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Résumé

La nouvelle  Se, jie 色,戒 (Lust, Caution) de l’écrivaine chinoise Zhang Ailing 张爱玲 (plus connue en Occident sous le nom de Eileen Chang) a été publiée tardivement, en 1977, avant d’être adaptée sur grand écran par le réalisateur taïwanais Li An 李安 (Ang Lee) en 2007, lui permettant ainsi d’être plus largement connue à l’étranger. Si la nouvelle s’inspire de l’histoire vraie de Zheng Pingru 郑苹如, espionne chinoise chargée de séduire et d’assassiner Ding Mocun 丁默村, chef de la sécurité du Gouvernement de Nankin, le récit est en réalité beaucoup plus personnel qu’il n’y paraît : Zhang Ailing partage en effet de nombreux points communs avec son héroïne, et l’ombre de son premier et grand amour Hu Lancheng 胡兰成 plane sur la nouvelle. Le présent article se propose d’étudier l’histoire personnelle qui se cache derrière la source d’inspiration officielle, en se basant sur l’analyse de la version chinoise publiée en 1997 ainsi que sur le manuscrit en anglais daté de 1952, publié à titre posthume en 2008.

Abstract

The short story Se, jie 色,戒 (Lust, Caution) by Chinese writer Zhang Ailing 张爱玲 (better known in the West as Eileen Chang) was belatedly published in 1977 before being adapted to the screen by Taiwanese director Li An 李安 (Ang Lee) in 2007, allowing it to become more widely known overseas. While the novella is based on the true story of Zheng Pingru 郑苹如, a Chinese spy tasked with seducing and assassinating Ding Mocun 丁默村, the head of security for the Nanjing Government, the story is actually much more personal than it appears: Zhang Ailing indeed shares many similarities with his heroine, and the shadow of his first and great love Hu Lancheng 胡兰成 hangs over the novella. This paper sets out to explore the personal story behind the official source of inspiration, based on an analysis of the Chinese version published in 1997 as well as the English manuscript dated 1952, published posthumously in 2008.

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Se, jie 色,戒 (Amour, luxure, trahison, plus connu sous le titre anglais Lust, Caution)1 est une nouvelle écrite par Zhang Ailing 张爱玲 (1920 – 1995) (Eileen Chang), écrivaine chinoise qui connut un succès fulgurant dans les cercles littéraires de Shanghai dans les années 1940, au point d’être considérée par le célèbre critique littéraire chinois Xia Zhiqing 夏志清(1921 – 2013)2 comme « le meilleur écrivain chinois de la première moitié du XXe siècle »3. Écrit en 1952, le récit Se, jie ne sera publié qu’en 1977, après maintes révisions4. C’est son adaptation au cinéma en 2007 par le réalisateur taïwanais Li An 李安 (Ang Lee 1954 – )5 qui le fit connaître au grand public et rendit son auteure célèbre au-delà de l’Asie et des Etats-Unis, pays dont elle embrassa la nationalité en 1960. Amour, séduction, intrigues, tension narrative, le rose se mêle au noir au fil des pages, sans qu’on puisse déterminer au final quelle note l’emporte sur l’autre. S’il s’agit en apparence d’une fiction à l’intrigue assez simple (une espionne séduit un personnage important dans le but de fomenter son assassinat), l’histoire de sa genèse est bien plus complexe qu’il n’y paraît. De même, si le film marqua les esprits par ses scènes de sexe brutales, l’œuvre littéraire s’avère beaucoup plus pudique6. Enfin, si l’auteure s’inspire à première vue d’un fait historique réel, le récit est en réalité beaucoup plus personnel, et comporte de nombreux éléments autobiographiques.

La source d’inspiration officielle

Se, jie raconte comment une jeune et belle étudiante nommée Wang Jiazhi 王佳芝, membre d’un groupe d’activistes patriotes, sous couvert d’une fausse identité (Mme Mai 麥太太, épouse d’un commerçant) séduit un certain Monsieur Yi 易先生, responsable de la sécurité et des renseignements au service de Wang Jingwei 汪精卫 (1883 – 1944), chef du gouvernement collaborateur de Nankin durant la seconde guerre sino-japonaise. Son but est de le faire tomber dans un guet-apens en vue de l’assassiner. Finalement, après deux ans de relation, en 1942, alors que l’attaque va avoir lieu, l’espionne prend conscience des sentiments profonds qu’elle éprouve pour sa cible – et des sentiments que sa cible éprouve peut-être pour elle – et lui sauve la vie en lui conseillant de s’enfuir. Ce geste d’amour lui sera fatal, puisque Monsieur Yi la fera arrêter elle et ses complices et qu’ils seront fusillés. C’est cette journée fatidique qui est racontée dans le récit.

Il ne s’agit pas d’une simple fiction. L’histoire s’inspire de faits réels : elle se base sur l’histoire vraie de Zheng Pingru 郑苹如 (1918 – 1940), une belle espionne chinoise chargée par le Guomindang 国民党7 de séduire en 1939 un certain Ding Mocun 丁默村 (1901 – 1947), chef de la sécurité et des services secrets du Gouvernement de Nankin (gouvernement de collaboration avec l’envahisseur japonais), alors sous les ordres de Wang Jingwei. Elle sera démasquée et fusillée à l’âge de 23 ans8. Son sacrifice et sa dévotion à son pays l’érigeront en héroïne nationale. Quant à Ding Mocun, à la fin de la guerre, il sera emprisonné et jugé : condamné à mort pour trahison envers la patrie (Hànjiān 汉奸), il sera fusillé en 1947. On ignore par contre si, comme l’héroïne de la nouvelle, Zheng Pingru tomba amoureuse de sa proie, mais la légende préfère la poser en patriote inébranlable. C’est pour cette raison que le film de Li An, s’il a bien été projeté dans les salles de cinéma de Chine continentale, n’est pas fidèle à l’original : le réalisateur a dû l’expurger de ses scènes érotiques, officiellement pour cause d’indécence, officieusement pour ne pas sous-entendre qu’une patriote ait pu éprouver du plaisir et des sentiments pour un collaborateur9. Pour la même raison, certains considèrent que l’histoire écrite par Zhang Ailing est sujet à controverse, car « il n’y a pas de condamnation morale flagrante du sympathisant pro-japonais, qui plus est coureur de jupons, qui fait exécuter une espionne patriote durant la guerre sino-japonaise »10.

