentateurs contemporains de Lafayette : Valincour et Charnes d’abord, mais aussi et surtout Du Plaisir, dont les Sentiments sur l’histoire constituent semble-t-il à la fois « une poétique de la nouvelle et une des premières en date des théories de la fiction55 », et qui achève de redéfinir les règles du jeu romanesque. Comme le montre Marc Escola :

Si une fiction peut donner l’exemple de ce qui est sans exemple, c’est que l’élaboration de l’intrigue autorise à réunir expérimentalement les conditions dans lesquelles le comportement le plus « extraordinaire » devient nécessaire sans rentrer pour autant dans la vraisemblance ordinaire. La poétique de la nouvelle est en définitive ordonnée à une rhétorique : tout l’art du nouvelliste, et le seul talent passible d’une évaluation pour Du Plaisir, tient dans la façon dont il parvient à conditionner la « créance » du lecteur. Que sommes-nous désormais prêts à croire ? Quels comportements accepterons-nous des personnages qui évoluent dans un univers reconnu comme un monde possible56 ?

Le paradoxe sur lequel s’achève le récit de Lafayette se verrait donc en partie expliqué : le renoncement final de l’héroïne, dont le dernier adjectif du texte résume la teneur, est rendu nécessaire par l’univers de la fiction, dans la mesure où les conditions ont été méthodiquement réunies pour donner jour à ce dénouement si « extraordinaire ». « La preuve est faite, par l’exemple fictif, que l’événement sans exemple n’est pas inimaginable, que la fiction peut être ce monde possible où le lecteur fera l’expérience de ce qu’il croyait impossible57 », dit Marc Escola. Dire que « la fiction est le lieu où le possible advient comme nécessaire », c’est faire droit à l’expérience d’une lecture immersive – celle du lecteur souhaitant croire immédiatement à la fable proposée – tout en maintenant cette fable à distance. Or voir la fiction comme un monde possible, n’est-ce pas ouvrir ce faisant la voie à un troisième type de lecture – lecture plus créatrice que l’on qualifiera plus volontiers de relecture ?

Relectures

Il convient de faire une place, en dernier lieu, aux lectures que l’on pourrait qualifier de « palinodiques », lectures qui invitent, une fois le livre terminé, à le reprendre du début pour le relire autrement. C’est le cas, semble-t-il, de deux types de (re)lectures aujourd’hui relativement répandues : les relectures féministes et, plus généralement, les relectures au second degré (qui parfois s’entrecroisent l’une et l’autre). Dans ce cas, le lecteur ne se contentera pas de refermer le livre après en avoir parcouru les dernières lignes, mais ira récupérer certains indices disséminés auparavant, indices suggérant de questionner, voire de désavouer ce qui vient d’être dit.

Relectures féministes

Les lectures féministes de La Princesse de Clèves constituent aujourd’hui une véritable tradition interprétative. On a en tout cas souvent voulu conférer à Lafayette et à son héroïne une forme d’ethos féministe avant l’heure58. Dès l’article de Joan DeJean paru en 1984 et intitulé « Lafayette’s Ellipse: The Privileges of Anonymity59 », il était question de voir, dans cette œuvre publiée anonymement, « une double signature » paradoxale de l’autrice : signature externe (l’anonymat par lequel l’autrice userait de stratégie plus qu’elle ne s’effacerait) et signature interne, par le biais de son personnage, qui progressivement prendrait en main son destin. Et il n’est en effet pas rare de voir le « renoncement » final de l’héroïne assimilé plus généralement à un « non » plus ou moins « féministe60 ». Cependant une telle relecture, qui revient à demander si l’héroïne, par son refus et son repli, se montre « féministe », rencontre deux écueils récurrents.

En premier lieu, ces relectures ont parfois tendance à faire l’impasse sur une forme de féminisme historiquement situé, celui que promeut l’éthique précieuse et qui pourrait être plus immédiatement à même d’éclairer la lecture de l’œuvre61. Reconduire à une lecture « précieuse » de la fin soulève toutefois une autre question de taille : le refus que la princesse adresse à Nemours, consistant à se donner du « prix », est-il une posture abstraite, pour ne pas dire littéraire et métaphorique ? Ou bien s’agit-il d’un choix beaucoup plus concret, dicté par les circonstances, de ne pas se laisser enfermer dans un remariage et toutes les contraintes que cela impliquerait pour elle62 (soumission à l’autorité d’un mari, grossesses non désirées, etc.) ?

