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Résumé

Alors que les savoirs se spécialisent et se divisent, certains textes semblent se jouer de ces parcellisations, ou du moins jouer avec elles. C'est le cas du Chant des pistes de Chatwin et de Mille plateaux de Guattari et Deleuze. La littérature d'un côté (Chatwin), la philosophie d'un autre côté (Deleuze et Guattari) s'approprient un objet théorique plus ou moins accaparé par les sciences humaines : le nomadisme. Cet article se propose d'interroger les modalités de cette appropriation.

Abstract

While knowledge is becoming more specialized and divided, some texts seem to play with these parcellations, or at least play with them. This is the case of Chatwin's Song of the Tracks and Guattari and Deleuze's A Thousand Plateaus. Literature on the one hand (Chatwin), philosophy on the other (Deleuze and Guattari) appropriate a theoretical object more or less monopolized by the social sciences: nomadism. This paper proposes to question the modalities of this appropriation.

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Une théorisation atypique

Cloisonnement et ouverture : la spécialisation croissante des savoirs qui caractérise la modernité et une valorisation plus récente de l’interdisciplinarité constituent moins une antithèse qu’une forme de complémentarité. Cependant, tous les phénomènes n’entrent pas aisément dans ce schéma à l’apparence simple : certains efforts théoriques semblent vouloir ignorer et dissoudre (du moins partiellement) tout type de délimitation et de partage épistémologiques.

C’est le cas de la reformulation de la catégorie de nomadisme dans Mille plateaux1 de Gilles Deleuze et Félix Guattari et dans Le Chant des pistes2 de Bruce Chatwin. Le premier se présente comme un texte multipolaire, dont chaque chapitre (chaque plateau) constitue une « multiplicité connectable avec d'autres par tiges souterraines superficielles, de manière à former et étendre un rhizome3 ». Un de ces plateaux a explicitement pour titre Traité de nomadologie : la machine de guerre, ce qui n’empêche nullement que ce sujet soit évoqué ailleurs dans le texte (formant des « tiges souterraines »). Le Chant des pistes – ouvrage au statut générique hybride, entre roman et récit de voyage – relate l’itinéraire (fictif) du narrateur autodiégétique Bruce, parti à la rencontre des aborigènes australiens pour « percer le secret de leur vitalité [celledes nomades] intemporelle et irrévérencieuse4 ». Ce roman de voyage permet à Chatwin de réinvestir un texte inédit, dont le titre était The Nomadic Alternative5. Quant à Mille plateaux, il a été précédé par le premier volume de Capitalisme et schizophrénie L’anti-Œdipe (1972)6 – et par une intervention à peu près contemporaine de Deleuze en solo, La pensée nomade7. Le nomadisme n’est donc pas un univers nouveau pour les auteurs : Mille plateaux et Le Chant des pistesconstituent des points d’arrivée plus que de départ.

Cependant, qu’est-ce le nomadisme ? Pour éviter tout malentendu on peut partir d’une définition plus ou moins partagée dans les sciences humaines et sociales : une forme d’existence sociale qui détermine des déplacements périodiques nécessaires pour la survivance et la reproduction d’un groupe humain. Littérairement, on peut songer aux bédouins de T. E. Lawrence ou aux barbares de J. M. Coetzee, mais pas à l’Ulysse homérique ou joycien. Cependant, les exemples juste mentionnés (et tant d’autres) n’ont pas d’intérêt particulier en termes de théorisation du nomadisme.

En ce sens, Mille plateaux et Le Chant des pistes exhibent une forme d’extraterritorialité : philosophie et littérature s’aventurent sur un terrain conceptuel qui aujourd’hui relève plutôt du domaine de compétence d’autres disciplines, en particulier l’anthropologie et l’historiographie. Plus précisément, les années qui précèdent la publication de ces deux textes témoignent d’une floraison de l’intérêt ethno-historique envers le nomadisme, à tel point qu’on assiste au baptême d’un nouveau champ disciplinaire : les nomadic studies, les études nomadiques8.

