Résumé
Dans De la connaissance des bons livres, Charles Sorel établit un clivage entre les romans de chevalerie du XVIe siècle, destinés aux « gens de guerre », et les romans pastoraux, plus récents, « remplis d’aventures plus douces et plus agréables », adressés aux « hommes de paix ». Dans le cadre d’une enquête sur les territoires hétérogènes de la fiction (Roman rose/Roman noir), dont il est question dans ce nº de Malice, l’article se propose de suivre cette singulière taxinomie fixée par Sorel, pour évaluer le sens des transgressions insistantes subies par les personnages bucoliques (les faux bergers) dans le roman pastoral. Deux questions seront posées – « pourquoi mourir en Arcadie ? » ; « pourquoi fuir le bonheur amoureux et la beauté suprême, en Arcadie ? » – pour analyser l’instabilité esthétique et éthique d’une topique bucolique où confluent les « hommes de paix » et les « gens de guerre ». Des personnages et des « histoires » de L’Astrée seront relus à la lumière de ce propos, visant à démontrer la spécificité de la « déterritorialisation du topos» dans la pastorale.
Abstract
In De la connaissance des bons livres (On the knowledge of good books), Charles Sorel establishes a division between the novels of chivalry of the 16th century, intended for "people of war", and the more recent pastoral novels, "filled with gentler and more pleasant adventures", addressed to "men of peace". Within the framework of an investigation into the heterogeneous territories of fiction (pink novel/black novel), which is the subject of this issue of Malice, this paper proposes to follow the singular taxonomy established by Sorel, in order to evaluate the meaning of the insistent transgressions suffered by the bucolic characters (the false shepherds) in the pastoral novel. Two questions will be asked - "why die in Arcadia?"; "why flee from amorous happiness and supreme beauty, in Arcadia?" - to analyze the aesthetic and ethical instability of a bucolic topicality where "men of peace" and "people of war" converge. Characters and "stories" of L'Astrée will be reread in the light of this proposal, aiming to demonstrate the specificity of the "deterritorialization of the topos" in the pastoral.
Instabilités préalables
Le titre de cet article reprend deux expressions utilisées par Charles Sorel, dans De la connaissance des bons livres, pour distinguer les romans de chevalerie du XVIe siècle, « destinés aux gens de guerre », et les « histoires de bergers », du début du XVIIe, adressées aux « Hommes de paix » :
Depuis que l’on a composé d’autres sortes de romans remplis d’avantures plus douces & plus agréables, comme les premiers sont pour les gens de guerre [ceux de chevalerie], ceux-cy sont pour les Hommes de paix. Ce sont des Histoires de Bergers qui sans avoir beaucoup de soin de leurs Troupeaux ne pensent qu’à faire l’Amour1.
La formule, énoncée dans cet ouvrage de la deuxième moitié du Grand Siècle, institue, à première vue, un clivage épistémologique qui pourrait nous aider à résoudre le classement du roman pastoral dans le cadre du territoire hétérogène de la fiction où se situent le roman rose et le roman noir. Ce « roman nouveau », « rempli d’aventures plus douces et plus agréables », dont L’Astrée est, en France, le modèle exemplaire, semble naturellement, dans la logique des « bons livres », se substituer aux « vieux romans » de chevalerie, en établissant une poétique nouvelle, plus délectable, qui permet d’analyser, comme le romancier l’annonce dans le titre de la Première Partie, à partir de « plusieurs Histoires, & sous personnes de Bergers, & d’autres », les « divers effects de l’honneste Amitié2 ». Le texte pastoral serait ainsi éthique – parce qu’il énonce des histoires d’amour qui ont une valeur moralisatrice –, en même temps qu’il serait topique, voire construit sur un système cohérent de situations narratives exemplaires (au sens de l’exemplum) et stables (récurrentes), produites au cœur de la représentation codée du monde de la fiction des « arcadies » modernes (réécrites à partir de Sannazar et de Montemayor).
Ainsi, une lecture immédiate de cette affirmation de Sorel nous mènerait à penser que, dans les « Histoires de Bergers », le rose structurerait la narration (les histoires d’amour) et qu’il pourrait y instaurer un dispositif fictionnel (sous personnes de bergers). Et pourtant, l’auteur du Berger Extravagant ne peut pas ne pas être conscient de l’ancrage épistémologique labile de son raisonnement ; il ne peut ignorer que le roman d’Urfé, la « visée totalisante » qu’il constitue, selon Fumaroli3 et Genette (« un roman qui est tous les romans4 »), se situe, soit dans un espace interstitiel de la représentation de la réalité, soit dans un espace éthique de représentation des émotions, suivant la logique de la pastorale ancienne. L’auteur l’admet nettement dans la suite du texte cité, et en démontrant la nouveauté de l’écriture des romans destinés aux « gens de paix », et en suggérant la fragilité d’une fiction-seuil qui n’échappe guère à l’aporie de la vraisemblance, au paradoxe des courtisans déguisés en personnages rustiques et galants, dont les aventures « si éloignées de la raison » peuvent devenir « extravagantes5 ».