Le second écueil est précisément celui de la grande réversibilité de l’interprétation féministe elle-même : on a fait de l’héroïne ou bien une femme puissante et affranchie, ou bien une femme au contraire prisonnière de valeurs patriarcales63. La première hypothèse semble la plus évidente : on voit dans le renoncement l’affirmation d’une liberté et l’on insiste ce faisant sur l’échec subi par les figures masculines du roman, figures tantôt pathétiques, tantôt prédatrices (car il faut bien rappeler que Nemours, jusqu’à la fin, insiste lourdement, apparaissant comme celui qui toujours viole plus ou moins métaphoriquement l’intimité de la princesse). Dans ce cas, on aurait affaire à une héroïne refusant les normes de la domination masculine, autre manière d’interpréter le caractère inimitable et exceptionnel de sa résolution : que l’on insiste sur le fait que l’héroïne manifeste sa « volonté de refuser64 », ou que l’on aille jusqu’à affirmer que l’œuvre « interroge les normes de genre et remet en cause les comportements socialement déterminés des hommes et des femmes et les rapports entre les genres65 », il n’est pas rare en tout cas que l’on fasse peser le soupçon sur ce qui est présenté comme le choix de la « vertu » ou comme un renoncement passif, pour montrer qu’il y aurait dans le « non » un geste plus subversif et libérateur.

Et pourtant cette dernière interprétation, une fois encore, peut être ironiquement retournée. On a parfois pensé que notre héroïne n’était ni une victime passive, ni une héroïne rebelle, mais s’inscrivait au contraire à plein dans la norme patriarcale : car que refuse-t-elle sinon de voir Nemours défait de l’image chevaleresque dans laquelle elle l’avait fantasmée ? Il est vrai que les indices disséminés dans le récit laissent supposer que le Nemours qu’elle aime est un Nemours « conquérant » : elle s’émeut de sa chute de cheval lors d’un tournoi auquel elle assiste et, lors de la scène du pavillon de chasse, c’est devant le tableau du siège de Metz, où est figuré Nemours, qu’elle rêvasse. Autrement dit, on pourrait supposer que l’héroïne participe à la construction du fantasme qui l’oppresse : « loin de désirer un amant qui soit débarrassé de l’emprise de la société patriarcale, Madame de Clèves impose précisément à Monsieur de Nemours une identité chevaleresque et martiale qui constitue le double masculin de la position virginale qu’elle occupe elle-même66 », dit François-Ronan Dubois. Et il n’est pas impossible, en effet, que le Nemours « construit » par le désir de la princesse s’avère quelque peu différent du Nemours présenté par la narration, de même que notre héroïne à la vertu inimitable pourrait s’avérer beaucoup moins héroïque et beaucoup plus ordinaire qu’on ne le croit.

Mauvaise foi et ironie : une fin souriante ?

Au terme de lectures si contradictoires, on est au moins invité à la méfiance. On est en tout cas autorisé à se demander finalement s’il n’est pas possible de lire ironiquement la fin. C’est ce que proposent de faire, quoique suivant des démarches bien différentes, Maxime Decout d’une part et Nathalie Grande d’autre part.

Dans son ouvrage justement intitulé En toute mauvaise foi, Maxime Decout choisit de s’intéresser (entre autres) au « cas » de La Princesse de Clèves dans la mesure où il s’agit par excellence du « modèle de l’œuvre placée au-dessus de tout soupçon de mauvaise foi » : en effet, « le roman se pense comme un texte où la vertu et le devoir triomphent67 ». Et cependant il se pourrait que l’héroïne soit une héroïne « de mauvaise foi », dans la mesure où son parcours n’est qu’une tentative de faire sienne des valeurs et des normes reçues de sa mère. Suivant cette hypothèse, il faudra conclure que « le dénouement du récit apporte sa touche finale à la complexe construction du personnage68 » puisqu’il invite à relire toute les revendications de liberté comme inauthentiques, comme des déclarations de mauvaise foi précisément, et à voir dans l’alternance topographique indiquée dans les dernières lignes du récit (« elle passait une partie de l’année dans cette maison religieuse et l’autre chez elle69 ») un « jeu de demi-mesure » qui manifeste le fait qu’un système de valeurs contredit l’autre. Aussi cette dernière phrase placée en hyperbate (« et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables ») serait-elle à entendre sur un mode ironique, dans la mesure où elle serait désavouée par la phrase qui précède, laquelle « prouve le contraire70 ». Lecture créatrice, qui s’autorise à aller au-delà du texte, et que le texte autorise pourtant.