Face à cette institutionnalisation (toute relative), Mille plateaux et Le Chant des pistes représentent une théorisation hétérodoxe, même si ce n’est pas là la finalité première de ces ouvrages, qui simplement frayent leur propre chemin. Pour mieux cerner leur spécificité théorique, on peut interroger la dette envers la référence ethnologique majeure, qui est différente dans les deux textes. Dans Mille plateaux le principal interlocuteur est l’anthropologue français Pierre Clastres, en particulier La société contre l’Etat9 et Archéologie de la violence10. Chatwin par contre reprend surtout Aranda traditions11 et Songs of Central Australia12 de l’anthropologue australien Theodor Strehlow.

Ces deux interlocuteurs sont inégalement présents dans les deux textes. Strehlow est cité explicitement dans cinq passages, mais son ombre plane sur l’ensemble de l’œuvre. Dans une lettre à son éditeur américain, Chatwin affirmait qu’Aranda Traditions « est un ouvrage essentiel pour l’étude de l’anthropologie australienne – en fait, c’est peut-être la raison de ma présence en Australie13 ». Clastres, au contraire, est présent de manière massive surtout dans une section, qui par ailleurs lui est dédiée : « Proposition II : L’extériorité de la machine de guerre est également attestée par l’ethnologie (hommage à Pierre Clastres)14 ».

Or la comparaison entre la réélaboration littéraire et la réélaboration philosophique d’une théorie ethnologique est intéressante dans la mesure où ces spéculations atypiques utilisent des filtres formels différents. Chaque cadre disciplinaire et, à un niveau inférieur, chaque cadre générique offre un éventail de normes et de possibilités de transgresser ces normes. L’hétérodoxie face à une modélisation dominante suit ainsi deux voies différentes15.

Dans cette perspective, la première considération plutôt étonnante est que Clastres et Strehlow n’abordent le nomadisme que de manière marginale : ils utilisent cette catégorie assez rarement et sans la discuter. Dans une perspective théorique, il n’y a pas une conceptualisation autonome, malgré l’effervescence d’études qui leur est contemporaine16. Guattari, Deleuze et Chatwin confèrent une position centrale au nomadisme dans leur réflexion, mais cette centralité ne se reflète pas dans le choix de leurs principaux interlocuteurs anthropologiques. Le nomadisme est construit comme objet philosophique et littéraire aussi à travers une intertextualité ethnologique, mais sans se référer à des textes ethnologiques qui problématisent la notion.

Cette asymétrie se superpose à une déviation théorique : Chatwin ainsi que Deleuze et Guattari détournent au moins partiellement les sources ethnologiques qu’ils citent. Aranda Traditions offre une description de la culture Aranda à partir de trois études autonomes17 et Songs of Central Australia présente une analyse du chant en tant que composition musicale, production littéraire et document des traditions religieuses et sociales. Or la notion d’itinéraire chanté18 reste plus que secondaire chez Strehlow, alors que dans Le Chant des pistes elle devient la réponse à l’énigme de la vitalité du nomadisme : « J’avais le sentiment […] que les itinéraires chantés ne se limitaient pas à l’Australie, mais constituaient un phénomène universel, le moyen par lequel les hommes marquaient leur territoire et, en conséquence, organisaient leur vie sociale19. » C’est en quelque sorte la conclusion théorique de ce roman de voyage, qui précède de quelques pages sa conclusion narrative.

Chez Deleuze et Guattari on découvre une autre forme de déviation conceptuelle, à savoir la substitution de l’objet d’étude. Pierre Clastres analyse la société primitive, son opposition au surgissement de l’état, son rapport à la guerre. Or dans Mille plateaux on retrouve l’affirmation suivante : « La machine de guerre est sans doute effectuée dans les agencements “barbares” des nomades guerriers, beaucoup plus que dans les agencements “sauvages” des sociétés primitives20. » Il y a donc un déplacement de la focalisation : alors que Clastres analyse la société primitive, Deleuze et Guattari reprennent sa théorisation pour l’ancrer dans le nomadisme guerrier. La différence radicale entre ces deux formes sociales est confirmée par la distinction entre trois types d’organisation des hommes qui est proposée par la suite : organisation lignagère (société primitive), numérique (société nomade), territoriale (société à État)21.