L’empreinte littéraire

Au niveau littéraire, cette histoire est en accord avec les thèmes de prédilection de Zhang Ailing : les femmes et les sentiments amoureux. Comme l’écrit le sinologue français Zhang Yinde dans son Histoire de la littérature chinoise, « on reconnaît chez cette femme de lettres une plume brillante et sophistiquée, dont elle n’hésite pas à se servir contre les effets destructeurs du carcan familial, comme des désirs11 ». En effet, Zhang Ailing aime raconter dans ses œuvres les mésaventures de protagonistes féminines victimes de la tradition, en proie au doute et éprises de liberté et de modernité12. Cela n’est pas sans rapport avec son histoire personnelle : un père opiomane et volage, une mère indépendante (dans la vie comme en amour) et attirée par la culture et le mode de vie occidentaux, des parents qui finissent par divorcer alors qu’elle n’a que dix ans, une belle-mère marâtre ; mais aussi un succès fulgurant, un premier mariage malheureux, un rejet de la part de sa patrie après l’avènement du communisme, et enfin l’exil et la solitude13. Il n’est donc point étonnant qu’elle produise essentiellement des histoires d’amour, en se focalisant sur les sentiments éprouvés par ses héroïnes.

Par ailleurs, dans l’histoire de la littérature chinoise moderne, Zhang Ailing est rattachée aux écrivains de « l’école de Shanghai » (Haipai 海派), réputés modernistes dans leur écriture : « Ils cherchent de façon délibérée, dans le sillage du néo-sensationnisme japonais, à tremper leur plume dans une vie occidentalisée, pour capter le pouls d’une ville moderne, ses couleurs, ses bruits et son rythme14. » Zhang Ailing est en effet influencée par l’Occident : elle naît à Shanghai puis vit à Tianjin, villes dans lesquelles on croise beaucoup d’Occidentaux, et elle apprend l’anglais très jeune, lorsqu’elle entre au Saint Mary’s Hall, célèbre pensionnat de Shanghai15. Elle vivra un temps à Hong-Kong, puis s’exilera aux Etats-Unis, avant d’embrasser la nationalité américaine en 1960. À ce titre, ses œuvres sont un fin mélange d’influences chinoises et européennes, traditionnelles et modernes. Cela se retrouve dans Se, jie, notamment au niveau des décors (concession étrangère, café européen, bijouterie…).

Au niveau de la construction, le texte est assez court. L’intrigue elle-même se déroule sur une après-midi seulement, le temps d’une partie de mah-jong : c’est sur une partie de mah-jong que s’ouvre et que se ferme le récit, laissant suggérer que la vie – et les relations amoureuses — sont un jeu qui nécessite une âme de fin stratège. L’auteur fait évoluer le récit au rythme des descriptions des différents lieux parcourus par les protagonistes : l’appartement de Mme et M. Yi, le café occidental où Wang Jiazhi attend patiemment que son amant vienne la chercher, et enfin la bijouterie où se noue le drame final. Le lecteur a l’impression d’assister à une pièce de théâtre, avec des décors réfléchis pour chaque scène. Le rythme de la narration semble par conséquent lent – du fait des nombreuses descriptions – mais la tension est omniprésente et transparaît à travers les réflexions de l’héroïne. Wang Jiazhi, la belle espionne, attend : elle attend que son amant vienne la chercher, puis elle attend que le piège se referme sur lui et que ses complices entrent dans la bijouterie pour l’assassiner16.

L’énigme du titre

Si on se contente de traduire littéralement le titre, on traduira se par « lubricité », et jie par « prudence, mise en garde ». Une autre interprétation est cependant possible, si on se concentre sur l’étymologie des caractères : se fait alors référence à un rôle dans l’Opéra de Pékin — et désigne par extension le fait de jouer un rôle — et jie désigne un anneau, une bague. Ce sont bien de ces quatre significations que le récit est imprégné.

Comme l’explique Emmanuelle Péchenart dans l’avant-propos de sa traduction :

se désigne la couleur, le charme féminin et le désir sexuel ; jie signifie l’abstinence, la retenue et la prudence, mais les deux termes signifient encore « rôle de théâtre » pour le premier, « bague », et aussi « encercler, donner l’alarme », pour le second… Ainsi, ils sont porteurs des motifs mêmes du récit, entre autres : le corps de la jeune femme, qui passe préalablement entre les bras d’un camarade pour devenir cette « Mme Mak » [Mai] dont elle doit jouer le rôle ; la bague sertie du diamant rose, prix de sa perte, mais aussi joyau d’un rêve par lequel elle croit choisir - ou choisit ? - son destin17.

Rappelons que l’intrigue se déroule sur quelques heures seulement. L’auteur insiste maintes et maintes fois sur cette idée de rôle endossé par Wang Jiazhi, qui semble déconnectée de la réalité. Le lecteur apprend notamment que durant ses études à Canton puis à Hong-Kong, l’héroïne faisait partie d’une troupe de théâtre. Pour elle, tout n’est que comédie : le rapprochement avec Mme Yi, la séduction de M. Yi, et enfin leur dernière rencontre dans la bijouterie. De plus, elle poursuit dans la réalité ce qu’elle incarnait sur scène lorsqu’elle était étudiante, à savoir les rôles de belle femme : « Elle avait déjà fait du théâtre, mais maintenant c’était à une autre sorte de scène qu’elle consacrait sa vie, personne ne le saurait et elle ne s’y ferait pas un nom18. » Même son dépucelage, mené par un de ses camarades (pour en faire une femme expérimentée en vue de sa relation adultérine avec M. Yi) semble faire partie d’une pièce de théâtre : « Ce soir-là, sur cette scène nimbée de lumière tamisée, elle ne le maudissait pas, ce Leung Junsheng. Les autres durent s’en rendre compte, ils filèrent et il ne resta plus que lui avec elle. Et la représentation se poursuivit19. » Alors qu’elle attend son amant dans le café occidental, elle a toujours cette impression d’être une actrice jouant une pièce de théâtre ou de cinéma : « On a le trac avant d’entrer en scène, mais on se sent mieux dès que la pièce commence20. » Même lorsque Wang Jiazhi se retrouve dans la bijouterie, elle trouve que tout va trop vite et souhaite faire durer les choses. Elle ne voudrait pas quitter la bijouterie trop brusquement : « Les autres ne s’imaginaient certainement pas qu’ils sortiraient si rapidement. Son expérience de la scène lui avait enseigné le temps qu’il convient d’accorder aux dialogues21. » Monsieur Yi, lui aussi, joue un « rôle » devant sa femme trompée, et peut-être aussi, au final, devant sa maîtresse, à qui il ne dévoile jamais ses vrais sentiments.