De plus, même si, dans La Bibliothèque française, Charles Sorel continue à juger l’action des Bergers (le cadre narratif des Amours) « plus faisable et douce » que celle des romans d’empereurs, de rois, de princes et de chevaliers, il y montre comment, tout en voulant chercher des « romans vraisemblables », des romans qui représentent « quelque chose de la vérité », on est passé « d’une extrémité à l’autre6 ». Ce qui veut dire, à la limite, que l’écriture romanesque des auteurs des premières décennies du XVIIe se situe toujours, malgré le stimulus d’une évolution scripturale voulant se rapprocher de l’Histoire ou de la vérité, dans un territoire forcément ambivalent. Dans cette mesure, l’éloge que, par la suite, Sorel fait de L’Astrée, l’opposant aux « discours ennuyeux et hors de propos7 » des Bergeries de Juliette, suppose implicitement une évaluation consensuelle qui, tout en l’isolant des autres « livres de Bergers » – c’est l’« événement Astrée » d’après Laurence Giavarini8 –, tout en insistant sur la diversité des Histoires « agréables et naturelles » qui décrivent une pluralité d’accidents amoureux, d’aventures modernes « accommodées » au temps de son écriture et de sa lecture9, ne néglige pas l’allusion, à première vue paradoxale, à l’infiltration de la diversité dans la totalité de l’univers arcadique.
D’ailleurs, dans le chapitre « Deffense des fables pastorales » de De la connaissance des bons livres, faisant l’éloge de la fiction qui décrit des histoires d’amours délectables, Sorel déclare que L’Astrée « est un roman qui contient plusieurs autres romans, lequel d’ailleurs est recommandable en ce que l’on n’y voit rien d’autre chose que les effets d’une affection legitime10 ». Néanmoins, il commence le paragraphe par faire allusion aux « Histoires détachées de différentes especes » et à l’introduction de « toutes les manières d’avantures qu’on se pouvoit imaginer11 » dans le roman d’Urfé, soulignant ainsi des valeurs de dispersion (ou de déterritorialisation) esthétique et, à la limite, éthique.
Il ne semble donc pas inutile d’avoir parcouru les interstices subtils du raisonnement poétique de Sorel, lui-même auteur d’un Anti-Roman (Le Berger Extravagant), pour justifier le propos d’interroger les frontières entre le rose et le noir à partir des questions ontologiques que les « Bergeries » – emblèmes supposés du « rose », voire des cas de « l’honneste amitié » entre bergers – se posent elles-mêmes, ou que la critique formule autour de l’instabilité esthétique des enjeux de leur univers fictionnel : la « perfection hésitante » structure, selon Thomas Pavel, l’art de l’éloignement entre l’écrit et le monde, au sein du roman pastoral12. En fait, dans une certaine mesure, cet éloignement entre l’écrit et le monde persiste à survivre au cœur des contrats de fiction émergeant de l’évolution du romanesque dans la littérature d’Ancien Régime, L’Astrée (ou, pour le moins, ses trois premières parties) représentant, dans cet ordre de choses, un projet d’écriture diffus, « pré-moderne13 », qui oscille entre la mise en place d’une topique bucolique (au sens de Curtius) et la construction progressive d’une topique romanesque où confluent naturellement (et/ou artificiellement) les hommes de paix et les gens de guerre.
Deux questions peuvent, alors, être soulevées – et c’est par là que je vais continuer ma réflexion – et deux longues histoires (une histoire « sanglante », celle de Damon et de Madonte, et une histoire « pitoyable », celle de Célidée, Thamire et Calidon), racontées aux bergers du Forez, légitiment la formulation même de ces questions : pourquoi mourir, en Arcadie ? Pourquoi fuir le bonheur amoureux et la beauté suprême, en Arcadie ?
Instabilité éthique : pourquoi mourir, en Arcadie ?
Pourquoi mourir, en Arcadie ? – je reprends, comme je l’ai fait lorsque j’ai analysé le sens ou le contre-sens de l’avènement de la topique de la violence dans la bergerie14, la question que Madeleine Bertaud formule dans le chapitre « De L’Astrée au Polexandre, pourquoi mourir ? », intégré dans l’étude que l’auteur consacre au roman d’Honoré d’Urfé et à celui de Gomberville15. Tout en essayant de justifier l’obsession presque morbide de la mort qui se développe au sein de l’utopie arcadienne, Bertaud rapproche la mystique néoplatonicienne de l’amour des bergers du Lignon de la mystique de la mort qui s’en dégage, d’autant plus que l’appartenance des faux bergers à la noblesse implique, comme elle le souligne, l’acceptation d’une fin violente et du consentement intime à la mort : au bord des « délectables rivières » du paradis de l’enfance urféien, la mort peut correspondre à un rituel d’aliénation de l’amant à l’aimé ou bien à la punition du mal et du vice.
En l’occurrence, la question posée par Madeleine Bertaud relève de l’ambition ascétique de l’amour que le romancier accentue dans les trois premières parties du roman. Il reprend continuellement les théories de Marsile Ficin et de Léon l’Hébreu lorsque ses bergers, dont Sylvandre et Hylas, discutent des effets de l’amour sur les amants :
Ô Hylas, que vous sçavez peu en amour ! Ces effets qu’une extrémité d’amour produit, & que vous nommez importunitez, sont bien tels peut êstre envers ceux, qui comme vous ne sçavent aimer […] mourir en soy pour revivre en autruy, c’est ne se point aimer que d’autant que l’on est agreable à la chose aimée, et bref c’est une volonté de se transformer, s’il se peut entierement en elle16.