Maxime Decout n’est pas le seul à proposer une lecture « ironique » de l’œuvre. Dans l’épilogue de son ouvrage intitulé Le Rire galant71, consacré aux usages du comique dans les fictions narratives de la seconde moitié du xviie siècle, Nathalie Grande plaidait déjà pour une « autre lecture » de La Princesse de Clèves, lecture placée sous le signe du décalage ironique et figurée par le « sourire de la princesse72 ». Sourire, vraiment ? Apparemment, les lectures les plus autorisées que nous avons évoquées – au premier rang desquelles figurent les lectures jansénistes – ne prêtent guère à rire, rappelle Nathalie Grande. Et pourtant, ajoute-t-elle, ces lectures métaphysiques, même les plus pessimistes, ne sont pas incompatibles avec une lecture ironique, dans la mesure où « l’ironie est mise au service d’un travail de sape des apparences du cœur, de la raison et de la société auquel se livre la nouvelle73 » : la lecture ironique rejoindrait la lecture augustinienne dans la mesure même où l’ironie n’est pas simplement un effet rhétorique mais engage un point de vue sur le monde. Il serait alors possible de déceler les indices implicites donnant matière à une lecture décalée, comme autant d’indication métalittéraires sur le texte. « Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, vous serez souvent trompée : ce qui paraît n’est presque jamais la vérité74 », avertit Mme de Chartres : or l’avertissement vaudrait autant pour le lecteur, « invité à garder une distance critique par rapport aux situations, aux événements, aux personnages75 ». Souvent, c’est la disposition des séquences du récit entre elles qui produit ces effets ironiques (comme on vient d’ailleurs de le voir). Nathalie Grande relève d’ailleurs ce détail parfois négligé : la princesse sourit au moment où Nemours se jette à ses pieds pour lui témoigner sa passion76. Elle sourit, et les raisons qu’elle invoque pour refuser Nemours prouvent peut-être une forme de supériorité de l’intelligence sur le sentiment.

Ces lectures ironiques à des degrés différents suggèrent que la fin joue avec les attentes du lecteur et refuse de donner sa clé : le lecteur se trouve pratiquement placé dans la position de Nemours, celui qui jusqu’au bout espère et à qui l’on dit non, en souriant – manière, une fois de plus, de donner raison à Maurice Laugaa, qui comparait La Princesse de Clèves à une Joconde des lettres77, au sourire énigmatique.

 

 

Ce passage en revue des principales lectures de la fin montre une chose : si l’on fait de la princesse une héroïne à la fois pieuse et subversive, féministe et anti-féministe, sincère et duplice, soumise et héroïquement libre, passive et active, pathétique et admirable, c’est que la nouvelle de Lafayette rend possible ce qui a été diabolisé par la critique, mais qui fait essentiellement le plaisir de la lecture, à savoir une forme d’illusion réaliste et d’identification psychologique : une telle lecture, que l’on juge parfois naïve, n’est-elle pas paradoxalement ce qui rend raison de la prolixité et de la variété des lectures savantes, même les plus inattendues ? Et n’est-elle pas à même, de manière quelque peu inattendue, de rendre raison de la dimension métalittéraire du texte ?

Or il convient de rappeler, comme on l’a suggéré plus haut, que cette part donnée à l’illusion est précisément ce qui caractérise la théorie du roman, et particulièrement la théorie de la réception française après 1660, dans laquelle il apparaît que le roman ne doit plus relever d’un « art de l’éloignement78 » mais susciter l’intérêt et une forme d’attachement. Comme l’a montré Camille Esmein-Sarrazin :

Le triomphe de l’illusion mimétique correspond à un changement de perspective : sans renoncer à l’idéalisation, qui est le propre du xviie siècle français, le « régime de distanciation maximale » est abandonné au profit d’un « régime de proximité fictionnelle »79. La théorie de la réception, qui naît à cette date pour ce qui est du roman, se fonde sur la recherche de l’immédiateté du rapport à la réalité80.

La question posée au début de cet exposé est donc beaucoup moins facétieuse qu’il n’y paraît. « Sait-on comment finit La Princesse de Clèves ? » : la réponse est non. Mais ce que l’on a tâché de montrer, c’est la manière dont ce texte que l’on a coutume de présenter comme le « premier roman moderne » est peut-être « moderne » dans la mesure où il rend possible ce type de questionnement et où il est historiquement lié à la réflexion théorique sur ce que signifie lire.