Quant aux bagues, il en est question dès l’ouverture du récit : alors qu’elle se trouve en pleine partie de mah-jong avec ses amies, Wang Jiazhi se fait la réflexion qu’elle est la seule à ne pas porter de bague. Ses voisines arborent les leurs comme des trophées et des marques de richesse. Et la bague que veut lui offrir son amant pour fêter les deux ans de leur premier rendez-vous est l’objet qui lui fait réaliser que sa proie l’aime réellement. Cela la ramène à la réalité des sentiments que son amant éprouve pour elle, et lui fait réaliser finalement l’existence de ses sentiments réciproques, ce qui va la pousser à tomber le masque pour sauver la vie de Yi, la condamnant à une mort certaine.

Bien évidemment, la double signification des caractères se et jie est parfaite dans le contexte. C’est un fait : les deux éléments se (désir sexuel) et jie (danger et mise en garde) sont omniprésents dans l’histoire. L’interprétation, au final, est multiple, et peut s’appliquer aussi bien au personnage féminin qu’au personnage masculin : pour Wang Jiazhi, qui joue un rôle d’espionne, le « jeu scénique » (se) est basé sur son charme féminin (se encore) et doit s’assortir d’un qui-vive constant (jie), puisqu’elle flirte avec le danger d’être découverte22. Car c’est bien une relation charnelle qui lie les deux personnages au départ23. Faut-il y lire un avertissement, dans le sens où il faut se méfier du plaisir sensuel (pour Wang Jiazhi), et du charme féminin (pour M. Yi) ? Par ailleurs, le terme chinois jièsè 戒色 (anagramme de 色,戒) est un terme chinois qui signifie « se prémunir des passions charnelles », « s’abstenir de désir sexuel »24. Peut-être l’auteure a-t-elle volontairement inversé les deux caractères chinois en vue de faire un jeu de mots, pour signifier que « au lieu de s’abstenir de relations sexuelles, ils en ont, et flirtent avec le danger ».

En dépit de toutes ces suppositions, le titre anglais donné à sa nouvelle par Zhang Ailing elle-même lorsqu’elle travaillait pour le service de presse américain (dès 1952), ne laisse pas trop de doute quant à la signification initiale des caractères : The Spyring. C’est un manuscrit trouvé après sa mort qui nous conforte dans notre interprétation, laissant même supposer que la première version a été écrite en anglais, et non en chinois mandarin25. Là encore, l’allusion est présente, spyring désignant en anglais un groupe d’espions agissant à l’encontre d’une même cible. Cela peut aussi se comprendre comme un jeu de mot et se lire « la bague de l’espionne », étant donné l’importance qui est donnée à la bague dans le récit. Par contre, on perd les connotations de « plaisir charnel » et de « rester sur ses gardes ».

Le manuscrit en anglais de 1952

Ce manuscrit a été retrouvé après la mort de Zhang Ailing par l’écrivain, traducteur et critique littéraire Stephen Soong 宋淇 (1919 – 1996), son légataire testamentaire. Il a été publié pour la première fois à Hong-Kong, dans la revue Muse du mois de mars 2008. Il est signé « Eileen Chang, United States Information Service, Hongkong ». Cela nous prouve qu’il a été écrit entre les années 1952 et 1955, lorsque Zhang Ailing travaillait pour le service d’information des États-Unis. Le texte est beaucoup plus court que la version actuelle du récit. Par ailleurs, deux titres y apparaissent : l’un en système de romanisation du chinois ( Ch’ing K’ê ! Ch’ing K’ê ! )26, dactylographié, l’autre ajouté à la main, en anglais, The Spyring (dont nous avons parlé dans le paragraphe précédent)27. La conjonction de coordination or a été ajoutée entre les deux, laissant supposer qu’il s’agit soit d’un choix à faire entre les deux titres, soit d’un titre et d’un sous-titre. Le titre chinois montre toute l’importance qui est donnée à la partie de mah-jong : la vie des deux amants bascule totalement, le temps d’une simple partie. Par ailleurs, on peut comprendre que l’auteure veut montrer que les relations amoureuses, et par extension la vie elle-même, ne sont qu’un jeu.

On ignore si c’est la première version de l’œuvre : peut-être Zhang Ailing a-t-elle écrit une version en chinois avant celle-ci ou en même temps qu’elle. Néanmoins, il s’agit d’une des toutes premières versions. Zhang Ailing affirmant avoir révisé le texte de nombreuses fois pendant près de trente ans28, ce manuscrit est d’une importance capitale car il nous permet de savoir ce qu’elle a modifié, supprimé ou ajouté. Nous avons comparé les deux versions (le manuscrit en anglais et notre version chinoise de 1978), et voici ce que nous avons relevé comme différences majeures :

  • Monsieur Yi s’appelle à l’origine M. Tai, et Wang Jiazhi s’appelle à l’origine Li Shahlu (elle n’a pas d’autre nom). Pourquoi avoir changé leurs noms dans la version finale ? Sans doute pour qu’ils deviennent plus symboliques. « Yi 易 » signifiant « changement, transformation », on peut penser que cela indique que Monsieur Yi a un caractère changeant, ce qui le rend parfois agréable, parfois distant. Cecile Chu-chin Sun estime pour sa part que cela indique l’évolution d’une attitude loyale vers une attitude de traître envers sa patrie29. Zhang Ailing semble jouer avec ces noms : Yi est également l’homonyme de « commerce » et signifie en langage soutenu « mépriser / regarder de haut ». Le nom que s’invente Wang Jiazhi est Mai 麥, homophone de mai 卖 (vendre), ce qui correspond à sa mission : vendre son corps, et finalement son âme30.