Les effets que les extrémités d’amour produisent chez l’amant n’étant pas vraisemblables dans la logique des « importunitez » de l’inconstant Hylas, le dispositif fictionnel de la pastorale reste ainsi perméable aux différentes situations récurrentes de violence (le suicide, la mort, les combats sanglants), même si, dans une lecture première, l’enjeu semble démontrer la survie instable d’une fiction pastorale essentielle.
La « cruelle utopie » ou l’« utopie cruelle » émanant de cette instabilité foncière, comme je l’ai, alors, développé17, s’appuie sur des exemples sanglants ou grotesques, comme celui de Clidamant, amoureux de Sylvie, assénant des coups d’épée sur le marbre de la Fontaine de la Vérité d’amour, n’y voyant pas réfléchi le visage de son amante (Ière Partie, Livre III) ; ou celui du suicide de Céladon, transformant les « délectables rivières du Lignon » en « rives du cruel et diffamé Lignon» (Ière Partie, Livre I) ; ou celui de l’étrange maladie, la folie et l’aliénation, qui atteint Rosileon lorsque sa passion pour Rosanire est interdite (IVème Partie, Livre X) ; ou celui de l’amour pervers de la vieille et monstrueuse magicienne Mandrague pour le jeune Damon, l’empêchant d’aimer Fortune (Ière Partie, Livre XI).
Il y a, comme l’ont soutenu plusieurs critiques, une perversion esthétique dans l’émergence de la violence et du grotesque dans ces fictions utopiques18 qui, néanmoins, annoncent, depuis le début, l’introduction de la tyrannie amoureuse dans un royaume de paix et qui légitiment, dans la logique flexible d’une ontologie soumise à une confrontation intermittente (et mélancolique) avec la réalité et l’Histoire, la présence du personnage Hylas, considéré comme l’« inconscient » ou la « mauvaise conscience » des bergers eux-mêmes (d’après Jean Lafond19). En tout cas, même si L’Astrée, indépendamment de ces contingences topiques, est globalement un texte instable, en quête permanente d’une synthèse20, même s’il présente une épistémologie essentiellement hétérogène21, la question de Madeleine Bertaud – pourquoi mourir ? – continue de se poser ; peut-être ne faudra-t-il jamais cesser de la formuler, au sein du territoire dissonant (pré-moderne) de la fiction pastorale.
L’histoire de Damon et de Madonte, matérialise, à mon avis, dans une certaine mesure, cette question (la question, elle-aussi, liminale du rose et du noir dans le roman d’Ancien Régime), soulignant la part d’ombre du roman pastoral, la dissension épistémique qui y est postulée par les valeurs esthétiques et éthiques de la violence. Située dans le livre VI de la IIe partie de L’Astrée et se poursuivant aux livres VI et XII de la troisième partie du roman, l’histoire reprend le sixième chant du Roland furieux de l’Arioste22, introduisant une dame « étrangère » – Madonte – qui raconte à Diane et aux bergers du Forez son histoire – une Histoire de Dames et de Chevaliers – dont l’origine chevaleresque ne cesse de s’ajuster aux histoires d’amours entre bergers, par la narratrice, elle-même, déguisée en Bergère :
Sage Diane, respondit-elle [Madonte], l’histoire en seroit & trop longue & trop ennuyeuse, mais contentez vous je vous supplie que ce mesme Amour qui n’est point incogneu parmi vos hameaux, ne l’est non plus parmy les Dames, & les Chevaliers, & que c’est luy qui m’as revestuë comme vous me pouvez voir, encore que ma naissance me releve beaucoup par-dessus cet estat23.
L’histoire, racontée « de nuit », se situe « parmi les gens de guerre24 », et suit inévitablement un schéma topique qui structure le récit sentimental : elle débute par la description de la mort, au combat, du père de Madonte, sous les « rigueurs de la fortune25 », puis décrit la passion naissante de la narratrice et de Damon, suivant les règles de « l’honneur et de la discretion26 », à laquelle s’opposent Leontidas, responsable de l’éducation de Madonte, Thersandre, qui aime Madonte, et Leriane, qui l’aime aussi. Suite à une série de ruses, de jalousies extrêmes, de quiproquos amoureux (un véritable thesaurus topique !), cette histoire d’amour « honnête » et courtois se heurte à différents moments de crise ou de pulsions mortelles, communs néanmoins aux romans de chevalerie et aux Bergeries : l’obsession de la mort qui envahit Damon, « si hors de luy mesme », et l’obsession de faire mourir Thersandre27; le duel entre les deux qui laisse Thersandre « esvanouy sur la place avec trois grands coups dans le corps28 » ; le suicide de Damon désespéré dans les eaux de la rivière, raconté par Halladin, son écuyer, à Madonte qui « faillit perdre l’entendement29 » en regardant un mouchoir plein de sang ; la ruse du faux accouchement de Madonte qui lui a valu la prison, le déshonneur et la mort de « déplaisir » de sa mère ; le combat sanglant de Thersandre contre Leotaris et son frère pour sauver Madonte d’une mort cruelle et injuste, auquel s’ajoute un chevalier inconnu qui tue violemment les deux frères30, sauvant et Thersandre et Madonte. L’identité du chevalier n’étant pas révélée (suivant le schéma topique des fausses identités créées au long des histoires racontées et seulement révélées à la fin), le récit semble dépasser la représentation de la mutilation sanglante des corps par l’éthique vertueuse du chevalier étranger et la marque qui était en son écu, « un tigre qui se repaissoit d’un cœur humain : avec ces mots, TU ME DONNES LA MORT, ET JE SOUSTIENS TA VIE. »31. D’ailleurs, la suite de l’histoire, située dans le livre VI de la troisième partie du roman, reprend cette dualité sémantique qui fait coïncider l’éthique de la vie et celle de la mort, Damon-narrateur racontant son histoire (et comblant les vides narratifs antérieurs), dévoilant les secrets de sa fausse mort dans la rivière, son identité de chevalier étranger, son désir d’aller dans le Forez pour essayer de trouver Madonte (déguisée en fausse bergère).
