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Le topos et la topique

Qu’est-ce qu’un topos ? La question nous obsède. Au moment où, tout jeune encore, je préparais avec Paul Pelckmans le 8e colloque de la SATOR sur la scène de lecture, je posais par écrit la question à Henri Coulet, le fondateur de la SATOR. La réponse qu’il m’envoya était quelque peu perplexifiante : « Surtout, écrivait-il, ne prétendons pas savoir ce qu’est un topos. » Le topos est une de ces notions qu’Henri Coulet appelait « délicieusement vagues », qui ne sont pas figures de connaissance parce qu’elles sont tout d’abord effet de reconnaissance. Une reconnaissance qui revêt un effet de lecture. Au début du 31e colloque de la SATOR, je me fais un plaisir de rendre hommage à Henri Coulet et à sa conception du topos.

Et le thesaurus de la topique romanesque ? En 1948, face aux barbarismes qu’il avait vus dévaster le monde occidental durant la deuxième guerre mondiale, le philosophe de la culture Ernst Robert Curtius voyait dans la Toposforschung un moyen de reconnaître l’identité culturelle d’un monde menacé dans son existence1. Il ne me paraît pas inutile de rappeler au début de ce colloque, qu’il y avait urgence, pour Curtius.

Il y a des textes – des romans en particulier – qui constituent à eux seuls une topique, des romans-thesaurus en quelque sorte. J’aimerais inscrire au centre de mon propos un roman qui, mieux qu’aucun autre sans doute, marque la fin d’une époque et qui, jetant un regard rétrospectif, intègre littéralement à son intrigue un nombre très impressionnant de thèmes récurrents de la littérature occidentale, comme s’il voulait en faire l’inventaire. C’est un roman qui ressemble auDécameron de Boccace par le nombre vertigineux de types de narration qu’il intègre. Ce roman ressemble aussi aux Mille et une nuits, par l’imbrication d’histoires jusqu’au cinquième niveau narratif. Il ressemble au Don Quichotte car c’est un roman d’errance dans une contrée d’Espagne, la Sierra Morena2. J’ajouterai que ce roman met au centre de son argumentation la confrontation des conceptions religieuses chrétienne, islamique et juive, dans une indéniable nostalgie de leur cohabitation en Espagne avant les événements dramatiques de 1492 où Juifs et Musulmans sont ou bien expulsés d’Espagne ou bien obligés de se convertir au catholicisme. Et cette date marque elle aussi la fin d’une époque. De cette étrange intertextualité qui caractérise le Manuscrit trouvé à Saragosse dont je parlerai ici, j’aimerais évoquer quelques aspects qui, je crois, n’ont pas encore été vraiment remarqués.

Jean Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse (1794, 1804, 1810)

Nous sommes à Saragosse, assiégée par l’armée napoléonienne, en 1809. La ville vient de se rendre. C’est alors qu’un officier français découvre, dans une maison abandonnée, un manuscrit. Ce Manuscrit trouvé à Saragosse est écrit en espagnol mais sera traduit en français. C’est une sorte de journal d’un nommé Alphonse van Worden, qui raconte ses aventures dans la Sierra Morena, où il a été retenu pendant presque deux mois par des gens qui n’arrêtent pas de raconter des histoires de tous genres, le plus souvent imbriquées les unes dans les autres. Le journal manuscrit est découpé en périodes de dix jours, appelées Décamérons. Le jour, le plus souvent, Alphonse et ses guides errent dans la Sierra Morena ; le soir un brigand, Zoto, bientôt relayé par le bohémien Avadoro, se mettent à raconter des histoires. Et cela pendant 60 jours. Six Décamérons, donc. La transcription de ces récits et les péripéties de cette errance dans la Sierra sont doublées de la lente découverte par Alphonse d’un complot. Alphonse a l’intuition que pour une raison ou une autre, on essaie de le retenir dans la Sierra Morena et d’éviter qu’il gagne Madrid. C’est sans doute pour cette raison qu’on lui raconte tant d’histoires. Alphonse sent et voit autour de lui les fils d’une gigantesque toile d’araignée, sans voir l’araignée, mais elle peut surgir à tout moment. C’est de cette toile d’araignée, métaphore du complot bien sûr, qu’il s’agira ici.

Mais d’abord, deux remarques. L’auteur de cette fiction est Jean Potocki, un comte polonais qui écrivait un excellent français. Le Manuscrit trouvé à Saragosse est d’abord un manuscrit bien réel, que l’auteur garde avec lui durant ses nombreux voyages et qu’il ne cesse pas de remanier. Il en existe trois versions : 1794, 1804 et 1810. Le Manuscrit trouvé à Saragosse est aussi un manuscrit fictif. Le titre est en place presque dès le début de l’écriture, mais ce n’est qu’en 1810, juste avant son suicide, que Potocki décide d’imaginer enfin les circonstances du manuscrit « fictivement trouvé » à Saragosse. Il profite du siège bien réel de Saragosse par l’armée française en 1809 pour situer son texte à la fin de l’époque des Lumières, à laquelle Napoléon met une fin définitive.