  • Les descriptions des protagonistes sont beaucoup plus sommaires dans le manuscrit en anglais. La description de l’espionne est beaucoup plus neutre et légère (manuscrit p. 2).

  • Les relations de l’héroïne avec ses camarades espions sont peu approfondies31.

  • Tout est plus court et concis. Il y a beaucoup moins de descriptions de lieux, beaucoup moins de réflexions de la part de l’héroïne et d’informations sur son passé que dans la version de 1978.

  • On ne parle pas du rôle de comédienne de l’espionne. Il n’est jamais question de théâtre ou de comédie (alors que c’est capital dans la version de 1978).

  • Le passage sur l’étreinte fiévreuse des amants est absent dans le manuscrit (p.7 et 8)32. On passe aussi sous silence la scène du dépucelage de l’espionne par son camarade (traduction française p.146). Par contre, lorsque les amants se rendent du café à la bijouterie, dans le manuscrit l’amant fait une remarque coquine, désirant téter les seins de sa maîtresse pour voir s’ils sont pleins de vinaigre (image pour désigner le fait d’être jaloux). (manuscrit p.9-10)

  • L’héroïne ne prend pas pour excuse de devoir faire réparer sa boucle d’oreille pour aller à la bijouterie. Elle dit avec franchise à son amant qu’elle veut qu’il lui offre une bague (manuscrit p. 9). Ce n’est donc pas lui qui prend l’initiative de lui offrir une bague une fois dans la boutique. Lorsqu’elle insiste pour se rendre tout de suite à la bijouterie, il se fait la réflexion que les femmes qu’il fréquente sont décidément toutes intéressées par l’argent (p. 10)33.

  • Lorsqu’ils arrivent dans la bijouterie, les complices s’y trouvent déjà (p. 12)

  • La bijouterie est beaucoup plus grande (p. 13).

  • La prise de conscience par l’espionne des sentiments de son amant est extrêmement rapide et n’est pas amenée sur le plan narratif34.

  • Elle lui dit de fuir pendant qu’il signe le chèque. Ce n’est pas le cas dans la version de 1978 où la scène est beaucoup plus longue : il ne signe pas de chèque, il reste pensif, le regard baissé, avec un sourire triste et touchant, elle l’observe et se met à conjecturer sur ses sentiments (traduction p.161-165).

  • La scène où elle s’enfuit de la bijouterie est beaucoup plus longue et éprouvante dans le manuscrit : elle s’enfuit à pied et se réfugie dans un magasin, avant d’en ressortir pour prendre un pousse.

  • A la fin, dans la dernière version, l’amant s’éclipse et on ignore ce qu’il adviendra de lui. Dans le manuscrit en anglais (p. 19), il joue un moment au mah-jong avec son épouse et ses invitées, et on nous explique qu’il sera plus tard arrêté et fusillé, et que ses dernières pensées furent pour « cette belle fille qui l’avait aimé et qu’il avait tuée »35.

Nous avons à présent une idée plus précise des différences qui opposent l’une et l’autre version, à presque trente ans d’intervalle. Il semble évident que le style littéraire a évolué et que l’image des protagonistes a été grandement modifiée. Dans le manuscrit en anglais, l’espionne apparaît très naïve, presque puérile, craintive, ses réactions sont vives, peu réfléchies. L’ensemble manque de romantisme : c’est en constatant que son amant rédige un chèque sans hésiter pour lui acheter une bague onéreuse qu’elle s’imagine qu’il l’aime réellement, alors que dans la version remaniée c’est l’expression et le sourire de son amant qui lui font penser cela. Dans la version tardive, Wang Jiazhi est déterminée, beaucoup plus mature, beaucoup plus dans la réflexion. Le récit est plus étoffé, on trouve davantage de détails et de descriptions. Zhang Ailing met l’accent sur le rôle de séductrice de Wang Jiazhi et sur le fait qu’elle se considère comme une actrice, et surtout sur les réflexions et les sentiments aussi bien de Wang Jiazhi que de Monsieur Yi. Nous sommes passés d’un récit linéaire basé sur des faits réels à une fiction qu’on pourrait qualifier de thriller romantique, où se mêlent habilement le rose et le noir. Une intrigue très bien menée, une tension narrative omniprésente, une ambiance à la fois oppressante et onirique. Et bien entendu, la présence de Zhang Ailing dans le récit même : il est évident qu’elle se projette dans le personnage de Wang Jiazhi.

Un couple peut en cacher un autre

Au sujet de la publication tardive du récit et des multiples remaniements qu’il a subis, Zhang Ailing explique : « J’étais bouleversée par cette histoire, c’est la raison pour laquelle j’ai eu à cœur de la remanier encore et encore, durant des années. Et à force de la réécrire, je ne me suis pratiquement pas rendue compte que trente années étaient passées36. » Pour Zhang Ailing, il s’agit d’une œuvre très personnelle, voire intime, à laquelle elle tient beaucoup, qui la touche au plus profond de son être. Et l’une des raisons principales est à n’en pas douter l’aventure désastreuse qu’elle vécut avec l’amour de sa vie, Hu Lancheng 胡兰成 (1906 – 1981).

Hu Lancheng est le premier amour et le premier mari de Zhang Ailing. Elle le rencontre en 1943 : c’est lui qui vient lui rendre visite, après être tombé sous son charme et son talent d’écrivain à la lecture de son roman La cangue d’or37. Hu Lancheng est marié, et il a quatorze ans de plus qu’elle. Mais entre eux, c’est un véritable coup de foudre, aussi bien littéraire que physique. La carrière littéraire de Zhang Ailing est lancée, elle a déjà acquis une certaine notoriété. Elle l’épouse rapidement : c’est pour lui son quatrième mariage. Professionnellement, son parcours est atypique : écrivain raté, il dirige un journal de propagande pro-japonais (Zhonghua ribao 中华日报)38. C’est un ami de Wang Jingwei, membre du Guomindang, chef du Gouvernement réorganisé et collaborateur de la République de Chine de Nankin. Peu après son mariage avec Zhang Ailing, Hu Lancheng part en mission à Wuhan où il trouve une maîtresse de 17 ans. Obligé de fuir suite au départ des Japonais, il change d’identité, refait sa vie à Wenzhou et se marie à une autre. Zhang Ailing va le retrouver et se fait humilier. Ils divorcent en 1947. Malgré ce divorce, elle subit les critiques de ses concitoyens car on la considère comme une traître pour avoir aimé un collaborateur39. Son récit Se, jie, sera critiqué en Chine pour les mêmes raisons : il est en effet inconcevable qu’une patriote chargée d’éliminer un ennemi de la patrie finisse par lui sauver la vie par amour. Dans ce cas précis, comme elle l’explique elle-même, l’amour fait qu’on « n’arrive plus à faire la part des choses entre le bien et le mal, entre la fidélité et la traîtrise40 ». Qu’en est-il dans le récit ?