La question posée par Madeleine Bertaud – pourquoi mourir, en Arcadie ? – n’est donc pas encore épuisée, malgré le mouvement vers une synthèse éthique que la marque de l’écu de Damon peut vouloir représenter : dans le livre XII de cette Troisième partie de L’Astrée, Damon rencontre finalement Madonte et Thersandre (le topos de la rencontre faisant fréquemment partie de la structure en happy-end de la narration pastorale32) ; suite à cette rencontre, à la reconnaissance et à l’évanouissement des amants, la mort généreuse de Thersandre (« il devint pasle, et peu apres s’allongissant et tremblant, il se mit à baailler, et rendit l’esprit avec un visage qui monstroit bien qu’il laissoit cette vie avec contentement. »33) ressemble à une fausse mort, à un évanouissement, car elle est aussi artificielle qu’elle est nécessaire à la fable pastorale :
La Nymphe cependant et Adamas qui s’estoient advancez vers le chevalier, et toutes les autres nymphes, de mesme demeuroient estonnées, contemplans ces trois personnes qui sembloient estre aussi peu vivantes les unes que les autres34.
Instabilités esthétiques : pourquoi fuir le bonheur amoureux et la beauté suprême, en Arcadie ?
La mort en Arcadie (son côté sombre, mélancolique) peut, de ce fait, se présenter en tant que question, renvoyant aux apories et dissensions de la fiction pastorale, à la coexistence générique, dans une narration éclatée, des codes de chevalerie (les gens de guerre) et de la « Bergerie » (les gens de paix). Le problème se pose aussi, d’ailleurs, lorsqu’on essaie de faire une exégèse plurielle du roman d’Urfé à partir de sa lecture cinématographique : Tony Gheeraert, auteur de Saturne aux deux visages, étude qui place L’Astrée sous le signe iconographique du Saturnus melancholicus35, n’estompe pas la labilité des frontières entre l’univers de la bergerie et celui de la chevalerie, en faisant allusion au dernier film d’Éric Rohmer, Les Amours d’Astrée et de Céladon :
L’Astrée n’est pas uniformément ce roman mièvre et pastoral que Rohmer met en scène : c’est aussi le dernier roman de chevalerie, où l’on guerroie d’abondance, et où l’on s’étripe joyeusement ; le romancier ne se fait pas faute de décrire longuement duels et combats, jusqu’à nous montrer crûment la mort d’un berger sans défense massacré par un « soldurier » sans foi ni loi36.
L’instabilité du roman (plutôt que celle du film) réfléchit, de ce fait, le mode d’intervention du texte dans le monde – la « distance pastorale37 », l’intervention de la violence corporelle des guerres de religion, le pathos corporel (le romanesque « noir », pour ainsi dire) dans la Bergerie.
La première question – « Pourquoi mourir en Acardie ?» – peut, ainsi, se re-formuler dans une autre, « Pourquoi fuir le bonheur amoureux et la beauté suprême, en Arcadie ? », s’il est juste de considérer que le dispositif fictionnel de la pastorale accueille, au cœur même d’une structuration topique conçue, de prime abord, en tant que fuite vers la « douce vie » et l’« honnête repos », l’inscription perceptible des différents états émotionnels, des dilemmes moraux, des maladies de l’âme, accentuant la manifestation ontologique de la variatio, qui déterritorialise le topos, qui dé-centralise ce qui semble être immuable. En fait, si la condition pour que les personnages du Forez atteignent le bonheur et la beauté physique et émotionnelle est déterminée par l’accès à la fiction – comme le souligne d’Urfé, dans l’« Épître à la Bergère Astrée38 », ou Léonide et Galathée, à l’intérieur du récit39 – il semble, à première vue, que la représentation de la tristesse, de la souffrance, du malheur psychologique ou physique forcent à une déviation de l’essence de l’ethos bucolique ; ou qu’ils s’écartent (fuient) du parcours, à la fois esthétique et éthique, vers l’utopie, instituant une stratégie mélancolique qui reste aussi bien idéologique (le « mal d’amour », le corps souffrant) que formelle (le récit instable, hésitant ou éclaté).