Je ne saurais m’empêcher – c’est ma deuxième remarque – de rapprocher les conditions d’apparition de l’énorme roman de Potocki d’un roman de la Seconde Sophistique, écrit au 2e siècle, L’Âne d’or d’Apulée (ca. 125 – ca. 180 après J.C.), connu aussi par le titre plus ovidien des Métamorphoses. Apulée est un Africain, qui écrit en latin une histoire qui se déroule en Grèce. Potocki est un Polonais écrivant en français une histoire se déroulant en Espagne. Le personnage deLucius traverse, comme Alphonse, une région connue pour ses sorcières et pour le brigandage : ici, la Thessalie ; là, la Sierra Morena. Lucius est métamorphosé en âne, on s’en souvient. Or, le complot dont Alphonse suppose être l’objet, consiste aussi à le métamorphoser. Il s’agit plus particulièrement de lui faire abandonner sa foi et de le rendre musulman. La traversée de ces régions étranges s’intègre dans un rite initiatique : chez Apulée, l’inversion de la métamorphose de Lucius s’effectue dans le cadre du culte d’une déesse égyptienne, Isis ; chez Potocki, Alphonse est initié au secret d’une secte islamique, incarnée par la mystérieuse famille des Gomelez. Le roman d’Apulée contient plusieurs histoires insérées, dont celle d’Amour et Psyché est la plus célèbre ; le roman de Potocki en contient tant qu’il devient, comme je l’ai dit, un thesaurus de la topique romanesque.

L’Âne d’or et le Manuscrit trouvé à Saragosse sont des romans charnières. Apulée écrit au début du 2e siècle, au moment où la culture romaine se mondialise à travers l’absorption de l’héritage hellénistique que l’empereur Hadrien propage lui-même dans tout l’empire. Le roman de Potocki témoigne lui aussi d’une extraordinaire fascination pour un monde qui s’ouvre : ouverture à d’autres religions, à d’autres littératures, à d’autres cultures et cela à un moment où Napoléon impose par les armes à l’Europe entière les valeurs qui ne sont déjà plus celles de la France révolutionnaire.

Dans le roman de Potocki, le monde occidental se heurte à ses propres valeurs. Dans les ruines de Saragosse, emblème de la disparition du monde ancien, on découvre un livre colossal qui survivra grâce à la fascination qu’ont pour lui les deux partis combattants. En effet, l’officier français sera fait prisonnier et écrira la traduction du livre dictée par son adversaire, l’officier espagnol. Cette collaboration est emblématique de l’étonnante ouverture d’esprit que défend ce roman dans le recyclage et le bilan d’un héritage narratif qui couvre des millénaires.

Ce thesaurus de la Topique romanesque constitué de six décamérons est emballé dans un récit-cadre. L’emballage narratif de six décamérons constituera le sujet de ma communication. C’est l’histoire d’un complot dont la cible est Alphonse van Worden. Mon idée est que ce récit-cadre est issu de la veine allemande du roman gothique international. C’est vers Schiller, Wieland, Grosse et Goethe que j’orienterai aujourd’hui mon exploration.

Dans cette communication, je me propose trois objectifs. Je m’adresse aux spécialistes de l’œuvre de Jean Potocki à qui j’aimerais suggérer une piste de recherche qui me semble non seulement pertinente mais aussi indispensable pour une bonne compréhension de son roman. Je m’adresse aussi aux Satoriens. Ce colloque sur les territoires hétérogènes du roman nous offre une excellente occasion d’ouvrir notre champ d’exploration aux littératures anglaise, italienne, chinoise. Je proposerai donc aujourd’hui une piste allemande. Je m’adresse enfin aux chercheurs qui s’occupent de l’histoire des idées de l’Ancien Régime en focalisant sur une problématique qui en constitue un des axes transversaux : la Providence. La fin de l’Ancien Régime marque, selon l’expression d’Erich Köhler, la « Fin de la Providence ». Le début du XIXesiècle est, pour Köhler, un « siècle sans espoir (qui) n’en finit pas de détrôner la Providence pour la remplacer par le hasard3 ». Voilà un propos auquel l’étude du roman à complot peut emprunter toute sa pertinence. Le roman à complot inverse cette évolution de l’idée de Providence vers le pur hasard. Dans le roman à complot, à l’inverse, d’innombrables hasards convergent vers une Providence qui n’est plus métaphysique mais bien réellement humaine. La Providence s’incarne en une société secrète à la tête de laquelle on trouve un personnage extraordinairement charismatique. Et cette inversion au niveau du traitement narratif que reçoit la Providence est une de celles qui marquent le roman allemand, à la fin des Lumières.