Dès les premières pages, la description de Wang Jiazhi nous interpelle : elle correspond à celle de l’auteure elle-même, dans ses jeunes années, à savoir une femme moderne, dont la tenue est un mélange de style traditionnel chinois et de style occidental. Ce passage n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’une des photos les plus connues de l’auteur, sur laquelle elle apparaît avec les cheveux vaporeux, une bouche maquillée, d’énormes boucles d’oreille boules, et un haut de style traditionnel chinois (une qipao peut-être) à manches courtes.

Sur un front qu’on aurait pu trouver étroit, l’implantation des cheveux, pourtant capricieuse, ajoutait encore au charme de ce gracieux visage hexagonal. Le maquillage était léger, hormis un rouge à lèvres éblouissant dont la teinte fraîche exaltait sa bouche mince et bien dessinée. La chevelure, bouffante et ramenée très haut sur le front, descendait jusqu’aux épaules, au-dessus des bras nus. La robe de coupe chinoise, en satin moucheté bleu électrique, s’arrêtait sous le genou, et son petit col droit, haut d’un demi-pouce à peine, ressemblait à celui d’un vêtement occidental. La broche agrafée au col, assortie aux boucles d’oreilles boules, était sertie d’éclats de saphir41.

Un autre détail de sa vie la rapproche de son héroïne : Zhang Ailing a en effet fait des études de littérature à l’université de Hong-Kong, université où est allée également l’héroïne de la nouvelle. Elle retourne à Shanghai après ses études, en 1942, l’année où se déroule l’intrigue de Se, Jie. Par ailleurs, la Zheng Pingru historique meurt à l’âge de 22 ans, Zhang Ailing épouse Hu Lancheng à l’âge de 23 ans, un âge qui sera un tournant dans sa vie de femme.

Quant à la description de Monsieur Yi donnée plusieurs pages plus loin, elle n’est pas non plus sans rappeler Hu Lancheng :

Vêtu d’un complet gris, le visage pâle et élégant, il avait le front dégarni, la calvitie dessinait une coupe claire dans ses cheveux noirs : un nez fort long lui donnait un peu la physionomie du rat qui prédispose, dit-on, à l’autosatisfaction42.

M. Yi est par ailleurs un homme volage et infidèle qui cumule les conquêtes et fréquente les prostituées. Il est marié, il trompe donc sa femme. Comme Hu Lancheng, qui succombait facilement au charme féminin, trompa et humilia Zhang Ailing. M. Yi est également un traître à sa patrie : Hu Lancheng fut lui aussi considéré comme tel, puisqu’il travailla pour un journal de propagande à la solde du gouvernement collaborateur pendant la seconde guerre sino-japonaise. Enfin, Monsieur Yi est un homme triste, esseulé, qui s’ennuie :

M. Yi commençait à étouffer d’ennui à vivre en reclus, il devait supporter de lourdes charges sans aucune contrepartie, il n’osait même pas boire un verre et se tenait prêt à tout moment à répondre à un appel émanant de la résidence des Wang. Ils étaient deux couples de collègues à partager la location d’un vieil immeuble, n’ayant rien de mieux à faire que de se cloîtrer et de jouer au mah-jong. (p. 144-145)

Hu Lancheng aussi connut une vie de reclus puis d’exil, même s’il a toujours su en tirer profit, en compagnie notamment de ses maîtresses43.

Lust, Caution est-il un témoignage ? Un aveu ? Une déclaration d’amour ? Une catharsis ? Une thérapie ? Une bouteille jetée à la mer par l’auteure, à destination de son ancien amant ? Nul ne le sait. Ce qu’on sait en revanche, c’est que Zhang Ailing n’arriva jamais à faire le deuil de Hu Lancheng et de leur amour. Elle ne parviendra jamais à l’oublier, en dépit de tout le mal qu’il a pu lui faire44.

La force des sentiments

L’amour est, nous l’avons vu, un thème privilégié chez Zhang Ailing. Son roman préféré n’est-il pas le Rêve dans le pavillon rouge (Honglou meng 红楼梦) de Cao Xueqin 曹雪芹 (1724 – 1763) ? Ne va-t-elle pas consacrer la fin de sa vie à traduire en mandarin puis en anglais le roman de Han Bangqing 韩邦晴 (1856 – 1894) Les fleurs de Shanghai (Haishang hua liezhuan 海上花列传), roman léger sur le milieu des courtisanes et les maisons closes dans les concessions étrangères à la fin de la dynastie des Qing ? De plus, il ne faut pas oublier que sa carrière est lancée en 1943 par Zhou Shoujuan 周瘦鹃 (1895 - 1968), célèbre éditeur de Shanghai, connu pour son rattachement à « l’école des Canards mandarins et papillons45 ».

Dans le texte, Wang Jiazhi est quelqu’un de décidé, avec un caractère fort. Elle est prête à tout sacrifier pour sa cause. Pourtant, il y a un domaine dans lequel elle n’est pas sûre d’elle : celui des sentiments. Elle se questionne sur l’amour, sur ses sentiments vis-à-vis de M. Yi, et sur les sentiments de M. Yi à son égard. Jusqu’à la fin elle se demande si ces sentiments sont factices, comme le reste, ou bien réels :

[…] était-il possible qu’elle soit éprise de Yi ? Elle n’y croyait pas, mais n’aurait pu le jurer avec une certitude absolue. Comme elle n’avait jamais connu l’amour, elle ne pouvait savoir comment on tombait amoureux. Une jeune fille qui, depuis ses quinze ans, ne fait que résister aux assauts de toutes sortes, se noie difficilement dans les flots de l’amour, elle a trop appris à se tenir sur ses gardes46.