En réalité l’opposition n’est pas aussi frontale : la distinction entre les sauvages et les nomades guerriers est absente chez Clastres, qui se limite à opposer l’Etat et la société primitive. Cette précision évidemment n’élimine pas mais au contraire exhibe la déviation théorique. Clastres, sur les traces de Hobbes, insiste avec force sur l’imbrication entre le corps social primitif et le phénomène belliqueux : « La société primitive est société pour la guerre, elle est par essence guerrière22 », « La machine de guerre, c’est le moteur de la machine sociale, l’être social primitif repose entièrement sur la guerre, la société primitive ne peut subsister sans la guerre23 ».

Deleuze et Guattari sont tout aussi catégoriques et l’utilisation partielle du même lexique ne saurait cacher le décalage : « Axiome II : La machine de guerre est l’invention des nomades24 ». Cette rupture constitue le prélude à un élargissement du champ d’application de la notion : « Conformément à l’essence, ce ne sont pas les nomades qui ont le secret : un mouvement artistique, scientifique, “idéologique”, peut être une machine de guerre potentielle25 ».

 

 

 

 

Les modalités d’absorption théorique

L’existence d’un décalage théorique doit maintenant être problématisée dans une perspective disciplinaire et générique. De quelle manière une théorie ethnologique peut-elle être absorbée dans un « traité » philosophique ou dans un texte comme Le Chant des pistes qui hybride roman et récit de voyage ?

Des textes de Clastres à leur métabolisation philosophique, un premier écart que l’on pourrait identifier est l’épuration des exemples. Clastres offre des illustrations pratiques de ses propositions théoriques, alors que Deleuze et Guattari se limitent fondamentalement à une discussion des catégories. On pourrait voir dans cet écart une cristallisation des cadres épistémologiques de chaque discipline : l’anthropologie appuierait sa théorisation à la recherche de terrain (sur les indiens Guayaki, dans le cas de Clastres), à la réalité culturelle qui en est l’objet, alors que la philosophie s’élancerait sans crainte dans la spéculation pure.

Cependant, il suffit d’élargir le regard à d’autres passages du texte pour s’apercevoir que Guattari et Deleuze n’ont pas en horreur l’exemplification, au contraire. Cette raréfaction intervient seulement à un niveau local – dans la référence à Clastres – et ne constitue donc pas un critère de différenciation général. Dans cette « proposition » même les deux philosophes analysent – en dehors de la discussion sur Clastres – trois cas : le fonctionnement de bandes d’enfants à Bogota, la dominance sociale chez les primates, le mécanisme des meutes appliqué au milieu mondain tel qu’il est décrit par Marcel Proust et Eugène Sue.

Plus que l’épuration des exemples, c’est leur hétérogénéité qui interroge : pour appuyer leur argumentaire dans une section qui est censée être consacrée à l’ethnologie, Deleuze et Guattari ont recours à un cas ethnologique, mais aussi à des exemples tirés de l’éthologie et de la littérature. Cette variété – qui est peu commune dans un ouvrage d’ethnologie – constitue une composante de la démarche « rhizomatique » de Guattari et Deleuze, mais répond aussi à l’ambition systématique du traité. Ce genre délaissé en faveur de l’essai se propose de traiter un phénomène dans sa totalité, à contre-courant de la parcellisation du savoir.