Friedrich Schiller, Der Geisterseher (1787-1789)

Friedrich Schiller est le premier à donner une forme romanesque à une hypothèse endémique du roman allemand à la fin du siècle : tout ce qui arrive n’est, peut-être, pas l’œuvre de Dieu, mais d’un homme ou d’un groupe d’hommes, d’une secte, qui se met à sa place. C’est l’idée donc que le monde est l’effet d’une gigantesque conspiration.

La pièce de Schiller, Die Räuber (Les Brigands, 1781) est traditionnellement considérée comme le texte qui a donné le coup d’envoi au gothique allemand. Un autre texte de Schiller, un roman cette fois-ci, me paraît le texte fondateur de ce qu’on appelle en allemand der Verschwörerroman, c’est-à-dire le roman de conspiration, le roman à complot. Je veux parler de Der Geisterseher (« Celui qui voit des esprits »), paru entre 1787 et 1789 dans la revue Thalia, que Schiller dirigeait lui-même. L’inachèvement de ce roman-feuilleton a provoqué une série de continuations, sollicitées d’ailleurs par le public. Il est important d’en évoquer brièvement l’intrigue car elle nous ramènera tout à l’heure au Manuscrit trouvé à Saragosse.

Pendant un séjour à Venise, un Prince protestant de Courlande, qui n’est que le troisième en ligne pour la succession dans son pays, se voit soudain entouré de personnages mystérieux. Le Prince est ce qu’on appelle à l’époque ein Schwärmer, un enthousiaste. Le personnage du Schwärmer est une figure-clé du gothique allemand. Il s’agit d’un homme à moitié enfermé dans son propre monde imaginaire et en même temps ouvert aux expériences sensorielles qui pourraient le mettre en contact avec un monde d’un autre ordre. Cette disposition d’esprit le rend très influençable. Certaines organisations, maléfiques ou bénéfiques, en abusent. Un soir, un mystérieux Arménien qui surgit soudain sur la place Saint-Marc félicitele Prince de la mort de son cousin, le Régent de son pays. Notre Prince, qui n’a aucune ambition politique, est très étonné de cette nouvelle, d’autant plus que le messager disparaît aussitôt. Quand plus tard il est attaqué au jeu par un Vénitien agressif, il doit constater qu’on veille sur lui car aussitôt le Vénitien est arrêté par l’Inquisition romaine (die Römische Staatsinquisition), conduit dans des souterrains où un tribunal de vieillards habillés de noir le juge, le condamne à mort et le décapite immédiatement. Une autre scène confirme l’impression que le Prince a d’être surveillé. Un Sicilien rencontré sur la Brenta l’invite à une séance de spiritisme. On propose de lui montrer l’esprit d’un de ses compagnons d’armes, le marquis de Lanoy. Dans cette séance apparaissent tous les ingrédients qu’on attend pour produire une mise en scène trompeuse : une machine électrique (eine Elektrisiermaschine), une lanterne magique, une machine à produire des éclairs et des coups de tonnerre, le tout dans un décor où les autels, les crucifix d’argent et l’encens produisent un effet macabre. Au milieu de ces attributs, le marquis de Lanoy apparaît enfin, dans une chemise ensanglantée. Au moment où elle produit son plus spectaculaire effet, cette séance est interrompue par un personnage qui fait partie du public. C’est un officier russe, dans lequel notre Prince reconnaît le mystérieux Arménien. Le Vénitien est arrêté, conduit en prison – I Piombi – où le Prince est autorisé à l’interroger. Le Sicilien avoue qu’il n’est qu’un imposteur et explique par quelles adresses il a produit l’illusion. Cette scène justifie le titre du roman de Schiller, Der Geisterseher, « celui qui voit des esprits ». Cette explication de ce qui n’était donc qu’une adroite supercherie n’empêchera pas le prince de tomber au pouvoir d’une association qui le manipule. Il devient membre d’une société secrète, Bucentauro, qui entraîne le prince dans la licence et la débauche. Les membres de cette société affectent le bon goût et la finesse. Peu à peu le prince perd la droiture et le sens profond de la morale qui faisait tout le charme de son caractère. La débauche a un tel effet sur les sens du Prince qu’elle produit un lavage de cerveau. Quand, en plus, il tombe amoureux d’une femme merveilleusement belle, la cour de Courlande lui notifie qu’il est désormais persona non grata, parce qu’il est soupçonné d’être en contact avec des visionnaires et avec des catholiques. Le roman s’interrompt brusquement avec le meurtre de la femme aimée. Le mystère reste entier, mais plusieurs indications dans le roman suggèrent que le prince envisageait de se convertir au catholicisme.