Cette stratégie mélancolique situe alors les personnages au seuil d’une représentation de la fiction, dans un monde contrefactuel40 où l’Histoire de Célidée, Thamire et Calidon41, racontée dans le premier livre de la deuxième partie de L’Astrée, semble naturellement s’intégrer, de par son caractère de « dissension », auquel Thamire, le narrateur, fait immédiatement allusion, se proposant, malgré sa subjectivité, de ne rien déguiser de la vérité :
Puis qu’il a pleu au grand Tautates, de m’eslire pour vous raconter les dissentions qui sont entre nous, je proteste qu’encores que ce soit la coustume des personnes interessées de ne dire que ce qui est à leur advantage, je ne celeray ny ne desguiseray rien de la vérité, à condition qu’il me sera permis par apres d’alleguer à part mês raisons, quando chacun aura déduit les siennes42.
Honoré d’Urfé a puisé le sujet de cette histoire pitoyable et « merveilleuse/extraordinaire » dans la Vie de Démétrius de Plutarque pour opposer le bonheur amoureux au dilemme tragique et à la maladie physique, la beauté extrême à la défiguration volontaire et cruelle du visage, contribuant à une expansion romanesque et émotionnelle de la passion maladive et secrète d’Antiochus, personnage de Plutarque, pour sa belle-mère43.
En fait, le romancier développe, surtout dans les trois premières parties du texte, des lieux du discours intimiste, en associant les extrémités de l’amour à différentes instances de la souffrance, pour démontrer que l’idéal néoplatonicien peut fusionner, sous la logique de l’hyperbole (ou de l’excès), le bonheur et le malheur, la beauté et sa mutilation. Dans les Épîtres Morales et Amoureuses, d’ailleurs, l’auteur affirme que « les mœurs de l’âme suivent le tempérament du corps44 », annonçant, déjà, en quelque sorte, cette histoire insolite qui naît de la « vaine affection » de Thamyre pour la belle Célidée, une bergère de onze ans, dont il s’occupe de l’éducation sentimentale, alors qu’il reçoit chez lui Calidon, qu’il considère comme un fils et à qui il conseille de voir la jeune bergère comme une sœur. La passion de Calidon pour Célidée (qui, malgré sa jeunesse extrême, aime Thamire) est cachée par l’honnête berger, de telle sorte qu’il tombe malade : « les yeux enfoncez, & le teint jaune, il devint si maigre & si changé, qu’il n’estoit pas recognoissable45. » Aux symptômes physiques de la mélancolie amoureuse (la laideur du corps, le corps souffrant) s’allie la tristesse profonde du berger, la « maladie de l’esprit » découverte par un « vieux Mire », ce qui plonge Thamire dans un dilemme tragique et le conduit à se résoudre à céder à sa « miserable fortune », en se privant « de Célidée, pour la donner à Calidon46 ». Les circonstances de cette action pitoyable et généreuse déclenchent des gestes de violence de Célidée, qui aimait Thamire et haïssait Calidon, son discours transgressant cruellement l’ordre symbolique (et topique) du bonheur et de la beauté en Arcadie :
En me voulant donner à Calydon, tu t’es privé à jamais de la plus vraye & plus entiere affection que jamais Berger ait acquise, & de laquelle il ne faut plus que tu ayes esperance, sinon lors que le feu universel en bruslant l’univers r’allumera cest Amour en moy : Et si je ne te dis vray, qu’il n’y ait pointd’hommes pour moi en terre, mais des monstres cruels qui me devorent : Ny point de Dieux au ciel pour prendre pitié de mes peines, mais seulement des supplices & des enfers47.
En effet, les monstres, les supplices et les enfers évoqués par Célidée remplacent l’univers des tendres amants et de la tendre Amitié, comme si les propos éthiques et ascétiques (dans le cas d’Urfé) des « Bergeries » se heurtaient continuellement à des contraintes extérieures aux personnages, instituant une déviation formelle vers le tragique ou le grotesque (les étranges effets d’amour).
C’est donc au niveau d’un autre système de représentation de la fiction – celui des « merveilles » –, qui semble, à première vue, dépasser celui de la vraisemblance pastorale, que la suite de l’histoire de Célidée, Thamyre et Calidon se situe au livre IX, après que le jugement de la Nymphe Léonide, au livre II, a déterminé l’union vertueuse de Tamyre et Célidée. Licidas, frère de Célidée, raconte à Léonide la « pitoyable histoire » de sa sœur, vue comme « un accident si estrange que chacun le racontait pour une grande merveille48 ». Le cadre des « merveilles » reprend, de prime abord, dans la logique du territoire hétérogène de la fiction pastorale du début du siècle, la topique de la fausse mort (de Calidon), par excès de souffrance, le « pitieux spectacle » de la chute et de l’évanouissement de Thamyre, « le sang incontinent lui en retombant par le visage49 », le faux homicide ou parricide perçu erronément par Calidon. La représentation de la violence devient, ainsi, double représentation dans la fiction (par la feintise ou l’illusion obsessionnelle des circonstances, par le regard faussé des personnages), accentuant, de plus en plus, le mode pervers de la pastorale par rapport à un idéal de bonheur et de beauté.