Dans Le Chant des pistes on retrouve une exigence semblable dans une forme complètement différente, à travers deux procédés distincts : la fragmentation et le déguisement. Là où Mille plateaux expose de manière transparente un concentré de théorie et le discute à la lumière du jour, dans Le Chant des pistes toute partie conceptuelle est soit segmentée soit intégrée dans le tissu narratif. On touche là au problème de la légitimité du questionnement théorique dans un texte littéraire26. C’est une question qui ne se pose pas pour une production philosophique : dans Mille plateaux, ce sont les modalités d’appropriation, et non pas l’existence même d’une théorisation, qui sont originales.

Au contraire, à l’intérieur d’un texte littéraire, la présence d’une spéculation pose problème – c’est un vieux différend – en ce qu’elle risque de dénaturer la littérarité même de l’œuvre. La démarche théorique proposée par Pierre Macherey27 a permis d’étudier la question à partir d’une perspective nouvelle : dans certains ouvrages, l’analyse doit décelerl’enchevêtrement entre la réflexion et les formes littéraires. Dans ce sens, idées et dimension littéraire ne sont pas séparables et la détermination est réciproque : l’abstraction et l’extraction de l’élément spéculatif impliquerait son altération radicale.

C’est donc à partir de ce cadre théorique qu’on va analyser la référence à Strehlow. Le Chant des pistes se présente comme un texte bicéphale, fondé sur l’alternance entre d’un côté la narration d’un voyage et d’un autre côté des extraits de carnets constitués par des citations, des anecdotes, des proverbes, … Or, on retrouve Strehlow dans les deux composantes du texte, qui déterminent deux typologies d’assimilation théorique différentes. Chaque note du carnet est douée d’une autonomie – elle est séparée, même spatialement, des autres – qui reste cependant relative, car chaque note est liée par un système implicite de renvois aux autres notes ainsi qu’à la narration du voyage. On peut considérer par exemple l’élucidation lexicale suivante : « Selon Strehlow, le mot aranda tnakama signifie “appeler par le nom” et également “avoir confiance en” et “croire”28. » Cette référence à Strehlow29 entre en résonance avec d’autres passages concernant l’acte de nomination et son lien avec la marche. Ces extraits forment donc une mosaïque théorique et c’est le lecteur qui doit actualiser les liens qui composent ce cadre conceptuel.

Cette expérience de pensée se complexifie avec la dialectique entre les notes et la narration. Dans cette dernière, l’emprunt théorique prend la forme d’une interaction entre Strehlow et le narrateur autodiégétique. Ce dernier a lu Aranda Traditions et commence à lire Songs of Central Australia, en reprenant certaines idées de ces textes. La présentation bio-bibliographique de Strehlow, cependant, occupe plus d’espace que l’exposition de ses théories. L’ethnologie reste donc en quelque sorte une présence largement silencieuse, une connaissance accessible au narrateur, qui néanmoins ne la restitue presque pas de manière transparente au lecteur.

Cette connaissance peut toutefois s’actualiser de manière opaque, à travers une narration dans la narration : « La lecture de Strehlow m’avait donné envie d’écrire quelque chose » affirme le narrateur30. Ce désir se traduit dans l’écriture d’un mythe cosmogonique qui prend la forme d’un récit enchâssé31. L’analyse ethnographique subit ainsi une narrativisation qui semble restaurer le statut originaire du mythe, en refermant le cercle : le récit revient à sa forme narrative à travers l’ethnologie. Cette dernière ne joue pas seulement le rôle de déclencheur – l’évocation d’un mythe encourage sa réécriture – mais offre une médiation scripturale. Strehlow écrit (et transcrit) « ses cheveux blonds brillaient “comme une toile d’araignée qui luit dans la lumière du soleil couchant”32 », le narrateur réécrit – dans le récit enchâssé – « une chevelure dorée étincelante comme une toile d’araignée dans le soleil couchant33 ».