Il n’y a pas d’explication univoque de ce petit roman de Schiller. Tout porte à croire que le Prince du pays protestant qu’est la Courlande est l’objet d’une conspiration conduite par une organisation catholique - peut-être les Jésuites, peut-être le Saint-Siège — afin de le mettre sur le trône et de renforcer l’influence catholique en Courlande. Le prince est unGeisterseher : il a cru voir un esprit, mais c’était une supercherie, révélée par ceux-là mêmes entre les mains de qui il est tombé et qui lui font jouer un rôle dans une trame politique qui le dépasse. Mais une illusion peut en cacher une autre. Le Prince est détrompé au sujet d’une illusion particulière, mais en même temps il est entraîné dans une autre illusion beaucoup plus envahissante dont il ne voit pas les tenants et aboutissants.

Les ressemblances avec le roman de Potocki sont patentes. L’intuition d’Alphonse van Worden qu’on le retient dans la Sierra Morena dans un dessein qu’il ignore se justifie. Il apprend peu à peu qu’il a été élu pour devenir un des chefs de la famille des Gomelez, à laquelle il appartient par sa mère. Il sera un jour le détenteur d’un énorme trésor et deviendra l’un des seuls à en connaître le secret, à condition qu’il accepte de se convertir à la religion de Mahomet. Sa traversée de la Sierra est un rite initiatique, un parcours semé d’épreuves où Alphonse est censé faire preuve de vaillance et de bravoure, mais surtout de discrétion : il doit avant tout prouver qu’il est capable de se taire. Sa traversée du désert montagneux a été entièrement mise en scène. Pratiquement tous les personnages qu’il rencontre sont au service du Sheik des Gomelez : les uns sont chargés de l’occuper par les histoires qu’ils racontent, d’autres, déguisés en inquisiteurs, en maréchaussée ou en voleurs, s’occupent à lui faire peur. Mais surtout, il y a deux merveilleuses princesses orientales qui essaient de le séduire. Elles ne se donneront à lui que quand il aura prouvé qu’il sait être discret. En réalité, elles sont les héritières des Gomelez. De leur union avec Alphonse devra naître un descendant mâle qui sera un jour chef de cette famille, dont l’ambition est de répandre son influence dans le monde entier grâce à un réseau de banquiers que le trésor approvisionne. Surtout l’idée de la conversion et de l’intrication de la politique et de la religion sont des traits qui permettent d’établir un rapport direct entre Potocki et Schiller.

En même temps, on peut relever dans le roman de Schiller beaucoup de topoï du roman gothique qui ne sont pas issus d’une tradition germanique, mais qui paraissent liés au roman d’horreur qui s’est déjà bien établi en Angleterre, en France et en Allemagne. Les topoï bien connus du gothique international comme les souterrains, les déguisements, les exécutions nocturnes, les chemises ensanglantées et les messes noires apparaissent dans des scènes dont le Prince est témoin. Ces scènes particulières le font frémir, mais elles reçoivent une explication rationnelle. En même temps et à son insu, le Prince est le centre actif d’une mise en scène englobante qui ne reçoit jamais d’explication. Le propre du roman de conspiration est qu’il constitue une sorte de roman gothique au second degré : l’horreur du gothique est devenue instrumentale. Le roman de conspiration se fonde chez Schiller sur le refoulement à un niveau d’illusion inférieur d’une tradition internationale du gothique sur laquelle se construit un niveau supérieur d’illusion. Le roman de Schiller est très subtil : l’organisation entre les mains de qui le Prince est tombé n’aime pas les scènes d’illusion qu’elle n’a pas arrangées elle-même. Si l’officier russe perturbe la scène de spiritisme, c’est qu’elle ne fait pas partie du plan de son organisation.

Le roman de conspiration est lié à une mise en scène englobante qui met à profit l’idée cartésienne du malignum ingenium. Au début de la première de ses Méditations (1641), en préludant à son idée du doute systématique, Descartes évoque l’idée d’un Dieu trompeur, qu’il rejettera peu après :

Je supposerai donc qu’il y a, non point un vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité, mais un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant qui a employé toute son industrie à me tromper. Je penserai que le ciel, l’air, la terre, les couleurs, les figures, les sens et toutes les choses extérieures que nous voyons, ne sont que des illusions et tromperies, dont il se sert pour surprendre ma crédulité4.