Notes

1

Philippe Hamon, « Clausules », Poétique, n°24, 1975, p. 499.

2

La « clausule » occupe une position d’autant plus stratégique qu’elle est l’aboutissement du « trajet sémantique » du personnage. Philippe Hamon cite A.J. Greimas à l’appui : « Le personnage […] à supposer qu’il soit introduit, par exemple, par l’attribution d’un nom propre qui lui est conféré, se construit progressivement par des notations configuratives et diffuses le long du texte, et ne déploie sa figure complète qu’à la dernière page, grâce à la mémorisation opérée par le lecteur » (A.J. Greimas, « Les actants, les acteur et les figures », Sémiotique narrative et textuelle, Paris, Larousse, 1973, p. 174).

3

Philippe Sellier, Essais sur l’imaginaire classique, Champion Classiques, 2005, p. 237. Ce terme musical est également employé dans son article « ‘La Princesse de Clèves’. Augustinisme et préciosité au paradis des Valois », in J. Lafond et J. Mesnard (dir.), Images de La Rochefoucauld. Actes du tricentenaire, 1680-1980, Paris, PUF, 1984, p. 217-228.

4

Jean Rousset, Forme et signification, Paris, Corti, 1962, p. 24.

5

Henri Coulet, « Sur le dénouement de la Princesse de Clèves », Littératures classiques, suppl. au n°12, 1990, p. 84.

6

Gérard Genette, Figures II, « Vraisemblance et motivation », Paris, éditions du Seuil, 1969, rééd. coll. « Points », 1979, p. 71-99.

7

Henri Coulet, art. cit., p. 81.

8

Ibid.

9

Je citerai le texte des Œuvres complètes de Madame de Lafayette, éd. C. Esmein-Sarrazin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2014 (désormais abrégé OC, suivi du numéro de la page) ; ici p. 331.

10

« The series of events are not open-ended; they are erected in view of a certain end (the refusal) » (Armine Kotin Mortimer, « Narrative Closure and the Paradigm of Self-Knowledge in “La Princesse de Clèves” », Style, 1983, vol. 17, 2, p. 181-195 ; p. 188).

11

« The novel has a decisive closure in the death of its heroine (implied in the last sentence of the novel), but that closure is less significant than the dénouement of the tension caused by passion, since love and its analysis are the prime movers of the narration » (Ibid., p. 191).

12

« In this sense closure is the termination of a narrative program whose conduct and eventual conclusion are contained within the beginning » (Ibid., p. 192).

13

Voir à ce sujet l’article de Georges Forestier, « Madame de Chartres, personnage-clé de La Princesse de Clèves », Les Lettres romanes, XXXIV, Louvain, 1980, p. 74-76.

14

OC, p. 366.

15

Mme de Lafayette, La Princesse de Clèves, Paris, Imprimerie Nationale, 1980, rééd. GF Flammarion, 1996, p. 41.

16

OC, p. 478.

17

Ibid.

18

Lors de la dernière rencontre avec Nemours, la princesse avance comme ultime (et non moindre) raison de son refus cette certitude que la passion du duc s’éteindra : « je ne saurais vous avouer, sans honte, que la certitude de n’être plus aimée de vous comme je le suis, me paraît un si horrible malheur que quand je n’aurais point des raisons de devoir insurmontables, je doute si je pourrais me résoudre à m’exposer à ce malheur […] les hommes conservent-ils de la passion dans ces engagements éternels ; […] et puis-je me mettre en état de voir certainement finir cette passion dont je ferais toute ma félicité ? » (OC, p. 471).

19

On pourrait à cet égard être plus minimaliste encore et considérer que le seul indice de la terminaison du texte est la présence du mot « fin » en lettres capitales, mais je laisse cette hypothèse de côté.

20

Georges Molinié, « Approches stylistiques de La Princesse de Clèves », L’Information grammaticale, n°43, 1989, p. 23-26 ; ici p. 25.

21

Philippe Hamon, art. cit., p. 516.

22

Jean Mesnard, « Morale et métaphysique dans La Princesse de Clèves », Littératures classiques, suppl. au n°12, 1990, p. 65.

23

« Le mouvement même du roman nous oriente vers une solution » (Jean Mesnard, art. cit., p. 72).

24

« Dans cette situation, vers laquelle elle a été progressivement conduite, elle est en mesure de poser sur les choses terrestres un regard d’éternité. Cette importance de la dimension temporelle dans le roman suffit à suggérer que ce regard n’est pas à caractériser seulement en termes moraux, mais en termes métaphysiques. […] De l’amour absolu dont l’idée s’impose à Mme de Clèves sub specie aeternitatis, le duc de Nemours n’est pas un sujet tout à fait digne. Le refus du compromis oblige à accepter cette vision tragique de l’amour » (Jean Mesnard, art. cit., p. 72-73).