Le Chant des pistes offre des formes multiples de restitution des connaissances anthropologiques, de l’inclusion dans le réseau de notes à la narrativisation. En comparaison, la transformation opérée par Guattari et Deleuze pourrait sembler beaucoup moins riche, voire plate. De fait, y a-t-il réellement une métamorphose transdisciplinaire ? La dénomination de la proposition – « L’extériorité de la machine de guerre est également attestée par l’ethnologie » – pourrait en effet annoncer un mimétisme discursif : Deleuze et Guattari endossent le masque de l’ethnologue l’espace d’une section.

Cependant, on l’a vu, l’hétérogénéité des exemples (et surtout le rôle heuristique qui leur est attribué) interdit cette conclusion34. Le caractère encyclopédique du traité (philosophique) se reflète d’ailleurs au niveau macrostructural : si la proposition II fait appel à l’ethnologie sans pour autant s’y identifier, la proposition I s’appuie sur la mythologie, l’épopée, le drame et les jeux, la proposition III sur l’épistémologie, la proposition IV sur la noologie. Ces regroupements cependant sont fort relatifs et chaque section recèle une multiplicité de références culturelles disparates.

De même, dans Le Chant des pistes les allusions à Strehlow (et à d’autres ethnologues) sont noyées dans une masse de renvois à la littérature, à la linguistique, à la biologie, à l’histoire des religions, … qui prennent place dans les développements narratifs et dans les extraits des carnets.

Globalement, dans Le Chant des pistes comme dans Mille plateaux, il n’y a pas une renonciation à la vocation référentielle de l’ethnologie, mais celle-ci est absorbée dans un projet totalisant, un discours qui ne se limite pas à la culture savante et qui se montre peu soucieux de la parcellisation des connaissances. Il n’y a pas d’interdisciplinarité dans la mesure où la reconnaissance des délimitations épistémologiques est affaiblie (de manière inégale) par un brassage des savoirs. Dans ces textes, philosophie et littérature se découvrent sœurs et rivales en ce qu’elles retravaillent et métamorphosent – chacune avec ses propres moyens – d’autres champs disciplinaires.

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Notes

1

Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Minuit, Paris 1980.

2

Bruce Chatwin, The Songlines, Penguin, New York 2012, traduit de l’anglais par Jacques Chabert, Œuvres complètes, Grasset, Paris 2005, p. 603-918.

3

Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op.cit., p. 33.

4

Bruce Chatwin, Œuvres complètes, op.cit., p. 623 (« to know the secret of their timeless and irriverent vitality », id., The Songlines, op.cit., p. 18).

5

Ce projet, élaboré entre 1969 et 1972, a été accompagné par la rédaction de quelques textes sur le même sujet, maintenant recueillis dans Anatomy of Restlessness, Penguin, New York 1997, traduit de l’anglais par Jacques Chabert et Matthew Graves, Œuvres complètes, op. cit., p. 75-106.

6

Gilles Deleuze, Félix Guattari, L’anti-Œdipe, Minuit, Paris 1972.

7

Gilles Deleuze, La Pensée nomade, in AA.VV., Nietzsche aujourd’hui ? 1, Intensités, Union générale d’éditions, Paris 1972, pp. 159-174.

8

Pour une synthèse des recherches anthropologiques sur le sujet (la liste des études monographiques serait trop longue), voir : Neville Dyson-Hydson, The Study of Nomads, in William Irons, Neville Dyson-Hydson (dir.), Perspectives on nomadism, E.J. Brill, Leyde 1972, p. 2-29 ; Wofgang Weissleder (dir.), The Nomadic Alternative. Modes and Models of Interaction in the African-Asian Deserts and Steppes, Mouton, La Haye 1978 ; Anatoly Mihajlovič Khasanov, Nomads and the Outside World, The University of Wisconsin Press, Madison 1983.

9

Pierre Clastres, La société contre l’état, Minuit, Paris 1974. La fréquentation des textes (antérieurs) de Clastres par Guattari et Deleuze était déjà intervenue lors de l’élaboration de L’anti-Oedipe. A ce sujet, voir François Dosse, Gilles Deleuze et Félix Guattari. Biographie croisée, La Découverte, Paris 2007, p. 243.