Et pourtant, la vision de cet homme, les yeux baissés, un sourire sincère et mélancolique aux lèvres, la persuade qu’il l’aime réellement. Et c’est ce qui la décide à le sauver47.

De son côté, Monsieur Yi est heureux d’avoir été vraiment aimé au moins une fois dans sa vie : « Elle l’aimait donc en dépit de tout, il avait découvert en elle son âme sœur, l’unique passion de son existence. Il n’aurait jamais cru vivre pareille aventure à son âge48. » Pourtant, il préfère sacrifier son amour plutôt que sa carrière et sa réputation, pour sauver son honneur. Il aime cependant l’idée d’avoir dominé sa maîtresse, de l’avoir possédée, corps et âme. Il aime aussi l’idée d’avoir été aimé par celle qui devait, au départ, participer à son assassinat :

Il avait rencontré l’âme sœur, et pouvait mourir sans regret. Il sentait que son ombre l’escorterait à jamais. Même si elle éprouvait de la haine contre lui, les sentiments qu’elle lui vouait en sa dernière heure étaient d’une telle force que leur nature importait peu, pourvu qu’ils existent. Elle et lui étaient unis par le même lien primitif que le chasseur et sa proie, le tigre mangeur d’homme et sa victime, devenue son âme damnée. La plus intime et la plus extrême possession. Vivante, cette jeune femme lui avait appartenu, morte, son fantôme lui appartenait49.

Pour sa part, Wang Jiazhi sacrifie tout à son amour : elle sait pertinemment qu’en lui sauvant la vie, elle se condamne, et ses camarades avec elle. Elle le fait pourtant, plaçant l’amour au-dessus de tout. Elle l’aime, même si c’est un traître, même si c’est sa cible. Comme Zhang Ailing défendait elle aussi l’idée d’aimer Hu Lancheng, même s’il était un collaborateur, même s’il était volage. Elle défend un avis qu’elle assène vigoureusement concernant l’amour, à propos duquel elle écrit : « Aimer, c’est ne pas se demander si cela en vaut la peine ou non50. » On peut penser qu’elle-même s’est toujours demandé si Hu Lancheng l’avait réellement aimée ou non, et si oui, s’il l’aimait toujours plusieurs années après leur séparation51. De son côté, Zhang Ailing s’est sans doute demandé également si elle éprouvait encore des sentiments pour lui, ou bien si son amour vis-à-vis de lui avait été raisonnable et valable. Pour qui a lu les deux ouvrages que sont Se, jie et La Réunion, il est évident que oui.

Enfin, le fait qu’elle ait attendu si longtemps pour publier sa nouvelle Se, jie ne laisse plus de doute concernant les motivations de ce récit : il s’agit d’une composition littéraire inspirée d’une Zheng Pingru morte en héroïne, qui n’est autre que le double d’une Zhang Ailing qui n’a jamais réussi à oublier un Hu Lancheng séducteur, traître vis-à-vis de sa patrie et odieux vis-à-vis de ses épouses et maîtresses52. Wang Jiazhi est plus jeune que Monsieur Yi, tout comme l’était Zhang Ailing par rapport à son mari. Monsieur Yi est par ailleurs marié, tout comme l’était Hu Lancheng au moment de sa rencontre avec Zhang Ailing. Leur histoire se finit de façon abrupte et tragique, moins sombre dans la réalité pour Zhang Ailing, qui a cependant dû vivre un moment terrible lorsque, se rendant à Wenzhou pour faire revenir Hu Lancheng auprès d’elle, ce dernier lui dit ne pas se soucier d’elle et la laisse repartir sans regret apparent. Mais après tout, dans l’histoire, Monsieur Yi ne s’avoue jamais avoir réellement aimé sa jeune maîtresse : ce qui lui plaît, c’est l’idée d’avoir été réellement aimé. Il faut sans doute y voir un désir secret de Zhang Ailing de voir Hu Lancheng, sur son lit de mort, se remémorer la force de son amour à son égard.

Notes

1

Pour une version chinoise, voir Zhang Ailing 张爱玲, Se, Jie 色戒, Shijiazhuang : Huashan wenyi, 1994. Pour une traduction en français, voir Chang Eileen, Lust Caution, trad. Emmanuelle Péchenart, Paris, Robert Laffont, « 10/18 Domaine étranger », 2008, p 127-176.

2

Connu à l’étranger sous le nom de « Chih-tsing Hsia » ou « C. T. Hsia ».

3

Cf. C. T. Hsia, A History of Modern Chinese Fiction, Hong-Kong, The Chinese University Press, CUHK Press, (1999) 2016, p. 321.

4

Cf. Cai Dengshan 蔡登山, Lust, Caution, Eileen 色戒爱玲, Taipei, Ink, 2007, p. 20. Le récit fut publié pour la première fois dans la revue littéraire taïwanaise Huangguan 皇冠 (The Crown). Cf. Peng Hsiao-yen, Whitney Crothers Dilley, From Eileen Chang to Ang Lee: Lust/Caution, New York, Routledge, « Academia Sinica on East Asia », 2014, p. 1

5

Pour incarner les personnages principaux, on retrouve Tang Wei 汤唯 (dans le rôle de Wang Jiazhi) et Tony Leung (dans le rôle de Monsieur Yi). Le film obtint entre autres récompenses un Lion d’or à la Mostra de Venise de 2007, sept récompenses au 44ème Golden Horse Film Festival de Taïwan, et le Prix du meilleur film au 27ème Festival de Hong-Kong.