25

Ibid.

26

Sur le sujet, son article majeur demeure « La Princesse de Clèves. Augustinisme et préciosité au paradis des Valois » (art. cité note 3).

27

Philippe Sellier, art. cit., p. 228.

28

Ibid., p. 220.

29

Ibid., p. 222.

30

OC, p. 473.

31

Philippe Sellier, Essais sur l’imaginaire classique, op. cit., p. 239.

32

Ibid.

33

Cette double lecture est un des enjeux du chapitre intitulé « Irradiations précieuses » (chap. IV, p. 195-246) des Essais sur l’imaginaire classique de Philippe Sellier (op. cit., 2005).

34

Serge Doubrovsky, « La Princesse de Clèves. Une interprétation existentielle », La Table ronde, n°138, juin 1959, p. 36-51, repris dans Parcours critique II (1959-1991), texte établi par Isabelle Grell, Grenoble, Ellug, 2006, p. 99-114 (nous citerons cette dernière édition).

35

Ibid., p. 99.

36

Ibid., p. 109.

37

Ibid. Il ajoute plus loin : « Quant à la princesse, à l’heure de l’épreuve et de la renonciation, pas une seule pensée religieuse ne vient à son secours et sa retraite dans un couvent est une mesure purement séculière, une affaire de commodité […]. Pas une seule fois au cours du roman l’idée du Divin ne traverse l’esprit des personnages » (Ibid, p. 113).

38

Ibid. p. 111.

39

Ibid., p. 81.

40

Ibid.

41

Ibid., p. 82.

42

Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », Communications, 8, 1966 : Recherches sémiologiques : l’analyse structurale du récit, p. 1-27 ; p. 6.

43

Gérard Genette, op. cit., p. 94-95.

44

Jean Rohou et Gilles Siouffi, Lectures de Madame de Lafayette, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Didact français », 2015, p. 110.

45

Ibid.

46

Philippe Hamon, art. cit., p. 507.

47

Gérard Genette, op. cit., p. 97.

48

En septembre 1678 paraît une critique anonyme intitulée Lettres à Madame la Marquise*** sur La princesse de Clèves. Au printemps 1679 est publiée une réponse à cette critique, elle aussi anonyme, intitulée Conversations sur la critique de La princesse de Clèves et rapidement attribuée à l’abbé de Charnes.

49

Gérard Genette, op. cit., p. 91. Les métaphores économiques sont omniprésentes dans le texte de Valincour. Genette énonce ce qu’il appelle le « théorème de Valincour » sous la forme « V = F – M » : la valeur d’une séquence étant égale à la fonction moins la motivation (la fonction d’une unité narrative étant définie comme ce à quoi elle sert dans la suite du récit et la motivation comme ce qui est nécessaire pour dissimuler cette fonction).

50

Ce que montre Christine Montalbetti dans la présentation de son édition des Lettres (Valincour, Lettres à Madame la Marquise*** sur la Princesse de Clèves, Paris, GF Flammarion, 2001, p. 15-30).

51

Valincour, Lettres à Madame la Marquise*** sur la Princesse de Clèves, éd. cit., p. 120.

52

Ibid., p. 76.

53

Nouvelles galantes du xviie siècle, présentation de Marc Escola, Paris, GF Flammarion, 2004, p. 480.

54

Ibid.

55

Ibid.

56

Ibid., p. 483.

57

Ibid., p. 26.

58

Ainsi, comme l’affirme François-Ronan Dubois, « même s’il paraît impossible d’affirmer que Madame de Lafayette fut la féministe que l’on désire qu’elle soit, il peut être utile de lui construire, a posteriori, cette posture » (« La construction d’une posture féministe a posteriori : le cas Madame de Lafayette », Postures, Dossier « En territoire féministe : regards et relectures », n° 15, 2012, p. 25-39 ; p. 26).

59

Joan DeJean, « Lafayette’s Ellipses: The Privileges of Anonymity », Publications of the Modern Language Association of America (PMLA), vol. 99, n. 5, oct. 1984, p. 884-902.

60

Un article de Marie Darrieussecq du Nouvel Observateur du 20 août 2009 s’intitule « La Princesse de Clèves est une héroïne du NON », mais l’autrice y affirme cependant que « ce n’est pas par féminisme avant heure » que l’héroïne de Lafayette dit « non ».