10

Pierre Clastres, Archéologie de la violence. La guerre dans les sociétés primitives, L’Aube, La Tour d’Aigues 1999.

11

Theodor George Henry Strehlow, Aranda Traditions, Melbourne University Press, Melbourne 1947.

12

Id., Songs of Central Australia, Angus and Robertson, Sydney 1971.

13

Bruce Chatwin, La sagesse du nomade, Grasset, Paris 2012, p. 361 (« is an essential work for the study of Australian anthropology – indeed perhaps the reason for my being here in Australia », Under the Sun, Vintage, Londres 2011, p. 358). Chatwin s’était engagé à écrire la préface de Songs of Central Australia et il était devenu membre de la Strehlow Foundation. A propos de l’importance de Strehlow pour Chatwin d’un point de vue biographique, voir Nicholas Shakespeare, Bruce Chatwin, Vintage, Londres 2000, en particulier les p. 410-412. La dette envers Strehlow ne doit cependant pas être surdimensionnée : c’est une référence importante sans être incontournable.

14

Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 441. Le Traité de nomadologie est organisé en axiomes, en problèmes et en propositions. En dehors de cette proposition, Clastres est cité ponctuellement aux p. 148, 476 et 535.

15

Les réactions des ethnologues face à cette appropriation ne sont pas uniformes, tiraillées entre l’hostilité manifeste (Jean-Loup Amselle, « Méfions-nous de l’idéologie du nomadisme ! », Le Monde, 24/06/2011) et – lorsque la diversité d’approches est reconnue – l’intérêt (Howard Morphy, « Behind the Songlines », Anthropology Today, nº5, 1988, p. 19-20).

16

Le terme « nomade » est même présent dans le sous-titre de l’un des textes majeurs de l’ethnologue français, sans pour autant enclencher une analyse de la catégorie : Pierre Clastres, Chronique des Indiens Guayaki. Ce que savent les Aché, chasseurs nomades du Paraguay, Plon, Paris 1972. Quant à Strehlow, l’organisation de l’index analytique extrêmement riche de Songs of Central Australia est très significative. Il n’y a aucune référence au nomadisme, au nomade, aux dreaming tracks ou aux songlines, même dans la voix « song », qui pourtant occupe deux pages. Il y a une seule occurrence du terme walkabout (une explication sobre du phénomène qui ne dépasse pas quelques lignes) et la carte jointe à l’ouvrage n’indique nullement les itinéraires chantés. Aranda traditions n’est pas plus loquace : les références aux vagabondages des Ancêtres n’acquièrent aucune importance autonome, car ils constituent un aspect de leur vie parmi d’autres (chasse, meurtre, génération…).

17

Les titres des trois études sont respectivement : Northern Aranda myths, Three Aranda sub-groups et Tjuruŋa ownership.

18

Dans la cosmologie aborigène, les Ancêtres ont créé le monde à travers le chant tandis qu’ils marchaient, en traçant ainsi des pistes chantées. Le monde peut continuer à exister seulement si les hommes continuent à pratiquer, dans leur double dimension, ces itinéraires chantés.

19

Bruce Chatwin, Œuvres complètes, op. cit., p. 907 (« I felt the Songlines were not necessarily an Australian phenomenon, but universal : that they were the means by which man marked out his territory, and so organised his social life », The Songlines, op. cit., p. 282).

20

Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 444.

21

Ibidem, p 482-483. Dans L’anti-Œdipe cette différenciation est absente : les chasseurs « primitifs » et les éleveurs sont tous les deux qualifiés de « nomades ».

22

Pierre Clastres, Archéologie de la violence. La guerre dans les sociétés primitives, op. cit., p. 83.

23

Ibid., p. 88. Ou encore : « La guerre est une structure de la société primitive » (Ibid., p. 62).