A travers cette figure du mauvais génie, le roman de conspiration allemand de la fin du XVIIIe siècle interroge la notion de Providence. L’âge des Lumières qui sépare Descartes de Schiller n’a pas manqué de faire son action. Le doute systématique que Descartes a introduit comme méthode philosophique, a profondément bouleversé la métaphysique. On pourrait dire, pour éviter de mener ici un débat qui nous mènerait trop loin, que la notion de Providence est une de celles qui sont le plus profondément remises en question : peut-être après tout n’y a-t-il pas de plan divin et le monde est-il gouverné par le hasard ou par des lois qui sont inhérentes à la matière. Le roman est le réceptacle de ces interrogations métaphysiques. Une chaîne de hasard fait comprendre à Candide qu’il ne vit pas dans le meilleur des mondes possibles. Les conséquences sociales sont énormes. Le Tiers Etat voit l’absurdité du hasard de la naissance qui constitue la base de l’organisation de la société d’Ancien Régime et règle le système du pouvoir. Le roman du XVIIIe siècle ne cessera pas d’interroger les barrières entre les états nobles et roturiers. Jacques le Fataliste témoigne d’une thématisation obsessionnelle du hasard5. L’existence de la Providence divine s’y heurte à son contraire, le hasard.

Dans le gothique allemand que lance Schiller à la fin du XVIIIe siècle apparaît l’hypothèse d’une Providence non plus métaphysique, mais humaine. L’argument central du roman de conspiration est que le monde qui nous entoure est organisé comme un Livre dont l’auteur n’est pas Dieu, mais quelque génie invisible, un metteur en scène charismatique et à proprement parler génial. Le malin génie s’humanise, la Providence descend des hauteurs célestes. Les manœuvres du génie ne servent pas des ambitions personnelles, mais ne sont pas non plus au bénéfice de l’humanité entière. Les ambitions politico-religieuses du démiurge existent en fonction d’une secte, souvent fanatique.

Christoph Martin Wieland, Peregrinus Proteus (1788)

Le deuxième texte allemand que j’aimerais évoquer est Peregrinus Proteus, un roman à l’antique composé en 1788 par Christoph Martin Wieland. Ce roman est la réécriture d’un texte de Lucien de Samosate (ca 125 – ca 185). Je vous rappelle que Lucien est aussi l’auteur d’un Lucius en grec, qui a pu servir de source à Apulée pour L’Âne d’or dont il a été question plus haut. On retrouve donc l’atmosphère de l’empire romain hellénisé, l’époque de la Seconde Sophistique. Lucien est l’auteur d’une Mort de Peregrinus Proteus6. C’est l’histoire d’un philosophe cynique qui, après avoir vécu un certain temps avec les chrétiens en Palestine, se retire en Grèce où il pousse le cynisme au point d’achever sa vie par autocombustion après avoir fait sa propre oraison funèbre. Lucien a été témoin de cette affreuse scène et parle de Peregrinus Proteus avec beaucoup d’hostilité. On a un autre rapport de cette étrange mort par Aulu-Gelle, qui en parle avec plus de modération7.

A la fin du XVIIIe siècle, l’écrivain allemand Wieland imagine, dans la préface de son roman, une conversation au Ciel entre Lucien et Peregrinus, où ce dernier justifie son étrange suicide en expliquant ce qui lui est réellement arrivé : il a été victime d’une conspiration. Pour cette scénographie de son cru, qui place la situation de la narration au Ciel, Wieland se souvient évidemment des Dialogues des Morts de Lucien.

Peregrinus est, comme le prince de Schiller, ein Schwärmer, un passionné, un enthousiaste, qui reconnaît en lui-même quelque chose de démoniaque au sens de l’Antiquité : il est comme possédé par un daimon qui l’exalte et lui insuffle le désir d’atteindre des hauteurs spirituelles inconnues. Le roman est l’histoire en trois étapes d’un parcours d’ascension spirituelle. Peregrinus essaie d’abord la voix de la magie. Cet endroit du roman de Wieland intéressera certainement les potockiens, puisque Peregrinus évoque deux personnages dont il sera question dans le Manuscrit trouvé à Saragosse, Apollonius de Tyane et Menipe de Lycie dont l’histoire se trouve dans La Vie d’Apollonius de Tyane de Philostrate, comme ne manquent pas de le signaler François Rosset et Dominique Triaire dans leur édition du roman de Potocki8. Quant au héros du roman de Wieland, il rencontre ce même Ménippe, ein gewisser Menippus, à Smyrne. Ce Ménippe le met en contact avec un personnage important du roman de Wieland, Dioklea, qui est présentée comme la fille d’Apollonius de Tyane. Cette Dioklea aurait reçu dans un rêve un ordre paternel qui consiste à accepter Peregrinus comme un protégé de la déesse Vénus Urania dont elle est la prêtresse. Cette déesse apparaîtra plusieurs fois à Peregrinus dans des théophanies mises en scène dont il est longtemps dupe, jusqu’au moment où il paraît clairement à Peregrinus que cette déesse est incarnée par une comédienne. Peregrinus s’enfuit, en proie à une profonde mélancolie. Il arrive à Pergame où il s’associe à une société chrétienne. Ici commence la deuxième grande époque de son errance spirituelle.