61

On se reportera à ce sujet à l’ouvrage de Myriam Dufour-Maître, Les Précieuses. Naissance des femmes de lettres en France au xviie siècle, Paris, Honoré Champion, coll. « Champion Classiques Essais », 2008.

62

Nathalie Grande fait une place à cette hypothèse selon laquelle ce pourrait être aussi un choix très raisonnnable de la princesse qui exige qu’elle préserve son statut de jeune veuve aristocratique. Voir Nathalie Grande, « Conscience, volonté et distance critique dans La Princesse de Clèves », Actes de la Journée d’études organisée au Mans « La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette. Littérature et morale », Revue MaLice, 12/2021 : https://cielam.univ-amu.fr/malice/articles/conscience-volonte-distance-critique-dans-princesse-cleves.

63

Sur ce sujet voir François-Ronan Dubois, « Pertinences et apories d’une lecture féministe de La Princesse de Clèves au regard de la théorie queer », Romanica Silesiana, Uniwersytetu Slaskiego, 2013, 8 (1), p.129-137 et « La construction d’une posture féministe a posteriori : le cas Madame de Lafayette », Postures, Dossier « En territoire féministe : regards et relectures », n° 15, 2012, p. 25-39.

64

Harriet Ray Allentuch, « The Will to Refuse in La Princesse de Clèves », University of Toronto Quarterly, vol. 44, n°3, 1975, p. 185-198.

65

Pierre Zoberman, « Genre et littérature au xviie siècle : La Princesse de Clèves et ses enjeux politiques », Lublin Studies in Modern Languages and Literatures, 43/1, 2019, p. 6.

66

François-Ronan Dubois, « Pertinences et apories d’une lecture féministe de La Princesse de Clèves au regard de la théorie queer », art. cit., p. 134.

67

Maxime Decout, En toute mauvaise foi. Sur un paradoxe littéraire, Paris, éditions de Minuit, 2015, p. 21.

68

Ibid., p. 23.

69

OC, p. 478. Selon Maxime Decout, « l’alternance entre cette vie mondaine et cette vie retirée reconduit, topographiquement et socialement, l’inlassable oscillation entre la passion et la vertu. Là réside, pour celle qui ne peut résoudre ses contradictions, un compromis entre son détachement du monde et son attachement au monde, où se ménage l’être sur le mode du ne pas être et le non être sur le mode de l’être » (Ibid.).

70

Ibid.

71

Nathalie Grande, Le Rire galant. Usages du comique dans les fictions narratives de la seconde moitié du xviie siècle, Paris, Honoré Champion, 2011.

72

C’est le titre de l’épilogue de l’ouvrage : « le sourire de la princesse : pour une autre lecture de La Princesse de Clèves ».

73

Ibid.

74

OC, p. 354.

75

Ibid., p. 270.

76

« – Croyez-vous, madame, lui dit M. de Nemours, en se jetant à ses genoux, que je n’expire pas à vos pieds de joie et de transport ? // – Je ne vous apprends, lui répondit-elle en souriant, que ce que vous ne saviez déjà que trop. // – Ah ! madame, répliqua-t-il, quelle différence de le savoir par un effet du hasard, ou de l’apprendre par vous-même, et de voir que vous voulez bien que je le sache. » (OC, p. 469).

77

Maurice Laugaa, Lectures de Mme de Lafayette, Paris, A. Colin, 1971, p. 6.

78

Thomas Pavel, L’art de l’éloignement. Essai sur l’imagination classique, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1996.

79

Ibid., chap. 5, p. 316-319.

80

Camille Esmein-Sarrazin, « La pensée du roman dans la deuxième moitié du xviie siècle : un art de l'illusion », Dix-septième siècle, n°232, 2006/3, p. 477-486 ; ici p. 478. Sur la « poétique du roman » du xviie siècle, voir également, de la même autrice, Poétiques du roman. Scudéry, Huet. Du Plaisir et autres textes théoriques et critiques du xviie siècle sur le genre romanesque, Paris, Honoré Champion, 2004 et L’Essor du roman. Discours théorique et constitution d’un genre littéraire au xviie siècle, Paris, Honoré Champion, 2008.

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Table des matières

De La Princesse de Clèves au Fils naturel. L'invention de la scène (Journée d'étude d'Aix)

La Princesse de Clèves (Journée d'étude du Mans)

Journée d'agrégation du 4 décembre 2021