C’est pourquoi le geste de Célidée se défigurant volontairement le visage avec un diamant, devant un miroir où elle regarde la beauté et la grâce extrêmes qui ont déterminé les disputes sanglantes entre Thamire et Calidon, cette « estrange et genereuse action » correspond, dans le cadre des « merveilles » de la fiction, à l’anéantissement radical de l’être par l’effet de la mélancolie passionnelle. En même temps, cette étrange et généreuse action peut aussi correspondre à une sorte de mort physique et symbolique du bonheur et de la beauté esthétiques par un excès de générosité :
Quoy donc ? Que l’amour suit la beauté, & que rien n’est plus agreable que d’estre aimée & caressée ? Mais combien plus desagreables sont les importunitez de ceux que nous n’aimons point, & les soupçons de ceux à qui nostre devoir nous oblige d’estre, & de nous reserver entierement ? […] A ces mots, ô Dieu, Madame, quelle estrange & genereuse action vous vay-je raconter : A ces mots dis-je Celidée met la pointe du Diamant à son front, & d’une main genereuse se l’enfonça dans la peau, & quoy que la douleur fut extreme, si se le couppe-t’elle d’un costé à l’autre, & grinssant les dents du mal que la blessure luy faisoit, elle en fait de mesme à ses joües : & se faict de chasque costé trois ou quatre profondes cicatrices, si longues & si enfoncées, que veritablement il ne luy restoit plus rien de la beauté qu’elle souloit avoir50.
En ce sens (pour essayer de conclure), la deuxième question formulée – « Pourquoi fuir le bonheur amoureux et la beauté suprême, en Arcadie » ? – peut relever d’une conscience embryonnaire (pré-moderne) de la nostalgie des espaces arcadiques – et de l’espace fragile du roman-idylle, dans la première moitié du XVIIe –, de l’ambiguïté foncière du paradis pastoral que, selon Tony Gheeraert, il convient de mettre en relation avec le double visage de Saturne, souverain de l’âge d’or et maître de la mélancolie51 (2006, p. 40). Il est donc assez peu pertinent, me semble-t-il, du point de vue de l’efficacité ontologique de cette question, ou même des deux questions, que, comme prévu par l’éthique pastorale, Calidon s’éloigne de Célidée, car il n’« adore que sa beauté », et que Thamire l’aime et que « jamais son amitié ne se perdra52 ». En revanche, il est assez pertinent qu’Honoré d’Urfé, dans un roman « qui contient plusieurs autres romans53 » ou qui « est tous les romans54 », puisse insister sur l’effet de représentation des émotions, de la théâtralité des émotions – dès l’« Épître à la Bergère Astrée ». Le dispositif fictionnel des « Bergeries » n’est donc compréhensible qu’en inscrivant les émotions au seuil de la pastorale : avant de devenir un roman, L’Astrée (ainsi que d’autres « livres de bergers » de la littérature européenne du début du XVIIe siècle) est une écriture-seuil, expérimentale, diffuse, où il n’est pas encore possible de déceler le clivage théorique récent entre le rose et le noir. Au lieu d’une hésitation générique ou d’une séparation irréversible entre les « gens de guerre » et les « hommes de paix », le roman pastoral s’érige comme le symptôme d’une pré-modernité où confluent l’expression des émotions mélangées (l’hybridation dans le réel intersubjectif des auteurs) et la somme d’une topique, c’est-à-dire d’un ensemble d’émotions esthétiques, à partir de laquelle se dispose et se représente le romanesque. Le noyau de cette hybridation, entre le rose et le noir, pourra, par hypothèse, être entrevu dans la scène, conçue par Rohmer55, et par la voix-off reproduisant le texte d’Urfé, qui décrit le mouvement puéril du regard que le beau Céladon jette sur une toile représentant Saturne, dieu du Temps et patron des Mélancoliques, lorsque le berger se réveille, assez confus, chez Galathée, après avoir été sauvé des eaux du Lignon par les nymphes. L’ekphrasis, le clair-obscur, en serait l’enjeu, avant (et après) que Sorel ne décide d’établir la frontière ontologique, mais toujours instable, entre les romans de chevalerie et les livres de bergers.
Notes
Charles Sorel, De la connoissance des bons livres ou examen de plusieurs autheurs, Genève-Paris, Slatkine, 1981, p. 101.
Honoré d’Urfé, L’Astrée. Première Partie (édition critique établie sous la direction de Delphine Denis), Honoré Champion, 2011, p. 103 (toutes les citations de la Première partie de L’Astrée renverront à cette édition).
Marc Fumaroli, « Le retour d’Astrée », Précis de Littérature Française du XVIIe siècle, PUF, 1990, p. 57.
« Tout cela est encore meslé d’enchantements & de Fables Poëtiques, & ce qu’on y trouve en general de peu vray-semblable c’est que ces personnages rustiques font leurs recherches avec les mesmes artifices que les Courtisans les plus polis; Ils escrivent des Lettres fort eloquentes & fort tendres; Ils composent de vers merveilleux & les chantent si bien qu’ils ravissent ceux qui les coutent, mais avec cela il leur arrive des avantures si éloignées de raison, qu’on doit avoir quelque obligation au Livre de l’Anti-Roman qui contien l’histoire d’un Berger extravagant, lequel ne l’a de l’extravagance que pour se moquer de celle des autres Bergers & de tous les personnages de nos Romans. » (Sorel, op. cit., 1981, p. 101-102).
« Plusieurs cherchent des Romans vraysemblables qui soient faits pour des images de l’Histoire. Lorsqu’on a esté las des premiers Romans, on a essayé d’en faire d’autres plus agreables, & qui tinssent quelque chose de la vérité. Cela nous a fait passer d’vne extremité à l’autre ; Ne cherchant plus de Romans d’Empereurs, de Rois, de Princes & de Cheualiers, à qui on attribuoit des auãtures fort incroyables, on est venu aux Amours des Bergers, dont les actions ont esté jugées plus faisables & plus douces. » (Charles Sorel, La Bibliothèque françoise, Genève, Slatkine Reprints, 1970, p. 166).