Peregrinus est attiré dans cette communauté par l’intermédiaire d’un inconnu, ein Unbekannter, qui exerce sur son esprit une action extraordinaire. Sans le savoir et dès le début de son errance dans le monde hellénistique, Peregrinus est tombé entre les mains d’une organisation qui abuse de son enthousiasme, de sa Schwärmerei. Après avoir été instruit d’une partie des mystères des Chrétiens, il est renvoyé par l’Inconnu dans sa patrie, Parium, où il a ordre d’attendre un messager. En route il trouve l’hospitalité auprès de gens simples, vivant dans une remarquable harmonie et une paix de l’âme qui leur assure le bonheur. Il les prend pour de vrais Chrétiens, appartenant à la secte des Johannites. En réalité, ils sont eux aussi des acolytes de l’inconnu. Dans l’erreur à laquelle le prédispose son enthousiasme, Peregrinus n’a plus d’autre désir désormais que de partager cette vie de douceur qui lui assurera, croit-il, la tranquillité intérieure. Il doit cependant poursuivre son chemin et, une fois arrivé chez lui, il y retrouve un autre complice de l’inconnu, Hegesias. L’inconnu lui-même se révèle enfin. Il s’appelle Kerinthus. C’est un homme charismatique, qui lui accorde un nouveau grade du parcours initiatique. Ce parcours doit le mener à la perfection spirituelle que promet le christianisme. Il est ainsi doucement amené à léguer sa fortune aux soi-disant Chrétiens, qui ne sont qu’une secte, s’écartant à maints égards de l’esprit du fondateur du christianisme. Derrière ce mirage d’ascension gnostique se cache donc une organisation politique et religieuse dont les plans ne sont jamais vraiment révélés. Mais il est clair que le très fortuné Peregrinus est la victime de la cupidité des sociétaires. Une fois parvenu aux degrés supérieurs, Peregrinus est envoyé en mission en Syrie, où il connaît la prison. Dans sa prison, il reçoit la visite de cette même Dioklea, qui se révèle être non pas la fille d’Apollonius de Tyane, mais la sœur du redoutable Kerinthus. Elle lui révèle les tromperies dont il a été victime. Il est libéré et rompt tout rapport avec Kerinthus et son complice Hegesias.

Ici commence la troisième époque de son pèlerinage spirituel. Je n’y insisterai pas car ce roman est d’une complexité infinie, comme tous les romans à complot. Je dirai seulement que Peregrinus s’engage dans la voie du cynisme. On le retrouve à Alexandrie et à Rome où il est à nouveau la victime d’une femme, Faustina, qui met son apathie cynique à l’épreuve en le séduisant. A Rome, il retrouve encore Dioklea qui est donc un personnage surgissant dans les trois étapes de son pèlerinage spirituel. Après avoir été chassé de Rome, Peregrinus arrive en Grèce où il fonde une école de philosophie cynique. C’est là enfin que, se comparant à Hercule, il se suicide par autocombustion.

Il faut se poser la question de savoir ce qui a pu amener l’écrivain allemand Wieland à réécrire l’histoire racontée seize siècles plus tôt par Lucien de Samosate. Ce roman m’apparaît comme une étude de l’illusion. L’illusion est l’effet d’une impulsion que reçoivent les sens, la vue en particulier. Mais en même temps, l’illusion dépend aussi de la disposition intérieure de celui qui la reçoit. On croit ce qu’on veut croire. Le roman étudie aussi l’étrange dialectique entre illusion et désillusion. La désillusion ne provoque pas forcément déception ou dégoût. L’illusion une fois rompue, l’effet peut néanmoins en être durable, quand il répond à un désir. Des scènes de théophanie se prêtent particulièrement à l’étude de cette dialectique : le personnage croit assister à l’apparition d’une déesse alors que c’est une comédienne, mais l’identité de la déesse une fois découverte, le désir de s’unir avec elle n’en reste pas moins très fort. La désillusion est alors compensée entre les bras de l’assistante de la comédienne, Dioklea.

Les scènes de théophanie sont comparables à la scène de spiritisme dans le roman de Schiller. Mais dans l’un et l’autre roman, il y a une illusion englobante, une illusion qui n’est pas limitée à une scène particulière, mais qui engage la vie entière. C’est là, me semble-t-il, la caractéristique fondamentale du roman de conspiration : la vie du héros est réglée par un démiurge caché, qui se révèlera un jour. Ce démiurge est une figure providentielle, dans la mesure où la vie du héros est mise en scène selon un plan préconçu et que la progression que fait le héros dans l’univers fictif où il déambule mène à un but fixé d’avance. L’univers mis en scène amène le personnage à une nouvelle vie. En définitive, le but de la mise en scène est une conversion.