6

Pour une étude comparative entre la nouvelle et le film, voir Gina Marchetti, « Eileen Chang and Ang Lee at the Movies: The Cinematic Politics of Lust, Caution », in Eileen Chang: Romancing Languages, Cultures and Genres, Kam Louie (éditeur), Hong-Kong, Hong-Kong University Press, 2012, p. 131-154. Voir aussi Hsiu-Chuang Deppman, « Seduction of a Filmic Romance : Eileen Chang and Ang Lee », in ibidem, p. 155-176. Voir également Zhang, Ailing, James Schamus, and Huiling Wang. Lust, Caution: The Story, the Screenplay, and the Making of the Film, New York, Pantheon Books, 2007, 336p. Voir enfin Peng Hsiao-yen, Whitney Crothers Dilley, From Eileen Chang to Ang Lee: Lust/Caution, op.cit.

7

Ou Kuomintang, Parti nationaliste dirigé par Jiang Jieshi 蒋介石 (plus connu sous le nom de Tchang Kaï-chek [1887 – 1975]).

8

Cf. Gina Marchetti, « Eileen Chang and Ang Lee at the Movies: The Cinematic Politics of Lust, Caution », op.cit. p. 133.

9

Cf. « Li An caodao Jue, se jian 30 fenzhong qingyu xi 李安操刀 《色.戒》剪 30 分钟情欲戏 », in Zhongguo shibao 中国时报, 12/09/2007.

10

Cf. Hsiu-Chuang Deppman, « Seduction of a Filmic Romance : Eileen Chang and Ang Lee », op.cit. p. 155 : « it offers no clear moral indictment of a womanizing Japan-sympathizer who executes a patriotic spy during the Sino-Japanese war (1937-1945) ». C’est ce que lui reprocha aussi l’écrivain taïwanais Zhang Xiguo 张系国 (1944 – ) (plus connu sous son nom de plume Yu Wairen 域外人), qui lui consacra un article très critique (in Ibidem, citant Cai Dengshan 蔡登山, Lust, Caution, Eileen 色戒爱玲, op.cit.).

11

Cf. Zhang Yinde, Histoire de la littérature chinoise, Paris : Ellipses, 2004, p. 87.

12

Citons notamment Qingcheng zhi lian 倾城之恋 (Love in a fallen city), Jinsuo ji 金锁记 (La cangue d’or);Yuannü 怨女 (The Rouge of the North), Hong meigui yu bai meigui 红玫瑰与白玫瑰 (Rose rouge, rose blanche), Chenxiang xie 沉香屑 (Deux brûle-parfums), Bansheng yuan 半生缘 (18 printemps).

13

Pour plus de détails sur la vie et l’œuvre de Zhang Ailing, voir Kam Louie, « Eileen Chang : A Lige of Conflicting Cultures in China and America », in Eileen Chang, op.cit., p. 1 à 13.

14

Cf. Zhang Yinde, Histoire de la littérature chinoise, op.cit. p. 71.

15

C’est de là d’ailleurs que vient son nom anglais, « Eileen Chang », calqué phonétiquement sur son nom chinois. Cf. Yu Qing 于青, Zhang Ailing zhuan 张爱玲传 (Biographie de Zhang Ailing), Guangzhou, Huacheng, 2008, p. 15.

16

Notons que dans la véritable histoire de l’espionne chinoise Zheng Pingru, ce n’est pas dans une bijouterie que l’amant est conduit pour être attaqué, mais dans un magasin de manteaux de fourrure. Zhang Ailing le cite dans sa nouvelle, elle le place non loin de la bijouterie. L’attentat sera un échec, l’espionne sera arrêtée puis fusillée, mais seule, sans ses complices qu’elle ne dénonça jamais.

17

Cf. Lust, Caution, op.cit., « Avant-propos » p. 12. Voir aussi Cecile Chu-chin Sun, professeur de littérature comparée à l’Université de Pittsburgh, qui dans son article « Two versions of Sejie » émet l’hypothèse que le titre pourrait également signifier « la bague colorée » (Cf. From Eileen Chang to Ang Lee, op. cit. p. 38).

18

Ibidem p. 142.

19

Ibidem, p. 146.

20

Ibidem p. 150.

21

Ibidem p. 161.

22

« Quand elle était avec Yi, il lui fallait être sur le qui-vive, se surveiller constamment » (in Ibidem p.163-164). Monsieur Yi aussi est constamment sur ses gardes, craignant pour sa sécurité : « Lui-même, en mission spéciale, devait sûrement être sur ses gardes, même s’il ne se doutait de rien ; comme les lièvres qui ont plusieurs terriers, ses réactions étaient difficilement prévisibles. Il fallait arriver à le mettre en confiance […] » (Ibidemp. 140-141). Voir aussi Susan Daruvala, « Self as performance, lust as betrayal in the theatre of war », in From Eileen Chang to Ang Lee, op.cit.p. 106-107. Voir encore Chang Hsiao-hung, « Transnational affect: Cold anger, hot tears, and Lust/Caution », Ibid., p. 182-183.

23

Le titre anglais du film de Ang Lee, Lust, Caution, semble prendre parti de façon plus ou moins voulue pour axer la thématique sur le côté sensuel(un peu secondaire dans la nouvelle, même s’il n’en est pas totalement absent).

24

Cf. Xinhua cidian 新华词典 (Dictionnaire de la langue chinoise), Beijing, Shangwu yinshuguan, 2002, p. 502.

25

La version intégrale scannée du manuscrit en anglais est disponible en ligne à l’adresse http://www.zonaeuropa.com/culture/c20081005_1.htm(consulté le 4 août 2017).

26

La transcription en pinyin est qingke 请客 qui signifie « inviter », ou « recevoir », ici pour jouer une partie de mah-jong.

27

Ce serait Stephen Soong qui aurait suggéré à Zhang Ailing d’ajouter ce sous-titre. Cf. Jon Eugene von Kowallis, « Sado-masochism, steady sex, and Shanghai glitter », in From Eileen Chang to Ang Lee, op.cit. p. 53.

28

Cf. Peng Hsiao-yen et Whitney Crothers Dilley, From Eileen Chang to Ang Lee : Lust/Caution, op.cit. p. 1.

29

Cf. From Eileen Chang to Ang Lee, « Two versions of Sejie », op.cit. p. 38.

30

Cf. Hsiu-Chuang Deppman, « Seduction of a Filmic Romance : Eileen Chang and Ang Lee », op.cit. p. 163.