- La structure « chronologique » de La Distance Pastorale comprend un lieu de « Passage » intitulé « l’événement Astrée » qui encadre la Première partie de l’ouvrage – « De la politique considérée comme une affaire de la Bergerie ? » - et sa Deuxième Partie - « Le moment libertin (c. 1607-1634). Pastorale et politique des auteurs ». Dans ce « Passage », le roman d’Urfé est vu comme un « monument » (esthétique et éthique), qui sert, selon l’auteur, à « ériger la tradition poétique, historique, de la Renaissance en patrimoine de la France » (Laurence Giavarini, La Distance Pastorale, Vrin/EHESS, 2010, p. 17).
« Il s’y trouue quantité d’Histoires détachées qui se racontent, lesquelles nous fournissent des exemples de toutes les sortes d’accidens qui peuuent arriuer entre les Personnes qui aiment, & cela est parfaitement accomodé au Temps que cela est introduit, quoy qu’on tienne que de plus, ce sont toutes auentures modernes qui ont esté déguisées de cette façon. » (Sorel, Charles, op. cit., 1970, p. 176)
J’ai soutenu à plusieurs reprises, dans des colloques de la SATOR, cette idée de l’écriture diffuse, aporétique, pré-moderne qui domine le roman pastoral, en la développant dans différents contextes critiques : Marta Teixeira Anacleto, « La violence dans la “bergerie” : sens et/ou contre-sens d’un “scénario” étrange » in Martine Debaisieux, et Gabrielle Verdier, dir., Violence et fiction jusqu’à la Révolution, Tübingen, Gunter Narr Verlag Tübingen, 1988, p. 175-184 ; « La (dé)formation du visage dans le roman pastoral : entre l’inventio figurative et la dispositio romanesque » in Monique Moser-Verrey, Lucie Desjardins et Chantal Turbide, dir., Le Corps romanesque : images et usages topiques sous l'Ancien Régime, Québec, Presses Universitaires de Laval, 2009, p. 589-602 ; « Personnages bucoliques en quête d’identité : nature et individu dans le roman pastoral », in Isabelle Trivisani-Moreau et Philippe Postel, dir., Natura in fabula. Topiques romanesques de l’environnement, Amsterdam-New York, NY, Brill-Rodopi, 2019, p. 68-82.
L’auteur pose la question lorsqu’elle établit la transition du roman pastoral au roman héroïque. Voir Madeleine Bertaud, L’Astrée et Polexandre. Du roman pastoral au roman héroïque, Droz, 1986, p. 101-116.
Voir, entre autres, des études assez datées : J. T. Cull, « Further observations of violence in the spanish pastoral novel », El tema de la violencia en las literaturas hispánicas. Proceedings of the Tehth Annual Conference on Hispanic Literatures at Indiana University of Pennsylvania, Indiana, University Press of Pennsylvania, 1984, p. 58-68 (http://www.cervantesvirtual.com/obra/further-observations-on-violence-in-thespanish-pastoral-novel--0/) ; Bruno Damiani e Barbara Mujica, Et in Arcadia ego. Essays on death in the pastoral novel, Lanham-New York-London, University Press of America, 1990 ; Paul Koch, « Encore du nouveau sur L’Astrée », Revue d’Histoire Littéraire de la France, nº3, 1972, p. 385-399 ; Wine, Kathleen, « L’Astrée’s landscapes and the poetics of Baroque fiction », Symposium, 1986, p. 141-153.
Voir Louise Horowitz, « Hybridation dans L’Astrée », in Delphine Denis, dir., Lire L’Astrée, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2008, p. 89-97.
Voir Herbert De Ley, « Two modes of thought in L’Astrée », Yale French Studies, nº49, 1973, p. 143-153.
« Je continuë donc, sage & discrete Bergere, & ne daigne pas seulement me tourner du costé de ce Chevalier [Damon], qui sortit de la sale si hors de luy mesme qu’il fut plusieurs fois prest à se mettre son espée dans le corps, & je croy que sans le dessein qu’il avoit de faire mourir Thersandre, il eust executé contre luy mesme cette estrange resolution. » (Ibid., p. 306)
« Et ce qui le fit cognoistre à tous ceux qui les regardoient, ce fut un coup qu’il donna au frere de Leotaris d’une telle force qu’il luy separa la teste de dessus les espaules. Leotaris voulut venger son frere : mais l’estranger n’ayant plus à faire qu’à luy, le mena de sorte, & le blessa en tant d’endroicts que, de foiblesse pour le deffaut du sang, il se laissa choir du cheval en terre, & d’une si lourde cheutte, que frappant de la teste la premiere, il se tordit le col de la pesanteur du corps et des armes. » (Ibid., p. 334).
Dans le cadre de la recherche de la SATOR, j’ai fait publier un article sur la topique de la rencontre dans le roman pastoral qui se situe aussi dans la lignée de la présente réflexion (Marta Teixeira Anacleto, « La mémoire apprivoisée : de la complicité des lieux bucoliques de la rencontre au Portugal et en France au XVIIe siècle », in Jean-Pierre Dubost, dir., Littératures – Topographie de la rencontre dans le roman européen, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2008, p. 95-107.