Pour une topique du roman de conspiration

Ayant en tête les deux romans allemands, de Schiller et de Wieland, et sachant ce que le roman de conspiration deviendra ensuite entre les mains de Potocki à partir du début des années 1790, on peut tenter d’établir une topique provisoire. En énumérant quelques topoï du genre, j’ai aussi en tête d’autres romans allemand, que je ne pourrai évoquer qu’incidemment ici. Il s’agit tout d’abord d’un roman de Carl Friedrich August Grosse, Der Genius (Le Génie), publié enfeuilleton entre 1790 et 1794 et de Wilhelm Meisters Lehrjahre (Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister) de Johann Wolfgang Goethe, publié en 1794-1795. Le rapport du roman de Goethe avec celui de Potocki a été souvent suggéré sans avoir été vraiment étudié, à ma connaissance. La société secrète, appelée la société de la Tour, n’apparaît que dans les deux dernières parties de ce très complexe roman. Elle est constituée des membres d’une même famille. Quant à Carl Grosse, rien qu’un rapide survol de la liste des autres romans de ce romancier-géologue pourrait susciter l’intérêt des potockiens. On y voit notamment un Decameron des Grafen von Vargas, publié en 1797.

Der Genius (Le Génie) de Carl Grosse est l’histoire d’un homme qui a le sentiment que eine unsichtbare Hand habe den Schiksalsfaden vorausgesponnen, c’est-à-dire qu’« une main invisible a tissé d’avance les fils de son destin ». C’est exactement le sentiment qu’a Alphonse van Worden quand il traverse la Sierra Morena.

Je vous demanderais donc de me faire confiance, sans d’autres preuves, pour l’instant. Voici donc les caractéristiques marquant la spécificité du roman de conspiration tel qu’il apparaît dans la littérature allemande à la fin du XVIIIe siècle. La donnée de base du roman de conspiration est le rapport entre un individu et une société qui le trompe. Sans ce rapport entre l’individuel et le collectif, il n’y pas de roman de conspiration.

  1. La subordination de scènes d’illusion particulières à une mise en scène englobante me paraît, je l’ai dit, une caractéristique constitutive du genre.

  2. Cette mise en scène englobante est pragmatique, elle a un but, qui est la conversion du héros.

  3. La mise en scène prend la forme d’un parcours initiatique, qui se fait par étapes et est souvent liée à des épreuves. Et l’épreuve consiste entre autres à être discret : le héros doit apprendre à se taire. C’est un élément-clé du roman de Potocki, qui est déjà présent dans le roman de Wieland.

  4. La mise en scène englobante est inséparable d’une prédisposition du héros à la tromperie.

  5. Cette prédisposition est elle-même liée à ses lectures. Ce n’est pas le cas du Prince de Schiller, mais dans le roman de Wieland, le héros, dans sa jeunesse, a exploré la bibliothèque de son grand-père, et y découvre notamment les dialogues de Platon et en particulier le Symposium qui provoque en lui la fascination pour les démons. Potocki et Goethe s’intéressent eux aussi beaucoup aux bibliothèques.

  6. Le roman de conspiration est une variante du Bildungsroman, du roman d’apprentissage, dans ce sens que le héros est amené à se perfectionner. En héros des Lumières tardives, il fait aussi l’apprentissage de la clairvoyance.

  7. Le héros qu’on amène à travers la tromperie à la clairvoyance est présenté comme un privilégié, comme un élu. En tout cas, la société secrète lui inculque cette idée.

  8. Le parcours initiatique n’est qu’une mise en scène et l’apprentissage est en réalité un lavage de l’esprit, qui se présente comme une purification de tout ce qui est terrestre, mais qui en réalité consiste à implanter dans le cerveau du héros une sorte de lentille qui lui fait voir le monde d’une certaine façon.

  9. Le lavage de l’esprit s’effectue par un travail sur les sens. Pensons à la débauche dans laquelle est entraîné le prince de Schiller et aux délices sexuelles de Peregrinus.

  10. La nouvelle disposition d’esprit amène souvent le héros à voir la réalité comme une œuvre d’art. L’œuvre d’art est partout dans le roman de conspiration, comme dans le roman gothique dont il est une variante. Il y a des portraits qui ressemblent vaguement à des personnages rencontrés. Alphonse van Worden a l’impression qu’on lui représente des histoires connues qu’il a lues dans quelque livre. Peregrinus a le sentiment qu’on lui représente des mythes. Le mythe de Galatée par exemple, la statue qui s’anime.