31

Lorsque Shahlu téléphone du café à son camarade, elle ne le fait pas passer pour son petit frère. Aucun nom n’est donné (alors que dans la dernière version elle nomme Yumin, le garçon dont elle est apparemment éprise). L’homme a qui elle téléphone répond « Plomberie - Electricité Yu Hsing ? »ce qui n’est pas présent dans la version de 1978 (manuscrit en anglais p. 6 / traduction française p. 139).

32

Cf. Lust, Caution, op.cit. p. 138 : « [Ses seins] n’étaient pas comme ça, il y a deux ans, lui disait-il à voix basse en les pétrissant et en les embrassant. Le visage enfoui dans sa poitrine, il ne voyait pas combien elle rougissait. »

33

« It was his misfortune that every woman he touches turned, not into gold as with King Midas but into gold-diggers. »

34

« What do you think ? she asked Tai. There must be flow in the diamond, she told herself. It was enormous. He gazed down at her hand with what seemed to be a tender, half-pitying smile, his eyelashes whitened by the light from the counter. « You like it ? » he said. « How much is it? » he asked the clerk as he felt for his pen and checkbook. « This man really loves me , » the thought came to her in a flash. She leaned back weakly on the counter with a light tube burning remotely under her cold arm. »

35

 « It was the happiest day in his life and he often looked back at it in subsequent years. When the Chungking government came back at the end of the war, he was arrested and executed. But he drew comfort in his last hours from his memory of the beautiful girl who had loved him and whom he had killed. »

36

« Zhege gushi cengjing rang wo zhendong, yin’er xinganqingyuan yi bianbian de xiugai duo nian, zai gaixie de guocheng zhong, sihao meiyou yishi dao sanshi nian guoqu le. 这个小故事曾经让我震动,因而心甘情愿一遍遍的修改多年,在改写的过程中,丝毫没有意识到三十年过去了. » Cf. Zhang Ailing 张爱玲, Wangran ji 惘然记, Taibei, Huangguan wenhua 皇冠文化, 2010, p. 1.

37

Cf. Hei Bai 黑白, « Meili yu aichou : Zhang Ailing aiqing ditu 美丽与哀愁:张爱玲爱情地图 » (« Beauté et tristesse : un aperçu de la vie sentimentale de Zhang Ailing »), in revue Minnan feng 闽南风, 2009, n°1, p. 86.

38

Voir « Eileen Chang’s fractures legacy », in Asia Times, n°20, avril 2009.

39

Cf. Hsiu-Chuang Deppman, « Seduction of a Filmic Romance : Eileen Chang and Ang Lee », op.cit. p. 158.Voir aussi Cai Dengshan 蔡登山, Lust, Caution, Eileen 色戒爱玲, op.cit. p. 24-27. Voir enfin Zhang Zijing 张子静, Wode zizi Zhang Ailing 我的姊姊张爱玲 (Zhang Ailing, ma soeur…), Taipei : Shibao, 1996, p. 220-221.

40

Cf. From Eileen Chang to Ang Lee : Lust/Caution, op.cit. p. 1 : « bulun shi fei, bubian zhong jian 不论是非,不辨忠奸 ».

41

Cf. Chang Eileen, Lust Caution, op.cit., p. 127-128.

42

Ibidem p. 132.

43

À la fin de la guerre, il fut contraint de fuir et s’exila au Japon. Après quelques années à Taiwan, il mourut à Tokyo, sans avoir pu retourner en Chine continentale.

44

Elle rédigera même un roman entier sur lui, intitulé La réunion (Xiao tuanyuan 小团圆). Elle y relate leur rencontre, décrit son mari et sa vie, puis son exil à Taiwan et au Japon.

45

Terme inventé en 1919, assez péjoratif. Il s’agit de romans racoleurs, commerciaux, vendeurs, l’équivalent de nos « romans roses ». Les intrigues sont légères, manichéennes. Le genre eut beaucoup de succès jusqu’au début des années 1930. Pour plus d’informations sur ce genre littéraire, voir Yuanyang hudie pai yanjiu ziliao 鸳鸯蝴蝶派研究资料 [Matériaux de recherche sur l’école canards mandarins et papillons], Shanghai : Shanghai wenyi, 1984. Voir aussi Rui Heshi et ali, Yuanyang hudie pai wenxue ziliao [Matériaux sur la littérature de l’école Canards mandarins et Papillons], Fuzhou : Fujian renmin, 1984. Pour plus d’informations sur la vie et l’œuvre de Zhang Ailing, voir Lily Xiao Hong Lee (sous la direction de), Biographical Dictionary of Chinese Women : The twentieth Century 1912-2000, New York / London : Sharpe, 2003, p. 41-46.

46

Cf. Eileen Chang, Lust, Caution, op.cit. p. 163.

47

Relevons ici un parallèle avec L’amant, de Marguerite Duras, dans ce qu’il y a de charnel et d’interdit dans la relation des deux protagonistes, dans ce qu’il y a de tourmenté également chez l’héroïne, qui pense tout au long du récit ne pas aimer son amant et qui se rend compte, trop tard, qu’il n’en est rien.

48

Cf. Lust, Caution, op.cit. p. 171.

49

Ibidem. p. 173.

50

« Ai jiu shi buwen zhi bu zhide 爱就是不问值不值得 ». Cf. Eileen Chang, Tales of Bewilderment, Taipei, Huangguan, 1988, p. 8. Voir aussi Yang Xiaoxiao 杨宵宵, « Zhang Ailing 张爱玲“色,戒” », in Qingnian wenxue jia 青年文学家« Wenxue pinglun 文学评论 », 2015, p. 30.

51

Il semblerait que Hu Lancheng l’ait beaucoup admirée, et sincèrement aimée, à sa façon. Voir à ce propos le chapitre qu’il lui consacre dans ses mémoires, Hu Lancheng 胡兰成, Jinsheng Jinshi 今生今世, « 民国女人 », Beijing : Zhongguo shehui kexue, 2003.

52

Pour plus de détails sur l’histoire d’amour entre Zhang Ailing et Hu Lancheng voir Wang Yixin 王一心, Zhang Ailing yu Hu Lancheng 张爱玲与胡兰成, Harbin : Beifang Wenyi, 2001.

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Table des matières

Origines antiques et formes pré-classiques

La grande hybridation : 1650-1780

La révolution gothique