24

Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, op. cit., p. 471. Voir aussi ibid., p. 492 : « Il n’est donc pas étonnant que la machine de guerre soit l’invention des nomades éleveurs : l’élevage et le dressage ne se confondent ni avec la chasse primitive, ni avec la domestication sédentaire, mais sont précisément la découverte d’un système projecteur et projectile ». La machine de guerre n’est pas propre à la société primitive.

25

Ibid., p. 527.

26

Voir en particulier Eric Bordas, « Romanesque et énonciation “philosophique” dans le récit », Romantisme (Littérature et philosophie mêlées), n° 124, 2004, p. 53-69.

27

Pierre Macherey, Philosopher avec la littérature. Exercices de philosophie littéraire, Hermann, Paris 2013. Voir aussi Philippe Sabot, Philosophie et littérature. Approches et enjeux d’une question, Presses Universitaires de France, Paris 2002.

28

Bruce Chatwin, Œuvres complètes, op. cit., p. 896 (« According to Strehlow, the Aranda word tnakama means “to call by name” and also “to trust” and “to believe” », The Songlines, op. cit., p. 272).

29

Chatwin cite l’auteur mais il n’intègre pas d’autres données bibliographiques (ne serait-ce que le titre du texte). C’est là évidemment un autre point de différenciation (bien que relatif) entre le discours littéraire et le discours ethnologique. Quoi qu’il en soit, voici le passage utilisé par Chatwin (ma traduction) : « Tnakama devrait signifier “appeler par le nom” ; c’est le mot utilisé d’ordinaire pour “avoir confiance en, croire” : sa signification moderne dérive apparemment de l’idée que vous pouvez croire en quelqu’un que vous êtes capable d’appeler par son vrai nom » (« Tnakama should mean “to call by name”; it is the ordinary word for “to trust, to believe”: its modern meaning is apparently derived from the idea that you can believe in someone whom you are able to call by his right name », Theodor George Henry Strehlow, Songs of Central Australia, op. cit., p. 126).

30

Bruce Chatwin, Œuvres complètes, op. cit., p. 677 (« Reading Strehlow had made me want to write something », The Songlines, op. cit., p. 71).

31

A propos de cette section, voir Patrick Meanor, Bruce Chatwin, Twayne, New York 1997, p. 108-109. Selon Meanor, ce récit enchâssé constitue le moment de révélation dans le processus mythopoïétique des quatorze premiers chapitres du Chant des pistes.

32

« His fair hair gleamed “like a spider web shining in the evening sunlight” », Theodor George Henry Strehlow, Songs of Central Australia, op. cit., p. 618, ma traduction.

33

Bruce Chatwin, Œuvres complètes, op. cit., p. 677 (« Their golden hair glittering like spiders’ webs in the sunset », The Songlines, op. cit., p. 72).De manière analogue, le titre et l’incipit du récit enchâssé probablement constituent un renvoi intertextuel à Strehlow. Dans Le Chant des pistes on lit : « Au commencement la Terre était une plaine sans fin, obscure, séparée du ciel et de la mer grise, étouffant dans une pénombre crépusculaire », Œuvres complètes, op. cit., p. 677 (« In the Beginning the Earth was an infinite and murky plain, separated from the sky and from the great salt sea and smothered in a shadowy twilight », The Songlines, op. cit., p. 71). Or, dans Songs of Central Australia on peut lire : « La terre et le ciel ont existéaltjiraŋa – ou, comme l’on pourrait dire, ils ont existé “au commencement” » (« The earth and the sky have existed altjiraŋa – or as we might say, they have existed “in the beginning” », Theodor George Henry Strehlow, Songs of Central Australia, op. cit., p. 614, ma traduction).

34

Si besoin en était, on pourrait d’ailleurs citer cette déclaration de Deleuze lors de la publication de Mille plateaux : « Philosophie, rien que de la philosophie, au sens traditionnel du mot » (Gilles Deleuze, « Une tentative d’agencement entre les savoirs et les pratiques quotidiennes », Le Matin, 30/09/1980).

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