  11. Le jardin forme un décor privilégié pour la tromperie. On y reconnaît une partie cultivée où l’on voit des pavillons, de petits temples et d’autres spécialités de l’architecture classique. Mais il y a aussi les parties incultes du jardin où l’on s’égare comme dans un labyrinthe. Dans la forêt sauvage qui le borde, on découvre des grottes et des souterrains, qui correspondent parfois aux bâtiments classiques du jardin. La dimension architecturale du roman de conspiration, qui le rapproche d’autres formes du roman gothique, est particulièrement claire dans le roman de Grosse et de Goethe9. Le domaine qui entoure un château est un vrai topos du genre. C’est aussi un chronotope. Espace et temps, intimement liés, y fonctionnent de façon très particulière. La théophanie dans le domaine de Dioklea fait vivre à Peregrinus un moment d’éternité.

  12. La désillusion ou le désenchantement, qui est le contrepied de l’illusion, constitue aussi une dimension cruciale du roman de conspiration allemand. J’en ai déjà parlé, mais il faut ici évoquer, pour finir, l’aspect métaphorique que revêt la dialectique entre illusion et désillusion. Dans Peregrinus par exemple, l’illusion est comparée à l’effet que produit une potion magique (ein Zauberbecher). Le désenchantement est souvent comparé à un réveil (ein Erwachen). La désillusion est comme une chute d’Icare et la comédienne démasquée se sent comme Phaéton qui tombe parce qu’il n’est pas maître du char d’Apollon. Je suis sûr que les potockiens s’intéresseront à cet aspect dans la mesure où dans le Manuscrit trouvé à Saragosse, la métaphore devient événement. Dans la première journée déjà, après avoir passé une nuit dans le lit de deux merveilleuses princesses orientales, Alphonse est obligé d’avaler une boisson. Le lendemain, il se réveille sous la potence entre deux affreux cadavres. Le trait du réveil n’est pas tout à fait neuf. On trouve une scène beaucoup moins forte mais tout de même assez ressemblante dans Der Geisterbanner, de Lorenz Flammenberg, publié en 1792. Le héros Hellfried y est invité à assister à un rituel de nécromancie qui est censé lui expliquer le vol mystérieux de certaines de ses possessions. Durant la cérémonie, Hellfried s’évanouit et se réveille dans un carrosse.

La question qui s’impose évidemment à la fin de ce survol de quelques traits du roman de conspiration allemand est de savoir si Potocki a eu accès à ces textes. Après la lecture d’un certain nombre de romans allemands, je suis intimement convaincu que Potocki connaissait directement certains romans à complot allemands, comme celui de Wieland et celui de Grosse. Une étude comparative détaillée permettrait sans doute de vérifier cette intuition. Je voudrais aussi suggérer aux potockiens une piste indirecte, qui mérite certainement d’être explorée. Potocki a pu connaître la tradition gothique allemande par un intermédiaire anglais et plus particulièrement par la Minerva Press de Londres, établie vers 1790 par William Lane. La Minerva Press est le centre de publication par excellence du roman gothique en Angleterre. Minerva Press publiait aussi des traductions de romans gothiques allemands dont précisément Der Genius de Carl Grosse, traduit en anglais par Peter Will en 1796, sous le titre Horried Mysteries. Il s’agissait ici de montrer que de toute façon, avant que Potocki ne commence la rédaction du Manuscrit trouvé à Saragosse, le roman de conspiration allemand répondait à une topique reconnaissable et que certains topoï circulaient. N’est-ce pas le propre du topos d’exister indépendamment d’œuvres précises, comme des unités atomiques infiniment recyclables et combinables. Matière première de nouveaux empires romanesques.

Notes

1

Ernst Robert Curtius, Europäische Literatur und Lateinisches Mittelalter, Bern, Francke Verlag, 1948.

2

Au sujet de cette étonnante intertextualité voir Le Manuscrit trouvé à Saragosse et ses intertextes. (Actes du Colloque international Jean Potocki, Louvain-Anvers, 2000), éds Jan Herman, Paul Pelckmans et François Rosset, Louvain-Paris, Peeters, 2001, 250 p.

3

Erich Köhler, Le Hasard en Littérature. Le Possible et la Nécessité, Paris, Klincksieck, 1986, p. 17.

4

Descartes, Méditations, in Œuvres et Lettres, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1953, p. 272.

5

Erich Köhler, op.cit., p.36.

6

Lucien de Samosate, Œuvres complètes, Paris, Laffont, coll. Bouquins, éd. Alain Billault et Dominique Goust, 2015.

7

Aulu-Gelle, Nuits attiques, Livre III, éd. R.Marache, 2003, XII, 11.

8

Potocki, Manuscrit trouvé à Saragosse (version de 1810), éd. François Rosset et Dominique Triaire, Paris, GF, 2008, p. 208.

9

Pour cet aspect de la discussion voir Harald Tausch, Die Architektur ist die Nachtseite der Kunst. Erdichtete Architekturen und Gärten in der deutschsprachigen Literatur zwischen Frühaufklärung und Romantik, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2006.

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Table des matières

Origines antiques et formes pré-classiques

La grande hybridation : 1650-1780

La révolution gothique