Tony Gheeraert, Saturne aux deux visages. Introduction à L’Astrée d’Honoré d’Urfé, Monts, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2006.
Tony Gheeraert, « Les Amours d’Astrée et de Céladon. Film d’Eric Rohmer (2007) », Études Épistémè, 12, 2007, Varia, compte rendu. URL: http://revue.etudes-episteme.org/spip.php?article130.
À travers le concept de « Distance pastorale », L. Giavarini décrit, le long de son ouvrage, un parcours singulier qui croise le littéraire, le philosophique, le social/historique, dans le cadre de la politique de la représentation pastorale, des guerres de Religion à la mort du duc de Montmorency en 1632 (Laurence Giavarini, op. cit.).
« Que si l’on te reproche que tu ne parles pas le langage des villageois, & que toy ny ta trouppe ne sentez gueres les brebis ny les chevres: reponds leur, ma Bergere, que pour peu qu’ils ayent connoissance de toy, ils sçauront que tu n’es pas, ny celles aussi qui te suivent, de ces Bergeres necessiteuses, qui pour gaigner leur vie conduisent les trouppeaux aux pasturages: mais que vous n’avez toutes pris cette condition, que pour vivre plus doucement et sans contrainte. » (Honoré d’Urfé, L’Astrée. Première Partie, 2011, p. 112).
« Il faut aussi que vous sçachiez que les Bergers sont hommes aussi bien que les Druides, & les Chevaliers: & que leur noblesse est aussi grande que celle des autres, estans tous venus d’ancienneté de mesme tige […]. Il faut que vous sçachiez qu’ils ne sont pas Bergers, pour n’avoir dequoy vivre autrement : mais pour s’acheter par ceste douce vie, un honneste repos. » (Ibid., p. 163-164).
Voir à ce sujet Alexandre Gefen, «Visibilité, lisibilité, unité : L’Astrée face à la théorie littéraire moderne », in Delphine Denis, dir., Lire L’Astrée, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2008, p. 335-346.
On reprend ici quelques idées développées dans une réflexion faite à propos de cette histoire, dans un article déjà cité (Marta Teixeira Anacleto, op. cit., 2009).
« Soudain qu’il [Tamire] vit Calidon, ayant opinion qu’il fut mort, il se laisse choir dessus si mal à propos, que donnant du front contre une pierre quarrée, sur laquelle on avoit appuyé la teste de Calidon, & rencontrant par mal-heur le trenchant, il se fendit si avant que le sang incontinent lui en retomba par le visage, & en demeura esvanouï. » (Ibid., p. 545).
Mon hypothèse est inspirée de la lecture récente d’un article de Lise Forment consacré à la mélancolie et à l’enjouement dans L’Astrée et le film d’Éric Rohmer (Lise Forment (Paris), « L’Astrée d’Honoré d’Urfé à Éric Rohmer : entre mélancolie et enjouement. », Fabula / Les colloques, Les genres littéraires, les genres cinématographiques et leurs émotions, URL : http://www.fabula.org/colloques/document4106.php, page consultée le 12 décembre 2017).
Table des matières
Origines antiques et formes pré-classiques
Desultoriae scientiae stilo : Du topos comme échangeur entre le rose et le noir, d’Apulée à Sade
Mélusine : la violence des sentiments
Amour, sexe et crime dans Alector (1560) de Barthélemy Aneau
Territoires instables de la fiction pastorale : entre les « hommes de paix » et les « gens de guerre »
La grande hybridation : 1650-1780
De l’affaire Gaufridy à l’affaire La Cadière, de François de Rosset à Boyer d’Argens : des noirceurs du diable au roman rose
Une tentative de déterritorialisation : l’histoire de la marquise de Ganges dans les Lettres historiques et galantes de Mme Du Noyer
Les contes de fées ne sont pas toujours roses : avertissements et désillusions dans les contes merveilleux de la fin du XVIIe siècle
Les infortunes chinoises de la vertu. Jin Yun Qiao zhuan, un roman rose très noir du XVIIe siècle encore inédit en français
Jin Ping Mei, le plus grand malentendu de l’histoire de la littérature chinoise
Les histoires noires du Siècle d’Or espagnol retouchées en rose pour l’Europe des Lumières
Le mariage des topoï lyriques et tragiques dans Les Lettres de Sophie de Vallière de Mme Riccoboni
La révolution gothique
« Rubans roses » et « idées noires » dans La Nuit anglaise de Bellin de La Liborlière
Le roman à complot, produit des Lumières
Implications idéologiques de l’hybridation romanesque dans l’Histoire de quatre Espagnols (1802-1803) de Galart de Montjoie
Rétif de la Bretonne au XXXIe colloque de la SATOR
La vertu chez Sade et chez Rétif à l’épreuve de la traduction japonaise
Le roman rose face aux passions noires : Delphine de Germaine de Staël
Noirceurs esquivées. Mimésis et générosité dans La Femme jalouse
Du rose au noir chez Jean-Claude Gorjy : un laboratoire romanesque de la terreur, hybridation ou métamorphose ?
Lust, Caution (色,戒) : l’histoire derrière l’histoire